21 - Espoir et désespoir (2/3)
Le gardien se mit au garde-à-vous, et Arthus grommela. À deux secondes près, il récupérait un nom. Même si celui-ci se révélait incorrect par la suite, il pourrait les mener à une piste intéressante.
Le nouveau policier, plus âgé et plus gradé, d'après ses barrettes sur les épaules s'approcha d'eux et aboya :
— Vos noms ! Raison de votre visite dans un lieu interdit ?
Hors de question de vous les donner.
— Fumée, Rouquin !
Le chat automate extirpa sa gueule du panier et cracha un panache blanc vers les deux hommes. Ils toussèrent, larmoyèrent, puis s'esclaffèrent. Jia les assomma aussitôt avec un pot en grès, attrapé parmi ceux alignés sur une table.
— Drôlement efficace, j'avais du mal à le croire quand tu me l'as expliqué.
Arthus vérifia le pouls des policiers. Rassuré, il répliqua :
— Cette fonction n'a pas impressionné un responsable du concours, mais j'avais employé un gaz inoffensif et un colorant, comme pour les feux d'artifice. J'y ai ajouté du gaz hilarant. Dépêchons-nous !
Il extirpa deux foulards du panier d'osier. Dès que Jia l'eut imité en se couvrant la bouche et le nez, ils enjambèrent les deux corps inanimés, ouvrirent la porte du bureau du professeur Riversal et... s'immobilisèrent.
— Par les hirondelles, les flammes ont tout saccagé, résuma Jia d'une voix étouffée par le tissu en coton.
La désolation régnait en maître : murs noircis, livres calcinés, étagères effondrées, photos évaporées. Seuls quatre cadres carbonisés témoignaient de leur existence. Quant à l'odeur de brûlé prégnante, elle parvenait à traverser leur masque de fortune sans les gêner : Arthus respirait doucement plus pour s'éviter une crise d'asthme.
Jia qui effleurait différents objets passa un doigt sur l'émail du chauffage Godin. La couleur vert céladon trancha sur le noir, éclatante sous le soleil de l'après-midi.
— Rappelle-moi d'en acheter un identique chez-moi !
Arthus ne rebondit pas à la plaisanterie, que son amie lançait sûrement pour vaincre le silence lourd de la pièce.
Quelle tristesse, elle dégageait tant de chaleur !
Le professeur dégageait tant de chaleur. Le visage avenant, le regard perçant, le sourire affable sortaient de sa mémoire. Comment avait-on osé s'en éliminer cet homme ? Pourquoi ? Et qui ?
— Un ennemi veut nous empêcher de retrouver mon père et les steamglas, se murmura-t-il assez bas pour que Jia ne l'entende pas.
Un résumé de la discussion avec ses sœurs, qu'il préférait ne pas partager avec son amie pour l'instant. Il ne désirait pas la mettre en danger, convaincu qu'elle prendrait des risques ou se jetterait dans une bataille tête baissée, comme Perrine.
Et la mission doit demeurer secrète.
Restait à dénicher un indice dans tout le fatras de feu le professeur William Riversal. Arthus fouilla son bureau, dont le bois massif avait protégé le contenu des tiroirs. Des cahiers à profusion les garnissaient, couverts de schémas et annotations. Le botaniste décrivait chacune des plantes qu'il avait ramenées de ses expéditions, et plus rarement des animaux typiques. Tous représentaient des trésors pour tous les scientifiques de Nébelisse.
Arthus feuilleta sur ceux de l'Amazonie avec la sucuùba, le carapanauba, l'angico et bien d'autres noms inconnus. Puis il s'arrêta sur un en particulier : l'hippocampe de Galien. Les couleurs, ocre avec un ventre indigo, correspondaient au cadeau de son père à son oncle et à sa tante. Des informations venaient ensuite sur leur mode de vie et de nourriture. Il les transmettrait au marquisat, même si les petits poissons semblaient en bonne santé.
En dehors de ce cahier, j'ai fait chou blanc, songea Arthus, tandis qu'il refermait le dernier tiroir.
Son air abattu lui valut un encouragement de Jia :
— Un bon assassin ne laissera pas de traces évidentes. Pourquoi voudrait-on le tuer d'ailleurs ? C'est un simple professeur qui n'embête personne.
— Un jaloux de ses succès ? Un étudiant rancunier ? Ou quelqu'un lié à sa vie privée, sans aucun rapport avec sa fonction à l'université ? Tout est possible.
— Je t'accorde ce point.
Arthus respira mieux. Il s'était absorbé dans les livres abîmés pour dissimuler son visage, tandis qu'il mentait à la pilote.
— Il s'est simplement suicidé, déclara une nouvelle voix. Nous avons retrouvé une lettre dans ses affaires chez lui.
Jia et lui firent volte-face. L'officier de police les observait froidement, les paupières plissées. Ils allaient passer un sale quart d'heure, et Arthus n'emploierait pas une seconde fois Rouquin.
— Nous... nous sommes... déso...
— Que faites-vous ici ?
Le ton glacial électrocuta Arthus, qui répondit précipitamment :
— Je cherchais des preuves pour m'innocenter.
— Vous n'étiez pas accusé. Mademoiselle Jia Wang en a fourni assez. En revanche, assommer mes hommes devrait vous conduire en prison.
— Alors, arrêtez-moi, lieutenant Chen, protesta l'aéronaute. Je suis la seule coupable.
L'officier demeura aussi impassible que la jeune femme. Puis leur discussion vira dans une langue des pays asiatiques, peut-être le chinois. Ce choix délibéré et l'absence de langage corporel ne permirent pas à Arthus de deviner la teneur ou l'évolution des propos. Il rumina donc sur leur résultat potentiel. Terminerait-il au fond d'un cachot à endurer les coups d'un surveillant trop zélé sous les encouragements d'Essam Devildiur ? Une sueur froide glissa sans son dos. Pourtant, il se rebiffa.
Je ne l'accepterai plus jamais ! Quoi qu'on puisse me reprocher, je ne mérite pas un tel traitement.
Soudain, le lieutenant se tourna vers lui et poursuivit en nébelien :
— Vous êtes libres, nous sommes quittes. Mais je ne veux plus vous voir dans un poste de police.
Arthus comprit qu'il avait assisté à un marchandage : l'abus sur sa personne contre leur agression des deux gardiens de la paix. Alors qu'il rêvait d'obéir, de fuir avec Jia et Rouquin, une phrase de l'officier le poussa à demander :
— Allez-vous rendre public le suicide du professeur ?
Le faire condamnerait la famille au déshonneur... et à la culpabilité. Nébelisse lui reprocherait de ne pas avoir évité le drame soit par eux-mêmes soit en requérant de l'aide.
— Il vivait seul, personne n'en souffrira.
N'en souffrira ?
— Vous... vous n'approuvez... pas ces... attitudes ?
Une pause, pendant laquelle le lieutenant Chen le fixa avant de rétorquer :
— On ne fait pas boire de l'eau à un alcoolique qui refuse de se sevrer, personne ne doit payer pour sa décision. Partez maintenant.
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