16. Louis
*Ce chapitre peut heurter la sensibilité de certains. Ne vous obligez pas à lire si vous ne vous sentez pas de le faire, on ne vous en voudra jamais pour ça. Mes DM sont ouverts si besoin ❤️❤️ *
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Je me bats avec un paquet de farine lorsque quelqu'un sonne à la porte.
Je le repose sur le plan de travail et m'empresse d'aller ouvrir, en essuyant mes mains sur mon tablier déjà bourré de tâches. Derrière le panneau de bois, je découvre Lottie qui ouvre de grands yeux en me voyant recouvert de poudre blanche jusque dans mes cheveux. Elle me reluque de haut en bas avant d'éclater de rire.
Ce que j'aime entendre ce son cristallin !
— Tu n'as pas tes clés ? je finis par demander en levant les yeux au ciel, voyant qu'elle ne se calme pas.
— Si... la flemme de les chercher dans mon sac ! arrive-t-elle à me répondre entre deux éclats de rire.
Je secoue la tête en souriant avant de me décaler pour la laisser passer. Elle me claque un bisou sur la joue en passant. Elle retire son blouson qu'elle pose sur mon canapé avant de se retourner vers moi, un sourire espiègle aux lèvres et ses yeux brillants comme jamais.
— Tu m'expliques ? s'enquiert-elle en me désignant du doigt, un sourcil relevé.
— J'essaie de faire un gâteau... je marmonne en haussant les épaules.
— Oh ! s'exclame-t-elle en écarquillant les yeux.
— Ouais, oh ! je râle avant de retourner en cuisine.
Je récupère ma farine et reprends ma pesée quand ma petite sœur s'adosse au plan de travail à côté de moi.
— C'est en quel honneur tout ça ?
— C'est...
J'hésite un instant sur les mots à utiliser en me mordillant la lèvre inférieure,
— C'est pour mon entretien avec Harry, je finis par souffler, plutôt gêné.
— Vous mangez des gâteaux faits maison maintenant ? s'étonne-t-elle. Je croyais que c'était pour ta thèse...
Je capte très bien le sous-entendu qu'il y a derrière sa question, mais je n'ai pas très envie de rentrer dans ce débat-là. Pas encore. Pas quand moi-même je ne sais pas très bien où tout ça pourrait me mener.
— C'est le cas, mais il a proposé d'amener le repas, pour changer un peu... et je lui ai promis de m'occuper du dessert, j'explique en regardant désespérément la recette que je ne comprends qu'à moitié.
— Tu aurais pu l'acheter dans une boulangerie...
— Non ! je réponds peut-être un peu trop brutalement.
— Pourquoi ?
Je souffle. Elle me met mal à l'aise avec ses questions et ses insinuations. Je sais qu'elle ne le fait pas par méchanceté, qu'elle espère je ne sais quoi pour moi, mais honnêtement, là, je ne me sens pas de réfléchir à tout ça, de poser des mots là-dessus. Harry est... Harry est un jeune homme que j'essaie d'aider. Nous allons juste partager un bon repas et manger du gâteau si un jour j'arrive à comprendre ce que je suis censé faire de tous les ingrédients que j'ai posés devant moi. Il n'y a rien d'autre à comprendre pour le moment.
— Louis... insiste-t-elle.
Je sais qu'elle ne va pas lâcher l'affaire si facilement. Je souffle une nouvelle fois et relâche le paquet de farine un peu brutalement devant moi, soulevant un nuage de poudre blanche.
— Qu'est-ce que tu cherches à me faire dire à la fin ? je m'agace en portant mon regard sur elle, les sourcils froncés.
— Mais rien. J'essaie juste de comprendre, répond-elle d'une voix douce et calme qui contraste totalement avec mon état de nervosité.
— Il n'y a rien à comprendre, d'accord ? je m'emporte un peu. J'ai juste envie de faire moi-même ce gâteau.
— Pourquoi ?
— Parce que ! je m'exclame un peu trop vivement. Parce qu'il est entré dans une épicerie pour acheter du thé pour notre rituel de début de séance et que tu sais à quel point c'est difficile ! Pourtant il l'a fait. Pour moi... pour nous. Parce qu'il a décidé de s'embêter à me préparer à manger alors que rien ne l'y oblige et qu'il aurait très bien pu nous faire livrer des pizzas. Alors non, je ne pouvais pas juste acheter un gâteau dans une boulangerie et oui, je tiens à faire ce gâteau avec mes dix doigts. Parce qu'il le mérite. Parce qu'après toutes ses victoires, c'est la moindre des choses que je puisse faire et que ce n'est pas quelques ingrédients récalcitrants qui vont me freiner. Voilà !
Wow... je suis à bout de souffle et mon cœur s'est un peu emballé à mesure que les mots sont sortis... tout seuls... sans que je ne puisse les retenir. Je cligne des yeux et je sens mes joues se colorer un peu. Lottie ne dit plus rien. Elle se contente de me tapoter le bras puis se tourne face au plan de travail.
— Bon... on le fait ce gâteau ?
— On ? je demande en me pinçant les lèvres.
— Oui, on. Je vais t'aider. Tu vas faire tout toi-même si tu veux, mais je vais t'accompagner pour que ça ne tourne pas en catastrophe. Ça te va ?
Je réfléchis quelques secondes, mais force est de constater que je ne vais pas m'en sortir sans son coup de main. Après tout, tant que c'est moi qui cuisine, dans le fond ça ne change rien.
— Bon, OK, mais tu me laisses faire, promis ?
— Promis ! Allez, passe-moi ce livre !
Nous arrivons finalement à bout de ce gâteau chocolat/noisettes et sans mal cette fois. Ma sœur a respecté sa parole, j'ai tout fait moi. Elle m'a juste traduit les termes techniques et expliqué ce que je ne comprenais pas. Pour le coup, je suis plutôt fier de moi. Il a l'air super bon en plus. Je sais cuisiner, ce n'est pas le problème, mais des choses simples, du tout-venant comme on dit. Le sucré n'a jamais été mon fort, du coup, je me suis surpassé et je suis content.
J'espère qu'Harry l'aimera tout autant que moi j'ai pris plaisir à le fabriquer.
*
Debout devant la fenêtre, le regard perdu sur la ville qui s'étend à mes pieds, j'attends Harry dans la salle où nous avons pris l'habitude de nous voir. J'avoue que j'appréhende un peu dans quel état je vais le trouver. Cette nuit, il m'a de nouveau appelé suite à un cauchemar. Il avait l'air secoué et ses larmes m'ont fendu le cœur. Fidèle à ma promesse de ne jamais brusquer les choses, je n'ai pas insisté lorsqu'il m'a dit ne pas vouloir en parler. Nous nous sommes donc contentés de boire un thé et de parler de tout et de rien pour qu'il se détende suffisamment et retrouve le sommeil.
Cette fois, c'est moi qui n'ai pas réussi à vraiment me rendormir. Ça m'a travaillé le reste de la nuit, m'empêchant de trouver le repos. Parce que je sais que tant qu'il n'aura pas trouvé la force de se libérer, de parler, d'expliquer... d'accepter, il ne se sentira pas mieux. Il aura toujours ce poids sur les épaules et sur le cœur qui l'empêchera d'avancer, de guérir. Il fait d'énormes progrès, ça, j'en ai bien conscience, il est bien plus fort et combatif qu'il n'a l'air de le penser, mais il ne pourra pas envisager une victoire complète tant qu'il n'aura pas posé des mots sur ce qu'il a vécu.
C'est un raclement de gorge discret qui me sort de mes pensées. Je me retourne et fais face à Harry qui m'observe en silence. Il semble fatigué avec ses traits tirés et ses cernes qui marquent ses yeux. Il a posé sur la table un grand plat et porte encore un sac cabas à son épaule. Il me tend un sourire timide que je lui rends en le saluant avec douceur.
— Bonjour, Harry.
— Salut.
Je m'approche doucement et lui propose de l'aider. Il pose le sac entre nous, m'invitant silencieusement à le vider. J'en sors des assiettes, des verres et des couverts que je dispose sur la table. Il y a aussi du papier essuie-tout et une bouteille d'eau que je place à côté de la bouteille de soda que j'ai moi-même amenée. Pas d'alcool, ce n'est pas indiqué. Pas dans le genre de situation où nous nous trouvons. Harry a besoin de garder le contrôle et puis il faut que nous gardions l'esprit clair pour que ce travail soit efficace. Parce que oui, il s'agit bien d'une séance de travail malgré tout ce que tentent de me faire dire ma sœur et mes amis.
— J'ai cuisiné un canard à l'orange, annonce Harry en ôtant délicatement le papier d'alu du plat. C'est une recette que ma mère aime faire, disons... pour les occasions particulières et j'adore ça. J'espère que tu aimes.
Il relève son regard sur moi et je suis frappé par la clarté de ses orbes. Pureté est le mot qui me vient instantanément à l'esprit.
— À vrai dire, je n'en ai jamais mangé, mais je suis certain que ça sera parfait, je réponds d'une voix douce.
Il acquiesce avant de se saisir d'un couteau et d'une fourchette de service et de commencer à placer les bouts de viande dans nos assiettes. Le canard est accompagné de petits légumes qui ont l'air appétissants, même pour moi qui n'en mange pas souvent.
— Tu te souviens que je t'ai envoyé un message cette semaine pour te dire que j'avais fait quelque chose...
Comme j'acquiesce, il continue.
— Je venais de voir ma psy et je sortais de son cabinet, m'explique-t-il tout en continuant ses préparations.
— Oui ?
— Je lui ai serré la main à la fin de la séance.
— Oh ! je m'exclame en ouvrant de grands yeux. Mais... wow, c'est génial ça ! Je veux dire, tu as fait une sacrée avancée, bravo ! Je suis fier de toi !
Il relève la tête et un sourire éblouissant illumine son visage, remontant à ses yeux et faisant ressortir ses fossettes.
— Merci... je... j'ai quelque chose à te demander aussi... un service.
— Oui, bien sûr, je t'écoute.
— Je voudrais aller prendre des photos... de paysage, pour décorer son cabinet. Je... tu voudrais m'accompagner ? me demande-t-il, les joues rouges.
— Avec plaisir, oui. C'est super... je souffle, ébahi par sa demande.
En plus, c'est une excellente idée de se voir dans un autre contexte, moins solennel. Décidément, Harry fait des pas de géant en ce moment. Il me remercie avant de faire réchauffer les assiettes dans le micro-ondes que j'ai rapatrié de la salle de pause de l'association. Une bonne odeur envahit bientôt la pièce, me mettant l'eau à la bouche pendant que je prends place autour de la table. J'ai toujours été quelqu'un de gourmand et j'ai toujours aimé manger. Ça tombe plutôt bien.
Il s'assoit à sa place habituelle, face à moi et je sors l'enregistrement de notre dernier entretien et le pose devant son assiette. Il hésite avant de le prendre et de le ranger dans sa poche en me remerciant. J'ai l'impression qu'il tient beaucoup moins à les garder qu'au début. Je pense que le lien de confiance qui existe entre nous est désormais assez important pour qu'il sache que jamais je ne m'en servirais contre lui ou sans son accord. J'enclenche ensuite le dictaphone en regrettant presque de devoir le faire. Le moment est agréable, c'est dommage que ce ne soit que pour un cadre de travail.
— Comment tu te sens ? je lui demande, comme toujours alors que je nous sers de l'eau.
— Ça va... plutôt bien, m'avoue-t-il avec un petit sourire.
— Vraiment ? je m'étonne sincèrement.
Pour être honnête, je m'attendais à une réponse plus mitigée.
— Oui, vraiment, confirme-t-il en attrapant sa fourchette.
Il semble hésiter une seconde.
— Malgré cette nuit, ajoute-t-il comme en écho à mes propres pensées.
Il me sourit.
— On mange ? propose-t-il en désignant nos assiettes. Ça va refroidir.
— Avec plaisir !
Sans plus attendre, je goûte à son plat. C'est merveilleusement bon. Je ne peux m'empêcher de gémir de bonheur avant de lever mon regard sur lui. Il a levé la tête au même moment.
— C'est divinement bon, Harry ! Tu es vraiment doué. Merci beaucoup.
Je vois ses joues se colorer un peu avant qu'un sourire sincère n'étire ses lèvres, faisant ressortir ses fossettes et me faisant frissonner sans que je comprenne vraiment pourquoi.
— Je suis content que ça te plaise.
Nous continuons à manger en silence, savourant chaque bouchée. C'est un vrai régal. Je remarque qu'Harry mange tout doucement. Il prend son temps pour mâcher. Je comprends qu'il a peu d'appétit, mais qu'il veut honorer ce repas. J'hésite un peu à relancer le sujet de son cauchemar, mais comme c'est lui qui l'a abordé en premier, je décide de le faire, dans l'espoir qu'il s'ouvre un peu plus à moi.
— Harry...
— Mhm ?
— Tu fais souvent des cauchemars ?
Je le vois se figer un instant avant de reposer en douceur ses couverts. Il a les sourcils froncés et j'ai l'impression d'avoir été une fois de plus maladroit et trop pressé.
— Désolé, je ne voulais pas te...
— Non, me coupe-t-il gentiment, ne t'excuse pas, je veux bien en parler. Je... oui, depuis deux ans, depuis le début en fait.
— Ce sont toujours les mêmes ?
— Oui... plus ou moins. C'est... ils se rapportent toujours à ce soir-là, quand ma vie a basculé. Au début, c'étaient des images floues, des impressions, mais plus le temps passe, plus ça se précise.
J'hésite encore en me mordillant la lèvre inférieure. J'ai envie de le pousser un peu plus à se confier, car je sais que ça lui ferait beaucoup de bien, mais je ne veux pas le braquer ou le faire souffrir en allant trop vite. C'est finalement lui qui tranche en continuant son récit, le regard perdu dehors, la voix basse et plus rauque que jamais.
— Avant... j'étais un garçon bien dans ma peau, qui faisait attention à lui, qui s'entretenait en faisant du sport et qui avait une vie sociale riche. Je croquais la vie à pleines dents comme on dit. Je sortais avec mes amis, j'aimais boire des verres à ne plus savoir comment m'appeler, me fumer un joint de temps en temps, me trouver de la compagnie pour ne pas finir la soirée seul... j'étais un épicurien. J'aimais la mode, les chemises que je laissais ouvertes sur mon torse pour laisser deviner mes tatouages sans trop en révéler, les jeans me moulant parfaitement. Je savais séduire, susciter l'envie et je ne m'en privais pas.
Il fait une pause pendant laquelle il boit une gorgée d'eau à son verre. Il plonge quelques secondes son regard dans le mien avant de le détourner et de reprendre son récit.
— Je n'étais pas un mec facile non plus. Je veux dire, je ne couchais pas non plus avec tous les gars qui se présentaient, mais je n'étais pas coincé non plus. Bref, ce soir-là, on est sorti en boîte avec mes amis de l'époque. On était trois, on voulait s'amuser et pourquoi pas, trouver quelqu'un pour finir la soirée. À cette période, je n'avais pas envie d'être en couple, de me prendre la tête dans une relation sérieuse. Peut-être que je n'avais juste pas rencontré la bonne personne, mais je voulais juste décompresser de ma semaine de cours, ne plus penser à rien.
Il s'arrête de nouveau pour me regarder.
— Ça te choque ?
— Non, bien sûr que non, je réponds aussitôt sans hésiter. Ça m'arrive encore de ne pas avoir envie de finir seul certains soirs, d'avoir besoin d'oublier... certaines choses dans la chaleur des bras d'un autre.
Il acquiesce pour me montrer qu'il comprend.
— Mon cauchemar se situe toujours alors que nous sommes dans la boîte. On a un peu bu, on danse, on rit. Et puis il y a ce type qui me met carrément la main aux fesses alors que je passe près de lui. Je me retourne pour le regarder. Il est un peu plus âgé que moi, plutôt mignon, blond, les yeux clairs, mais je ne pourrais pas le décrire plus que ça. Il me complimente, tente de m'offrir un verre, mais je refuse. Il est charmant, mais je ne sais pas, quelque chose me bloque. Sans doute la façon cavalière qu'il a eue d'attirer mon attention.
Il souffle tout en jouant avec sa nourriture du bout de sa fourchette. Ses mains tremblent légèrement. C'est difficile pour lui de me parler. J'ai envie de lui prendre la main, de me lever et de le prendre contre moi. Parce que c'est ce qui se fait normalement quand quelqu'un va mal et qu'il a besoin de réconfort, mais là je ne peux pas.
Comme avant, je me retrouve frustré et impuissant. Je ne lui en veux pas, pas du tout même, mais ça fait mal de se sentir aussi inutile face à la douleur de quelqu'un à qui nous tenons... car oui, je me suis attaché à Harry et je tiens à lui, même si je ne pourrais pas encore définir à quel point.
— La soirée continue, le gars est insistant, il me tourne clairement autour pendant que les verres s'enchaînent un peu et que ma volonté commence à fondre doucement. Désinhibé, mes craintes et ma première mauvaise impression se sont envolées. Il m'offre un verre, un Mojito... je n'aurais pas dû l'accepter.
Sa voix se brise et j'ai le cœur qui s'emballe un peu tandis qu'un frisson désagréable me parcourt l'échine. Inconsciemment, je serre les poings et je tremble un peu. J'attends la suite avec appréhension, le ventre noué.
— Je... je me réveille ensuite dans un lit inconnu, seul.
Les larmes jaillissent de ses yeux, sa voix n'est plus qu'un souffle.
— Je n'ai aucune idée de ce que je fais là, de ce qu'il s'est passé, de comment je suis arrivé là. Je me sens mal, nauséeux. Tout est flou... je me réveille généralement à ce moment précis, avec un sentiment de peur et d'angoisse qui m'oppresse comme si j'allais m'étouffer.
Il s'affaisse doucement contre sa chaise, ses bras se croisant autour de son corps comme pour se protéger.
— Pendant longtemps, j'étais obligé de gérer ça seul et puis il y a eu toi et... maintenant, tu m'aides... beaucoup.
Il relève son visage ravagé par les larmes sur moi et j'ai subitement cette envie de hurler qui me prend, parce que, putain tout ça c'est tellement injuste.
— Je t'en remercie pour ça.
— Je...
J'ai du mal à formuler mes mots tant ma gorge est nouée et que mes yeux me piquent. C'est dur. Je ne devrais pas être autant touché, mais je ne peux pas faire autrement.
— Je t'ai promis de t'aider, je le ferai quoiqu'il arrive, j'arrive à finalement murmurer. Je... je peux te poser une question ?
Il fronce les sourcils, puis acquiesce, mais je vois un éclat d'inquiétude traverser ses orbes clairs.
— Est-ce que... est-ce que tu as été... agressé ? Je veux dire...
Je cherche mes mots, j'ai peur d'être maladroit, mais je crois qu'il n'y a pas de bonne façon de formuler ça, car malgré tout le tact et toutes les formes que je pourrais y mettre pour les adoucir, il n'y a rien de pire et de plus violent que ça.
— Est-ce que tu as été violé ?
Voilà, c'est sorti. Le mot a été lancé. J'ai l'impression d'avoir jeté une bombe en plein milieu de la pièce et qu'elle vient de nous exploser à la figure. Harry se fige avant de se recroqueviller sur lui-même. Inconsciemment, il a attrapé ses manches pour cacher ses mains et ses cheveux font barrage devant son visage. Merde, merde, merde, je suis allé trop loin.
— Désolé... je souffle, mal à l'aise.
Je soupire en regardant mon assiette. Même si c'est un régal, je n'ai plus vraiment très faim. Je repousse mon assiette sur le côté. Harry ne me regarde plus, il s'est enfermé dans une bulle protectrice. J'ai l'impression que je ne peux plus l'atteindre et bordel, ça me ramène tellement en arrière que je ne peux empêcher d'avoir les larmes aux yeux. Je soupire en passant une main dans mes cheveux. Je ne veux pas qu'il pense que je lui ai posé cette question par curiosité malsaine. Je veux qu'il comprenne que je suis apte à tout entendre et pas seulement parce que ça fait partie de ma formation.
Sans réfléchir plus avant, je stoppe l'enregistrement et baisse la tête sur mes mains jointes devant moi, avant de prendre la parole.
— C'est ma sœur... je murmure au bout d'un autre moment de silence oppressant que seuls ses petits reniflements sont venus briser, comme mon cœur. C'est ma sœur, Lottie, qui a été haptophobe.
Je sens son regard se poser sur moi et ça m'encourage à continuer.
— Elle... elle avait seize ans quand ça a commencé. C'est ce qui m'a poussé à faire ma thèse sur le sujet, pour l'aider elle, mais aussi toutes les personnes qui souffrent de la même chose. Parce que cette pathologie n'est pas assez connue et reconnue alors que ça empoisonne la vie de bien trop de monde pour qu'on ne s'en soucie pas. C'est aussi destructeur pour ceux qui le vivent que pour leur entourage. C'est de cette façon que j'ai connu le type d'association comme AngelHope. Elle n'allait pas dans celle-ci, mais c'était le même principe.
Je souffle et ferme les yeux un instant. C'est le moment. Il faut que je lui parle pour qu'à son tour il le fasse quand il se sentira prêt. Mais c'est tellement difficile à sortir... pourtant il le faut. Pour l'aider, mais aussi parce que je crois que j'en ai autant besoin que lui.
— C'était à une fête, je reprends. Je l'ai accompagnée, comme le grand frère responsable que je suis censé être. Ça se passait chez le petit frère d'un pote à moi, donc ça ne m'a pas trop dérangé. Elle a retrouvé son petit ami de l'époque et ses copines pendant que moi, je buvais quelques bières avec mon pote et sa copine. Tout se passait bien, la soirée était un peu arrosée, malgré le fait que la plupart des participants étaient mineurs, mais on avait fait pareil au même âge, on ne se voyait pas leur interdire l'alcool. On aurait dû...
Je passe de nouveau une main dans mes cheveux. Je ne me sens pas très bien, c'est compliqué de faire ressurgir le passé de cette façon.
— Je ne sais plus depuis combien de temps on était là, mais la meilleure amie de Lottie est venue nous interrompre. Elle semblait paniquée, elle m'a attrapé le bras et m'a entraîné derrière elle vers l'extérieur. Elle m'a expliqué qu'elle avait entendu James, le petit ami de ma sœur, tenir des propos bizarres sur elle. Elle m'a dit qu'elle ne savait pas où Lottie se trouvait et que ça l'inquiétait. Quand je lui ai demandé quels genres de propos, elle a eu du mal à me les dire, mais en gros que ma sœur était bonne et qu'elle était douée au pieu... bref, tu vois le genre.
Ma voix se brise et mes mains tremblent un peu. Les souvenirs m'assaillent ainsi que tous les sentiments négatifs qui les accompagnent. La douleur, la colère, la peur...
— Je... j'ai retrouvé ce James qui a bien évidemment continué dans la provoc jusqu'à ce que je lui casse la figure en bonne et due forme. Une fois qu'on nous a séparés avant que je le tue pour de bon, j'ai cherché Lottie partout. Je... mon angoisse était tellement profonde que j'en avais du mal à respirer, mon cerveau partait dans tous les sens, j'étais incapable de réfléchir correctement.
J'étouffe un sanglot avant de pincer les lèvres. Je relève les yeux et tombe dans les siens qui sont bordés de larmes. On ne se lâche pas du regard et la douceur, la tendresse et la sollicitude que je peux y lire, m'aide à trouver la force nécessaire pour continuer.
— J'ai fini par la retrouver. Seule, dans une des chambres de la maison. Sa... sa robe était déchirée, il y avait du sang... elle était en larmes, recroquevillée sur elle-même en position fœtale. Pas besoin d'un dessin pour comprendre ce qu'il s'était passé. Ce... cet espèce d'enfoiré de merde l'avait violée. Elle... était encore vierge et elle était amoureuse, comme le sont les adolescentes de son âge. Encore un peu fleur bleue et bercée de rêves de prince charmant. Il venait de lui briser ses illusions en même temps qu'il venait de la briser elle.
Mes larmes coulent librement sur mes joues. Je me sens tellement mal, tellement coupable aussi. Je renifle doucement avant de reprendre,
— Je l'ai entourée d'une couverture et on est sorti de là le plus discrètement possible. De toute façon, ils étaient tellement tous bourrés que personne n'a rien remarqué. On est allé à l'hôpital où ils lui ont fait les examens qu'il fallait. La police est venue, appelée par les médecins. Mes parents ont été prévenus aussi. Elle était mineure, donc forcément, on n'a pas eu trop le choix. Une plainte a été déposée et on est rentrés à la maison. C'est moi qui l'avais dans mes bras tout le long du trajet et qui l'ai déposée dans son lit. C'est à moi qu'elle s'est accrochée cette nuit-là pour pleurer. Ç'a été le dernier contact physique qu'on a eu avant un long moment.
Je baisse la tête, le cœur en miettes. Malgré les années, malgré la thérapie que j'ai dû suivre, malgré les mots rassurants de ma sœur et de mes amis, je ne peux empêcher la culpabilité de m'étreindre à l'évocation de son agression. Mais de ça, je ne suis pas encore prêt à en parler. C'est encore trop difficile.
Perdu dans mon chagrin, sans que je m'y attende, c'est là que je le sens. Un contact, doux et léger comme une bise d'été. Une chaleur réconfortante se répand sur ma main encore posée sur la table. J'ouvre les yeux et m'aperçois qu'Harry a posé la sienne sur moi. Mon souffle se coupe à ce contact qui me fait un bien fou. Mon ventre se tort doucement tandis qu'un frisson s'empare de moi. Le contact est bref, mais il a l'effet d'un séisme sur moi.
Il m'a touché...
Je cligne des yeux et relève la tête vers lui. Il me regarde avec une telle douceur et une telle gentillesse, que je sens presque immédiatement la tempête en moi se calmer.
Il m'a touché...
Ses joues sont striées de larmes, les mêmes que les miennes, des larmes douloureuses et brûlantes. Mais un léger sourire vient prendre place sur son visage, comme un signe d'espoir. Il me soutient, il me comprend comme je le comprends.
Il m'a touché...
Malgré toute l'angoisse et le chagrin qui m'ont envahi pendant mon récit, je sens que quelque chose a changé. Je me sens mieux, plus léger, et je sais qu'Harry, en face de moi, le perçoit aussi. J'espère que ça lui donnera la force à son tour de se libérer.
Il m'a touché...
Aujourd'hui, nous avons fait un grand pas ensemble, un nouveau pas de géant. À deux. J'ai pu me confier et lui est allé au-delà de ses barrières, de tous ses interdits, il a combattu ses peurs les plus profondes... pour moi.
Il m'a touché...
Un sentiment nouveau prend place en moi. De l'admiration ? De la fascination ? Ou peut-être de la reconnaissance ? Un je ne sais quoi que je n'arrive pas à expliquer. Tout ce que je sais, c'est qu'aujourd'hui, quelque chose s'est passé, quelque chose que ni lui ni moi ne sommes près d'oublier.
Il m'a touché...
Quelque chose de capital dans sa guérison et peut-être aussi la mienne. Une preuve de confiance mutuelle qui ne fait que grossir le lien qui s'est créé entre nous.
Aujourd'hui, je me sens plus proche que lui que jamais.
Aujourd'hui...
... il m'a touché...
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Voilà un chapitre très difficile... 😔😔
Harry raconte les souvenirs qu'il a de cette soirée qui l'a brisé et Louis raconte ce qui me touche autant et pourquoi il se sent tellement concerné par l'haptophobie... 😔😔
Je suis désolée si ces mots ont pu vous choquer, que ça vous touche de près ou de loin... 😔😔
Il était important que Louis s'ouvre à Harry pour le pousser à se confier un peu plus. Ce sera le cas dans le prochain chapitre qui sera tout aussi émouvant 😔😔😔
Mais ça ira. C'est la morale de cette histoire, il y a toujours de l'espoir, même où le noir s'est logé ❤️❤️
Et puis Harry a touché Louis... Il a posé sa main sur la sienne... Ce geste est si important 🙊🙊🙈
J'attends vos réactions et mes mp sont ouverts si besoin 😘😘
Je vous embrasse fort ❤️❤️😘
💙💚
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