86. Cher journal ❕ (réécriture)
Je me suis réveillé sur un brancard, allongé sous une couverture de survie. Les idées pas vraiment très claires. La première chose à laquelle j'ai pensé, c'était au concert. Pas moyen de savoir depuis combien de temps j'étais inconscient. S'était-il joué sans moi ?
J'ai cherché à comprendre où je me situais. Un espace exigu, sombre, saturé de machines médicales, le plafond très bas. Des gens parlaient, tous en même temps, je peinais à entendre leurs conversations à cause des sonneries des appareils et du hurlement de la sirène, puis j'ai senti que nous tournions, j'étais en mouvement...
J'étais à bord d'une ambulance.
— Minsuk !? Tu m'entends, Minsuk ?
La voix de mon manager. Je l'ai vu, au-dessus de moi, il y avait son téléphone plaqué sur son oreille. Je l'ai entendu dire :
— Il est réveillé. Qu'est-ce que je dois faire ?
Autour, le personnel médical a demandé à mon manager de raccrocher. Il ne les a pas écoutés.
— Minsuk, est-ce que tu crois que tu peux tenir debout ?
Je n'ai pas répondu à sa question, j'ai demandé :
— Qu'est-ce qui m'est arrivé ? Depuis combien de temps ?
— Écoute-moi, Minsuk !
Sa main s'est glissée sous la couverture de survie pour me saisir le bras.
— C'est dans ce genre de moment qu'on voit la différence entre quelqu'un qui lutte et quelqu'un qui baisse les bras. Tu ne peux pas lâcher maintenant. Tu as trop travaillé pour en arriver là. Qui annule un concert ? Un concert international, quelques minutes avant l'antenne ? C'est le moment de prouver à tout le monde, tous les gens qui doutaient de toi et les autres... C'est le moment de leur montrer ce que tu vaux vraiment.
Voilà à peu près ce qu'il m'a dit. Je reconstitue, car sur le moment je n'ai pas tout compris. J'étais décalqué. Je ne lui ai même pas répondu. Il a semblé prendre mon silence comme un accord. Il a repris son téléphone.
— Il parle et réagit. Je tente de le ramener ? Oui... je sais.
Puis, il a crié :
— On ne va plus aux urgences ! Il est conscient et il va mieux. Faites demi-tour !
— Non. Non, certainement pas. Sa tension est trop basse. Il est très déshydraté, si on le décharge maintenant... c'est trop dangereux !
— C'est n'importe quoi ! Il va très bien. Tu vas très bien. Dis-leur ! Minsuk, dis-leur que tu vas très bien.
Je me sentais tellement à bout de forces. J'aurais voulu me défendre, expliquer aux soignants à quel point je n'en pouvais plus. Malheureusement, je n'ai rien pu dire. Quand j'ai compris que j'étais redevenu muet des larmes ont coulé sur mes joues.
— Minsuk !
— Je vous répète qu'il faut l'hospitaliser. S'il ne reçoit pas des soins... quelque chose... quelque chose de grave pourrait lui arriver !
~
Nous sommes parvenus à l'hôpital le plus proche. Là, les ambulanciers m'ont transmis à des urgentistes. Je suppose que mon cas n'était pas très préoccupant, car mon brancard a été mis en attente dans un couloir, pour une durée indéterminée. Gong ne m'avait pas perdu de vue. Près de moi, il continuait :
— Je t'emmène ! On retourne à la salle omnisport. Il est encore temps.
Effectivement, il est toujours possible de décaler le passage d'un artiste en cas de force majeure. J'ignorais l'heure qu'il était, mais si Gong jugeait l'affaire possible, c'était le cas.
— Je ne peux pas, dis-je au prix d'un effort pathétique.
Il n'y avait plus de médecin pour lui dire de se taire. Il échangeait constamment avec quelqu'un, au téléphone. Une conversation intense. J'ignore qui était au bout du fil, X Park sûrement. En tout cas, ce que Gong me répétait, cela ressemblait beaucoup à un discours de chef d'entreprise.
— Je vais être honnête avec toi, Minsuk. Nous ne pouvons pas annuler la performance. Pas une heure avant l'antenne. Ce serait perdre la face. Si nous annulons, nous capitulons. Ce sera une humiliation pour ton nom et pour celui de Pak Entertainment. Il est hors de question qu'on annule ce concert. C'est comme s'il avait commencé et, maintenant, il faut aller au bout.
— Mais les médecins ont dit... vous avez entendu ce qu'ils ont dit ?
— Je pense que tu peux le faire. Non, je suis certain que tu peux le faire.
— Je vous ai dit : « non ».
— Très bien. Si c'est ton choix.
Il a secoué son téléphone devant mon nez, une étrange lueur dans le regard.
— Ce sera ton choix, Minsuk, poursuivit-il sur un ton glacial. Si j'appelle la Pak et que je leur dis que tu nous lâches, il faudra que tu assumes. C'est trop tard pour une annulation. L'assurance ne couvrira rien et il faudra qu'on rembourse les organisateurs du festival. Tu imagines la somme que ça représente !
— Je ne sais pas. Tu es sûr que les assurances...
— C'est trop tard, elles ne paieront rien ! Ce sera à toi de tout compenser.
Avec quel argent ? ai-je pensé, incapable de formuler quoi que ce soit à haute voix.
— Si tu n'as pas assez... je pense qu'ils demanderont à tes garants, directement.
Maman. À l'idée que ma mère risquait de recevoir une facture par ma faute, j'ai senti ma volonté de résister aux ordres de Gong s'effondrer. Ma mère a ses propres dettes. J'avais promis de l'aider, pas de l'accabler. Une honte insupportable m'a étreint, la honte de n'être qu'un homme faible, maladif, pauvre et muet.
— On y retourne ! a déclaré Gong.
Impossible de lutter davantage. J'étais soufflé par la peur de décevoir mes proches et mes fans, et achevé par la cruauté de sa menace.
J'ai cédé. Et je me déteste d'avoir cédé.
Gong a retiré lui-même la perfusion qui était plantée dans mon poignet. J'ai frissonné. À sa demande, une soignante m'a posé un pansement et j'ai dû signer une feuille de décharge déclarant que je quittais les urgences de mon plein gré et que je ne pouvais pas poursuivre l'hôpital en cas de souci après ma sortie.
~
Dans le taxi qui nous reconduisait vers la salle omnisport, j'ai contemplé le pansement sur mon poignet droit. J'ai compris que j'étais en train de commettre une erreur. Je le savais, mais je me sentais obligé d'aller au bout de ce cauchemar.
— Tu es fatigué, c'est vrai, m'a dit Gong. Mais il faut le faire. Pour nous, pour le public qui a payé sa place et qui t'attend... pour ton honneur... et puis, ça va bien se passer. Il ne s'agit pas d'un concert en entier. Seulement de deux chansons ! Même pas dix minutes de scène ! Tu peux le faire. Tu as la force.
~
Et je l'ai fait.
Je suis allé au bout.
Mais à quel prix ? J'ai donné une prestation minable. Je ne pensais qu'à fuir la scène. Le playback a chanté à ma place. Je n'ai pas eu un regard pour le public. Toutes mes pensées me ramenaient à la phrase de l'ambulancier : « S'il est déchargé maintenant, quelque chose de grave pourrait lui arriver. »
Je vais mourir. Par trois fois, j'ai senti ma tête tourner, mes jambes flancher, et j'ai cru que j'y passais. Alors, lorsque les dernières notes de musique ont retenti, je suis sorti sans saluer. Pire qu'une bête acculée qui cherche à se mettre à l'abri.
Quel courage ? Cela ne s'applique que si on considère que j'ai eu le choix. Ce n'était pas le cas.
Il y aura forcément un avant et un après 19.10.2014. J'ajoute cette histoire à la liste des accusations que je porterai contre mon entreprise le temps venu. Un temps qui va devoir venir rapidement, très rapidement.
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