4. Louis
Comme après chaque séance à l'association, je pars courir une heure entière non-stop au parc près de chez moi.
C'est devenu une habitude au fil du temps. Une sorte de rituel que j'ai gardé pour m'aider à me vider la tête et laisser derrière moi tout le flot d'émotion qui m'a envahi en écoutant tous ces témoignages plus bouleversants les uns que les autres. Je me laisse grisé par la vitesse, oublieux de tout avec mon casque vissé sur mes oreilles et la musique jouant à fond. Je laisse mes muscles souffrir, mon souffle se faire erratique et la sueur perler à mon front, une façon de purifier mon âme.
Même si j'ai fini par m'habituer, les séances de groupe restent assez difficiles à supporter. J'aime ce que je fais, c'est une certitude. Me rendre à l'asso est important pour moi, mais je ne peux empêcher certains souvenirs de remonter. Le passé se mêle parfois au présent et ce n'est pas toujours simple à gérer. Même si mon métier est d'écouter les malheurs des gens, des plus petits ennuis aux plus grands drames, ça reste la plupart du temps des expériences qui me sont totalement étrangères. J'arrive donc parfaitement à rester neutre et distant, peu impliqué comme le serait n'importe quel bon psy.
Quand je vais à AngelHope c'est différent, car chaque histoire, pourtant unique, ressemble beaucoup aux autres et me ramène invariablement en arrière. Alors, même si je ne laisserais ma place pour rien au monde, il me faut une échappatoire pour vider ce trop-plein qui m'étouffe parfois. Cela m'aide à garder la tête froide.
Parce qu'aujourd'hui tout va bien. Tout est réglé et rien ne pourra changer cela.
Maintenant, tout va bien...
Une fois rentré, je me jette sous la douche avec un plaisir non feint. Mon corps se détend automatiquement lorsque le jet d'eau chaude m'envelopper. J'en profite quelques secondes, les yeux fermés, le visage tourné vers le haut. Je me lave ensuite rapidement avant de sortir de la cabine pour me sécher et m'habiller. Je me sens bien, prêt à travailler sur ma thèse. Ça fait un an que je l'ai débutée.
J'ai un directeur de thèse qui suit mon travail et m'oriente sur certaines pistes ou me dissuade d'en suivre d'autres. J'avais un peu de mal au début, car je suis quelqu'un d'assez indépendant et de plutôt têtu, mais j'ai fini par comprendre qu'il était là pour mon bien et pour m'aider. Sans jugement ni a priori. Opter pour l'haptophobie comme sujet, ce n'est pas courant. Pourtant il ne m'a rien dit, se contentant de m'apporter son soutien, ce qui m'a encouragé à persévérer.
En plus de ma thèse, parce qu'il faut bien que je vive et que j'aide ma famille à payer le loyer de mon petit appartement, je travaille à mi-temps dans un centre de réinsertion comme psychologue. C'est plutôt bien payé et ça me permet de garder du temps pour l'asso. Cela me permet également de rédiger et de faire des recherches, ce qui, mine de rien, prend beaucoup de temps. Je ne roule pas sur l'or, mais je ne m'en plains pas. Je n'ai pas besoin de plus pour le moment. Quand je serai diplômé, je pourrais soit devenir professeur d'université soit ouvrir mon propre cabinet. Je penche plus pour la deuxième option, mais j'ai encore le temps avant d'y arriver. J'ai tout de même hâte, car mon emploi du temps et bien remplit et j'ai du mal à en dégager pour moi, pour vivre un peu.
Je me dirige vers ma petite kitchenette pour me préparer un thé et m'attable avec mon carnet, à côté de mon pc portable. Je relis mes notes le temps que la bouilloire se mette à siffler. Je me relève pour me servir de l'eau dans un mug à l'effigie d'un vieux groupe de rock, puis plonge mon sachet de thé à l'intérieur. Je me réinstalle et le laisse infuser tout en parcourant ce que j'ai écrit pendant la séance de ce matin. Je travaille un long moment, triant les informations, les classant pour mieux avancer sur mon sujet. Chaque personne qui vient à l'asso est une mine d'informations importantes pour moi, mais j'avoue qu'il me manque LA personne qui pourrait être l'âme de ma thèse. Mon directeur de thèse me le dit souvent. Ça donnerait une autre dimension à mes écrits. Une dimension humaine qui pour l'instant lui manque.
J'en ai bien conscience, mais je ne l'ai pas encore trouvée cette personne. Ce n'est pas si évident, surtout quand on parle d'une maladie qui empêche tout contact humain normal. Cependant, je ne me décourage pas. Je sais me montrer patient lorsqu'il le faut.
Je bois une gorgée à ma tasse en réfléchissant sur quel angle je vais partir. J'allume finalement mon pc portable et commence à travailler. J'avance bien, comme toujours après les réunions. Les échanges que je peux avoir en fin de séance avec l'animateur et les patients qui se sentent de venir me parler m'aident énormément. Même si émotionnellement ça reste compliqué, je ne perds pas de vue mon objectif. Faire connaître cette pathologie et trouver, pourquoi pas, des solutions pour aider et soigner.
Tout en parcourant mes diverses notes, je me remémore tous ces visages et leurs voix expliquant avec plus ou moins de facilité ce qui est désormais leur quotidien. Il y a ceux qui arrivent à s'en sortir peu à peu, qui se reconstruisent doucement, pierre après pierre et qui reprennent espoir. Il y a aussi ceux qui échouent encore et qui n'osent toujours pas ou qui n'ont pas encore pu se libérer du poids qui les oppresse un peu plus chaque jour. Ceux-là ne sont pas loin du désespoir, mais Liam réussit toujours à leur remonter le moral en trouvant les mots justes pour qu'ils y croient encore.
C'est fou comme leurs histoires sont à la fois uniques et personnelles, mais aussi tellement semblables.
Soufflant, je passe une main lasse dans mes cheveux avant d'aviser un prénom que j'ai griffonné sur un coin de ma page et que j'ai souligné deux fois.
Harry
Harry, c'est ce garçon aux lourdes boucles brunes qui a fait son premier jour à AngelHope aujourd'hui même. Ce garçon qui m'a troublé, car il m'a fait irrémédiablement replonger dans mon passé sans le vouloir, tant son attitude et sa posture m'ont fait penser à elle. Il n'a rien dit de toute la séance à part ce simple mot.
Son prénom.
Ça ne peut paraître rien pour la plupart des gens, un simple détail insignifiant, mais moi je sais à quel point ça peut compter. Quel effort il lui a fallu pour réussir à le prononcer à haute et intelligible voix, même si celle-ci a légèrement tremblé au moment où il lui a échappé. C'était déjà une mini victoire. Comme le simple fait d'avoir osé venir jusqu'à l'asso et de s'être assis au milieu de ces inconnus.
Il n'en a peut-être pas conscience, mais ce garçon a déjà engrangé deux victoires aujourd'hui.
Même si la guerre est loin d'être terminée, chaque pas l'approche un peu plus de la fin.
Je suis sorti de mes pensées par la sonnette de ma porte d'entrée. Passant une main sur mon visage fatigué, je me lève pour aller ouvrir. Je me retrouve devant un pack de bière que tend devant moi Calvin, un de mes meilleurs amis. Il est évidemment accompagné par Oli et Ed, mes deux autres meilleurs amis. Nous nous connaissons depuis l'enfance tous les quatre et nous n'avons jamais cessé de nous côtoyer depuis. Ils connaissent tout de moi, absolument tout et je sais que ce n'est pas un hasard s'ils sont là aujourd'hui.
J'attrape les bières en riant et me décale pour les laisser passer. Nous nous serrons la main en passant et ils s'installent naturellement sur mon canapé, comme ils l'auraient fait chez eux, mais ça ne me dérange pas. Au contraire, ils vont me permettre de faire une pause et j'en ai grandement besoin. Je les rejoins et distribue les bières avant de commander des pizzas pour le déjeuner.
Une fois installé sur le sol, je prends une gorgée à ma bouteille.
— Alors Lou, ça s'est bien passé ce matin ? s'enquiert Cal en posant ses pieds sur ma table basse.
— Ça va... c'était enrichissant, comme toujours.
— Et émotionnellement difficile, comme toujours, complète Ed sans me regarder.
Je me contente de hausser les épaules sans répondre. Je sais qu'ils ne sont pas d'accord avec mes choix, qu'ils ne comprennent pas pourquoi j'ai choisi de me jeter corps et âme dans un milieu qui pourrait me faire couler de nouveau. Ils étaient là lorsqu'il a fallu me faire remonter la pente et ce n'était pas beau à voir. Je comprends donc leurs craintes, même s'ils ne les formulent pas toujours à voix haute.
Ce qu'ils ne comprennent pas, eux, c'est que j'en ai besoin. C'est irrationnel, mais j'ai besoin de me confronter à tout ça et tenter de faire quelque chose, d'aider, de porter ma modeste pierre à l'édifice de la guérison de toutes ces personnes qui ne sont rien d'autre que des victimes. Des victimes de la vie qui peut parfois se montrer impitoyable.
Des anges déchus.
— Bon, on se fait une partie de FIFA ? propose Oli pour briser le silence qui s'est installé entre nous.
Sans répondre, je me lève pour enclencher la console et récupérer les manettes. Nous jouons comme de vrais gamins, riant aux éclats et nous charriant. Les pizzas arrivent finalement et nous mangeons tout en parlant de tout et de rien. Ça me fait du bien de me vider un peu la tête, de penser à autre chose. Ça n'arrive pas assez souvent à mon goût ces derniers temps.
— Ça te dit de sortir un peu samedi ? me propose Cal en buvant une gorgée de sa bière.
— Oui, pourquoi pas... j'ai bien envie de danser, j'accepte avec un sourire franc.
— Et de te trouver un bon plan pour la nuit... souligne malicieusement Ed en jouant avec ses sourcils.
— Pourquoi pas ? je réponds en haussant les épaules.
Après tout, ça fait longtemps que je ne me suis pas amusé. Ça ne pourra pas me faire de mal que de me trouver un mec pour me faire passer un peu de bon temps, sans prise de tête.
— Bien. Alors samedi, on bouge en boîte les gars ! s'exclame Cal, tout content, en récupérant une des manettes. Mais en attendant, je dois vous mettre une fessée à FIFA !
C'est sous nos vives protestations qu'il rallume le jeu, mort de rire.
Petit con !
*
Quelques heures plus tard, lorsque mes amis prennent congé, j'ai le cœur plus léger. Je me sens bien et je n'ai plus du tout envie de me replonger dans mon pc. J'allume donc la télévision et mets une série à la noix qui sera parfaite pour me distraire. Je m'installe tranquillement lorsque mon portable vibre dans ma poche. Je le sors et regarde qui peut bien m'appeler à cette heure. Il s'agit de ma sœur.
— Allô Lot' ? Ça va ? je réponds en décrochant.
— Ouais, ça va... et toi ? Bien passé ce matin ?
— Oui, oui... difficile, comme toujours, mais ça va.
Je l'entends soupirer à l'autre bout du fil. Elle aussi ne comprend pas mes choix. Je le sais, mais à la différence des gars, elle ne me dit rien, gardant son avis pour elle. Elle estime que ça ne la regarde pas.
— Maman voudrait t'inviter à manger samedi soir... reprend-elle.
— Samedi, je ne peux pas... vendredi soir ou dimanche ? je propose avant d'étouffer un bâillement.
— Attends...
J'entends du bruit dans le combiné et des voix qui s'élèvent sans arriver à comprendre ce qu'il se dit, puis Lottie reprend l'appel.
— OK pour dimanche alors.
— Super.
— Je passerai peut-être avant... si ça ne te dérange pas.
— Jamais ma puce.
— Merci. Bon, je dois te laisser, Tommy doit passer me prendre, on va au ciné.
— Tu lui passeras le bonjour ?
— Évidemment. Allez, salut frangin !
— Hé ! Attends ! je la retiens alors qu'elle va pour raccrocher. Je... hum... ce matin, il y avait ce type à la séance. C'était son premier jour... et...
Je me stoppe subitement, ne sachant pas comment lui dire ça.
— Et ? me relance-t-elle doucement, sentant mon hésitation.
— Il te ressemble... je lâche finalement, le cœur battant.
Un silence lourd accueille mes derniers mots, si lourd que je pense une seconde qu'elle a raccroché, mais son souffle qui me parvient me convainc du contraire.
— Désolé... je chuchote, mal à l'aise.
— Ne le sois pas... je... fais juste attention à toi, Lou... répond-elle dans un murmure avant de raccrocher pour de bon.
Soupirant, je pose mon téléphone sur ma poitrine et ferme les yeux un instant. Il ne me faut pas longtemps avant de le reprendre et de composer un autre numéro. Je ne sais pas si je fais bien, mais je suis mon instinct qui guide mes gestes et pour une fois, je m'en remets totalement à lui. Au bout de trois sonneries, une voix au fort accent irlandais me répond avec enthousiasme.
Je souffle doucement avant de me lancer.
— Allô, Niall ? Salut ! Je ne te dérange pas ?
— Non, c'est bon. Qu'est ce qu'il se passe ?
— Tu peux me dire si Harry a décidé de revenir ?
— Oui... attends deux secondes que je sorte le planning... heu... Harry, Harry... ah ! Le voilà ! Il doit revenir mardi prochain... pourquoi ? s'enquiert-il, curieux.
— Pour rien. Merci. À mardi, je lâche avant de raccrocher.
Je ne sais pas si j'ai raison de faire ça ni ce qui me pousse à aller vers ce garçon, mais je me sens soulagé de savoir que je vais le revoir bientôt. J'ai envie de savoir comment il va évoluer, connaître son histoire et peut-être, qui sait, pourquoi pas l'aider ? Après tout, c'est ce que je cherche, non ? Une bonne raison de me battre et de me rendre utile... il sera peut-être cette raison-là... ma rédemption en quelque sorte.
Une bonne raison de me guérir totalement de mon passé qui me pèse encore parfois.
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Hello tout le monde 👋
J'espère que vous allez bien 😘😘
Voici donc un nouveau chapitre, dans la tête de Louis. 😊 Nous découvrons ses amis de toujours, qui le soutiennent malgré le fait qu'ils s'inquiètent pour lui. 😔😔
Nous en apprenons un peu plus sur ces fameux démons qui le poursuivent encore parfois, mais pas encore tout, loin de là... 😊😊
J'attends vos retours, comme toujours 😘😘❤️
Je vous embrasse fort 😘😘
💙💚
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