Je me prépare tranquillement dans la salle de bain en essayant de ne pas trop penser à ce qu'il m'attend.

Même si je me suis porté volontaire pour aider cette association, même si je sais exactement quelles personnes je vais rencontrer et quels lourds bagages elles portent, ça ne m'empêche pas de m'angoisser un peu. Chaque nouveau témoignage est un nouveau déchirement pour mon cœur. Chaque nouveau regard vide, une petite entaille supplémentaire. Chaque larme versée, une douleur qui se partage et qui me ramène irrémédiablement quelques années en arrière, là où je n'ai pas envie de retourner.

Aujourd'hui, de nouvelles personnes se sont inscrites.

Qui dit de nouvelles personnes, dit de nouvelles histoires...

C'est Niall qui m'a prévenu pour que je puisse assister à leurs premières séances qui sont définitivement les plus intenses et les plus difficiles à supporter. Autant pour le patient que pour ceux qui les suivent. On a beau dire qu'à force nous devenons moins empathiques, je ne pense pas que ce soit tout à fait vrai quand nous restons humains. Je ne dis pas que nous ne finissons pas par nous blinder, mais une part de nous reste touchée.

Niall a bien compris que c'était important pour moi d'être là, d'écouter, de découvrir et d'analyser. Je ne juge jamais, je n'interviens pas, je me contente de prendre des notes et juste d'être là, tout simplement. Certains patients viennent me parler, d'autres m'ignorent, d'autres encore m'observent comme je le fais avec eux, mais jamais sans se gêner les uns les autres, toujours dans un certain respect et une certaine retenue.

Je suis reconnaissant envers Niall de me donner l'opportunité d'avancer ainsi sur ma thèse. Il sait que c'est important pour moi, mais il sait aussi que je ne le fais pas uniquement pour ça...

Je souffle en jetant un dernier coup d'œil dans le miroir, puis je sors de la pièce pour récupérer mes affaires. Lorsque j'arrive dans la cuisine, je trouve ma petite sœur, Lottie, qui nous a préparé le petit-déjeuner. Elle ne vit pas avec moi, mais ça lui arrive souvent de venir dormir ici. C'est comme notre petit rituel à tous les deux, une manière de nous retrouver un peu. Je suis issu d'une famille nombreuse et avoir des moments privilégiés avec un membre de ma fratrie n'est pas toujours facile. C'est de Lottie dont je suis le plus proche, même si ça n'a pas toujours été évident. Alors les moments que nous passons ensemble sont précieux.

Je m'approche doucement et après une petite hésitation, je la prends dans mes bras. Lorsque je la sens se blottir contre moi et me serrer à son tour, je sens mon cœur se gonfler.

C'est dans des moments comme celui-ci que je me rends compte à quel point les choses ont changé.

À quel point les choses ont évolué.

Ça me rassure tellement.

Je me détache d'elle pour attraper ma tasse de thé aux fruits rouges et m'assieds à ses côtés. Elle prend une gorgée de son café avant de prendre la parole.

— Tu vas à l'asso ? s'enquiert-elle en plongeant son regard bleu dans le mien, en tout point identique.

— Oui, je dois y être pour dix heures. Tu veux venir ? je lui propose, sachant pertinemment qu'elle va refuser.

— Non, j'ai des révisions à faire pour mon partiel et je dois retrouver Cassie cette aprèm pour faire les boutiques.

Je hoche la tête en lui souriant avant de commencer à manger, écoutant ma sœur me raconter ses projets avec son amie et sa bonne humeur me redonne le sourire et fait évaporer mes inquiétudes, comme le vent balaierait les feuilles mortes.

*

En arrivant au centre qu'occupe l'association AngelHope, je me dirige directement vers le bureau de Niall qui croule, comme toujours, au milieu des paperasses en tout genre. Lorsqu'il me voit, il me tend un sourire sincère et se lève pour me serrer la main. Je m'assieds en face de lui et refuse le café qu'il me propose. Cela fait presque un an que je viens régulièrement ici, mais il n'a toujours pas intégré que je n'aimais pas la caféine. Je ne lui en veux pas. Je sais bien qu'il a d'autres choses à penser. Cependant, en bon anglais que je suis, j'aime le thé et uniquement le thé.

— Toujours aussi occupé à ce que je vois... je constate en désignant du menton la tonne de documents qui encombre son bureau.

— Ne m'en parle pas. Il faut justifier chaque action mise en place et chaque suivi. C'est un puits sans fonds, se plaint-il en soufflant.

— Pourquoi ne prends-tu pas quelqu'un pour t'aider ?

— Honnêtement ? Je n'en sais rien. Je vais finir par y réfléchir sérieusement. Peut-être pas un temps plein, mais j'avoue qu'un peu d'aide ne serait pas de refus.

Il passe une main dans ses cheveux qui sont nouvellement devenus plus bruns et soupire. Il semble au bout du rouleau.

— Qui est l'animateur ce matin ? je demande par curiosité.

Dans le fond, peu importe qui ça peut être, ce n'est pas vraiment important, mais je m'entends mieux avec certains qui acceptent mieux ma présence que d'autres.

— C'est Liam.

Je souris en hochant la tête. Je l'aime bien. On ne se connaît pas depuis longtemps, car il a intégré l'association depuis seulement trois mois, mais le courant passe bien entre nous et il sait y faire avec les gens. Il met à l'aise et incite à parler sans se montrer trop intrusif ou trop exigeant. Il va au rythme des patients et je trouve ça bien.

Après avoir salué Niall qui doit repartir dans son marathon administratif, je me dirige vers la salle où la séance doit avoir lieu. J'ôte ma veste que je dispose sur le dossier de ma chaise et m'installe, mon calepin et mon stylo posés sur mes jambes. Ici, il n'y a pas de table, seulement des chaises qui forment un demi-cercle. Chaque participant doit se présenter et expliquer, s'il le souhaite, sur ce qui l'a amené ici. Ce n'est pas si simple, même si chacun sait que personne n'est là pour juger et peut de toute façon comprendre, puisqu'ils sont tous dans le même cas.

Seules les causes diffèrent.

L'haptophobie peut être provoquée par beaucoup de facteurs, mais chacun d'eux cache une réalité horrible et traumatisante. Une réalité avec laquelle il faut apprendre à vivre au quotidien et dont il faut assumer les conséquences. Une réalité qui fait mal, qui est dure à entendre et à accepter que ce soit par la personne qui la subit que par l'entourage qui ne comprend pas toujours. Les personnes qui passent la porte de ce centre portent une charge bien trop lourde pour leurs frêles épaules. Le but ici, c'est d'alléger cette charge et pourquoi pas, un jour, de les en délester totalement.

Ça fonctionne. Les progrès sont même parfois spectaculaires.

Se retrouver avec des personnes qui ont vécu le même traumatisme et qui souffrent de la même pathologie aide à relativiser les choses et à prendre conscience que l'on n'est pas seul, que l'on n'est pas anormal. C'est ce que dise la plupart des témoignages que j'ai pu collecter après les séances. Ce qui les aide à avancer, c'est de se retrouver au milieu de personnes qui les comprennent et qui leur ressemblent. Le travail de l'animateur est le même que celui d'un chef d'orchestre au bout du compte. Faire en sorte de créer une symbiose et un lien de confiance entre eux pour qu'ils se sentent plus forts. Puis, les amener petit à petit à lâcher la rampe et à se lancer dans la vie.

Rapidement, le groupe de travail du jour commence à se former, me sortant de mes réflexions. On se salue tous, de loin, et chacun s'installe à la place qu'il a choisie. Les chaises sont très éloignées les unes des autres, aucun risque de contact physique ainsi. J'en connais certains, d'autres pas du tout, mais je sais qu'ils sont déjà venus, car ceux-là n'hésitent pas. Ils s'installent naturellement sur une des chaises et entament même la discussion avec ceux qui se sentent assez bien pour le faire. Leur comportement est limpide.

Au milieu des habitués, j'arrive à discerner trois nouveaux patients. Du moins deux nouvelles et un nouveau. Deux filles qui sont arrivées quasiment en même temps, mais qui ne semblaient pas se connaître, puis ce jeune homme aux boucles brunes, qui observait la salle avec appréhension. Tous les trois ne savaient pas où s'installer. Lorsqu'ils se sont avancés dans la pièce, leurs pas étaient incertains. Leurs regards remplis de panique balayaient l'assemblée à la recherche d'un repère. Un simple sourire, un hochement de tête de ma part ou de celle d'une des personnes déjà présente leur a permis de s'apaiser un peu et leur a donné la force de s'asseoir. Les deux jeunes filles ont pris les deux premières chaises qu'elles ont trouvées et se sont posées, attendant l'animateur avec anxiété, recroquevillées sur elles-mêmes et cette vision m'a fait mal.

Ça m'a rappelé tant de choses...

Le jeune homme, lui, a opté pour une chaise qui se trouvait un peu en retrait. Il cache son visage derrière ses longs cheveux et son genou tressautant trahit son angoisse. De ce que j'ai pu voir, il est plutôt grand et mince, son visage est pâle et ses yeux clairs, mais d'ici je ne peux pas capter leur couleur. Je n'arrive pas à détacher mes yeux de lui. Je ne sais pas pourquoi, c'est plus fort que moi. Il émane de lui une certaine douceur, une certaine fragilité qui m'hypnotise. Il doit sentir peser mon regard sur lui, car il relève la tête vers moi et nos orbes s'accrochent.

Le temps d'une demi-seconde.

Avant qu'il ne tourne vivement la tête, terriblement mal à l'aise, les joues rouges de gêne.

Je me traite mentalement d'idiot. J'ai été maladroit. Je n'aurais jamais dû le fixer ainsi. Je le sais pourtant. Les personnes qui viennent ici ont du mal avec leur corps, avec leur rapport aux autres. C'est l'essence même de ces séances que de les réconcilier avec tout ça. Je l'ai pourtant étudié en cours, c'est le sujet principal de ma thèse quand même. Je n'aurais pas dû le regarder aussi intensément. Je passe nerveusement une main dans mes cheveux en culpabilisant et me concentre sur la porte d'entrée pour ne plus être tenté d'observer de nouveau ce garçon qui risque de s'échapper en courant devant mon insistance.

Liam arrive finalement avec son éternel sourire. Il salue tout le monde et s'approche de moi pour me serrer la main, ce qui me vaut quelques regards en coin de ceux que je n'ai encore jamais vus. Il s'installe au milieu du demi-cercle que nous formons et tape dans les mains avant de prendre la parole. Il déroule son speech habituel et presque malgré moi, mon regard se retrouve de nouveau attiré par ces boucles brunes et ce corps tassé sur lui-même, comme s'il souhaitait disparaître et cette image me donne l'impression qu'on vient de m'enfoncer un coup de poignard dans le ventre.

Parce qu'elle est bien trop familière pour ne pas me toucher.

J'ai subitement hâte de découvrir ce qui l'a amené ici, mais j'ai aussi peur de le savoir.

J'ai l'impression qu'un ange vient de s'échouer là où il ne devrait pas être et ça me fait mal.

Car il n'y a pas si longtemps, un autre ange se trouvait à sa place.

Qui n'aurait jamais dû s'y trouver non plus.

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Voilà le deuxième chapitre, du point de vue de Louis 😊

Lui aussi cache certains lourds secrets que vous découvrirez bientôt. C'est aussi un personnage attachant, fragile et fort à la fois 😊😊

Harry l'intrigue. Ce n'est absolument pas de l'attirance, pas encore, il lui rappelle juste certains souvenirs, ce qui forcément le touche 😔😔

Comme vous l'aurez deviné, les points de vue vont alterner d'une semaine à l'autre. J'espère que le principe vous plaira. 🙈🙈

J'attends comme toujours vos réactions et vos scénarios ^^ 😂😂😘 J'aime bien vous voir échafauder plein de plans 😂😂

Je vous remercie du fond du coeur pour votre accueil pour cette fiction, ça me fait vraiment chaud au cœur ❤️❤️

A samedi prochain 👋😘

💙💚