Chapitre 30
Athéna savourait son café-noisette en regardant défilé les commentaires.
« J'ai acheté la veste rouge et c'est génial ! La livraison est un peu lente mais c'est le seul inconvénient. Je recommande ! », « Trop beau, en plus, c'est fait maison et c'est de la bonne qualité ! PS : le mannequin est trop craquant ! », « J'adore ! »...
Son petit site fonctionnait bien, mais, malheureusement, les ventes étaient peu nombreuses. Ce qui était sans doute normal au début. Athéna ferma son ordinateur en soupirant. Si seulement elle avait une petite entreprise, au moins, tout irait plus vite. Il fallait juste trouver de bons partenaires. La seule question était de savoir où...
- Athéna ! Bon sang, qu'est-ce que tu fais ? Il y a des clients qui attendent à la caisse ! Tu n'es pas censé être en réserve ! gronda sa collègue.
- Oui, oui, voilà, voilà, j'arrive...
La jeune femme se leva en soupirant.
- Qu'est-ce que tu fais ? répéta la nouvelle venue.
- Je regarde si mes ventes augmentent...
- Je ne veux pas te décourager, mais dans ce monde, ceux qui lancent leurs propres marques de vêtements sont les stars. Et puis, c'est dur de se démarquer. Tu devrais te concentrer sur des choses plus concrètes... Comme par exemple, viser le poste de directrice de magasin.
- Je ne compte pas rester ici toute ma vie, Julia. Je rêve depuis toujours d'avoir ma propre société. Et je veux tout mettre en œuvre pour que ça se réalise.
- Eh bien, bon courage ! En attendant, il y a des clients qui t'attendent...
Athéna soupira et se dirigea vers les caisses.
Après une dure journée, la jeune femme rentra chez elle, pressée de voir s'il y avait de nouveaux avis.
Malheureusement, il n'y avait rien de nouveau. Elle se leva, se fit un café et checka ses réseaux sociaux et ses mails. Parmi deux publicités, Athéna découvrit qu'un styliste avait découvert ses créations et la trouvait pleine de talent. Il voulait faire affaire avec elle. Athéna failli lâcher sa tasse. Elle ne pouvait pas y croire ! Elle poussa de grands cris de joie et se précipita sur Ahmès lorsque celui-ci entra.
La jeune femme lui informa de la bonne nouvelle.
- C'est trop génial ! lui dit-il.
- Oui ! Je n'en reviens pas ! J'ai rendez-vous avec lui et sa société demain, en fin de matinée, pour leur faire part de mes ambitions et de ce que j'attends. Ils me recontacteront ensuite pour voir s'ils sont intéressés. J'ai fait mes recherches sur internet. Le styliste qui m'a contacté s'appelle Marc-Antoine Poleroy, il est très reconnu dans son milieu. Seigneur, je n'en reviens toujours pas ! Bon, je vais vite me préparer, il faut que demain, tout soit parfait.
Athéna passa le reste de la soirée à choisir une tenue pour le lendemain. Ayant très peu dormi à cause du stress, Athéna passa toute la matinée à se préparer et à réciter son texte qu'elle avait préparé lorsqu'elle passerait.
Athéna arriva plus anxieuse que jamais devant les bureaux du styliste.
Elle attendit dans une vaste salle. On vient finalement la chercher. La jeune femme se retrouva face à trois personnes. L'homme du milieu se leva pour lui serrer la main.
- Marc-Antoine Poleroy.
- Athéna Smith. Merci de m'avoir convié.
- C'est tout naturel. Mon assistant vous a repéré par hasard. Ici, nous sommes pour recruter et mettre sur le devant de la scène des jeunes talents qui sont méconnus du grand public. Présentez-nous votre projet.
- Eh bien, ce que je créé sert avant tout à lutter contre l'exploitation des mineurs qui sont obligés de fabriquer des vêtements, dans des pays de l'autre côté du globe. En plus, lorsque ces mêmes vêtements sont transportés jusqu'à chez nous, cela à un gros impact sur l'environnement. C'est pour cela que, si mon projet fonctionne, je prévois de faire installer plusieurs endroits de fabrications, dans chaque ville du continent. Mais, je ne veux pas d'un bâtiment gris tout terne, fait entièrement de béton. Non, je veux quelque chose qui soit en raccord avec la nature... Ensuite, je veux lutter contre l'industrialisation de masse, comme on en voit tant aujourd'hui. Je veux que ma marque fabrique des vêtements à partir de tissus recyclables et de qualité. C'est pour cela que j'ai besoin de m'entourer de personnes compétentes, qui iront dans le même sens que moi.
- Avez-vous réfléchi à un nom pour votre marque ? demanda enfin M. Poleroy.
- Oui. A.Deama Smith. Deam signifiant « déesse » en latin. J'ai rajouté le « a » derrière.
Un silence suivit sa réplique. Athéna cru pendant une seconde qu'elle avait dit une bêtise.
M. Poleroy se leva et lui serra une nouvelle fois sa main.
- Vous pouvez compter sur nous, Mademoiselle Smith. Bienvenu chez Poleroy.
***
Ahmès et Lili attendaient Athéna. Ahmès avait mit au courant Lili et Cecily de son entretien chez le célèbre styliste.
Soudain, ils la virent sortir du bâtiment, le sourire aux lèvres. Ils surent alors tout de suite qu'elle avait réussi.
Ahmès et Lili se précipitèrent vers leur amie en criant de joie.
- Rien n'est encore gagné, leur dit Athéna. Peut-être que ça ne va pas marcher, peut-être que...
- Athéna, tu as convaincu des grands couturiers. C'est juste extraordinaire ! lui dit Lili.
- Je n'arrive pas à y croire... Tiens, où est Cecily ?
- C'est ce qu'on se demandait avec Lili, intervint Ahmès. Je l'ai appelé trois fois, elle ne répond pas.
- Idem pour Weylan. Et il n'est pas du genre à ne pas répondre aux appels.
Le visage d'Athéna devint grave.
- Je suis la seule à avoir un mauvais pressentiment ?
***
- CECILY ! hurla Lili en frappant de toutes ses forces contre la porte.
- Lili, Lili... Tu vois bien qu'elle n'est pas là, dit Ahmès.
- Que signifie ce vacarme ? Seigneur, ne peut-on pas être en paix, dans cet immeuble !? dit une dame en apparaissant dans les escaliers.
- Bonjour Madame, salua poliment Athéna. Savez-vous où se trouvent Cecily Fardom et Weylan Durray ? Nous n'avons plus de nouvelles d'eux et nous sommes inquiets...
- Eh bien ! Vous en avez loupé, des choses ! Mademoiselle Fardom a organisé une fête et a invité des personnes vulgaires et irrespectueuses ! Lorsque M. Durray a découvert que Mademoiselle Fardom se droguait, qu'elle fréquentait des sans-abris, mais qu'en plus elle le trompait, il l'a quitté. Je l'ai entendu claquer violemment la porte, hier. Pour tout vous dire, je suis heureuse qu'il soit sorti de cette relation malsaine. J'ai toujours trouvé Mademoiselle Fardom complètement folle et M. Durray bien trop bon à son égard. Ça se sentait à des milliers de kilomètre qu'elle le menait par le bout du nez. Et puis, ils sont issus de milieux trop différents. Ça ne pouvait pas marcher. J'ai toujours pensé que pour que la société fonctionne, il faut que chacun reste à sa place, que chacun reste dans son monde.
- Si chacun doit rester dans son monde, nous vous éviterons donc de nous parler à l'avenir, répliqua sèchement Athéna.
La femme poussa une exclamation choquée, tourna les talons et retourna chez elle.
- Enfonçons la porte ! ordonna Lili.
Les trois jeunes gens cognèrent la porte jusqu'à ce qu'elle s'effondre.
A l'intérieur, régnait un énorme désordre qu'ils n'avaient jamais auparavant. Athéna, Lili et Ahmès s'engouffrèrent à l'intérieur.
- Elle est là ! dit Lili en s'agenouillant près du canapé où était allongée Cecily.
- Cess' ! Cess' ! Réveille-toi ! dit Athéna en la secouant doucement.
La jeune femme ouvrit les yeux.
- Des pansements et du désinfectant ! Vite ! ordonna Ahmès en voyant les poignets ensanglantés de Cecily.
Lili s'exécuta.
- Mon Dieu, Cessy, qu'est-ce que tu as fait ? s'exclama Athéna.
Cecily raconta toute l'histoire entre deux sanglots.
- J'ai tout gâché..., termina-t-elle.
- Cess'... Ce tu traverses est difficile... La mort d'un ami et une rupture en même temps ne sont pas des choses très joyeuses. Concernant Weylan et toi, vous avez tous les deux votre part de responsabilité. Tu as le droit de pleurer, de te lamenter sur ton sort, mais pas de te mutiler, Cecily ! s'énerva Athéna.
- Une vieille habitude qui remonte à l'adolescence..., murmura-t-elle.
- Eh bien tu dois arrêter ! Cess', tu dois être forte ! lui dit Lili en épongeant le sang.
- Fais tes affaires, tu viens chez nous, ordonna Athéna.
- À moins que tu veuilles venir chez Lili...
Cette dernière rougit.
- Eh bien... Il faudra que je demande à Ruby... Je vis chez elle, maintenant...
- C'est pas vrai ? Oh, je suis trop contente pour toi !
- Oui. Au moins, toi, tu as réussi ta vie amoureuse, soupira tristement Cecily.
- Cess'...
Lili la prit dans ses bras.
- Tu sais, il n'y a pas que l'amour qui compte dans la vie. As-tu des projets professionnels ?
- Des projets... Des rêves irréalisables oui... ça fait plusieurs mois que j'écris une pièce de théâtre basé sur ma vie d'adolescente.
- Petite cachottière ! Tu veux bien nous la montrer ?
- Je ne sais pas... Elle n'est pas encore au point et... Bon, je vais la chercher. Heureusement, que je n'ai pas perdu mes feuilles pendant l'effondrement.
Elle tendit son texte à ses amis.
- Le théâtre et l'écriture me font du bien. Je me souviens que la seule fois dans ma vie où je me suis sentie apaisée, c'était lors d'un spectacle à l'école primaire... Je n'ai jamais été impliquée de toute ma vie lors d'un projet scolaire... Et puis, lorsque je me suis retrouvée sur scène, je me suis sentie... Forte, invincible, moi-même... Je ne me sentais plus comme le souffre-douleur des autres... Je me sentais comme la reine du Monde. Et puis, la magie a cessé lorsque la réalité a repris le dessus.
- Pourquoi n'as-tu pas continué le théâtre, après ?
Cecily haussa les épaules.
- J'ai arrêté de rêver. Je ne croyais plus en rien.
- Tu devrais tenter ta chance, comme je tente la mienne, lui dit Athéna.
- Je vais faire ma valise, fit Cecily en guise de réponse.
Après que la jeune femme eut préparé ses affaires, deux personnes entrèrent dans le salon.
- Euh... Bonjour... Nous sommes les employés de ménage que Monsieur Durray a engagé...
- Ah, oui, j'avais oublié..., dit Cecily la valise à la main. Comme vous avez pu le voir, la porte est légèrement cassé... Si vous pouvez également la réparer... On vous payera deux fois plus, promis.
- Vous venez ? ajouta Athéna à ses compagnons.
Ils sortirent en remerciant les employés, qui restèrent un peu hébétés.
***
C'était un an plus tôt, lorsque les jeunes gens avaient rendu visite à Juliette Marrezzano, une ancienne consommatrice du médicament Farmassium, appelé auparavant Farmassory. Lorsqu'elle était partie, elle s'était retournée pour lancer : « H.R.A.E.S.T.C ! ».
Cette scène, Athéna en avait rêvé toute la nuit. Pourquoi y repensait-elle un an plus tard ? Pourquoi cette nuit-là ? La jeune femme n'aurait su le dire. Mais, son cerveau était en ébullition.
Après avoir créé de nouveaux modèles et retravailler sur des anciens, Athéna était partie se coucher. Et voilà qu'elle s'était réveillée, vers cinq heures du matin, le cœur battant et le cerveau tournant à tout vitesse. Elle se leva, se dirigea à l'autre bout de sa chambre, ouvrit une armoire et en ressortit un vieux carton. Elle fouilla dedans et en ressortit un dossier. C'était celui qu'elle avait volé lorsqu'elle s'était infiltré en douce à Farmassium. Elle n'avait pas eu le temps de le consulter depuis.
Athéna ouvrit la chemise où était inscrit en grosses lettres : « CONFIDENTIEL ». La première page représentait le contrat d'un salarié de l'entreprise. Il y avait salarié du ledit salarié ainsi que celle de M. de Castel. Rien de bien utile. La dizaine de page qui suivit fut le règlement ainsi que plusieurs papiers divers. Athéna allait abandonner lorsqu'une feuille l'intrigua. C'était la toute dernière de la pile. En haut était inscrit : « H.R.A.E.S.T.C ». En dessous, en plus petit caractère était marqué « Haut Responsable Administratif à Emploi Stable et Très Confidentiel ». En dessous, il y avait une liste de noms, prénoms et d'adresses postales. Athéna reconnu celui de Tatiana et Natacha, deux des autres victimes des effet secondaires de Farmassium. Elles avaient disparu un beau jour, mystérieusement.
- Athéna ? Qu'est-ce que tu fais ? demanda Cecily en entrant dans la pièce.
- J'ai trouvé où habitent Tatiana et Natacha Alonska !
- Qui ?
Athéna lui fit un rapide rafraîchissement de mémoire et lui expliqua son rêve.
- On tient quelque chose ! Il faut vite se rendre chez elles... Là-bas, on obtiendra des réponses...
- Athéna, Athéna... Tu ne veux pas y aller à cette heure-ci... Surtout en pantoufles et en pyjama !
La jeune femme attendit alors que la journée soit bien entamée pour s'y rendre, en compagnie de Lili, d'Ahmès et de Cecily.
Ils se rendirent dans un quartier défavorisé, probablement celui qui a été le plus touché par le World Panic.
Une fois devant la supposée maison de Natacha et de Tatiana, Athéna toqua. La porte avait dû être cassé puis être réparé grossièrement ; de gros morceaux de bois étaient cloués et la peinture était écaillée. Dans les trois minutes qui suivirent, il ne se passa rien. Ahmès allait proposer de rentrer, lorsque la porte s'ouvrit lentement. Une femme aux longs cheveux roux tout décoiffés apparut sur le seuil. Elle portait de vieux vêtements et avait l'air négligé.
- C'est pourquoi ? demanda-t-elle froidement.
- Mademoiselle Alonska ? C'est pour... euh..., bredouilla Athéna.
Elle n'avait pas vraiment réfléchi au motif de sa visite. Il est vrai que sans l'inspecteur, c'était plus difficile de faire parler les gens.
- Nous sommes inspecteurs de police, intervint Cecily. Nous aimerons vous poser quelques questions. Pouvons-nous entrer ?
La femme leva un sourcil, sembla hésiter un instant, puis leur dit d'attendre un instant. Elle disparut du seuil.
- Bravo, Cess' ! Je n'y aurais jamais pensé, la complimenta Athéna.
- J'avoue que j'ai eu peur qu'elle nous demande notre carte de police. Heureusement que ça ne s'est pas fait, je n'ai aucune idée de ce que j'aurais pu répondre.
Cecily s'attarda un instant sur l'image de Weylan qui apparut dans son esprit. Dès que la femme réapparut, Cecily l'effaça et leva la tête.
Les bras chargés de vêtements et de choses diverses, la femme s'effaça pour laisser entrer les jeunes gens.
- Excusez le désordre, dit-elle. Ça fait longtemps que nous n'avons pas reçu...
Les jeunes gens entrèrent dans la pièce. C'était un salon. Il n'était pas aussi en désordre que l'appartement de Cecily mais méritait tout de même un bon rangement ainsi qu'un bon coup de rénovation. Une odeur de cigarette et de moisissure régnait dans le logement. Une femme blonde était assise dans un vieux fauteuil. À première vue, elle semblait regarder la télé mais il n'y avait aucune émotion sur son visage. Elle était tout simplement en train de regarder dans le vide.
- Nat' ! On a de la visite ! lui dit la femme.
Elle se tourna ensuite vers les jeunes gens :
- C'est ma sœur, Natacha. Elle est malade depuis pas mal de temps. Vous voulez quelque chose ?
Les jeunes gens refusèrent poliment. Si Natacha était la femme blonde, ils présumaient donc que la femme rousse était Tatiana.
- Ca tombe bien, nous n'avons rien... A part une vieille boîte de lentilles, mais c'est notre seule nourriture...
Tatiana les invita ensuite à s'asseoir sur un vieux canapé. Les jeunes gens sentirent des gouttes d'eau atterrirent sur leur tête. Ils regardèrent le plafond, celui-ci était troué.
Tatiana leur tendit un seau.
- Ça fait toujours ça, les jours de pluie. Depuis que tout le quartier s'est effondré, la maison prend l'eau. On ne peut plus utilisé l'étage, alors on dort dans le salon.
- Vous ne voulez pas partir ? Il y a des associations qui ont été mises en place...
- Regardez dans quel état est Natacha... Elle ne se lève que pour aller aux toilettes... Elle ne sort et ne parle jamais. Son visage est toujours vide d'expressions. Alors, quitter la maison pour toujours, c'est impensable.
- Et vous ? Qu'en pensez-vous ?
- Les associations de relogements, certes, c'est bien. Mais sur le long therme ? Je ne sais pas si c'est une bonne idée de quitter la maison...
Athéna trouva que le moment était opportun pour sortir le dossier.
- Reconnaissez-vous ceci ?
- Non...
Athéna ouvrit la chemise et lui tendit une feuille de papier. Tatiana la lu et blêmit.
- Où... Où avez-vous trouvé ça ?
- Vous et votre sœur avez travaillé à Farmassium comme Haute Responsable Administratif à Emploi Stable et Très Confidentiel. Vous êtes d'accord que ce nom ne veut strictement rien dire ?
- Bien sûr que si, s'empressa-t-elle de répondre.
- En quoi consistait ce poste ?
- Police ou pas, je ne vous dirai rien, c'est confidentiel.
- Eh bien, moi, j'ai ma théorie. Votre sœur et vous faisiez partis des personnes qui s'occupaient d'insérer les effets secondaires dans les médicaments.
Le visage de Tatiana se referma.
- Partez, je vous prie, dit-elle d'un ton soudain froid.
- Tatiana, nous avons rencontré votre père. Il va très mal. Pourquoi rester ici ? Pourquoi ne pas retourner dans votre famille ?
- Natacha et moi sommes parties de la maison parce que notre famille était couverte de dettes. Un beau jour, Natacha a trouvé une annonce dans un journal qui disait que Farmassium recrutait de nouveaux employés. J'étais plus réticente au début, mais elle a réussi par me convaincre. Le salaire était alléchant. Nous en avons parlé que très vaguement à Papa. On partait tôt le matin, et on revenait tard le soir. Au début, nous nous occupions de diverses tâches, sans grandes importances. Et puis, un jour, nous avons été toutes les deux convoqués dans le bureau de M. de Castel, le grand patron. Il nous a dit qu'on avait un grand potentiel. Il nous a proposé de monter en grade. Notre salaire, déjà gros, allait tripler. Natacha et moi avons accepté. Il nous a expliqué qu'on devrait mettre des blouses couvrant la tête jusqu'au pied, et les garder tout le temps lorsque nous travaillons. Notre travail commençait le soir et terminait le matin. On lui a dit que nous habitions loin. M. de Castel nous a alors proposé de nous héberger. J'ai réalisé plus tard que sa proposition sonnait plutôt comme un ordre. Nous avons accepté, comme des idiotes. Nous nous sommes tout de suite mit à notre nouveau travail. Il se trouvait dans les sous-sols de l'entreprise. Natacha et moi ignorons qu'il y en avait jusqu'alors. On nous a vaguement expliqué à quoi cela servait. On nous a juste indiqué qu'il fallait contrôler si les machines fonctionnaient bien et de vérifier qu'elles injectaient bien un « sérum » dans les médicaments. On nous en a pas dit plus. Au début, Nat' et moi ne savions pas que ce soi-disant « sérum » rendait malade ou même tuait certaines personnes. On savait encore moins que la fabrication polluait énormément. Ce n'est que quelques années plus tard, en réfléchissant bien et en ayant du recul, que j'ai commencé à me poser des questions. Et puis, un jour, en menant nos petites recherches, Nat' et moi avons découvert la vérité... Le soi-disant « sérum » était l'élément le plus important du médicament mais également le plus dangereux : c'était ce qui permettait de guérir toutes sortes de maladies incurables, mais qui, sur certaines personnes, produisaient l'effet inverse. Il aggravait la maladie, à un point tel que le malade en devenait fou. Mais il était trop tard pour partir. Déjà, parce que Natacha avait elle aussi était touchée par le virus. En effet, en travaillant des heures près de ce... Ce « sérum » malsain, même avec les combinaisons, on n'était pas en sécurité. Plusieurs autres de nos collègues ont été touchés. Il y en a un qui en est même mort. Bien sûr, tout cela n'a jamais été précisé dans le contrat, oh non ! termina Tatiana avec une pointe de sarcasme dans la voix.
Un silence se fit.
- Pourquoi ne pas avoir rejoindre votre père, ou même prévenir la police en découvrant ce « sérum » dangereux ? demanda Ahmès.
- Mais on ne pouvait pas ! À partir du moment où nous avons signé ce fichu contrat, l'entreprise surveillait nos moindres faits et gestes. Si on sortait de la ville sans avoir prévenu Farmassium ni sans avoir une autorisation écrite, on nous donnait un avertissement. Au bout du troisième, c'était le renvoi. Et on ne pouvait pas retourner chez nous, on savait qu'on aurait dû mal à trouver un nouveau job.
- M. de Castel est mort, Farmassium est en arrêt... Jusqu'à ce qu'une autre personne en reprenne les rênes. Vous ne voulez pas renouer avec votre père, porter plainte et témoigner ? Cela rendra justice à toutes les victimes de ce médicament. Ainsi qu'à votre collègue décédé.
- Je suis désolée, mais non, je ne peux pas...
A peine Tatiana eut le temps de finir sa phrase que Natacha se leva brusquement.
Elle traversa la pièce, s'empara des clés et sortit de la maison, suivit d'une Tatiana interloquée et des quatre jeunes gens.
Natacha ouvrit ce qu'il sembla être une porte de garage. De l'autre côté, il y avait une vieille voiture qui n'avait sans doute par roulé depuis des lustres.
Natacha tendit les clés à sa sœur.
- Nat'... Qu'est-ce que tu fais ?
La jeune femme secoua les clés.
- Mais on ne peut pas retourner chez Papa alors que nous avons disparu sans le prévenir... Que dira-t-il ? Et s'il nous rejette ? Et s'il nous avait oublié...
- On vous a dit que nous sommes allés le voir il y a quelques temps et il ne vous a certainement pas oublié... Il ne fait que penser à vous deux, lui confia Athéna.
Natacha secoua une nouvelle fois les clés.
- En... r... 'oute..., marmonna-t-elle.
- Tu... Tu as parlé ? Tu as parlé ! Oh, mon Dieu ! Ma sœur a parlé ! Ma sœur a parlé ! s'écria Tatiana en sautant de joie et en la prenant dans ses bras.
Natacha profita de cette étreinte pour conduire sa sœur au volant. Elle fit également signe aux quatre jeunes gens de s'engouffrer dans la voiture. Ahmès, Athéna et Lili se tassèrent à l'arrière et Cecily s'assit sur les genoux d'Athéna.
La voiture mit du temps à démarrer.
- Ça fait longtemps qu'elle n'a pas roulé, justifia Tatiana.
Elle se mit finalement en route.
- A... Oliss...iers..., tenta de dire Natacha.
Tatiana faillit faire un faux mouvement tant elle fut surprise d'entendre la voix de sa sœur.
- Qu'est-ce que tu dis, Nat' ?
Elle désigna les quatre jeunes gens.
- FFFF... aux... Oliciers...
Tatiana sourit.
- J'avais deviné moi aussi.
- Qu'est-ce qu'elle a dit ? demanda Ahmès.
- Vous n'êtes pas de vrais policiers...
Un silence s'abattit.
- Vous êtes gens bien, c'est tout ce qui compte, dit Tatiana.
Ils arrivèrent finalement devant la maison de M. Alonska.
- Ça fait longtemps, hein, Nath'... murmura Tatiana, émue.
Mais, Natacha était déjà sortie de la voiture pour se diriger droit vers la maison.
Elle toqua à la porte avec énergie, et, à peine M. Alonska eut-il le temps de répondre que Natacha se jeta à son coup en s'écriant :
- PAPAAAAAA !!
Il resta un instant hébété, puis, comprenant la situation, il fondit en larme, serrant ses deux filles chéries dans ses bras.
- C'est bon, une famille réunie... ça me met toujours la larme à l'œil, commenta Cecily.
- Pourquoi ? Tu as déjà assisté à des trucs comme ça ? interrogea Athéna.
- Non... Mais j'aurais bien aimé connaître ce sentiment d'amour familial...
- Laissons-les entre eux, murmura Ahmès.
Les quatre jeunes gens se dirigèrent vers un arrêt de bus.
- J'en veux tellement à mon père, déclara Lili. Mauvais, égoïste... L'argent comptait plus que des vies, pour lui. Mon grand-père, le fondateur de Farmassory, celui qui a découvert ce fabuleux « sérum » qui guérissait de toutes les maladies, a finalement arrêté son entreprise à cause de ces effets secondaires qui se manifestaient chez certaines personnes. Mais mon père, voyant que l'entreprise avait rapporté beaucoup d'argent, a décidé de la rouvrir, sans prendre en compte les vies qui seraient mises en danger, ainsi que la pollution que créeraient la fabrication de ces médicaments. J'ai tellement honte d'être son enfant !
- Mais tu n'es pas comme lui, bien au contraire ! rassura Athéna. Tu as un grand cœur, ne l'oublie jamais.
- C'est marrant, ma gouvernante Clémence me disait exactement la même chose !
***
- Bonne nouvelle, annonça Cecily quelques jours plus tard. Les Alonska vont témoigner. Cela va dénouer les langues et apporter d'autres témoignages.
- Tout est bien qui finit bien, dit Ahmès.
- Non. Pas pour Athéna.
- Pourquoi ?
- Finalement, le célèbre styliste ne l'a pas retenu. La pauvre Athéna est détruite.
- Je vais la voir, dit-il en s'apprêtant à aller dans sa chambre.
- Non ! N'y va pas ! Elle est vraiment de mauvaise humeur.
Athéna arriva à ce moment-là, telle une morte-vivante.
- Athéna... Je suis vraiment désolé, je..., commença Ahmès.
- De tout façon, ça ne marchera pas, je me suis fais trop d'illusions... Même mon site ne fonctionne pas bien... Je pense que je vais tout arrêter et me trouver un autre métier...
- Athéna, c'est ton rêve et tu es prêt du but ! Ne lâche pas maintenant...
- Tais-toi, Ahmès. S'il te plaît.
La jeune femme s'écroula dans un fauteuil, comme si tous les problèmes du monde reposaient sur ses épaules.
- J'ai reçu un appel de ma mère, annonça-t-elle d'une voix inerte. Je pense que je vais passer quelques temps chez elle. Pour prendre le temps et réfléchir...
- On vient avec toi ! répondit Cecily.
- Mais... Cess... Vous avez un boulot, une vie... Je ne veux pas...
- De mon côté, je n'ai rien. Quant à Ahmès et Lili, je suis sûre qu'ils n'y verront aucun inconvénient à tout laisser pendant quelques temps pour soutenir une amie. Tant qu'on ne te dérange pas, bien sûr.
- Je suis tout à fait d'accord, renchérit Ahmès.
- Je vais appeler Lili, dit Cecily.
- Merci Cess. Merci à vous tous. J'ai de la chance de vous avoir.
Cecily allait sortir lorsque Athéna la retint.
- Cess ? Pourquoi... Proposes-tu ça ?
- Pour éviter que tu fasses une très grosse bêtise... Une bêtise qui te fera perdre la vie.
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