Chapitre 25
- Maman, tu peux nous chanter une chanson ? demanda le petit garçon.
- Il faut dormir, chéri...
- Pourquoi il fait tout noir ?
- Il fait nuit, mon ange. Il faut dormir, répéta-t-elle.
- J'ai peur du noir... Chante-moi une chanson !
La mère caressa le front de l'enfant tout en fredonnant une berceuse venue de son village natal. Apaisé, le petit garçon s'endormit. La mère posa son front contre celui de son fils et pleura en silence.
***
Ahmès fut réveillé en sursaut par son armoire qui venait de s'écrouler par terre. Le jeune homme se leva d'un bond et se précipita à l'extérieur pour prévenir les autres.
- Ahmès ! Ahmès ! On est en bas ! cria la voix de Lili.
Il se précipita au rez-de-chaussée.
- Qu'est-ce que vous faites ? Il faut sortir !
- On ne peut pas, la porte est bloquée !
La moitié du sol du premier étage s'était effondré, empêchant ainsi l'accès à la porte d'entrée du rez-de-chaussée.
- Donc si je comprends bien, on va tous mourir ici ! dit Ahmès.
- Non, non ! On va trouver une solution ! répondit Athéna.
- Et laquelle ? On n'a pas trop de temps, là ! s'énerva Cecily.
- Oui, eh bien, au lieu de râler, réfléchis ! lui dit sèchement Lili.
- Oh, les gars ! Gardons notre sang-froid... Nous en avons plus que jamais besoin, fit Athéna.
- Et comment veux-tu que nous gardions notre calme ? Putain, on va mourir ! cria Cecily.
Soudain, le bâtiment fut secoué. Les quatre compagnons furent projetés à terre. De nombreux morceaux de ciment s'écrasèrent sur le sol. Les jeunes gens restèrent un moment couché, les mains sur la tête, le cœur battant. Lorsque tout fut calme, ils se levèrent avec difficulté, certains toussotant.
- On... va... mourir... ici..., bredouilla Cecily.
- Arrête de dire ça ! cria Ahmès.
- Si ! Je le dis haut et fort : on va mourir ici !
- ARRETE DE DIRE CA, hurla-t-il.
- Ça suffit tous les deux ! intervint Athéna.
- Pourquoi cet effondrement si soudain ? demanda Lili.
- Aucune idée... J'essaye d'avoir des informations mais il n'y a plus de réseau.
- Et moi mon téléphone est resté en haut...
Soudain, Athéna fondit en larme. Pour la première fois depuis des lustres.
- Je croyais qu'on devait garder notre sang-froid, dit ironiquement Cecily.
- Cecily ! gronda Lili avant de se précipiter vers Athéna. Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai dit quelque chose dont il ne fallait pas ?
- Non, non... C'est juste que... Tous mes rêves, tout ce que j'ai construit depuis des années... Tout s'écroule sous mes yeux...
- De quoi parles-tu ?
- Mon projet... Il est prêt depuis longtemps... Je ne cesse de chercher des personnes à qui ça intéresseraient... Comme je ne trouvais personne en France, je me suis dis qu'aux États-Unis, ça marcherait mieux. Je me suis trouvé un emploi comme secrétaire dans une entreprise tout en cherchant des investisseurs pour mon projet... J'avais tout bien préparé, les plans, et tout... Tout dans les détails... Et voilà que... Ce fichu tremblement de terre... Tout ça à cause de ce fichu dérèglement climatique causé par les Hommes...
- Athéna... Tu ne nous avais pas dit ça ! Et quel est ton projet ?
La jeune femme prit une grande inspiration, comme si ça lui demandait un énorme sacrifice.
- J'ai avoir ma propre marque de vêtement. Ce ne serait pas une marque comme toutes les autres ; les tissus seraient conçus uniquement à partir de matériaux recyclés. J'avais également dessiné des modèles de vêtements innovants... Mais, pour faire ça, il faut de l'argent, du temps, des investisseurs, des personnes qui croient en ton projet... Et pas un tremblement de terre qui détruirait tous les plans...
- C'est une bonne idée que tu as là ! s'écria Lili.
- Grave, je ne t'imaginais pas fondatrice de camping... Mais enfin, pourquoi pas..., dit Cecily.
- Maintenant, à cause de fichu éboulement, c'est mort... Je n'y arriverai jamais...
Athéna s'assit et mit sa tête dans ses genoux.
- Eh ! lui dit Ahmès en s'abaissant à sa hauteur. Où est Athéna Smith ? Cette femme déterminée, la tête pleine de projets et prête à tout pour faire changer le monde et les mœurs ?
- Elle n'existe pas. Ce n'est qu'une façade. La vraie Athéna Smith, vous l'avez devant vous en ce moment même.
- Bon, répondit-il en se levant. Au lieu de faire ton mélodrame, aide-nous à trouver une solution pour sortir d'ici. Il doit bien y en avoir une. Tiens, par exemple, si on déplace cette pierre tous ensemble et que...
Soudain, une nouvelle secousse se fit ressentir. Une autre plaque de ciment se détacha du plafond pour venir s'entasser sur ladite pierre.
- On n'y arrivera pas, fit Athéna d'une voix blanche.
- Je suis d'accord, intervint Lili. Il faudrait qu'on soit plus d'une vingtaine pour déplacer ce gros bloc de pierre...
- On ne va pas mourir ici. Ça ne peut pas se passer comme ça. On va nous retrouver, les plans d'Athéna seront sauvé et tout est bien qui finit bien !
- Arrête de te faire des illusions ! Regarde où nous sommes. Regarde l'état du bâtiment. Regarde-nous. On en a plus pour longtemps ! fit Cecily.
- Mais non ! Pourquoi es-tu si pessimiste ?
- Et toi, pourquoi as-tu autant d'illusions ?
- Parce que ça ne peut pas se terminer ainsi ! explosa Ahmès. Pas après tout ce que j'ai vécu !
- Comment ça ? demanda doucement Lili.
Ahmès poussa un long soupir. Il marcha de long en large, l'air songeur. Puis, il cessa de s'agiter et déclara :
- Puisque nous en sommes aux confessions, moi aussi, j'ai quelque chose à dire.
Le jeune homme s'assit et plongea sa tête dans ses mains. Il resta ainsi comme cela de longues minutes.
- Je suis né une nuit d'un mois d'août. C'était la pleine lune. C'est de là d'où vient mon prénom, car « Ahmès » signifie « né(e) de la lune ». Je suis l'aîné d'une fratrie de cinq enfants. Ma mère travaillait dans un champ de riz et mon père était ouvrier dans une petite usine. On était très pauvre, mais on était heureux, bien que ce n'était pas tous les jours facile. Mais, les petits instants de bonheur qui s'offrait à nous faisaient disparaître tous nos malheurs instantanément. On vivait dans une petite cabane que mon père avait construit. Si l'intérieur était petit, on avait toute la forêt pour courir, sauter, crier à s'en arracher les cordes vocales, rire à gorge déployée.
***
La mère revenait d'une dure journée de labeur. Elle retrouva sa famille et sa toute petite maison. La mère et le père l'avaient construite à la naissance de leur fils aîné. Le père prévoyait de la rénover car certains murs menaçaient de s'écrouler.
- N'allez pas trop loin, les enfants ! cria la mère avant de rentrer à l'intérieur de la maisonnette.
Les sept enfants s'amusaient à grimper aux grands arbres. Les forêts commençaient à se faire rare dans la région ; celle où la famille habitait était la seule qui subsistait. Les enfants en profitaient donc.
Les plus vieux surveillaient les plus jeunes, tout en s'amusant aussi.
Commençant à avoir chaud et à être épuisé, Ahmès, l'aîné, se coucha près d'un arbre. Mao, le cadet, vint le rejoindre.
Ils restèrent silencieux un instant, puis le nouveau venu demanda :
- Dis, tu veux faire quoi plus tard ?
- Comment ça ?
- Eh bien, est-ce que tu veux partir ? Faire le tour du monde ? Aller au sommet de l'Everest ? Au fin fond de la jungle ?
- Non... Rien de tout ça...
- Que veux-tu faire, alors ?
- Je ne sais pas. Rester ici.
- Oh, moi non ! Je veux parcourir toutes les mers du monde en planche à voile, je veux traverser toutes les montagnes, visiter tous les pays du monde et surtout... Je veux être le Président de l'Univers. Comme ça, je donnerai tout mon argent aux démunis, aux malades et à toutes les personnes qui ont une vie difficile. J'aurais une maison sur la lune et mes ministres seront les étoiles !
- Pfff... Tu racontes n'importe quoi ! intervint Amina qui avait rejoint les deux garçons. Président de l'Univers, ça n'existe pas ! Encore moins être habitant de la lune. Moi, au moins, je veux faire quelque chose de plus réaliste : être danseuse étoile.
- Si danseuse étoile existe, pourquoi président de l'Univers n'existerai pas ?
- Ben parce que c'est comme ça !
- Je te dis qu'un jour, je serais président de l'Univers. Et ma maison sera sur la lune.
Sa sœur leva les yeux au ciel.
- Pendant que tu danseras, continua le petit garçon. Tu regarderas la lune et, tu verras, je te ferais de grands signes.
- C'est ça..., s'esclaffa la fillette.
Ahmès souris devant l'innocence des deux autres. Il aimerait tant avoir leur âge !
L'aîné regarda le ciel, qui, au loin s'assombrissait.
Oh que oui, il aimerait avoir leur âge.
- Rentrons, il commence à faire tard, fit Ahmès en se levant. Et le temps se gâte.
Après avoir rassemblé les dix-huit enfants, la troupe rejoignit leurs habitations. Les enfants étaient soit frères et sœurs, soit cousins et cousines. Cinq petits cabanons pouvaient loger cette famille nombreuse. Chacun se dit aurevoir et entra dans son logement respectif.
Ahmès, Mao, Amina, Tidiar et Assane rejoignirent leurs parents dans la première cabane. En plus des cinq enfants et de leur parent, il y avait un de leur oncle qui logeait avec eux. On le surnommait « Oncle Rêveur » en raison de son espérance constante d'avoir une belle vie dans laquelle il pourrait voyager et où il pourrait aller visiter les États-Unis.
- C'est l'endroit où tu peux réaliser tous tes rêves, disait-il.
Lui, il voulait ouvrir sa propre pâtisserie qu'il baptiserait : « L'Oncle Rêveur ».
Il aimait également raconter aux enfants ses nombreuses péripéties lorsqu'il avait traversé l'Afrique, plus jeune. L'Oncle Rêveur adorait raconter l'épisode où il s'était battu avec toutes sortes d'animaux féroces et sauvages.
- Arrête de dire des bêtises et cesse de bourrer le crâne des enfants avec tes idées stupides ! Viens plutôt m'aider à laver le linge ! répondait la mère.
- Et toi, Riry, tu pourrais te produire dans des petits bars et, qui sait, te faire repérer par des maisons de disques ! Ca se passe souvent comme ça, en Amérique !
La mère sortait en levant les yeux au ciel.
C'est vrai que Mme Mondy avait une voix d'ange. Parfois, lors des soirées très chaudes, toute la famille au complet (en comptant les cousins, cousines, tantes et oncles) se réunissaient dehors et, quand c'était jour de fête, ils mangeaient les poissons pêché l'après-midi par les hommes de la famille. Après le festin, on demandait à Mme Mondy de chanter. Lorsque le travail aux champs ne l'avait pas trop fatigué, elle s'exécutait. On pouvait alors voir des étoiles dans les yeux de la mère lorsqu'elle commençait à fredonner les premières notes. Tout le monde l'écoutait avec attention. Elle enchaînait alors plus d'une dizaine de chansons, accompagnée parfois de certains membres de la famille qui s'improvisaient musicien en battant le rythme avec des bouts de bois. D'autres se mettaient à danser autour du feu.
Puis, lorsque tout le monde était fatigué, on s'asseyait, on discutait encore un petit peu, puis on se souhaitait bonne nuit avant de se retirer dans sa petite cabane.
Ces soirées-là faisaient partie des morceaux de bonheur que recevaient les enfants. Ils saisissaient ces jolis moments avec délicatesse, en profitaient pleinement et, une fois qu'ils appartenaient aux passé, les enfants chérissaient chaque jour le souvenir de ces moments. Ils se les remémoraient lorsque le malheur toquait à leur porte.
Un jour, alors que la sœur et les frères d'Ahmès étaient partis à l'école, ce dernier restait près des logements pour les surveiller accomplir toutes sortes de travaux domestiques. Ahmès avait cessé d'aller à l'école depuis bien longtemps. Il regrettait, parfois. Il savait à peine lire...
Alors qu'Ahmès essayait de réparer un mur d'une des cinq cabanes, il surprit une conversation entre sa mère et une de ses tantes.
- Tu savais que d'étranges hommes rodent autour du village ? demanda la tante.
- D'étranges hommes ?
- Oui. Des Blancs.
- « Des Blancs » ? Aïssa, nous ne sommes plus au Moyen-Âge. Ce sont des êtres humains, tout comme nous.
- Tu sais bien que je n'aime pas les étrangers. En particulier les Blancs. Surtout ces hommes-là. Des rumeurs disent qu'ils ont enlevé une petite fille du village pour la violer.
- Ce sont des rumeurs... Tu sais que les habitants du village sont très superstitieux et méfiants envers les étrangers. Ce sont juste des touristes !
- Eh bien, je n'aime pas les touristes.
- On ne te changera pas, soupira la mère. Qu'est-ce que cela aurait été, si j'avais été la star des États-Unis et que j'aurais épousé un beau Californien...
- Tu n'aurais plus été ma sœur ! plaisant Aïssa. N'empêche, même si je n'aime guère les autres pays, ça serait bien que tu ailles tenter ta chance en Amérique.
- Allons bon, voilà que tu prends parti de l'Oncle Rêveur...
- Tu as une belle voix, Riry... Sincèrement.
- Merci. Mais j'ai fait ma vie. J'ai déjà un travail. Et puis, j'ai un mari. Et surtout des enfants.
- Mais ils sont grands. Tu peux les laisser deux ou trois jours tout seul. Ils ont de la famille autour d'eux, qui pourra garder les plus jeunes. Ce n'est pas trop tard, Riry.
- Je n'ai pas l'argent... Et je pense que ce sera plus que deux-trois jours.
- L'argent, on en trouve toujours, lorsqu'on a un rêve. Allez, Riry. Ce n'est pas trop tard...
- En tout cas, pour les « Blancs », comme tu dis, ce sont des touristes. Il n'y a rien à craindre ! dit la mère en guise de réponse.
***
Il faisait très chaud.
Beaucoup plus chaud que les températures de saison.
Heureusement, les grands arbres de la forêt faisaient de l'ombre et permettaient de conserver l'humidité.
Les enfants courraient pieds nus, sans se soucier des égratignures qu'ils risquaient de se faire.
Mao, qui était en tête, s'arrêta d'un coup.
- Eh bien ? Tu continues ? demanda Ahmès en continuant de courir.
L'enfant arrêta son frère.
- Regardez, murmura-t-il en désignant du doigt un campement.
Il y avait une dizaine de tentes, ainsi que des caravanes et des camions.
Des hommes discutaient en petit groupe.
Ils ne ressemblaient pas à ceux que les enfants voyaient les rares fois où ils allaient à l'école.
Non, ces hommes-là étaient de type Caucasien.
- Pourquoi ils sont tout blanc ? demanda Mao.
- D'abord, ils ne sont pas blancs mais beige, corrigea sa sœur. Ensuite, il n'y a pas que des personnes de notre couleur de peau dans le monde. Certaines ont la peau un peu plus claire, d'autres beaucoup plus... Bref, c'est juste une histoire de physique, ce n'est pas très important...
- On peut aller leur dire bonjour ?
A peine l'enfant eut-il prononcé sa phrase que d'autres hommes arrivèrent et firent entrer des personnes dans une des caravanes.
- Qu'est-ce qu'ils font ? demanda le cadet.
Soudain, un homme se retourna vivement et se dirigea vers l'arbre où les enfants étaient cachés. L'homme abordait un air menaçant, un fusil à la main.
- On court ! lança l'aîné des enfants.
Ils s'élancèrent à vive allure à travers la forêt.
Les enfants courraient aussi vite qu'ils le pouvaient.
Épuisé, Mao s'arrêta quelques secondes. Cela suffit à l'homme pour attraper le petit.
Alerté par le cri de surprise qu'avait poussé son jeune frère, Ahmès se précipita vers lui pour le libérer.
- Bouge pas ou j'le tue ! dit l'homme blanc le fusil braqué sur le cadet.
- NON ! hurla l'aîné.
- Vous allez me suivre, continua l'homme.
- Non.
- Tant pis.
L'homme allait tirer mais, soudain, il se retrouva par terre.
La sœur des deux enfants se trouvait derrière l'homme, le regard triomphant.
Elle lui arracha son fusil et frappa l'homme qui tomba dans un sommeil profond.
- Il est mort ? demanda l'aîné.
- Non. Je l'ai juste remis à sa place.
- Où as-tu appris ces techniques de défense ?
Amina prit un air malicieux.
- Tout ce que je peux te dire, c'est qu'avec un peu de courage et beaucoup de volonté, tu peux toujours t'en sortir.
- Je veux voir Maman..., dit le petit garçon toujours sous le choc.
- Oui, on y va.
Lorsque les trois enfants se rendirent près des cabanons, ils furent terrifiés par ce qu'ils virent.
Des camions étaient stationnés devant les logements. Des flammes sortaient de ces derniers.
Avant qu'Ahmès puisse faire quoique ce soit, une main se plaqua devant ses yeux et il fut transporté de force dans uns des camions. Lorsqu'il pu enfin voir, Ahmès était dans un endroit plongé dans l'obscurité.
Des sanglots étouffés lui parvinrent à l'oreille.
- Il y a quelqu'un ? demanda-t-il.
- Ahmès...
Il reconnut la voix de Tante Aïssa.
- Ahmès ! Ahmès ! Où es-tu ? Parle-moi, ta voix me guidera jusqu'à toi, fit la voix de sa mère.
- Je suis là Maman, je suis là...
Ahmès sentit soudainement des bras l'envelopper.
Il fut alors soudainement apaiser et se lova dans les bras de sa mère qui serrait son fils de toutes ses forces.
- Maman, qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi nos logements sont-ils détruits ? Qui sont ces hommes ? Que nous veulent-ils ? demanda-t-il.
- Je ne sais pas, mon chéri, je ne sais pas, murmura-t-elle d'une voix brisée. Des hommes ont débarqué près de nos logements et ont commencé à nous menacer. Ils nous ont forcé à sortir et nous ont jeté dans ces camions comme des objets ! Tes frères et ton père sont dans un autre camion. Où sont Amina et Mao ?
- Je ne sais pas. On m'a pris par surprise et on m'a conduit ici. Je les ai perdu de vu.
- Ils doivent être dans un autre camion, dit la voix d'un des oncles.
- Mais enfin, que nous veut-on ? demanda une tante en sanglotant.
- Nous n'aurons la réponse qu'en arrivant, répondit Aïssa.
Lorsque le camion s'arrêta et que les portes s'ouvrirent, un homme Blanc menaça de faire aucun geste ou il n'hésiterait pas à tirer. Lorsqu'Ahmès descendit du camion entouré de deux hommes, il découvrit que plusieurs grandes tentes étaient disposées sur plus de deux kilomètres.
Les hommes et les femmes furent séparés. La mère hurla et pleura, ne voulant pas être séparé d'Ahmès.
Pour la faire taire, un homme Blanc l'assomma. Ahmès n'eut pas le temps d'exprimer sa rage, il fut transporté dans une tente où il fut déshabillé. Il ne ressentait plus que de l'humiliation, de la rage et de la tristesse.
Après l'avoir examiné, un homme déclara :
- C'est bon, il est apte au travail.
On emmena ensuite Ahmès dans une cave sous-terraine. Il y avait plusieurs cellules remplit d'hommes tous nus et vivant dans des conditions déplorables.
Ahmès fut placé dans une cellule où il était tout seul. Il se sentait comme un animal, comme un esclave, comme un criminel.
A partir de là, les journées furent très longues. Il accomplissait toute sorte de tâches longues et pénibles ; on lui ordonnait de creuser des trous sans trop qu'il sache pourquoi, de chercher des objets dans une marre d'excréments...
On le fouettait régulièrement, plusieurs centaines de fois par jour. Ahmès mangeait et se lavait très rarement. Il se demandait très souvent comment il avait fait pour en arriver là.
Cela faisait environ un mois qu'il avait atterri dans cet enfer. Un jour, alors qu'il devait (tout comme les autres prisonniers) creuser un trou en plein désert, il croisa l'Oncle Rêveur. Ahmès crut d'abord à une hallucination. Mais non. Il revoyait un membre de sa famille pour la première fois depuis son arrivée. Ahmès voulut se jeter à son coup mais son oncle l'arrêta dans son élan.
- Ecoute, nous n'avons pas le droit de nous parler, mais je dois te dire quelque chose d'important ; Tante Aïssa a trouvé une solution pour s'échapper. Essaie de t'arranger pour être à l'entrée du camp demain matin à dix heures.
A peine eut-il fini sa phrase qu'un homme Blanc le rappela à l'ordre.
Ahmès se promit de tout faire pour être à l'endroit prévu le lendemain. Il n'avait qu'une idée en tête : quitter cet enfer.
***
- Ma tante avait réussi par récupérer le badge d'un gardien afin d'ouvrir le portail. Je n'ai appris que bien plus tard qu'elle avait dû coucher avec lui pour l'obtenir. Après des semaines et des semaines de marches, nous sommes arrivés près d'un port. Nous nous sommes infiltrés dans un bateau commercial. Nous n'avions pas voyagé confortablement, mais, on s'en fichait. On était libéré de l'enfer. Et puis, on avait un plan. On voulait aller aux États-Unis. Arrivés là-bas, mon oncle avait prévu de faire travail au black ou de mendier dans la rue. Avec l'argent accumulé avec le temps, il avait prévu d'acheter un petit local où il pourrait l'aménager en un petit café. Mon oncle aurait alors réalisé son rêve. Cependant, la situation s'est dégradée. Ma tante, elle, avait d'autres projets. Après tous ces mois passés dans cette espèce de camps, sa haine contre les Blancs n'avait cessé de croître. Elle s'était complètement radicalisée. C'est vrai qu'elle a vu des choses terribles, là-bas. Comme nous tous, mais Aïssa était très sensible à la violence. Et ce n'était pas ce qu'il manquait au camp. Cela l'a tellement choqué qu'elle en est devenue folle. Ma tante nous a raconté toutes sortes d'atrocités... Les viols fréquents des Blancs sur des fillettes, le harcèlement psychologique que ma tante subissait... Mais surtout, la découverte des corps de ma mère, de mes autres tantes, de mes cousines et de ma sœur, déchiquetés et baignant dans une mare de sang.
Ahmès s'arrêta un instant, fixant un point, le visage livide, comme si ces fameux corps en question étaient subitement réapparut. Il étouffa un sanglote et reprit :
- Mon oncle et moi avions finir par découvrir qu'une fois que nous arriverons en Amérique, ma tante avait prévu de faire exploser les endroits les plus peuplés. On a essayé de la raisonner, mais, c'était trop tard. Elle était complètement ravagée. Mais, ma tante n'aura jamais eu le temps de mener son projet à therme, les mauvaises conditions d'hygiènes dans le camp et sur le bateau ont fini par l'affaiblir, par la rendre malade et par la tuer. C'est donc accompagné de mon oncle que j'ai rejoint l'État de l'Illinois. Nous avons vécu une longue période où nous évitions à tout prix la police et où nous vivions seuls, dans la rue et le froid. Dans cette grande ville, dans ce grand État, dans ce grand pays, nous nous sentions si petit, si seuls, si transparents. Personne ne faisait trop attention à nous. On vivait difficilement mais, la motivation d'Oncle Rêveur à vouloir à tout prix réaliser son rêve de restaurateur me rendait étrangement heureux et même, confiant en l'avenir. J'avais tort. Alors que l'on pensait à avoir la paix, mon oncle me réveilla un matin, m'avertissant qu'uns des gardiens du camp nous avait suivi et avait réussi à nous retrouver. Les deux semaines qui suivirent furent rythmés par l'angoisse de se faire attraper par ces sauvages. Mais, ce qui devait arriver arriva. Un soir, alors qu'on mendiait dans une bouche de métro, parmi la foule, mon oncle et moi avions aperçu un visage qui nous était familier ; c'était celui d'uns des gardiens de la prison. Il se dirigeait dangereusement vers nous. Mon oncle et moi avons déguerpit. Nous avons couru jusqu'à tomber dans une avenue plutôt chic. Mon oncle m'a ordonné de courir autant que je pouvais, le plus loin possible. Lui, il se cacherait dans une bouche d'égout. Je me suis exécuté. Pendant ma course, j'ai jeté un seul coup d'œil en arrière. J'ai juste eu le temps de le voir entrer dans l'égout. Je me suis réfugié dans un hall de gare. Il y avait beaucoup de monde. Je ne risquais rien. Et puis, j'avais réussi à semer l'homme. J'ai attendu là-bas toute la journée et j'ai passé ma nuit à errer, à me demander ce qu'était devenu mon oncle. Et puis, quelques jours plus tard, j'ai retrouvé son corps en état de décomposition sur l'autoroute de Stevenson Expy.
Stevenson Expy... Lili empruntait cette autoroute pour se rendre dans son ancienne université...
Elle se revit alors dans la voiture, au moment où elle avait failli percuter l'homme.
- Avait-il une cicatrice le long de sa joue droite ? demanda Lili.
- Oui. Il disait toujours que c'était à cause du combat avec le lion, lors de son voyage à travers l'Afrique. Mais, lors de notre longue et pénible traversée clandestine pour rejoindre l'Amérique, il m'a avoué que c'était une blessure qu'il s'était faite bêtement en tombant d'un arbre. Pourquoi tu me demandes ça ?
Lili resta muette.
- Pourquoi tu me demandes ça ? Qu'est-ce qu'il y a ? Parle !
Ahmès avait haussé le ton.
- Mon Dieu... L'homme que j'ai croisé sur la route pour aller à ma remise de diplôme... C'était ton oncle !
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