20 - Le cours de pilotage (1/2)
« Tous les matins, vous vérifierez la propreté et le fonctionnement parfait de votre aérocab. Toutes les semaines, vous le nettoierez aussi bien que la cabine des passagers. Tous les ans, vous effectuerez un contrôle simple au centre Les Hirondelles et tous les cinq ans, un complet. Le moindre doute ou problème vous guidera en permanence.
Ignorez-les, et les vents vous emporteront par-dessus les montagnes de Nébelisse au mieux.
Ignorez-les, et la mort cueillera vos passagers et vous-même au pire. »
Je n'ai pas l'intention de sous-estimer ces étapes, aussi coûteuses soient-elles, songea Perrine.
Elle referma son épais livre De la maintenance des aérocabs, sur cette consigne ultime, satisfaite d'en avoir terminé sur ce sujet. Impatiente de reprendre les cours pratiques. Le couple royal avait annulé les nouvelles règles de paiement autant pour elle-même que pour Arthus, avant que Vincent Morisot ne transmette leur message. Son frère lui avait montré le courrier des Hirondeaux, certain qu'elle ne le croirait pas sur parole pendant leur rencontre chez le parton du Lynx des aérocabs.
Ils voulaient juste nous forcer la main, nous démontrer leur pouvoir. Seraient-ils plus humains que nous le supposions ?
— T'en penses quoi, Rouquin ?
Le chat automate, en boule sur l'édredon bleu marine du lit, cligna des paupières avant de se « rendormir ». Arthus s'étant absenté pour son investigation chez feu le professeur Riversal, le matou avait élu domicile dans sa propre chambre.
Les étoiles dorées sur fond blanc cassé aux murs, puis sur les maquettes des différents aérostats ici et là lui gonflèrent le cœur. Perrine était chez elle, à son bureau, où sa vieille longue-vue en laiton, cadeau de son père, trônait à côté d'une lampe Tiffany. Vincent Morisot n'avait pas tenté de la retenir quand elle avait décidé de le quitter.
Pourquoi l'aurait-il fait ?
Parce que ce diable d'homme te titille, se moqua une petite voix dans sa tête.
Perrine ne pouvait le nier : il possédait un bon sens de l'humour, se promenait avec élégance, mais sans tralalas, savait se battre, se préoccupait peu des convenances, la considérait comme son égal. Leurs joutes verbales l'avaient enchantée, personne d'autre ne lui arrivait à sa cheville.
Même pour les plus coquines, renchérit l'importune.
Elle lui envoya l'image lubrique d'un couple nu sous un drap en train de rire, de se chamailler et de...
— STOP !
Elle se leva et marcha de long en large, en récitant les dernières phrases du traité de maintenance. Le remède fonctionna. Il refroidit ses pensées et ses joues brûlantes. Perrine se rassit sous les yeux céruléens de Rouquin, quelle avait réveillé. Le matou semblait l'interroger sur son attitude étrange. Semblait. Il n'était qu'un automate aux capacités basiques de chat et ne quittait jamais la maison, au contraire des vrais. Pourtant, elle ne put s'empêcher de lui souffler :
— Ne cherche pas à comprendre, mon beau !
Perrine le caressa, et des ronronnements métalliques remplirent l'espace. La similitude entre l'homme aux cheveux de neige et le matou l'amusa : tous les deux trompaient leur monde. Vincent Morisot était un espion à la solde des souverains. Il la trahirait ou lui mentirait si nécessaire.
Ne l'oublie pas, Perry, et n'abats pas toutes tes cartes. Jamais.
Une musique cristalline lui fit relever la tête vers le réveil sur sa table de chevet. La boîte dévoilait ses engrenages en laiton au milieu d'un cadran à chiffres romains, et libérait un rossignol à l'heure programmée. Tandis que l'oiseau réintégrait sa cache, Perrine bondit, joyeuse. Un cours en aérocab l'attendait. Pour ne pas perdre de temps, elle avait déjà revêtu sa jupe-pantalon bleu ciel. Et accroché ses dagues secrètes. Vincent Morisot et la fratrie étaient tombés d'accord sur un point, un ennemi désirait que leur mission échoue... au point de tuer. Chacun devait se protéger.
Alors qu'elle mettait un pied hors de l'atelier, une cape sur les épaules, un toussotement arrêta sa course. Un gamin sortit de l'ombre d'un arbre, une gavroche à carreaux vissée sur le crâne.
— Bill ?
— B'jour m'demoiselle, m'sieur Vincent veut vous voir après vos cours.
— Comment...
Perrine se mordit la lèvre, elle allait demander comment le patron du Lynx des aérocabs connaissait son emploi du temps. La réponse se tenait devant elle : le réseau de ces gamins des rues lui permettait d'obtenir une foule d'informations.
— Comment vivez-vous, toi et tes amis ? se reprit-elle. Comment acceptez-vous de travailler pour lui ?
Sa question resta en suspens, Bill disparaissait déjà parmi les ombres des arbres qui agrémentaient la route.
******
— Mademoiselle Beauciel, vous piloterez votre aérocab sous la houlette de monsieur Devildiur, annonça leur professeure, une femme à la mine sévère.
La foudre n'aurait pas plus statufié Perrine. Un nom, un seul, venait de détruire sa journée si bien commencée, son humeur si joyeuse. Elle était arrivée à l'heure chez les Hirondeaux, avait rejoint la plateforme derrière les quatre élèves convoqués pour le cours. Cinq appareils les attendaient, dont celui d'Essam Devildiur. Vingt pour cent de chance de tomber sur son adversaire, elle l'avait gagnée !
Le sort s'acharnait contre elle.
Peut-être pas, corrigea Perrine avec espoir.
Un des garçons avait levé la main, chacun avait le droit de demander un pilote confirmé. Elle croisa les doigts derrière son dos.
— Madame et avec le respect à mon instructeur, je n'ai pas encore eu l'occasion de travailler avec Monsieur le vicomte.
Le rang et le statut ne poussaient pas l'élève à réclamer le vicomte, mais l'excellente réputation de formateur. À la fois exigeante, juste et patiente.
— J'accepte volontiers l'échange, renchérit Perrine.
— Hélas, mademoiselle Beauciel, vous avez manqué plusieurs cours, et monsieur Devildiur aura la lourde charge de vous aider à rattraper votre retard pendant jusqu'à nouvel ordre.
La justification sensée tuait dans l'œuf toute objection. Le sort en avait ainsi décidé. Perrine s'approcha à regret de l'aérocab d'école, reconnaissable à sa nacelle sans fioritures et son ballon bleu clair, où les Hirondeaux était écrit en grosses lettres rouges. Les pilotes professionnels s'écartaient aussitôt de son chemin dans le ciel.
Devildiur, debout dans la cabine des passagers, l'accueillit avec un sourire aimable sur les lèvres. Perrine ne se méprit pas pour autant.
Mon heure viendra, quand les témoins auront tourné le dos.
Toucher ses poignets en cuir à travers ses manches la rasséréna. Perrine se surprit même à souhaiter ce moment : il lui fournirait l'occasion de venger Arthus et son passage à tabac dans la cellule d'arrêt. Elle cacha sa joie sous un masque d'élève attentif à son instructeur.
— Veuillez contrôler votre appareil en m'expliquant chaque point. Le comment et le pourquoi, y compris.
Depuis le ponton, Perrine récita sa leçon de la proue à la poupe du véhicule : l'amarre en bon état et attachée correctement pour faciliter le départ, la fixation des feux d'éclairage et de navigation, la coque non percée par tout objet d'un vol précédent qui risquerait de bloquer un mécanisme ou pire, l'hélice à propulsion et l'empennage pour le déplacement dans une direction donnée.
Elle monta dans l'aérocab par la porte de la cabine des passagers, vérifia la quantité de charbon, le moteur, la cheminée à l'arrière de la nacelle, et les différentes commandes sur le tableau de bord.
Le point le plus délicat demeurait l'enveloppe semi-rigide. Il fallait augmenter le souffle du brûleur et écouter l'air d'une oreille sûre. Un sifflement laissait supposer une déchirure qui pourrait s'agrandir en vol. En cas de doute, elle mettrait en pression le ballon et observerait l'évolution sur le manomètre. La manœuvre était activée en dernier ressort, car elle risquait d'endommager l'aérocab.
Il pendrait lamentablement en dessous du ponton, et les coûts de transfert au centre Les Hirondelles, puis de réparations exploseraient.
— Parfait, mademoiselle Beauciel, vous n'avez rien oublié. Redescendez et tenez-vous prête à décoller.
Devildiur restait derrière le siège instructeur, qui n'existait pas dans les véhicules professionnels, et regardait l'envol de deux premiers élèves. La professeure les rejoignit. Quand elle les autorisa à partir, l'adrénaline pulsa dans le sang de Perrine. Piloter au milieu des oiseaux lui donnait des ailes, la choyait de la liberté qu'elle aimait tant.
Personne ne m'empêchera d'atteindre mon but, ni le couple royal, ni Essam Devildiur.
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