7 - Un plan d'attaque (2/2)
— Je maudis et maudirai le couple royal jusqu'en enfer !
— Perrine, s'offusqua sa tante, ne parle pas ainsi.
— Les murs ont-ils des oreilles ? Vous craignez une indiscrétion de votre personnel ? Ou un espion s'empressera-t-il de rapporter mes compliments aux souverains pour que je sois flagellée, fesses à l'air ?
— Perrine ! s'écria Melinah.
Seul son oncle pouffa. Au coup de coude de la maîtresse des lieux, il toussota et gronda :
— Non, ton attitude n'est simplement pas celle attendue chez une jeune femme éduquée.
Franchement, on a d'autres chats à fouetter ! Pardon, Rouquin.
Perrine ne parvenait pas à se calmer depuis le récit d'Arthus et de Melinah, après le sien ; elle voyait rouge. Les personnages des tableaux aux murs semblaient la railler, et lancer sa tasse en porcelaine, décorée de myosotis, la démangeait. Toutefois, elle grommela :
— Excusez-moi, vous avez raison de pointer ma mauvaise conduite. Ils me déçoivent tant.
— En tant que souverains, ils ne prennent pas toujours des décisions agréables pour leurs sujets. Tu dois les comprendre.
— Il existe d'autres moyens de convaincre, sans s'abaisser à des stratagèmes de bri... à de tels stratagèmes.
Le regard acéré de sa tante lui avait évité de lâcher une nouvelle insulte.
— Souhaitez-vous qu'on vous prête de l'argent ? proposa-t-elle. Nous pourrions vendre quelques terrains, et vous nous rembourseriez une fois installés à vos comptes.
— NON !
Perrine s'était exclamée en chœur avec son frère et sa sœur, si fort que Rouquin poussa un miaulement agacé. Le chat automate, au corps regroupé sur un pouf, fixait les hippocampes dans l'imposant aquarium à l'ombre d'une fenêtre occultée. Son oncle entretenait avec fierté cet ultime cadeau de leur père, avant que celui-ci les abandonne lâchement. Ces petits animaux ocre, au ventre d'un léger mauve fluorescent, « dansaient » devant le museau du félin.
Rouquin est ta plus belle réussite, Art. Tu dois devenir un ingénieur en automates pour le bien de notre chère cité-État !
Son frère, installé entre elle et Melinah, se leva pour récupérer son chat. Il se rassit sur un autre fauteuil, tournant le dos à l'aquarium, et ses caresses générèrent un ronronnement d'aise. La discussion pouvait reprendre son cours.
— Non, répéta Melinah avec calme. Avec votre situation financière, il n'est pas question de vous ajouter un poids supplémentaire. N'est-ce pas, Perrine, Arthus ?
— Vous nous avez déjà aidés à devenir indépendants à la majorité de Perrine, l'année dernière, avec l'achat de la maison sur le plateau des artisans, renchérit leur frère. Nous devons maintenant nous débrouiller. Je vendrai plus d'automates, ils rencontrent un certain succès.
— Votre ténacité vous honore, mais toi, Perrine, tes parties de jeu au Lynx des aérocabs me tracassent beaucoup.
Si vous saviez, chère tata Augustine !
La marquise s'éventerait encore plus ou tomberait en pâmoison, si elle apprenait l'invitation forcée d'Honoré Fidulas. Perrine fut tentée de la lui avouer, puis se ravisa. Son oncle et sa tante n'avaient pas à subir ses railleries, alors qu'ils se mettaient en quatre pour eux. En revanche, elle soufflerait dans les bronches d'Arthus qui avait dû déverser ses inquiétudes dans l'oreille de Melinah, laquelle les avait trahis. À nouveau.
— Peu importe l'argent, car mon adorable sœur a donné son accord pour que nous retrouvions les steamglas. Nous voilà embarqués dans cette quête dangereuse.
— Ma décision ne vous engage pas ! Et la reine m'avait piégée devant ses dames de compagnie.
— Ne jamais hausser le ton ou contredire, la règle première de la bonne société ! Combien de temps accepteras-tu ces sacrifices ?
Un nuage voila les yeux noirs de Melinah, comme si sa remarque en rappelait une autre. Quelqu'un aurait-il essayé de semer un vent de révolte dans la tête de son aînée ? Qui ? Personne à la cour, ni Oreste, ni son oncle, ni sa tante.
Arrête de prendre des vessies pour des lanternes, Mella n'abandonnera jamais son but.
— Perry, je respecte son choix, intervint Art. Tu le devrais aussi. Quant à toi, Mella, tu ne te lanceras pas sans nous, que cela te plaise ou non. Rangez vos armes et réunissons nos forces. Plus vite nous ramènerons les steamglas, mieux ce sera pour nos projets.
— Arthus a raison, mes enfants, renchérit leur oncle. Vos disputes vous nuiront plus qu'elles ne vous aideront, signez la paix.
En guise de parchemin et de stylo, il leur proposait leurs tasses à café au milieu des pâtisseries sur la table basse du salon. Perrine attrapa l'une des fragiles porcelaines, décorée de roses, et la tendit vers sa sœur. Melinah l'imita sans hésiter. Elles trinquèrent, puis dégustèrent l'excellente boisson aux notes fruitées, sous les applaudissements des trois membres de la famille.
— Puisque la hache de guerre est enterrée, réfléchissons au plan d'attaque, enchaîna leur tante.
— Sauf votre respect, nous ne souhaitons pas vous importuner avec notre mission, contredit Melinah.
— Balivernes ! Nous vous avons toujours soutenus, nous continuerons ainsi.
— Si le danger tapait à votre porte, le couple royal nierait son ordre et ne vous apporterait pas son aide, appuya Perrine. Votre domaine exige déjà beaucoup d'heures, n'en rajoutez pas.
Alors que leur tante ouvrait la bouche, leur oncle se leva d'un coup.
— J'approuve votre sagesse. Madame, laissons-les tranquilles, nous les gênerons plus qu'autre chose, et j'aimerais vérifier une créance d'un fournisseur. Elle me semble douteuse. Votre œil sagace détectera la tromperie mieux que moi-même.
Perrine admira la manipulation sans méchanceté sous le compliment, le marquis arrivait à ses fins avec sa femme, qui régentait la maisonnée. Sa tante sortit la tête haute, certaine de son importance. Le canapé ne resta pas libre longtemps : d'un bond gracieux, sa queue en forme de point d'interrogation, Rouquin se l'appropria, avant de s'étaler de tout son long.
— Des années de mariage ont du bon, pouffa-t-elle. Prends-en de la graine, Mella, pour ton futur fiancé.
— Et pas toi ? Ou défiler au bal de la Sainte-Catherine dans trois ans fait aussi partie de tes projets ?
— Si la reine bloque ton union jusqu'à la fin de notre mission, tu seras sous les quolibets avant moi !
— Suffit vous deux, vous avez promis de ne pas vous étriper, gronda Arthus.
Un miaulement appuya le reproche de son maître. Quoiqu'elle le méritât, ce fut la culpabilité qui envahit Perrine face au visage choqué de son aînée. Se retrouver au bal de la Sainte-Catherine l'année de ses vingt-cinq ans signifiait un échec personnel chez une femme. Même si Nébelisse donnait plus de droits que dans la plupart des pays d'Europe, certaines idées demeuraient ancrées dans les têtes. Le mariage et les enfants, par exemple.
Je resterai célibataire, rien que pour leur rire au nez pendant ce bal honteux ! Mais Mella n'a pas à pâtir de mes opinions.
— Excuse-moi, ajouta-t-elle. Je suis allée trop loin, et je serai la première à acclamer ton union.
De nouveau, des nuages défilèrent dans les beaux iris de son aînée. Quelque chose la perturbait, et elle n'en représentait pas la cause. Puis Melinah cligna des paupières et le trouble s'effaça.
— Je n'aurais pas dû te provoquer, murmura-t-elle. Essayons de maîtriser nos différends et concentrons-nous sur notre mission.
— À la bonne heure ! s'exclama Arthus.
Son frère avait si bien imité leur tante avec son éventail qu'ils s'esclaffèrent tous les trois. Après plusieurs secondes d'insouciance, Perrine les ramena au sol.
— Par quoi, ou par qui, commençons-nous ?
Perrine déplia un doigt à la fois de sa main droite, tandis qu'elle suggérait :
— Pêle-mêle, fouiller le manoir du comté pour des indices, discuter avec Louise, notre ancienne gouvernante, retrouver un compagnon d'exploration. Et ?
— Interroger Adélaïde Morisot, déclara Melinah. Pour plus de discrétion, nous devrons nous séparer avec chacun sa mission.
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