27 - L'ultime défi (2/3)
Un genou au sol, Vincent appuya deux doigts sur le cou d'Oreste Decalx, Melinah ne s'était pas trompée. Elle l'avait tué. Du sang séchait sur son crâne et le tapis. Quand il secoua la tête pour le signifier, un des deux gardes royaux déclara d'un ton neutre :
— Nous nous occupons de lui, comme vous l'avez proposé. La souveraine a donné son accord pour maquiller cette mort en accident.
— Cela en était un, insista Vincent en se redressant à l'aide de sa canne. La victime se défendait. Elle a trouvé une arme par hasard, je vous prierai de ne pas salir sa réputation.
Le second garde nettoyait le plateau du jeu d'échecs sur la petite table avec un chiffon. Cheveux et traces de sang disparaissaient peu à peu. Les paupières du premier clignèrent une fois, et une lueur anima ses iris sombres.
— Tous les deux, nous condamnons ce genre d'acte, monsieur, et nous réprouvons cette coutume d'en rendre la victime coupable. Voilà pourquoi la reine nous a choisis pour vous assister.
Amaranthe se montrerait-elle humaine ?
La question attendrait, les minutes lui étaient comptées.
— Dans ce cas, je vais vous laisser à votre tâche. Je ne peux pas rester plus longtemps à l'étage, les invités ou Honoré Fidulas s'en étonneraient. Récupérez aussi les habits déchirés dans la chambre de la gouvernante.
L'éclair dans le regard du garde s'effaça.
— Nous n'oublierons pas, monsieur. Partez sans crainte, les couloirs des domestiques sont innombrables.
Vincent quitta la pièce satisfait. Les serviteurs royaux continueraient leur besogne, tels des automates réglés à la perfection, preuve de l'efficacité qu'exigeaient les souverains. Malheureusement, la richesse de certains, comme celle d'Honoré Fidulas, parvenait à gangrener ce réseau.
Chacun ses soucis. À vous, Perrine Beauciel.
Dès que le président de CarboIndus l'avait libéré avec le paiement de son « protégé », Vincent avait voulu la retrouver. Mais la reine avait passé un message : Melinah était montée à l'étage, suivie peu de temps après par Oreste Decalx. Lui seul pouvait gérer la situation, surtout si le danger ne se matérialisait pas.
Un coup d'œil à sa montre à gousset, dont les engrenages visibles au centre cliquetaient les secondes, lui indiqua que quinze minutes restaient avant la seconde manche. Ses pas accélérèrent dans l'escalier, puis dans le hall en direction du salon à l'arrière du manoir. Un groupe de bourgeois discutaient dans un coin. Ils le saluèrent.
— Monsieur Lodel ne se montre guère performant ce soir, l'interpella l'un d'eux. J'espère qu'il nous régalera, sinon sa revanche retombera comme un soufflé mal effectué.
Quand des rires accueillirent la plaisanterie, Vincent se retint d'étouffer l'impudent. Cette assemblée de la bonne société rêvait d'une mise à mort pour détromper leur ennui, surtout si Perrine remportait cette manche.
Elle parviendra à se brider.
Plutôt que de la jeter en pâture, Vincent détourna l'attention du groupe :
— Puisque le quatrième joueur changera, le spectacle vous captivera.
Il n'avait pas insisté sur le mot quatrième, mais les bourgeois s'en emparèrent. Chacun souhaitait donner son avis sur la personne, sans la nommer expressément. Vincent n'avait plus qu'à s'éloigner en direction du jardin. Perrine ne pouvait qu'être à l'atelier de son père afin de porter secours à sa sœur, elle n'avait pas reçu le message plus précis de la reine.
Toutefois, un serviteur d'Honoré Fidulas l'arrêta sur le seuil.
— Monsieur Morisot, mon maître voudrait clarifier avec vous et Terry Lodel les conditions de la seconde manche.
La revanche ?
Que désirait le président de CarboIndus ? Si c'était acheter l'échec de Perrine devant tous, Vincent tenterait de récupérer son pécule perdu à la première manche, à condition que la jeune femme ne subisse pas une humiliation publique. Il ne le supporterait pas.
Ne t'emballe pas dans les suppositions, et écoute Fidulas.
Sa main glissa sous sa veste et toucha la crosse d'un pistolet. Le garde qui lui en avait donné un avant qu'il suive Melinah et Oreste ne l'avait pas repris.
Son guide monta l'escalier dans le hall, tourna le dos à la galerie de photos familiales et parcourut le couloir, jusqu'à l'extrémité de l'aile droite. Il l'abandonna devant une porte avec un salut de la tête. Vincent tiqua : la pièce derrière le battant, gravé d'élégantes arabesques, n'avait rien à voir avec celle où il avait réglé la dette de Perrine. Isolée. À l'abri des regards et des oreilles.
Que tramait Honoré Fidulas ?
Redoublant de prudence, il frappa avec le pommeau de sa canne. Un « Entrez ! » véhément lui répondit et Vincent obéit. Une bibliothèque dans les teintes bleu pastel, parsemées de minuscules l'accueillit, elle invitait à la détente après une journée chargée avec sa méridienne et ses bergères. Si le président du CarboIndus profitait du cadre dans un de ces fauteuils, Perrine, déguisée en homme, se tenait raide au bord de son siège.
— Enfin, vousvoilà, cher Vincent ! Vous vous faites désirer, comme vos jeunesbourgeoises à votre magasin de mode.
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