Perrine se pencha vers lui, et l'embrassa sur la joue, se recula légèrement, puis demeura immobile. Une tempête assombrissait le gris des yeux, aux pupilles dilatées, du jeune homme ; sa respiration se saccadait. La sienne adopta son rythme. Ils se fixaient, se jaugeaient, s'affolaient, se mettaient au diapason de leurs émotions.

La faim de l'autre réclamait son dû.

Ils cédèrent.

Leurs lèvres s'écrasèrent avec force, et Perrine accepta la langue de Vincent. Elle ne l'envahissait pas, elle l'invitait dans une danse folle, qui lui envoyait des milliers d'aiguilles sur ses bras.

Perrine vivait au centuple les descriptions, que bourgeoises ou nobles s'échangeaient derrière leurs éventails, les yeux brillants. Ses mains imitaient celles de son partenaire, elles glissaient sous sa chemise, elles caressaient la peau glabre et douce ; alors que le feu et la glace se disputaient dans son ventre.

Soudain, elle se retrouva assise à califourchon sur les genoux de son Vincent. D'elle-même ou l'avait-il enlevée ? Perdue dans ses baisers fougueux, Perrine ne savait plus, ne voulait pas savoir. Elle se concentrait sur le visage extatique du jeune homme, entourée d'une étrange pénombre.

Ses cheveux !

Vincent avait ôté les épingles et ils tombaient en cascade autour d'eux. Il passait ses doigts dedans, lui mordillait l'oreille, humait sa peau avant de l'embrasser ou la lécher. Des ondes électriques la traversaient, alors qu'une chaleur moite imprégnait peu à peu son intimité. Des gémissements franchissaient ses lèvres, sans gêne.

Sa tête lui tournait. Son corps s'enflammait.

Ses sens succombaient à un univers aux délices insoupçonnés.

— Merveilleuse Perrine, j'ai envie de toi depuis des jours. Tu me rends fou, je rêve d'expérimenter toutes les positions avec toi, des plus sages aux plus exotiques. Ne sens-tu pas mon désir comme je perçois le tien ?

Il moula ses mains sur ses fesses et la serra contre lui. D'un coup vif. La protubérance à travers le tissu du pantalon la fit sursauter et reculer, tandis que ses joues s'empourpraient. Vincent chercha à capter son regard. Ses sourcils froncés, ses traits méfiants rabaissèrent la température de plusieurs degrés.

— Tu as déjà eu des rapports ?

Perrine aurait aimé lui dire oui, tant les caresses lui manquaient, mais elle ne tromperait guère son partenaire. Elle nia à regret.

— Bor... Diantre, comment connais-tu... connaissez-vous certaines choses ?

— À mes dix-huit ans, mon Maître des arts martiaux a exigé que j'apprenne l'anatomie des hommes comme des femmes, afin d'améliorer mes coups. Je me suis déguisée en étudiante et me suis rendue dans un magasin de livres en médecine. Certains manuels rangés au fond d'un coin plus sombre n'ont pas échappé à mon analyse.

Elle planta un regard franc dans le sien, le défiant de la mépriser ou de la sermonner. Rien de tel n'arriva, Vincent s'esclaffa.

— Il n'y a que vous pour oser aller dans ce genre d'endroit, interdit aux femmes.

— Sauf aux étudiantes en médecine. Pourquoi ne voulez-vous pas continuer ? Passer à la pratique ne me dérange pas, mon petit doigt me dit que vous tiendrez compte de mes désirs. Et je connais déjà le plaisir féminin.

Le rire de Vincent se termina sur un étranglement. Il attrapa la théière et en versa le contenu dans sa tasse, qu'il vida d'un trait, avant de grimacer.

— Mélanger du thé et du café, je ne vous le conseille pas, se moqua Perrine.

— Ce n'est pas le moment de plaisanter !

Vous avez commencé, se retint-elle de répliquer, amusée.

Il se passait une main dans ses cheveux de neige et se mordait la lèvre inférieure. Cette lèvre qu'elle avait embrassée avec une passion surprenante, qu'elle rêvait de goûter à nouveau. Comment le patron du Lynx des aérocabs s'en sortirait-il ? Plusieurs secondes s'égrenèrent, puis son hésitation cessa tout à coup. Il redressa les épaules et énonça d'un ton neutre :

— Je ne suis pas très friand de la chair fraîche, l'expérience me convient plus.

Goujat !

L'insulte la refroidit mieux qu'un seau d'eau glacé jeté en pleine figure.

— Vous avez parfaitement raison. Mettons ma conduite sur les évènements de la journée et oublions là. Sur ce, j'accepte votre proposition pour la chambre de Daphné, et m'en vais dormir, monsieur.

Perrine retourna dans le salon sans que Vincent Morisot la retienne. Une seule chose restait de positif dans ce gâchis : elle pouvait récupérer le carton d'invitation.

Toutefois, son cœur ne s'en réjouissait pas.

******

L'aube se levait à peine quand Vincent se réveilla, une sonnette l'avait tiré de son sommeil. Elle provenait de la porte arrière du bâtiment. En tant que patron d'un club de jeu et espion royal, ses affaires exigeaient un minimum de sécurité. Il sauta de son lit à baldaquin, juste habillé d'un pantalon de pyjama, et fila à la fenêtre côté cour. Une silhouette enveloppée d'une cape la traversait à vive allure.

Elle a récupéré le carton d'invitation au club.

Vincent avait eu fort à faire avec des joueurs trop bruyants et n'avait pas prêté attention aux autres clients. Perrine, elle, croyait l'avoir berné en ne rentrant pas chez elle immédiatement. Lorsqu'elle avait demandé à Benoît pour souper dans sa chambre, il avait compris son plan et avait accepté. La distance entre eux l'imposait, la mission l'exigeait. Vincent avait ignoré l'attitude réprobatrice de son majordome.

Le passé m'a troublé l'esprit.

Le parfum acidulé de la demoiselle avait troublé ses sens, ses lèvres passionnées son corps.

Pourtant, ce baiser fou lui avait dessillé les yeux. Car résister au souhait de Perrine n'avait pas été difficile, lui mentir non plus. Vincent désirait une entière confiance de la jeune femme, une confiance qu'elle ne lui accorderait jamais. Face au tout ou rien, il avait choisi le second.

Il chasserait l'ange de son adolescence.

Il aiderait la fratrieBeauciel comme l'avaient ordonné les souverains et disparaîtrait de leur vieensuite.