43. décision
(Petit rappel : je le dis souvent et je répète, les insultes c'est non merci ! C'est vraiment très désagréable et ça me donne juste plus envie de poster, vous êtes libres de vous exprimer tant que c'est dans le respect, je ne suis pas une machine et j'essaye de faire de mon mieux, et j'aimerais que poster sur wattpad reste un plaisir 😉)
Jamais je n'aurais imaginé sécher les cours de ma vie. Je sais qu'on dit qu'il y a une première fois à tout, mais j'aurais aimé qu'elle ait lieu dans d'autres circonstances.
Vendredi, je suis resté un peu chez Jonas, mais je n'avais plus envie de rien, ni parler, ni sourire, ni pleurer, ni espérer. Il voulait faire un marathon Friends mais je n'ai pas eu le courage alors je suis rentré chez moi, prétextant une migraine carabinée et un fort besoin de me reposer. Ce qui n'était pas si faux que ça, sauf que la migraine n'avait rien à voir avec l'alcool, comme je l'ai laissé supposer (étant donné que je n'ai quasiment pas bu de la soirée), et qu'à part dormir, je ne me voyais pas capable de faire autre chose. D'ailleurs, je n'ai rien fait de plus ce week-end, et heureusement que je ne devais pas aller travailler. Impossible de servir des cafés à qui que ce soit avec la tête que j'avais (et que j'ai toujours).
Aujourd'hui, j'ai séché aussi, pour plusieurs raisons, qui, cette fois, n'ont rien à voir avec cette fatigue soudaine qui m'écrase le cœur ou la fadeur indolore de ma vie. La première raison porte un prénom, Eden. On est supposé avoir cours ensemble en amphithéâtre aujourd'hui, et même si je sais qu'il a peu de raison d'être présent, je ne veux pas prendre ce risque. Je ne me sens pas capable de le voir, même s'il me manque terriblement.
Lui et ses cheveux bruns cachés derrière sa casquette de la NASA. Lui et ses yeux, ces deux billes de la couleur de la mer, vibrante de milles émotions. Lui et son visage, sa bouche, ses mains et la déception dans son regard.
Je n'en ai pas la force.
Honnêtement, je n'ai pas plus la force d'affronter l'autre raison pour laquelle je ne suis pas allé en cours aujourd'hui. Cette deuxième raison est plus volatile, elle ondule à la surface de mon être depuis trois jours. Cette prise de décision à laquelle je dois me tenir. Je dois lui faire face mais la peur tiraille mon cœur poussiéreux. Cette raison, qui justifie autant que l'autre mon absence en classe, pourrait porter un prénom, elle-aussi, mais elle en deviendrait alors trop douloureuse. C'est la douleur qui m'empêche de voir Eden et de l'affronter aujourd'hui, alors il ne faut pas que celle-ci ne me déchire trop, ou alors je n'y arriverai jamais.
Je marche depuis plusieurs heures dans Paris, ayant décidé de faire le chemin à pied, et mon estomac est tiraillé entre une faim purement physiologique, et la peur qui remue ses entrailles. Je n'ai aucun moyen de calmer ces deux maux, puisque c'est tout bonnement vain d'essayer de me faire manger, et, je le sais, la crainte ne partira qu'une fois mon problème réglé. Si tant soit peu, on puisse appeler ça un problème. Ce n'en est pas un, c'est ce qui rend peut-être les choses plus difficiles encore.
Je sais aussi que je ne pourrais pas ruminer pour l'éternité. Je réfléchis trop, et ça commence à me bousiller le cerveau. Cependant, j'aimerais pouvoir me convaincre d'avancer sans plus rien penser, juste faire un pas après l'autre, m'abandonner au destin, mais si nous étions tous capables des mêmes choses, nous ne serions sûrement pas là où nous sommes maintenant. J'entends toutes les petites voix qui me murmurent ce que je dois faire, et je les maudis de ne pas croire en moi, de me répéter que c'est facile, que je n'ai qu'à le faire. Demandez à l'enfant mordu par un chien d'oser en caresser un à nouveau, ne trouvez-vous ça pas injuste ? C'est son droit, d'avoir peur.
Je suis fatigué d'entendre des voix dans ma tête qui ne font que me reprocher les erreurs que j'ai commises, qui me reprochent qui je suis, parce que je n'ai pas le même courage, pas la même aisance .N'ai-je pas le droit d'être moi-même ? Un peu caboché, un peu timide, un peu maladroit, un peu pensif, un peu dramatique. Qui sont ses voix, pourquoi se permettent-elles de me demander d'être quelqu'un d'autre ?
Je repense à ce que m'a dit Eden le soir de mon anniversaire. Il m'a attendu, et je n'ai pas été la hauteur. Il m'a offert l'opportunité de rester tel que je suis, ou de changer. Il m'a donné le choix, même si je l'ai déjà perdu. J'essaie d'être simplement moi, peu importe ce que les gens pourraient me reprocher. Moi-aussi, je peux leur reprocher des choses. Personne n'est exempt d'erreur, personne n'est parfait, personne ne sait mieux que tout le monde. Je suis beaucoup de choses, et je ne veux plus rien exiger de moi-même à part une, la bienveillance. Toute ma vie, j'essayerai d'être bienveillant, envers les autres, et envers moi-même.
Et bien sûr, je vais commencer aujourd'hui.
Je pousse la porte d'entrée de l'immeuble après avoir fait le code que je connais par cœur. Je sais que Shelly est chez elle parce que je lui ai envoyé un message pour m'en assurer quand j'étais en chemin. Si elle n'avait pas été là, j'aurais sûrement campé devant sa porte jusqu'à ce qu'elle arrive. Ça ne m'aurait laissé que plus de temps pour ruminer, réfléchir aux mots que je vais prononcer, imaginer ses réactions. J'ai déjà déroulé plusieurs dizaine de scénarios dans ma tête, mais je ne sais toujours pas vraiment lequel je vais vivre dans quelques minutes. Peut-être que je ne connais pas Shelly aussi bien que je le pensais. Ou peut-être est-ce tout simplement parce que j'ai trop peur de sa réaction et que je préfère ne pas penser aux plus terrifiantes.
En montant les marches qui mènent jusqu'à son étage (pas d'ascenseur pour moi pendant un petit moment), je repense à la dernière fois où je suis venu chez elle. Ou plutôt, j'essaye, parce que ça fait bien longtemps que je ne suis pas venu à son appartement. J'ai clairement passé plus de temps dans l'appartement d'Anton ces dernières semaines, voir ces derniers mois.
En frappant à sa porte, j'écoute les bruits que font mon être. Le lent écoulement de l'envie qui remonte dans mes veines pour se perdre dans les limbes de mon cœur, les battements de ces vannes qui régissent la vie à l'intérieur de mon corps, son dur mécanisme qui tiraille mes muscles à chaque mouvement. Tous ces rouages qui rouillent petit à petit depuis jeudi. J'espère pouvoir les décrasser un peu après aujourd'hui, même s'ils ne retrouveront sûrement jamais leur souplesse passée.
La porte s'ouvre finalement sur Shelly, ma petite-amie, cette personne que j'aime et que j'ai aimé pendant deux ans. Parce que je l'aime toujours, mais d'un amour différent. Plein de reconnaissance.
- Salut, dit-elle simplement.
Pas besoin d'être devin pour remarquer que quelque chose cloche. Outre le fait que je l'ai lâchement abandonnée à la soirée de jeudi sans un mot et que je ne l'ai quasiment pas contactée depuis, je pense qu'elle doit bien avoir encore des dizaine de choses à me reprocher. Je suis même d'ailleurs surpris que son ton ne soit pas si accusateur que ça. Elle va même jusqu'à avoir un petit sourire éparse pour moi en me laissant entrer. Ok, les choses vont mal, ça se sent dans l'air, mais son attitude me fait plus froid dans le dos encore.
- Salut, je réponds en enlevant mon manteau.
Elle porte un pull en grosses mailles qu'elle resserre presque nerveusement autour d'elle, ses bras croisés sur sa poitrine.
- Ça va ? tenté-je maladroitement.
Je ne peux pas rentrer dans le vif du sujet aussi rapidement, même si je me doute bien que tourner autour du pot n'est pas une solution non plus.
Shelly se contente de hausser les épaules et elle va s'asseoir sur le lit, coinçant ses deux mains entre ses cuisses. Son visage se lève vers moi, et tandis que je fixe mon regard sur son nez retroussé et les mèches blondes qui encadrent son visage, je m'assois à la chaise de son bureau.
- Et toi, ça va ?
Sa question me surprend, et je ne peux que répondre de la même façon qu'elle, en haussant les épaules. Elle se pince les lèvres avant de tourner la tête. Je suis son regard et trouve le carton contenant le four qu'elle m'a offert pour mon anniversaire, avec l'aide des autres. Même si maintenant que j'y pense, chacun m'a offert un autre cadeau, qui leur correspondait sûrement plus que celui-ci. A part Eden. Mais qu'est-ce qu'Eden aurait pu offrir à l'homme qui l'a déçu ?
- Tu veux que j'aille l'échanger ?
Je fronce les sourcils, et il me faut quelques secondes de plus pour comprendre qu'elle parle du four.
- Non, pourquoi ?
Nouvel haussement d'épaules.
- Tu n'en veux pas, je me trompe ?
Elle passe la manche de son pull contre sa joue, comme si elle essuyait une larme, mais ses yeux sont secs.
- Bien sûr que si !
Elle coule un regard en coin vers moi, comme pour juger de ma sincérité, et ce qu'elle semble y lire la convainc.
- Ok.
Elle reprend une profonde inspiration, les yeux de nouveau rivés sur le four dans son carton. Aucun de nous deux ne parle pendant un petit moment, et je gratte la peau autour de mes ongles un peu plus fort à chaque seconde, espérant que la douleur devienne si insupportable qu'elle me force à parler.
- Shelly...
Elle renifle, mais ne se tourne pas vers moi. Mon cœur bat si vite dans ma poitrine que je n'arrive plus à entendre mes propres pensées.
Cela fait deux ans que Shelly et moi sortons ensemble, et jamais je n'ai imaginé cette scène, ou même la vivre, malgré toute mon histoire avec Eden. Mes mains tremblent si fortement que je dois les joindre devant moi et pousser, paume contre paume, pour espérer les calmer. J'ai mal, si mal au creux de mon ventre, la douleur obscurcissant presque celle sous-jacente et si lourde du rejet d'Eden, que j'ai déjà envie de pleurer.
- J'ai toujours pensé que tu ne me ferais jamais ça, soupire-t-elle.
Je ravale la bile qui stagne dans ma bouche comme si je faisais rouler ma langue sur une centaine de bouts de verre, et mon cœur s'affole un peu plus.
- Je sais que tu n'es pas parfait, que je ne le suis pas non plus, ni notre couple, d'ailleurs. Mais de toutes les choses qui auraient pu briser notre relation, jamais je n'aurais pensé que...
Elle ne finit pas sa phrase, et quand elle se tourne vers moi, deux larmes ont coulé sur mes joues. Elle ne semble ni surprise, ni attendrie, et je ne peux d'ailleurs pas le lui demander.
- Tu m'as trompé, pas vrai ?
Mes lèvres se mettent à trembler et je ferme les yeux, forçant les larmes à déborder à nouveau. Je ne peux plus bouger ni parler.
- Combien de fois ?
Silence, je garde les yeux fermés.
- Combien de fois tu as couché avec elle ?
Je fronce les sourcils, ravalant d'un coup le manque d'air qui compressait mes poumons. Les pièces d'un puzzle que je n'avais pas prévu se matérialisent peu à peu dans mon esprit, et j'ouvre finalement de nouveau les yeux pour observer Shelly. Elle n'a pas bougé, elle non plus, et regarde ses pieds.
- Avec elle ? je répète bêtement.
Shelly a un mouvement de la main dédaigneux.
- Je ne veux même pas savoir comment elle s'appelle, ça ne m'intéresse pas... Par contre, je veux bien savoir depuis combien de temps tu te fous de moi.
- Je... je ne me suis jamais foutu de moi...
- Tu rigoles, j'espère ? Tu m'as trompée !
Je rentre ma tête dans mes épaules, deux larmes silencieuses dévalant de nouveau mes joues. Son ton n'a pas changé, elle me parle presque avec froideur.
- Tu ne comprends pas, ça me rend malade...
- Oh arrête ! Arrête de nous faire croire que tu es encore une fois la victime ! T'as été une victime avec tes parents, avec tes amis au lycée, avec Jonas, ne me fais pas le coup ! C'est toi qui es en faute, t'es juste un connard de plus !
Chaque coup fait mal, mais moins mal que l'autre soir, avec Eden. Peut-être que je suis commence à être habitué, maintenant, à ce qu'on me reproche des choses.
Je passe une main sur mon visage et essuie la trace humide des larmes sur mes joues. Je reprends une grande inspiration. Shelly m'en veut, elle me déteste sûrement, et je ne peux pas lui en vouloir. En réalité, maintenant qu'elle le sait, il n'y a pas grand chose que je puisse faire à part être honnête avec elle.
- Shelly, je veux que tu me crois quand je dis que je t'aimais, et que je t'aime toujours... commencé-je en un souffle.
- Je ne veux pas entendre ce genre de connerie, me coupe-t-elle.
Je secoue la tête en me relevant, et je pose mes yeux droit sur elle, espérant qu'elle y lise la sincérité.
- Je ne pourrai jamais te remercier assez pour tout ce que tu as fait pour moi... continué-je. Sans toi, je ne sais pas si j'aurais réussi à laisser mes parents derrière moi.
Son regard s'adoucit le temps d'une seconde. Elle sait que je dis la vérité, elle le sait parce qu'elle se souvient de cette époque où il n'y avait qu'elle et moi. Elle sait que je ne mentais pas à ce moment là. Et ça me donne le courage de continuer.
- Mais... dis-je en serrant les poings. Mais avant de te rencontrer, quelqu'un est entré dans ma vie. Quelqu'un que je n'avais pas prévu et...
Je serre les dents, ne trouvant pas les mots.
- Quoi ? Je ne comprends pas.
Shelly plisse les yeux, et se penche légèrement en avant, perdue. Je fais machinalement craquer mes doigts, et je sais que c'est le moment de le dire.
Depuis plusieurs semaines, plusieurs personnes sont au courant. Anton, Joly, Lys et Jonas. Toutes ces personnes savent que j'aime Eden, ce garçon si délicat, tendre et complexe, aux yeux tempêtes et aux sourires soleils. Ce sont déjà quatre personnes de plus au courant que ce que je voulais. Je m'en souviens encore comme si c'était hier, de cette époque où je voulais que personne ne soit au courant. Mais voilà, elles savent, et elles ne m'ont pas repoussé. Mais, d'une manière ou d'une autre, je savais déjà qu'elles ne le feraient pas. Anton et Joly acceptaient Eden, pourquoi cela aurait-il été différent avec moi ? Lys est ouverte d'esprit et bienveillante, même si j'avais peur de le lui dire, c'est presque sorti naturellement, parce que je la connaissais déjà assez bien pour savoir que ce n'était pas dans sa nature. Et Jonas, même si j'étais terrorisé à l'idée de le lui avouer, il était déjà au courant et il est resté auprès de moi, attendant le jour où j'aurais assez de courage pour enfin lui dire la vérité.
Avec Shelly, c'est différent. Je lui ai délibérément menti, je lui ai caché qui j'étais et je l'ai manipulée pendant des mois, me cachant derrière notre relation pour me protéger.
- A une soirée, j'ai rencontré... j'ai rencontré Eden...
J'ouvre les yeux, doucement, et au travers des mes cils, j'essaye d'entrapercevoir sa réaction. Mais elle n'en a aucune, comme si elle n'avait pas entendu ce que je venais de dire. Elle me dévisage, les traits de son visage lisses et inexpressifs.
J'attends, et je doute de plus en plus, me demandant si j'ai parlé assez fort, si elle m'a entendu.
- J'ai... commencé-je.
- Eden ? Le meilleur ami d'Anton ? Le copain de Danny ?
- Danny et lui ne sont plus ensemble.
Je ne suis pas sûr que j'aurais dû m'empresser de répondre ça, vu la tête que fait Shelly. Clairement, ce n'est pas l'information qui l'a préoccupe.
- A quelle soirée ?
Je fais de nouveau craquer mes doigts, ayant soudainement l'impression que la pièce est trop petite. Je n'ose cependant pas bouger, et je reste debout devant elle.
- L'anniversaire d'Anton, il y a deux ans. On ne se connaissait pas encore...
- Oui, ça, j'avais compris, c'était avant moi. Mais...
Elle semble chercher ses mots.
- T'es gay ?
La tonalité du mot dans sa bouche a des élans d'accusations, et ça me déchire le cœur.
- Je ne sais pas, je...
Elle me coupe d'un geste de la main.
- Arrête, tu m'as trompée avec un mec, donc t'es forcément gay !
J'accuse le coup, le visage déformé malgré lui par une grimace, mais je reprends ma respiration avant de répliquer. Cependant, elle ne m'en laisse pas le temps.
-Attends, donc... mais... T'es gay, et t'es sorti avec moi ?
- Non, tu ne comprends pas... Eden et moi, on s'est rencontré à cette soirée, mais j'ai tout gâché, et on ne s'est pas revu jusqu'à cette année, puisqu'on s'est retrouvé dans la même licence.
- Oh, je vois, donc quand vous vous êtes revus, t'es redevenu homo et tu m'as trompée avec lui.
Je secoue de nouveau la tête, les épaules affaissées, attristé par les mots qu'elle prononce.
- Non, je ne suis pas redevenu homo... J'étais bien avec toi, je t'aimais, comme un homme aime une femme, et avec Eden, ça a été compliqué...
- Oh, donc t'es bisexuel, super, ça me fait une belle jambe !
Elle se lève à son tour, ses poings serrés contre ses cuisses. Je n'ose plus la regarder en face alors qu'elle me dévisage comme si je l'avais trahie, ce que j'ai sûrement fait d'une façon ou d'une autre. Mais ce qu'elle me dit est pire que tout. Dans sa bouche, ces accusations ont le goût de la haine et de la honte, et mon cœur meurtri a du mal à tenir encore debout.
- Donc... Au nouvel an, tu me trompais déjà ? J'ai été tellement conne !
Elle passe une main dans ses cheveux en se détournant, apparemment incapable de me regarder.
- Ça a dû bien te faire marrer, alors que je te répétais que j'avais trouvé cette soirée géniale...
- Shelly, je ne me suis jamais moqué de toi, dis-je plus doucement.
- T'as couché avec lui, ce soir-là ?
Je sens le dégoût dans sa voix, mais je n'arrive pas à savoir si c'est le fait de me savoir avec un homme qui la répugne, ou le fait que j'ai pu la tromper. Ou peut-être est-ce les deux. J'expire tout l'air dans mes poumons pour me donner un peu plus de temps, juste un peu plus de temps pour reprendre mes esprits, pour me persuader qu'elle n'est pas en train de m'anéantir.
- Non.
- Mais vous vous êtes embrassés ? Pas besoin de répondre, ça se lit sur ton visage. T'as honte ? Tant mieux. Parce que c'est dégueulasse. T'as fait ça dans mon dos pendant plusieurs mois, pourquoi t'as pas rompu, hein ?
- Parce que... parce que...
- Tu me dégoûtes.
Sa voix tremble légèrement, et tout comme moi, elle inspire à fond avant de répondre.
- Et donc, là, qu'est-ce qui se passe ? Je ne suis plus une assez bonne comme couverture ?
Mes yeux débordent tellement ses mots me font mal, mais ma peine ne semble pas l'atteindre. Elle se reflète d'ailleurs dans la prunelle de ses yeux, et ce que j'ai tant redouté a finalement lieu. Je lui ai brisé le cœur.
- Shelly, je suis désolé de t'avoir menti. Ce n'est pas ce que je voulais, j'ai juste... j'ai juste eu peur.
Elle croise les bras sur sa poitrine en levant les yeux vers le plafond.
- Tu sais quoi, éclate-t-elle, je m'en fous ! Tu t'es foutu de ma gueule, j'avais confiance en toi, pour qu'au final j'apprenne que t'es juste un homo refoulé qui s'est caché derrière une relation hétérosexuel histoire de pas se faire mal voir par la société ! Je te connais malheureusement assez pour savoir que tu flippes de devoir t'assumer devant les gens, et je comprends mieux ! Mais si tu crois que ça va te pardonner, non ! Maintenant, casse-toi, parce que je n'ai plus rien à te dire.
Ses yeux deviennent rouges au fur et à mesure qu'elle parle, et elle me tourne finalement complètement le dos. Mon corps réagit presque naturellement et s'approche pour la prendre dans mes bras, mais j'arrive à le contrôler au dernier moment. La toucher maintenant n'atténuerait pas sa peine. Ni la mienne.
J'essaye de faire la part des choses, entre ce qu'elle m'a dit et qui est nourri par le chagrin et ce qu'elle pense réellement. Mais j'ai l'impression d'être plus bas que terre. Maintenant, Shelly est au courant, et elle me rejette. Eden ne veut plus me parler. Je suis seul, et je n'ai plus que ce secret au fond de moi, ce secret que j'ai décidé de dévoiler, petit à petit.
- Je suis désolé, répété-je simplement.
Shelly ne répond même pas, je vois ses épaules trembler, j'entends ses sanglots tandis que les miens se sont taris. J'attends encore quelques secondes, sans savoir exactement quoi. Qu'elle se retourne pour me dire qu'elle m'accepte quand même ? Qu'elle me hurle de nouveau à quel point j'ai été lâche et idiot ? Qu'on reparle du passé, qu'on se remémore tous ces bons moments, afin de leur dire adieu ?
J'ai beau attendre, elle ne fait rien, alors je finis par faire ce qu'elle m'a demandé, et je m'en vais.
En descendant les escaliers, je prends mon temps. Mon cerveau est bloqué, et il refuse de revenir sur ce qui vient de se passer. A chaque marche, les paroles s'effacent, et il n'en reste plus que les conséquences, et mon cœur se serre un peu plus à chaque pas qui me rapproche de l'extérieur.
Lorsque je sors de son immeuble, le froid vient mordre mes joues humides, mais je n'arrive plus à marcher. Je regarde le ciel nuageux au dessus de moi, mais je n'arrive plus à respirer. Je me suis levé ce matin avec la conviction que c'était la bonne chose à faire. J'ai pris ma décision, et j'ai fait ce qu'il fallait. Mais le trou dans ma poitrine n'a fait que grandir un peu plus.
J'attrape mon téléphone, et j'hésite. On m'a dit tellement de choses sur ma propre personnalité ces derniers temps que je ne sais plus quoi croire. Je n'ai pas envie de me sentir seul, à ce moment précis, mais je n'ai pas l'impression d'avoir le droit d'aller quémander de l'affection chez qui que ce soit. Le fil de mes pensées force mon esprit à aller dans ma messagerie et lire les derniers textos d'Eden. Ils ont plusieurs jours déjà. Ils parlaient de tout et de rien, à des années lumières du silence qui nous lie à présent.
Il me manque tellement. Mais je me sens idiot à la moindre idée de l'appeler juste pour lui dire que j'ai enfin rompu avec Shelly, qu'elle sait toute la vérité.
Même en fermant les yeux, je ne perçois plus le son de sa voix, ni la douceur de ses lèvres, ou l'affection de ses mains. Mon corps ne se souvient déjà plus de lui. Je cache mes yeux derrière ma main, ne voulant pas que le monde voit ma peine.
Je me cache, toujours.
Et ce n'est pas de ma faute.
Je ne me cache pas parce que j'ai honte de moi, de ce que je suis. Je me cache parce que j'ai peur qu'on me pointe du doigt, juste parce que je suis différent. Mais nous sommes tous différents. Personne ne pleure de la même façon, personne ne voit le monde de la même façon, personne ne parle pareil, ne mange pareil, ne marche pareil. Tout le monde pointe du doigt les détails des autres, pour cacher leurs propres détails qu'ils ont peur de laisser voir. C'est un cercle vicieux, un domino qui entraîne tous les autres dans son sillage. Peut-être que si on arrêtait de se pointer du doigt les uns les autres, on vivrait mieux dans notre propre corps. Il n'y aurait plus rien à cacher et donc plus rien à pointer du doigt, ni chez nous, ni chez les autres.
Et je le réalise maintenant.
Je n'ai pas à payer pour les insécurités des autres. Les miennes m'occupent déjà bien assez l'esprit. On est tous logé à la même enseigne, personne n'est parfait. Toutes ces personnes qui pourraient me juger, n'ont-elles pas peur qu'on découvre leur propre secret ? Qu'ils essayent, maintenant, mon secret n'en est plus un, et je ne vais plus rien cacher, parce que je perdrai plus les gens que j'aime par peur.
C'est fini.
Je fourre mes mains dans les poches de mon manteau et je reprends ce chemin que j'ai emprunté quelques dizaine de minutes plus tôt. Je rentre chez moi, et je vais respirer l'air libre à pleins poumons. Cet air que nous partageons tous, cet air que je mérite, parce que je ne veux plus étouffer à cause des autres. C'est ma vie, il m'appartient d'en faire ce que je veux.
Mon téléphone vibre dans le creux de ma main, et je le sors, surpris d'y voir inscrit le nom d'Anton. Mon cœur s'affole juste le temps de quelques secondes, juste pour me rappeler qu'il est le meilleur ami de l'homme que j'aime, et que ce dernier ne veut plus me parler.
Je décroche, prêt à dire n'importe quoi – m'excuser d'être parti si vite le soir de mon anniversaire, lui demander comment il va, le remercier de nouveau pour son cadeau – mais les tremblements que je perçois de l'autre côté de la ligne m'empêchent de dire quoi que ce soit. Je perçois la respiration affolée d'Anton, et en sourdine, les sirènes d'une ambulance.
- Allô ?
- Solly... tremble la voix d'Anton. Faut que tu viennes à l'hôpital sur l'île de la cité...
Il est si essoufflé que je comprends difficilement ce qu'il me dit. Les sirènes se font assourdissantes puis une porte claque, et le son redevient un bruit de fond.
- Hein ? Anton, tout va bien ?
- Non, viens, maintenant, me supplie Anton. C'est Eden. Merde, Solly, je suis... Il faut que je raccroche.
La tonalité de fin d'appel me coupe le souffle et mon téléphone m'échappe, tombant sur le sol en un bruit sec. Je le ramasse comme un robot pour trouver l'écran fissuré à plusieurs endroits, incapable de me renvoyer mon reflet à cause des éclats du verre brisé. Ma main tremble si fort que j'ai peur de le laisser tomber de nouveau, alors je le remets dans ma poche.
Puis je commence à courir.
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