Partie 2 - Passé (1420 mots, prose)
Ville historique remplie de constructions, ville lumineuse engloutie par la pollution, ville moderne et débordant de population, Paris, la ville où elle naquit fut aussi la ville où elle mourut.
L'hiver régnait en cette sombre nuit glaciale, pendant que le sourire de la lune se moquait des pleurs d'une jeune fille. Celle-ci courait, courait, encore et encore.
Mais la lune, toujours souriante, suivait la jeune fille, pleurante.
La pauvre venait de perdre sa dernière raison de vivre ; et c'est pourquoi elle tournait en rond dans ce brouillard de tristesse, de peine, de haine, et de détresse. Non, elle ne l'acceptait pas, car elle ne le pouvait tout simplement pas.
Elle avait sorti ses clefs, tourné le verrou, ouvert la porte de son appartement, et contre toute attente, elle y avait découvert sa mère pendue.
Non. Elle ne pouvait pas accepter le suicide de sa mère. Son père, lui aussi, s'était enlevé la vie quelques années plus tôt. À présent seule face au monde, elle ne savait plus comment faire.
Coincée dans ses pensées, elle se laissait guider par ses pieds sans savoir où ces derniers l'emmenaient. Tandis qu'ils avançaient, erraient, et déambulaient mécaniquement, elle revivait le peu de souvenirs qui lui restait de ces moments banals mais heureux, qu'elle avait passés avec eux. Eux, c'est-à-dire son père et sa mère, qui l'avaient abandonnée dans ce vaste monde trop cruel et trop compliqué, pour une adolescente aussi jeune et naïve qu'elle.
Puis quand elle revint à elle, quand elle observa son entourage, elle comprit quel était son destin. Il était minuit passé, les passants se faisaient rares, et le silence régnait sur ce pont mélancolique. Donc elle se dirigea sur le bord pour contempler les vagues noires de la Seine.
Pendant plusieurs minutes, par le froid et par la terreur, elle resta paralysée ainsi, à admirer ces vagues dansantes en dessous d'elle.
Un seul saut suffisait... pour en finir.
En plus, elle n'avait pas peur de la mort. Elle n'en avait jamais eu peur. La Terre n'allait pas arrêter de tourner, si cette fille arrêtait de respirer.
Elle était sans importance.
Mais c'était plutôt de la noyade, du manque d'oxygène, et de l'étouffement qu'elle avait peur. Le vertige en rajoutait une couche. En somme, elle avait peur de cette douleur.
Malheureusement, sa souffrance psychologique était beaucoup trop grande par rapport à une telle douleur physique.
Son père s'était empoisonné au cyanure sur son lit, et c'était elle qui avait découvert son cadavre inerte et froid. Elle n'avait que cinq ans à cette époque. Cela l'avait choquée, traumatisée, et les premiers jours elle ne faisait rien, sauf pleurer sans rien pouvoir avaler. Mais voilà qu'arrive le tour de sa mère, qu'elle découvre pendue, et sans vie, au beau milieu de leur salon.
C'en était trop. D'ailleurs, c'est pourquoi arrêter de vivre a été la première et la seule solution qu'elle ait trouvée, puisque c'était le choix qu'avaient pris ses deux parents.
Pourquoi vivre si nous n'avions aucune raison de vivre ? Elle ne le savait pas. Elle ne savait rien. Elle savait juste que sa vie était d'une inutilité colossale.
Alors elle frappa sa main contre la barrière du pont : un coup, deux coups, trois coups... Ça lui faisait mal. Affreusement mal. Terriblement mal. Et elle finit par pleurer, puisqu'elle avait mal, vraiment beaucoup trop mal dans sa petite tête. Elle pleurait en se demandant comment dégager la colère qui s'était entassée en elle, comment effacer ses idées noires, et comment vivre maintenant que toutes les personnes, qu'elle aimait du plus profond de son cœur, dormaient pour l'éternité.
Finalement elle décida d'enjamber la barrière.
De son côté, un jeune faucheur patientait du haut d'un immeuble de vingt-quatre étages, fixant la fille qui, normalement, allait bientôt se suicider.
Hélas, cela ne se produisit pas. Au dernier moment, alors qu'elle allait lâcher la barrière, et plonger dans les profondeurs fleuve, elle s'arrêta net.
Puis elle se mit à crier cette phrase, sortant droit du cœur, et qui parvint jusqu'aux oreilles du jeune faucheur observateur :
- Je voudrais vivre !!
Elle trouvait que sa vie était totalement catastrophique, que sa vie était sans intérêt, sans valeur, que sa vie était juste insignifiante. C'est pourquoi elle voulait arrêter de vivre.
Cependant, elle voulait encore moins mourir.
- Qu'est-ce qu'elle raconte ? marmonnait le faucheur confus. Non, tu ne dois pas "vouloir vivre", mais tu dois "vouloir te suicider" !
Elle pleurait, elle respirait, et elle vivait. Elle sentait que son cœur, tambourinant dans sa poitrine, fonctionnait. Elle avait compris qu'elle n'avait pas envie de mourir, et qu'elle contrôlait encore son corps. Elle savait que sa flamme ne s'était pas totalement éteinte, et que cette flamme pouvait flamboyer de nouveau si on la nourrissait un peu.
- Non, non, non, non, mais ce n'est pas possible ! s'écriait le faucheur.
Au fond, elle ne voulait pas arrêter. Ni comme son père, ni comme sa mère. Contrairement à eux, elle, elle voulait vivre.
[ ALERTE ]
[ 00:05 ]
Une alerte s'afficha sur la montre du faucheur : il ne restait plus que cinq secondes.
- Laissez-moi vivre... S'il vous plaît, murmurait-elle en parallèle.
[ ALERTE ]
[ 00:00 ]
La fille devait être en pleine noyade à l'heure qu'il était. Toutefois, elle était toujours là, respirant, agrippée à la barrière du pont, souhaitant par dessus tout vivre.
[ ALERTE ]
[ - 00:03 ]
Les secondes passaient, et le regard du faucheur faisait la navette de la fille à sa montre, et de sa montre à la fille.
- C'est une blague ? demandait-il dans le vide.
Elle devait être dans l'eau, là, à cet instant, en train de s'étouffer. Il y avait un problème, un gros problème. Elle n'avait toujours pas sauté, alors que son destin était de mourir. Elle devait se suicider !
[ ALERTE ]
[ - 00:12 ]
Elle devait avoir sauté il y a déjà douze secondes, mais elle était encore là, sur le pont ! Sentant que quelque chose ne se déroulait pas comme d'habitude, le faucheur prit la décision d'agir sur le champ avant qu'il ne soit trop tard. C'était son devoir. Par conséquent, il descendit de son toit, atterri sur le pont, puis poussa la fille d'un coup sec.
- Yuna MOON, nunc morere, articula-t-il.
Elle perdit l'équilibre et se retrouva dans le vide. Elle n'eut pas assez de temps pour comprendre ce qui venait de se produire. Son cœur se serra, puis en quelques secondes sa respiration fut bloquée par les eaux sales de la Seine.
Le noir complet l'entourait.
Mais elle voulait respirer. Elle voulait rejoindre l'air. Elle voulait vivre.
Quand on touche le fond des abîmes, on est entouré par le vide, par le néant, et c'est une bataille en solitaire qu'il faut mener. On est tout seul, et c'est pourquoi on est la seule personne à pouvoir changer la situation.
- Est-ce donc ici... que tout se termine ? pensait-elle.
Perdues parmi les flots, ses mains cherchaient quelque chose pour s'y accrocher en vain ; ses poumons étaient contractés, comme écrasés par le poids de l'eau ; et son cœur, lui, battait à tout rompre, trop vite, beaucoup trop vite. Elle allait perdre conscience...
Quand tout à coup, elle aperçut un filet de lumière.
L'espoir. C'était l'espoir. Avec ses dernières forces elle nagea. Elle nagea vers ce rayon lumineux. Ses yeux lui piquaient, sa tête lui tournait. Elle sentait qu'elle ne tiendrait plus très longtemps. Mais elle continua à se débattre. Ses poumons demandaient de l'air. Alors elle nagea pour atteindre cette lueur qui s'offrait à elle. Cette lueur qui s'agrandissait. Cet espoir qui était enfin arrivé.
Elle gardait espoir.
Pouah ! Elle arriva au-dessus de l'eau et inspira à grand poumon. Miracle ! Elle avait réussi. Elle était arrivée à la surface de l'eau. De l'air, enfin de l'air ! Elle en pleura de joie. Elle pouvait respirer, elle pouvait vivre. Juste encore un petit effort.
Alors, elle se dirigea petit à petit vers le rivage. Puis accroupie sur le sol en pierre, elle toussa. Ses pieds étaient à terre ! Elle avait nagé, jusqu'à là. Elle était là. Encore dans ce monde. Encore en vie.
Toujours en vie.
- Yuna MOON, commença le jeune faucheur, née le 30 décembre 2052 et décédée à 15 ans le 31 décembre 2067 à 02h17. Cause : noyade.
- Euh... Pardon ?
- Avant de continuer, j'ai quelque chose à te dire. Regarde-moi bien dans les yeux...
À suivre...
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