4 - Les désirs (1/2)
Que vous nous rapportiez la découverte de Galien Debeauciel, les steamglas, se répéta Melinah. À quoi jouent-ils ?
La bouche de son oncle affichait un o parfait, quand sa tante haussait un sourcil ; preuve que les souverains ne les avaient pas informés du but de l'invitation. Au milieu de ce silence ahuri, la voix rauque de Perrine s'éleva :
— Pas de problèmes, nous appellerons notre père dès demain et j'irai avec Art chercher la clé de notre réhabilitation. Un jeu d'enfants ! Vous avez d'autres souhaits ?
Sa plaisanterie ironique lui valut un regard d'avertissement de la reine. Si d'habitude, Melinah reprochait l'attitude irresponsable de sa sœur, elle comprenait sa réaction. Le couple royal ne réalisait-il pas que leur demande enfonçait un couteau douloureux dans le cœur de Perrine, Arthus et elle-même ?
Seuls les intérêts des plus grands comptent, inutile de le mentionner.
Obtenir la raison et le but comptait plus
— Pourquoi une telle requête, et aujourd'hui ?
— Votre père a rendu de fiers services à Nébelisse, avoua le roi. L'amélioration des conditions de vie du peuple lui tenait à cœur, à travers l'étude de plantes et des minerais qu'ils ramenaient de ses différentes expéditions en Amazonie.
Ces phrases ne répondaient pas à sa question, mais ainsi se comportaient les membres de la cour. Ils aimaient faire durer le plaisir.
Ou le supplice.
— Quand il a quitté votre malheureuse mère, et que celle-ci est décédée peu après, nous avons tenté de minimiser l'impact sur vous. Le déshonneur ne pouvant s'effacer, le soutien restait notre unique solution. Nous l'avons exploitée au mieux.
— Sinon, nous aurions été relégués dans un orphelinat du peuple, et travaillerons tous les trois à l'usine. Nous n'oublierons pas votre geste.
Melinah jeta un coup d'œil à sa sœur, qui haussa les épaules. Elle la laissait gérer la conversation à sa guise.
— La moindre des choses, mon enfant, soupira le roi. Nous adorions votre père, quelle tragédie !
Tragédie qu'il apaisa en avalant une bouchée de tarte au chocolat. Amaranthe remplaça son mari :
— Nous avons approuvé votre scolarité dans une école bourgeoise, et les autres décisions de votre famille. Vos attitudes exemplaires jusqu'ici nous permettront d'imposer votre réintégration.
— Vous accorderiez toujours la charge de pilote d'aérocab à Perrine ? s'étonna Arthus.
— Seul le ministère des Transports est habilité à l'attribuer, et si elle réussit son entraînement, rien ne l'empêche. La fonction n'est pas interdite aux nobles, surtout chez ceux du quartier des éperviers. Comme pour toi, avec le poste d'ingénieur en automates industriels, quoiqu'il soit plus rare dans notre milieu. Des idées neuves ne tueront pas la bonne société.
Tant qu'elles ne font pas tache sur les aristocrates, compléta Melinah. Ils suivent notre vie dans un seul but.
Les souverains lorgnaient après les steamglas depuis des années. Leur père clamait partout qu'ils remplaceraient le charbon de manière efficace avec un effet moins nocif sur les êtres humains, et en abondance. Cependant, personne n'en avait jamais vu, personne n'avait la moindre idée à quoi ils ressemblaient.
Croient-ils que nous, ses enfants, nous y parviendrions ?
Son interrogation apportait la réponse au pourquoi de la requête et au « aujourd'hui ». Le couple royal avait attendu que tous les trois aient atteint la majorité, Perrine ayant fêté ses vingt et un l'année précédente.
Sa sœur avait dû poursuivre la même réflexion, car elle objecta :
— Pourquoi ne lancez-vous pas des recherches sur notre père ? Vos contacts dans le monde et vos moyens dépassent les nôtres.
Un soupir, un regard furtif échangé avec son oncle et sa tante, et ce fut cette dernière qui répliqua :
— Le ministère des Affaires étrangères a remué ciel et terre pour le retrouver. Il semblerait que Galien accompagnait un ami, un peintre impressionniste, à bord du paquebot La Bourgogne.
Un froid glacial parcourut la peau de Melinah. Le navire transatlantique avait sombré en juillet 1898, à la suite d'une collision avec un voilier en plein brouillard. Cinq cents morts. L'une des plus grandes catastrophes de leur époque, tous les journaux en avaient parlé.
Six ans après la lettre d'adieu à Imany. Sa trahison se résume à une vie raccourcie, un gâchis... et des dommages collatéraux.
— Revenait-il à Nébelisse ? murmura Arthus.
Melinah fronça les sourcils, avant de réaliser pourquoi son frère posait la question : le paquebot effectuait son voyage retour au Havre.
— Art, ils ont dit « semblerait », cingla Perrine. Ne te fais pas d'illusions.
— Les registres n'indiquaient pas son nom explicitement, confirma leur oncle, mais les détectives ont montré sa photo aux guichets et autre personnel. Il a été reconnu.
Ni la taille, ni les cheveux et favoris roux de leur père, ni sa joie ne s'oubliaient. Il représentait une force de la nature.
Qu'un naufrage a détruit en un claquement de doigts.
— D'où notre requête, poursuivit le roi Mouhsin. Nous n'aurions pas eu l'impudence de vous solliciter au sujet de Galien.
Seuls les intérêts des plus grands comptent, se répéta Melinah.
Elle doutait de la déclaration, mais celle-ci permettait aux souverains d'affirmer un bon cœur.
— Nous souhaitons donc que vous vous concentriez sur les steamglas, car nous pensons que Galien en a laissé quelque part dans Nébelisse. Car nous pensons que vous êtes les mieux placés pour cette mission.
Un rire accueillit la requête royale et figea l'assemblée : des secousses parcouraient le corps de Perrine, et des larmes roulaient sur ses joues. Un rire qui s'éteignit aussi vite qu'il avait démarré.
— Vous nous demandez de dénicher une paille dans une botte de foin, avec le risque que nous croisions notre père ou que ces steamglas soient une pure affabulation.
— Nous sommes conscients de notre exigence, rétorqua la souveraine, mais le peuple souffre de plus en plus sous le brouillard. Si jamais ces steamglas n'existaient pas, nous en apporter la preuve nous permettrait de faire taire les mauvaises langues au Parlement.
L'explication ne dut pas convaincre Perrine. Elle se leva et assena, le front haut :
— Vos problèmes de gouvernement ne nous concernent pas. Je refuse d'aliéner ma liberté pour un but incertain, pour des années incertaines. Le prix à payer ne vaut pas la récompense, et devenir pilote d'aérocab ne nécessite que d'acheter une charge. Réintégrer la noblesse ne m'intéresse pas.
Quand sa sœur se dirigea vers la sortie, les froufrous de sa robe résonnèrent étrangement dans un silence lourd. Elle seule oserait défier quiconque sans considérer le rang de cette personne.
— Et vous, que décidez-vous ? s'enquit le roi. Nous nous contenterons de l'un de vous dans cette mission.
Comme la souveraine, il demeurait impassible et s'exprimait d'un ton neutre. Melinah adopta le même pour rétorquer :
— En plus des arguments sensés de Perrine, la disparition de notre père a permis à la bourgeoisie de clamer à l'imposture, de dénigrer sa soi-disant découverte. Avez-vous songé que certains préféreraient notre échec ?
Ou notre mort.
Elle avait évité ce terme en présence de sa famille, quoiqu'ils eussent certainement réalisé le sous-entendu.
— Vous ne changeriez pas de vie et continueriez vos projets, votre sœur ne nous a pas laissé le temps de l'expliquer. Le secret est primordial à votre réussite.
Tous les risques pour nous, tous les lauriers pour eux, traduisit Melinah.
Pour une fois, une unique fois, elle envia son effrontée de benjamine : échapper aux regards scrutateurs du couple royal et de sa famille la démangeait. Elle ne bougea pourtant pas d'un pouce et déclara :
— J'ai besoin de réfléchir, de peser le pour et le contre.
— Sans mes sœurs, je n'arriverai à rien, enchaîna aussitôt Art. Mon asthme... je suis désolé.
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