27 - L'ultime défi (1/3)
Quand quelqu'un arracha la cagoule de Perrine, une ampoule au plafond l'éblouit, et ses paupières s'abaissèrent. Toutefois, des images avaient imprimé ses rétines. La pièce, petite, contenait une armoire en bois, une table, une bougie allumée, et une chaise qui accueillait une silhouette. Une odeur de renfermé y régnait, sans qu'elle efface le parfum prononcé du patchouli.
Honoré Fidulas.
Tandis que son gardien lui détachait les poignets sans ménagement, le président de CarboIndus annonça :
— Vous excuserez mon homme de main, il n'a jamais su s'y prendre avec les femmes.
Perrine cligna des paupières jusqu'à s'habituer à la luminosité et découvrit l'hôte de la soirée, qui humait un long cigare en connaisseur.
— Je ne vous en propose pas un, monsieur Lodel, ou devrais-je dire mademoiselle Beauciel ?
— Le cigare, synonyme de colonialisme, n'est guère prisé dans notre famille. Alors, homme ou femme, j'aurais décliné votre offre.
Une gifle, une douleur sur la joue, et un ordre claqua à ses oreilles :
— Montre plus de respect !
— Ne la frappe pas, Victor, tu sais combien j'aime les défis. Et je compte bien gagner celui-ci.
Défi ? Aurait-il des vues sur moi ?
Malgré son ventre qui se tordait à cette idée, elle jeta :
— Si vous souhaitez que je devienne votre maîtresse, vous pouvez vous mettre votre cigare...
— Quel langage, mademoiselle Beauciel ! Vos parents doivent s'en retourner dans leurs tombes.
— Laissez-les où ils sont, et dites-moi ce que vous me voulez.
— Pas votre corps, je préfère les femmes mûres.
« Je ne suis pas très friand de la chair fraîche, l'expérience me convient plus. »
— Vous aussi, grommela-t-elle. Décidément, vous vous ressemblez trop !
— Dois-je comprendre que Vincent Morisot n'a pas souhaité vous mettre dans son lit ?
Les joues de Perrine brûlèrent sous le regard ironique d'Honoré Fidulas, aussi efficace qu'une gifle.
Tu en mérites au moins cent, Perry !
— Cela me surprend, enfonça son adversaire. Ce cher ami a une telle réputation de savoir-faire avec les jeunes filles, qu'elles se rendent à son magasin sur n'importe quel prétexte.
Un imbécile de couteau lacéra son cœur, Vincent Morisot avait menti sur son rejet.
Ce n'est pas une raison pour que l'autre en profite.
— Tous les goûts sont dans la nature, vous-mêmes vous préférez les peaux flasques !
Un éclat de rire ponctua sa pique. Honoré Fidulas en avait renversé la tête en arrière, tandis que le dénommé Victor ricanait, appuyé contre un mur. Le président de CarboIndus essuya une larme au coin des yeux.
— Votre humour, si rare chez une femme, me plaît beaucoup. Notre collaboration s'annonce sous de bons auspices, votre mort dans la rue des prostituées aurait été une grande perte.
Un seau d'eau glacé refroidit l'ardeur vindicative de Perrine.
— Vous avez essayé de nous tuer ?
— Oui et non, je visais Vincent Morisot. Victor avait donné ordre pour qu'il soit coincé et que vous vous enfuyez, mais vous avez préféré affronter les mendiants. Ils ont eu le réflexe de vous pousser dans le Lowat.
— Ils ont d'abord tenté de me violer !
— Je ne maîtrise pas les dégâts collatéraux, tant que vous demeuriez en vie, soupira son geôlier. Mais Victor les a punis... après l'interrogatoire de Marise Foniar.
— Elle n'a pas résisté longtemps et n'a pas souffert, renchérit l'homme de main.
Un mélange de dégoût et de colère rua dans les veines de Perrine, au souvenir de la vieille dame au visage si doux.
— Elle se dévouait pour les prostituées, améliorait leur quotidien ! Pourquoi ?
Au lieu de lui répondre, Honoré Fidulas se concentra sur son cigare, tel le plus grand joyau du monde. Il coupa son extrémité d'un coup de canif, l'alluma avec la bougie sur la table suivant tout un rituel où la flamme ne toucha jamais la tête, puis tira plusieurs fois, les paupières closes. Des ronds de fumée bleutés s'élevaient peu à peu vers le haut plafond voûté de la pièce.
Une cave.
Le manoir Debeauciel en possédait plusieurs, et Perrine avait eu l'occasion d'en visiter avec Louise. Savoir où sa prison se localisait la rassura. À moitié.
Restait à apprendre ce que désirait Honoré Fidulas.
Pas ma mort, si j'ai bien suivi.
— Que voulez-vous ? grogna-t-elle à nouveau.
— La même chose que vous, confia son geôlier, après quelques secondes à fumer. Les steamglas. Enfin, presque. Je les veux pour moi, et vous pour les souverains.
— De quoi parlez-vous ?
Perrine écarquilla au maximum les yeux, bouche bée. Peut-être exagéra-t-elle trop : Honoré Fidulas tira sur son cigare et lança un rond parfait dans sa direction.
— Ne me sous-estimez pas, mademoiselle Beaulieu. Mon réseau d'informateurs vaut celui de Vincent Morisot.
Vous employez aussi des gosses ?
Elle se garda de jeter sa remarque acerbe, qui la trahirait, et se contenta d'agiter la main pour chasser la fumée.
— Quand vous recroiserez les souverains, demandez-leur pourquoi ils se sont soudain réveillés au sujet des steamglas. Et pourquoi vous ?
Ils attendaient que nous soyons majeurs.
Le président de CarboIndus la fixait entre ses paupières rétrécies, mais Perrine s'interdit de mordre à l'hameçon. Un rictus étira brièvement la bouche de son adversaire sous sa moustache blonde.
— Nous avons parié, mademoiselle Beauciel. Parié à celui qui trouverait les steamglas en premier, pour « le bien-être du peuple ». Le couple royal a choisi votre fratrie, car il pensait que j'obtiendrais moins d'informations, plutôt que d'envoyer des hommes de main me voler. Eux aussi m'ont sous-estimé. Je connaissais votre identité au club de Vincent Morisot, je me suis arrangé pour que vous veniez à cette soirée, pendant que vous lanciez les recherches... qui devaient aboutir à me dérober mes carnets.
Perrine pâlit, nier se servait plus à rien. L'explication d'Honoré Fidulas tenait plus que la route. Elle avait toujours eu raison de se méfier de la bonne société, et sa fratrie avait vu juste depuis le départ. Que se serait-il passé si elle avait rapporté ses soupçons aux souverains ?
Rien, Perry ! Les deux parties s'amusent à nos dépens.
— Vous nous avez tendu un piège, vous saviez depuis le début ! Marise Foniar et le professeur Riversal sont morts pour un vulgaire pari.
— Non, pour le pouvoir sur Nébelisse à travers l'argent et la technologie. Remplacer le charbon par le steamglas apporterait un bond énorme à notre mode de vie, tout en nettoyant la pollution. Imaginer les conséquences.
— Vous... vous iriez jusqu'à prendre le contrôle de Nébelisse ?
Honoré Fidulas fuma son cigare quelques secondes. L'odeur douceâtre qui se mélangeait au patchouli écœurait Perrine.
— Peut-être, peut-être pas. Il y a du bon à diriger dans l'ombre, mais revenons aux steamglas. Vous vous doutez de ce que j'attends de votre fratrie.
— Traduire les carnets. Mon père n'a jamais montré le moindre steamglas à quiconque, rien n'indique qu'ils existent ou que ses papiers les mentionnent. Et vous oubliez un point.
Perrine se redressa, elle savourait à l'avance sa petite bombe. Ou grande. Son attitude ne plut pas à son adversaire, sa voix descendit dans les graves.
— Je vous conseille de ne pas jouer avec moi, si vous ne voulez pas que Victor vous dresse.
— Loin de moi, de vous froisser, cher monsieur ! Mon père clamait partout l'abondance du steamglas et peu importait qui pourrait en produire. Il vous sera difficile d'en avoir le monopole. Que ferez-vous s'il ne s'est pas trompé ? Vous avez dû vous endetter pour votre mine de charbon, vous seriez alors ruin...
Deux gifles en aller-retour. Une douleur traversa son crâne, du sang coula de son nez dans sa bouche.
— Je vous avais prévenue, votre langue est trop pendue ! Quant à votre question, soit j'obtiens le monopole, soit aucune exploitation n'existera. Pour Nébelisse et ses habitants, je vous conseille de choisir la première option et de collaborer.
— Et si je refuse ?
— Vous mettriez la vie de votre frère et votre sœur en danger ?
Perrine voulut bondir, mais Victor la repoussa contre le mur. Puis sur un claquement de doigts d'Honoré Fidulas, son exécutant posa un couteau sur sa gorge.
— Ils sont dans la même situation que vous à cet instant. Un mouvement de travers, un faux pas, et bonjour les anges au ciel.
Les mains moites, Perrine ne protesta pas. Une suée glaciale lui coulait dans le dos, la vie de sa fratrie comptait plus que la sienne. Elle regretterait juste de partir avant qu'ils retrouvent leur complicité de leur jeunesse. Ils s'en rapprochaient peu à peu, grâce à cette mission.
— Que décidez-vous, mademoiselle Beauciel ?
Tout n'est pas perdu, tant que l'espoir brille, Perry. Gagne du temps !
— Je collaborerai, mais j'aurais besoin de Melinah et Arthus pour traduire les carnets.
— Cela va sans dire, et vous serez tous les trois récompensés. J'ai le bras long. Que vous importe que les souverains ou moi vous aidions à réaliser vos rêves ? Que vous importe qui sauve le peuple de Nébelisse ?
Les bourgeois ne valaient pas mieux que les nobles, et vice-versa. Éliminer la pollution, améliorer le confort des habitants dans la cuvette, et atteindre leurs buts personnels suffisaient à satisfaire Perrine. Or, celui de son aînée ne s'obtenait pas si facilement.
— Vous ne pouvez pas réintégrer Melinah dans la noblesse, grommela-t-elle.
— De nouveau, vous me sous-estimez. Une pléthore de prétendants se jetteront aux pieds d'une si jolie femme à la prestigieuse lignée. Maintenant, vous allez me prouver votre allégeance avant de traduire les carnets avec votre fratrie.
Les sourcils de Perrine se froncèrent. Le président de CarboIndus fumait à nouveau, avec un sourire en coin, et plus ce dernier s'agrandissait, plus elle s'inquiétait. Que mijotait ce mégalomane ?
— Débarrassez-moi de Vincent Morisot définitivement.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro