3 - Des hôtes de marque (3/3)
Leur parole n'était pas vaine : ils arboraient de « simples » habits en soie, sans ornements, hormis la ceinture brodée avec leurs armoiries. Ce signe distinctif dans les familles de sang royal justifiait le surnom de la colline des ceintures, attribué par le peuple au quartier des aigles.
Un sourire de leur part relança le cœur de Perrine. Ce couple aussi dissemblable que possible entre un souverain à la peau foncée et une souveraine blonde comme les blés s'adorait, et il contaminait toute personne à proximité, atténuait les turpitudes de la cour.
Comment évitent-ils d'être salis ?
L'image de ses propres parents se superposa à ses hôtes. Sa mère, Imany, riait entre les bras de son père Galien, taquinait l'un l'autre, s'embrassait, sous le regard attendri de la gouvernante et des enfants qui pouffaient en cachette.
Le pouvoir de l'amour.
Si fort qu'il a abandonné ma mère pour une autre femme, conclut Perrine avec amertume.
Elle s'efforça à revenir dans la conversation.
— De beaux jeunes gens. Nous sommes les premiers à regretter votre revers d'infortune, formula la reine Amaranthe. Les enfants ne devraient pas payer pour les errements de leurs parents.
— Nous réintégrerons la noblesse, clama Melinah.
— Une sage décision, mademoiselle Beauciel, et nous la soutiendrons de tout notre cœur. J'ai cru comprendre que vous étiez plutôt proche du baron Oreste Decalx. C'est un jeune homme charmant, même si son rang est loin des Debeauciel.
— Le baron Decalx se consacre plus à son domaine qu'à rechercher les hommages des uns et des autres. Un cadre parfait pour une personne, dont on attend un profil bas.
— Perrine ! l'averti sa tante, tandis qu'Art lui donnait un coup de coude dans les côtes.
Le rire cristallin de la reine résonna contre les murs.
— Non, non, ne la disputez pas, elle défend son aînée, une belle attitude. Votre langue ferait des ravages à la cour, je me demande si je ne devrais pas vous trouver une charge de dame de compagnie auprès d'une de mes cousines.
Voilà la raison de cette réunion secrète : notre avenir.
D'avoir découvert ce qu'elle aurait pu comprendre plus tôt ne la rassura pas. Si le couple royal se mêlait à leur futur, ses propres projets risquaient d'en pâtir... et sa liberté.
— Ma chère, intervint le roi Mouhsin, n'allons pas trop vite en besogne et n'oublions pas les rafraîchissements pour nos invités.
Deux claquements de mains appelèrent des serviteurs. Ils disposèrent pâtisseries, boissons chaudes et liqueurs sur des guéridons à proximité des fauteuils, pendant que Perrine et sa famille s'installaient autour du couple royal. Ce dernier donna le « la » de la collation improvisée, la reine en attrapant des macarons, le souverain une tasse de café.
— Léopold, comment vont vos affaires ? s'enquit-il après le départ des domestiques.
On n'est pas sorti de cette auberge de chasse, à ce rythme !
— Très bien, Votre Majesté. Nos vignes fourniront enfin une bonne récolte et les experts jugent que le millésime sera de qualité.
— Votre choix de remplacer vos cultures, avec le climat plus chaud, relève d'une audace qui portera ses fruits, j'en suis persuadé.
— Notre endettement demeure élevé, il nous oblige à mesurer nos dépenses.
— Au point d'impacter le train de vie nécessaire à votre rang ?
L'apparence avant tout, tant pis si la famille se ruine ou si elle accepte des aides douteuses.
— Votre sollicitude nous touche, Votre Majesté, et je vous rassure. Nous n'arriverons pas à un tel stade, la location du comté Beauciel pour les spectacles ou des grandes cérémonies nous apporte un revenu supplémentaire.
La belle véranda et son jardin fleuri flottèrent devant les yeux de Perrine... gâtée par la présence d'inconnus. Leurs visages pleins de morgue l'observaient de haut et son cœur se pinça. Leur famille avait tout perdu : honneur, amis, propriétés, jusqu'au moindre objet personnel.
Pleurer sur le passé ne te le ramènera pas. Ton futur est en train de se jouer ici.
— Je vérifie moi-même les comptes toutes les deux semaines, déclara sa tante, épaules redressées. Et j'adapte nos frais en conséquence.
— Bien des nobles devraient suivre votre exemple, Augustine. Cependant, si un problème survenait, n'hésitez pas à nous contacter.
Remerciements, félicitations, et chacun se concentra sur son assiette en porcelaine. Perrine avait opté pour un bavarois à la framboise, mais son impatience l'empêchait d'apprécier à sa juste valeur l'excellente pâtisserie.
Sa jambe droite en tremblait.
Néanmoins, elle manqua de s'étrangler lorsque la souveraine formula :
— Mon cher, assez parlé du marquisat Debeauciel. Nos jeunes gens meurent d'envie que nous abordions le sujet de cette réunion.
Comment une reine, habituée à analyser le moindre geste à la cour, n'aurait-elle pas remarqué sa nervosité ? Perrine prit une pose plus détendue et avala une bouchée de son gâteau, comme si elle discutait du beau temps entre amies. Les apparences, toujours les apparences.
— Nous avons exprimé notre regret sur votre sort, et aimerions faciliter votre retour dans la noblesse à tous les trois, poursuivit la souveraine.
Tous les trois ?
Sa cuillère s'était figée en pleine course. Perrine la termina, puis exagéra la mastication pour faire craquer ses tympans, tant elle était incertaine d'avoir entendu les derniers mots. La remarque du roi confirma toutefois sa bonne ouïe :
— Dès le mariage de Melinah, chacun de vous récupérerait son nom de famille de naissance et s'établirait dans le quartier des éperviers avec notre bénédiction. Plus aucun noble ou bourgeois ne vous molesterait.
Perrine reposa son assiette sur le guéridon, tandis que sa sœur interrogeait :
— Qu'attendez-vous de nous en échange ?
— Nous aimerions que vous retrouviez la découverte de votre père, les steamglas.
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