5 - Les ordres (3/3)
Cette fois, un froid glacial s'empara de tout son corps, et Melinah dut forcer ses pieds à poursuivre à la même allure, dans la même direction, alors qu'ils rêvaient de s'enfuir ailleurs. Son entrevue précédente marquait encore trop son esprit.
Y aurait-il une anguille sous roche ?
Oreste déboucha dans un jardin, entouré de hautes haies, où un kiosque à musique occupait l'espace central. La souveraine y dégustait un thé avec quelques dames de compagnie, autour d'un guéridon, tandis que des serviteurs demeuraient à l'extérieur, raides comme des piquets. La douceur du soleil pénétra à nouveau Melinah : autant de témoins à cette convocation signifiait que les steamglas ne viendraient pas sur le tapis.
— Vous voilà enfin, mademoiselle Beauciel ! s'exclama la reine. Ces jeunes gens sont tellement sous le charme de notre parc qu'ils en oublient leurs obligations.
— Ou leur chemin, renchérit une des dames.
— À moins que les émois ne les perturbent trop, argua une autre.
Des rires s'envolèrent, qu'un claquement d'une tasse en porcelaine sur sa sous-tasse fit taire. La souveraine reprit la parole :
— Je vous pardonne votre retard, pour cette fois, d'autant que je ne souhaite pas gâcher votre joie.
— Ma joie, Votre Majesté ?
— Oreste nous a informés, au roi et à moi-même, de ses intentions à votre égard, et nous demandait notre accord, il y a plusieurs jours. Pourquoi les lui refuserions-nous ? Vous êtes un modèle pour toutes les demoiselles de la bonne société. N'est-ce pas, mesdames ?
Certaines hochèrent la tête, d'autres agitèrent un éventail, toutes écoutaient avec attention l'échange. Un mariage entre une femme déchue et un jeune noble alimenterait les potins durant des mois, et chacune de ces commères en puissance tenait à garder la primeur d'une anecdote.
Si cela peut m'aider à réintégrer leur rang !
Plus exactement, celui de la petite noblesse, mais Melinah s'en contenterait. Quant aux cancans, leur lumière se porterait sur d'autres cibles, si son attitude ne versait pas de l'eau à son moulin. Elle décocha un sourire détendu aux dames de compagnie, tandis que la souveraine poursuivait.
— Nous n'hésitons jamais à clamer votre loyauté, car elle m'est toute acquise... quoi que nous exigions ?
La fin de la phrase figea son sourire, et ses jambes se ramollirent. Elle n'était qu'une idiote, elle avait sous-estimé son adversaire : la reine l'avait piégée... grâce aux témoins ! Car ils n'hésiteraient pas à détruire son avenir d'une chiquenaude si elle répondait mal. Melinah serra plus fort le bras de Oreste, un geste qui ne passa pas inaperçu auprès d'une des dames de compagnie.
— Vous ne vous sentez pas bien ? lui susurra-t-elle, d'un ton mielleux.
— Veuillez l'excuser, intervint son compagnon, je n'ai pas eu le temps de l'avertir sur le sujet de la convocation.
La chaleur de sa main traversait sa manche, et pourtant, Melinah n'éprouvait pas l'envie de s'y accrocher. Une paire d'iris mordorés avaient surgi dans son esprit. Elle en aspira l'assurance avant de les chasser, puis de passer un bras sous celui de son compagnon.
— Votre surprise me prend au dépourvu, Votre Majesté, et vous pouvez voir combien elle me touche. Je ne vous remercierai jamais assez pour votre générosité... et vous resterai loyale quoi que vous exigiez.
Voilà, le sort en est jeté, la reine a gagné.
Ni le choix ni le temps à la réflexion ne lui étaient permis, mais il ne fallait pas se mentir. Melinah n'avait pas profité des deux jours qui s'étaient écoulés depuis l'entrevue. Elle avait juste espéré que les souverains l'oublient, ou qu'ils la laissent revenir vers eux, ou qu'un événement plus grave à Nébelisse relègue en bas des priorités leur requête. Quelle naïveté fatale ! On ne gouvernait pas un royaume avec des lubies.
— Votre réponse me comble, mademoiselle Beauciel, déclara la reine de son ton toujours neutre. Étant donné votre situation particulière, le roi et moi avons décidé que nous organiserions votre union qui marquera votre retour parmi nous.
— Vous nous feriez un grand honneur, clama Oreste, une main sur le cœur.
Melinah remercia avec plus de retenue. Elle se méfiait de chaque parole de la souveraine, laquelle poursuivit :
— Ne sautons pas d'étapes, et occupons-nous d'abord des fiançailles. Le mariage viendra plus tard. Seulement, notre agenda des fêtes se remplit si vite que vous devrez patienter. Nous vous proposerons plusieurs dates, elles changent trop souvent ; les imprévus me lassent tant.
Alors que les dames de compagnie consolaient la reine, Melinah captura son regard en coin derrière sa tasse. Il n'était adressé qu'à elle, avec le message.
Votre réintégration dans la noblesse ne dépend que de notre bon vouloir.
— Nous mettrons un point d'honneur à faciliter votre tâche, répliqua-t-elle.
— Je n'en doute pas. Dommage que votre sœur et votre frère ne suivent pas votre voie, notre bonheur serait comblé. Partez, maintenant, jeunes gens, je ne vous retiens pas plus longtemps.
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