19 - Partie de chasse (3/3)
— Ma chère Melinah, quel sang-froid ! Votre ordre a évité un drame, la complimenta la baronne.
— Hono... le bourgeois plutôt.
Elle ne désirait pas attirer l'attention plus que nécessaire. Se rasseoir aussi au plus vite.
Trop tard !
Un garde royal, dans sa livrée violette ornée de fleurs de lys, courait jusqu'à son gradin. Il l'invita d'une révérence à descendre. Melinah jeta un coup d'œil à Daphné qui lui décocha un sourire d'encouragement, et elle s'avança la tête haute, sous les murmures des nobles.
— Pourquoi les souverains désirent-ils parler avec une déchue ? Certes, elle a secoué ces bourgeois qui ne daignaient pas secourir une des leurs, mais elle...
Le reste des commentaires se perdit dans une sorte de bourdonnements, aussi désagréables qu'une nuée de guêpes, tandis que Melinah atteignait le dais. Oreste avait mis pied à terre, il la rejoignait à vive allure. Son visage épanoui l'intrigua, puis les souverains retinrent toute son attention.
Vêtus de soie mauve chatoyant, brodée de fil d'or et de plumes blanches, ils éclipsaient toute la bonne société présente à la volerie. Leur diadème serti d'améthyste et de diamants brillait tant sous les rayons du soleil, que Melinah ne pouvait soutenir le regard du couple royal trop longtemps.
Celui-ci se leva dans un doux bruissement d'étoffes et le timbre puissant du souverain s'éleva plus haut qu'un vol d'oiseaux.
— Chère demoiselle, votre réaction a secoué des bourgeois paralysés et fermé la bouche des nobles, trop irrespectueux à notre goût envers une dame âgée. Nous sommes convaincus que si l'occasion vous avait été permise, vous seriez vous-même intervenue, mais nous préférons que ce ne fût pas le cas. La mort d'un oiseau de proie nous attriste toujours.
Une pause. Melinah ne voyait pas les spectateurs. Pourtant, elle les devinait suspendus aux lèvres de leurs souverains, boire les paroles comme un des meilleurs vins du siècle, et les imaginait impatients d'entendre la suite. Elle s'annonçait particulière, le cœur de Melinah le reconnaissait avec ses battements fous. Il ne se méprenait pas.
— Vous êtes une digne représentante de votre lignée, poursuivit le roi. Nous regrettons l'absence de votre oncle et votre tante à ce grand jour pour nous tous... mademoiselle Debeauciel.
La canopée entama un étrange ballet dans le ciel bleu. Elle tournait, tournait, à n'en plus finir, tandis que des applaudissements explosaient en un feu d'artifice. Melinah agrippa le haut de sa robe, elle étouffait et respirait la joie. Ses jambes s'affolaient et rêvaient de danser. Elle ne savait plus où se trouvait le nord, le sud ; elle ne savait plus si elle devait chanter ou effectuer une révérence.
Heureusement, les souverains lisaient ses émotions dans ses yeux. Ils lui souriaient avec indulgence. Puis la reine Amaranthe descendit les trois marches de l'estrade et avança gracieusement, sous un silence curieux. Dès qu'elle parvint au milieu de l'arène, sa main se leva : un mouchoir en dentelles flottait au bout de ses doigts.
Un mouchoir brodé des initiales MDB.
Le ciel sembla tourner à l'orage, la clairière s'assombrir. Melinah retombait sur le sol dur de la réalité. Toute la béatitude joyeuse désertait son corps, comme sous la menace d'un couteau imaginaire... aux impacts réels. Il lacérait son cœur, il déchirait son âme, il détruisait son avenir.
La baronne Depikok aurait-elle lancé son mouchoir pendant le tumulte provoqué par l'attaque sur la bourgeoise ?
Elle en est capable.
La lumière royale sur sa personne valait bien un artifice... auquel se prêtait Oreste ? Difficile à déterminer, les cadeaux volaient si vite que son chaperon pouvait avoir trompé le jeune homme.
— Monsieur Decalx, la bonne société vous écoute, proclama soudain la souveraine. Émerveillez-nous !
Oreste s'agenouilla. Quand il ouvrit une petite boîte blanche, une bague sertie d'une pierre précieuse sombre sur un écrin gris apparut. Que se passait-il ?
— L'éclat de cette émeraude n'égale pas la couleur de vos yeux, ni l'élégance de votre allure. Ni votre beauté. Pourtant, j'espère que vous l'accepterez en hommage à mon amour. Avec la bénédiction du roi Mouhsin et de la reine Amaranthe, j'ai l'honneur de vous demander votre main.
Des milliers de soupirs envahirent la clairière, qu'accompagnaient des approbations plus fermes. La déclaration plaisait. Melinah devait y répondre.
Non ! hurlait son cœur.
Que faire ? Refuser humilierait Oreste devant toute la bonne société, et désavouerait les souverains. La colère royale détruirait les efforts de toutes ces années à subir brimades ou insultes, elle retomberait sur Perrine et Arthus, elle jetterait l'opprobre sur son oncle et sa tante. Melinah n'avait pas le choix.
— Oui, j'accepte... de devenir votre femme, balbutia-t-elle, une boule dans la gorge.
Des milliers de papillons saluèrent son accord, sous les cris de surprise des spectateurs, puis des applaudissements que lancèrent les souverains. Oreste avait bien préparé sa demande. Mais pour Melinah, tout se ressemblait, tous se ressemblaient avec ces masques joyeux dans un amalgame de blanc et de noir.
Sauf une chevelure rousse éclatante.
Sauf une jolie peintre qui déversait ses larmes sur les épaules de sa tante et de son cousin.
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