96. Cher journal ❗❗ (réécriture)
La chaussure de Han s'est posée sur ma main blessée et son talon a meulé comme pour écraser un insecte. Au premier craquement de l'os, j'ai poussé un cri aussi puissant que possible. Il y avait de la colère dans ma voix, en plus de la douleur. De la rage. J'ai hurlé pour que Gong m'entende depuis le couloir. Ce n'était pas pour qu'il prévienne la police – je savais qu'il n'aurait jamais le courage de me venir en aide – Je voulais simplement qu'il sache ce que j'endurais.
En ce moment même, il me regarde gratter le papier avec un visage froid. J'aimerais tellement qu'un juge l'inculpe lui aussi. Lui qui a choisi de se boucher les oreilles pour ne pas entendre mes plaintes.
— Parle ! m'a de nouveau ordonné Han, à la suite d'un deuxième craquement.
Son pied s'est soulevé. J'avais l'impression que ma main n'était plus une main, qu'elle ne se remettrait jamais de blessures aussi sérieuses.
Malgré tout, je maintenais ma version des faits, leur répétant encore et toujours que je n'avais vu personne cet après-midi-là.
— Je reconnais que tu es tenace. Le problème, c'est que je sais que tu mens. Je le sens, tu comprends. Mon instinct me dit que tu nous caches un truc. Tu ne cries pas comme quelqu'un qui n'a rien à cacher. Tu ne cries pas comme un innocent. Tu saisis ?
Je repensais au ton que j'avais employé au moment où j'avais tenu à les convaincre, à tout prix, que je n'avais pas parlé de tout ça à ma famille. Il n'avait pas tort, ça n'avait pas sonné pareil. J'ai retenté ma chance, en mettant dans la voix un peu de cette terreur que j'avais ressenti à ce moment-là :
— Je vous jure ! Je... je n'ai vu personne. Après le tatouage... je n'ai vu personne.
Ma voix était tremblante. Rien de joué là-dedans. J'avais tellement peur qu'il remette ma main sur le parquet, qu'il s'amuse encore avec mes os fracturés. N'importe qui à ma place aurait paru terrifié en toute sincérité. Comment étais-je censé jouer, en plus, la peur de l'innocent, celle de l'homme qui n'a rien à révéler, à qui on ne laisse plus que le choix entre la douleur et la douleur ?
L'homme qui s'était assis sur ma poitrine s'est levé et, à la demande de son chef, il m'a trainé jusqu'à la salle de bain.
Là-bas, Han s'est accroupi devant moi. Son visage aussi figé qu'un masque de théâtre n'était qu'à quelques centimètres de moi, si proche que je pouvais sentir son haleine aux arômes de tabac froid.
En second plan, j'ai observé avec effroi l'homme de Han ouvrir le robinet de la baignoire. Il coulait un bain.
Le chef m'a parlé d'une façon placide, avec un faible niveau sonore, si bien que j'avais du mal à entendre ce qu'il disait derrière le vacarme sournois des chutes d'eau.
— Tu as encore de l'espoir dans les yeux. Je crois que ça te fait tenir bon. Tu penses que si tu ne dis rien, je vais finir par partir. Tu crois que tu peux gagner en mentant...
— ... Ce n'est pas ça, je vous dis la vérité. C'est parce que je n'ai rien à cacher que...
Je n'ai pas pu finir ma phrase, l'acolyte qui faisait couler le bain m'a envoyé de l'eau fraiche sur la figure :
— Tu ne coupes pas la parole. Tu écoutes !
— Merci, Chen, dit Han en essuyant la manche de son t-shirt. Je te comprends, Minsuk : les os se ressoudent. Pourquoi céder ta meilleure chance contre une menace si ridicule ? C'est la raison pour laquelle je vais changer de stratégie, appliquer une menace plus... définitive.
— Vous ne pouvez pas, ai-je balbutié.
Mes yeux allaient de la baignoire au regard glacé de Han. Du bluff ! Cela ne pouvait être que du bluff.
— Vous... vous ne pouvez pas me tuer.
— C'est très simple, mon grand, m'a expliqué Han quand son ami a refermé le robinet et que le silence m'a fait regretter le chahut. Je vais mettre ta tête sous l'eau et compter. Tu dois savoir que tu ne tiendras pas longtemps.
— Vous ne pouvez pas, ai-je répété sans conviction.
— Tout ira bien au début, mais très vite le risque de séquelles devient préoccupant. C'est pour ça que Gong est dans le couloir, lui, il voulait te garder en un seul morceau. Et moi, tu sais ce que je veux... tu le sais ?
Je me suis tu. Oui, bien sûr que je le savais : il voulait le nom de l'avocat.
— Et tu verras, a-t-il poursuivi, ce n'est pas seulement dangereux. C'est aussi très désagréable.
J'ai senti quelque chose se briser en moi. Je n'aurais jamais dû rentrer ici après avoir parlé avec maître Kim. J'aurais dû fuir.
Puisque je ne répondais toujours pas, Han m'a giflé en hurlant :
— Réveille-toi, Minsuk ! Parle !
— Si je vous dis déjà la vérité ? Vous y avez pensé ? Si je n'ai rien à vous dire...
— Comme tu voudras.
Il m'a empoigné par le col de mon t-shirt et m'a soulevé. Là encore, j'ai été surpris de son énergie, de sa force. Il a fait basculer mon corps par-dessus la céramique, et j'ai vu s'agiter la surface cristalline juste sous mon menton.
— Ne faites pas ça ! Je suis célèbre. Il y aura une enquête. Quelqu'un comprendra... forcément, quelqu'un comprendra.
— Je vais y aller. À ta place, je prendrais une grande respiration plutôt que de dire des conneries.
— Arrêtez, ai-je supplié ! Gong !
— On y va, retiens ta respiration.
Il a enfoncé ma tête sous l'eau. Le poids de son corps sur mon dos. Dans cette position, tous mes mouvements étaient inutiles. Han m'immobilisait parfaitement. La froideur de l'eau, la peur face à l'incertitude.
Combien de temps voulait-il me maintenir ainsi ?
Il m'arrachait les cheveux, détachait mon cuir chevelu. J'ai tenté de me débattre, même ma main blessée cherchait une prise pour essayer de se hisser hors de l'eau, en vain. Je pouvais à peine bouger.
Les bords de la baignoire me rentrait désagréablement dans les côtes. Je me maudissais de ne pas avoir pris une inspiration profonde, car l'air me manquait déjà. J'ai commencé à me demander combien de temps j'étais capable de tenir en apnée, à peu près, lorsqu'on m'a soulevé brutalement par les cheveux.
Dès que j'ai émergé, j'ai pris une grande inspiration. Han s'est penché au-dessus de mon épaule, me chuchotant à l'oreille :
— Ça, c'était trente secondes...
Seulement.
— Juste pour que tu me précises si la température te plait, mais là je vais doubler. Tu comprends ? Prépare-toi, on y retourne tout de suite.
Cette fois, j'ai inspiré de toutes mes forces. Il ne m'a même pas reposé de question. Qu'aurais-je dit s'il m'en avait laissé le temps ? Aurais-je tenté de le convaincre, une fois de plus ? Ou est-ce que j'aurais cédé ?
Il n'y avait qu'un mot à dire pour que tout s'arrête. Pouvais-je encore refuser de me plier aux exigences de cet homme ? Il m'avait percé à jour. C'était clair...
Puisque je me savais capable de tenir une minute sans respirer, je n'ai pas essayé de me débattre, afin d'économiser un peu d'air. Pourtant, j'ai rapidement commencé à sentir mon diaphragme se soulever sous l'effet de mouvements involontaires. À l'instant où j'ai failli perdre le contrôle, il m'a sorti de l'eau.
— On double encore.
— Attendez !
— Deux minutes, c'est le début des problèmes. À partir de là, on ne joue plus. Tu vas boire la tasse, mon grand, c'est inévitable.
— Attendez !
Il a suspendu son mouvement, dans l'expectative.
Deux minutes ! Il allait me foutre à l'eau deux minutes ! J'allais sûrement boire la tasse, mais il fallait bien ça pour qu'il me croit. C'était un test. Le test. Si je maintenais encore ma version, que je frôlais la noyade, il serait forcé de me croire.
N'est-ce pas ?
— Ne... ne me remettez pas à l'eau ! Je n'ai aucun nom à vous donner, mais je ne veux pas y retourner. Je ne peux rien vous dire de plus. Je... je...
— On y retourne, alors. Tu es tenace, soit très courageux, soit très inconscient. Allons, prends une grande bouffée d'air pur.
Il a serré plus encore ses doigts sur ma chevelure trempée. La souffrance m'a presque empêché de prendre ma respiration. Quand il m'a remis la tête sous l'eau, je ne me faisais pas beaucoup d'illusions ; je ne tiendrais jamais deux minutes entières.
Au bout d'un temps qui me parut interminable, je ne suis plus parvenu à retenir mon apnée. Ma bouche s'est ouverte en grand, mes poumons sont allés chercher l'air que je leur refusais, et n'ont rencontré que de l'eau.
À cet instant, je me suis débattu vivement, plus vivement qu'à aucun moment je ne l'avais fait auparavant.
Je me noyais. On était en train de me noyer dans ma baignoire.
Le lendemain, ils prétendraient à un accident, un tragique accident...
~
Quand on m'a tiré hors de l'eau, j'avais déjà cessé de me débattre.
Je suis tombé lourdement sur le carrelage, pour moitié inconscient. J'ai compris que j'étais revenu dans une atmosphère respirable, mais j'avais beau ouvrir la bouche, ma gorge restait comme obstruée, l'air ne passait plus. Il a d'abord fallu que je cracher l'eau qui noyait mes poumons. La douleur a été insupportable, comme si j'expectorais mes poumons. Ma cage thoracique s'est contractée avec une telle force que j'en garde encore des crampes entre les côtes.
Puis, l'air est enfin entré, avec un sifflement bruyant, accompagné par une brûlure atroce. L'air après l'eau, le feu après la glace.
J'ai respiré laborieusement durant de longues minutes. Au-dessus de moi, Han et son sbire observaient la scène sans intervenir. Ils ont patienté le temps que la fréquence de mes raclements de gorge diminue. Alors, seulement, Han s'est penché sur moi, devant mon regard brouillé de larmes.
— Tu es de retour parmi nous, dis ? Tu sais où tu te trouves ?
Comme je n'ai pas répondu tout de suite, j'ai reçu un coup de pied dans les jambes.
— Dis-moi qui tu es ? Dis-moi ton nom ?
J'avais du mal à me concentrer sur ce qu'il demandait, mes poumons me faisaient encore un mal de chien, à chaque inspiration.
— SS... Song. Min... Suk.
Ma voix sonnait complètement étouffée. Ce n'était plus qu'un petit filet d'air rocailleux.
— On double ?
— Non, ai-je réclamé, d'une façon parfaitement distincte, malgré ma voix enrouée. Non !
— Tu es sûr, on ne double pas ?
— Non ! Ça me suffit ! Je ne... non. Pitié.
— Tu as déjà demandé : « pitié ». Moi, je veux la vérité. Je veux un nom. Dépêche-toi ? Ma patience à des limites.
— Je... suis allé voir un... avocat.
Je me maudissais d'une telle faiblesse, mais mort, je ne rendrais justice à personne.
— Enfin, a-t-il soupiré. C'est pas trop tôt. Un nom ?
Je lui ai tout dévoilé, l'avocat, son adresse, la nature de nos entretiens. Tout. Quand j'ai eu fini, il m'a averti :
— J'espère pour toi que tout ce que tu m'avoues n'est pas une invention. S'il s'avère que c'est un moyen de gagner du temps, tu me le paieras.
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