75. Cher journal... (réécriture)
J'écris avec une énorme gueule de bois. Mon patron nous a encore invités au nightgame, et nous avons dû boire et jouer au bowling. Décidément, je ne suis doué ni pour l'un ni pour l'autre.
À cause du vacarme des quilles et la musique d'ambiance disco à plein volume, j'ai dû faire des efforts de concertation démesurés pour comprendre les conversations. La musique m'abimait les tympans. En ce moment, je n'écoute plus que du jazz, j'ai besoin de calme, d'harmonie, de silence entre les notes de musique. La modernité saturée, les larsens des standards de rock, je ne les supporte plus.
Quant à mon patron, il fait comme si l'affaire du préservatif n'avait jamais eu lieu. Un boysband plus célèbre que moi a annoncé qu'il poursuivait son label en justice, pour partage désavantageux des gains, contrats déloyaux, et non-respect de leur vie privée. La totale. Exactement ce qu'il nous fallait pour nous faire un peu oublier.
Mais si le public a la mémoire courte, moi, j'ai encore certaines insultes sur le cœur. Un « sodomite » en particulier, que je ne suis pas près d'oublier.
X Park insiste pour qu'on trinque ensemble.
— Comment vas-tu ? Cette tournée ? Ça fait quoi d'avoir terminé ?
— Honnêtement, je suis assez content que ça s'arrête. J'ai vraiment besoin de me reposer.
J'ai baissé les yeux sur l'alcool qui tournait dans mon verre. Bleu. Ils aiment bien les cocktails bleus au nightgame. J'en ai bu une gorgée pour me donner du courage. Le remercier n'était pas la chose la plus importante que j'avais à lui dire ce soir-là. J'y ai pensé toute la semaine. Je devais tirer certaines choses au clair. Je me suis préparé à engager la conversation vers le sujet sérieux qui me préoccupait, lorsque X Park l'a orientée tout autrement.
— Te souviens-tu de la montre que je t'ai offerte, Minsuk ?
J'ai haussé les sourcils. Je la portais justement au poignet, il l'avait très bien remarqué d'ailleurs, je ne savais pas où il voulait en venir.
— Pourquoi l'as-tu déclarée ?
Il m'était impossible de ne pas entendre dans sa voix le ton du reproche. Je n'ai pas compris. Je lui ai répondu sincèrement.
— La loi m'oblige à déclarer les cadeaux de mon employeur... en tout cas, s'ils dépassent une certaine somme.
— Tu ne devrais pas déclarer les cadeaux que je te fais, c'est incorrect.
Je crois que, de toute mon existence, je n'avais jamais répondu à une personne à qui je devais le respect. Je n'avais jamais répondu à mon grand-père, ni à ma mère, ni à mes professeurs. Même les compositeurs avec lesquels je n'étais pas du tout d'accord, je ne leur ai jamais répondu. Pourtant, hier soir, j'ai osé :
— Mais, c'est la loi !
Il s'est mis à rire, comme si je venais de faire une blague. Certains managers et invités, autour de nous, l'ont imité. Ajeong est venue tout près de moi. Elle s'est assise sur mon accoudoir et m'a entouré avec son bras en souriant. J'ai été surpris, car elle ne s'était jamais permis ce genre de familiarité avec moi auparavant. J'ai dû lui manquer pendant ma tournée. Elle a ri elle aussi, alors, j'ai fait comme elle. Pour elle.
— Tu es drôle, a pouffé X Park. Tout le monde fait comme ça. Tout le monde. Ce n'est pas mal, c'est un arrangement entre nous.
J'ai regardé Ajeong, elle s'est penchée pour que je puisse l'entendre. Pour préserver sa voix, elle ne force jamais dessus, même en soirée.
— Même moi, j'ai accepté des cadeaux. Il faut fermer les yeux de temps en temps, si ça arrange tout le monde, où est le mal ?
Elle m'a souri. Je n'ai pas pu m'empêcher de regarder les bijoux qu'elle avait autour du cou. J'ai réfléchi. Ajeong arrive peut-être à voir ces cadeaux comme des arrangements, mais moi... Je ne pourrai jamais aller contre la loi. Ça tuerait mon grand-père une deuxième fois si j'osais renier nos principes.
— Je suis désolé, ai-je dit, si j'avais su... pour la montre, je ne l'aurais pas acceptée. Je suis... je suis désolé, mais je ne mentirai jamais sur des papiers officiels, j'en suis incapable.
X Park a terminé son verre devant moi. Il ne marcherait plus droit à la fin de la soirée.
— J'ai jamais rencontré personne comme toi, boy ! Jamais, ça c'est clair.
J'ai souri, parce que j'ai eu l'impression que c'était un compliment. J'étais le type le plus honnête qu'il n'ait jamais vu. Ce n'est pas rien.
— À l'Extraterrestre !
On a encore trinqué. Le malaise que j'avais ressenti avant l'intervention d'Ajeong était passé et j'avais suffisamment d'alcool dans le sang pour oser exprimer mon problème irrésolu.
— X Park ?
— Oui, mon grand ?
J'ai bu deux longues gorgées supplémentaires avant de parler, d'une voix rauque.
— J'ai bien reçu le paiement... celui qui a été versé sur mon compte.
L'homme a souri.
— Oui, oui ! C'est une bonne nouvelle. Nous qui sommes des petits nouveaux, dans ce milieu très compétitif. Tu as su te trouver une place en tant que nouvel artiste K-pop. Nous avons pris de gros risques, des investissements très risqués... mais regarde, nous sommes devenus rentables, en trois années seulement après tes débuts. Nous pouvons être tous très fiers. Tous très reconnaissants vis-à-vis de cela. Buvons, buvons à ce succès !
Et nous avons bu.
— Oui, c'est une bonne nouvelle. J'ai travaillé très dur pour cela et toujours dans le but de réaliser mes rêves, de devenir un meilleur chanteur. J'ai travaillé dur sur ma musique, pendant les entrainements et pendant les performances.
— Oui, oui, buvons à toi.
J'ai levé mon verre, et j'ai encore bu. Je savais que, comme on dit, il noyait le poisson, dans de l'alcool fort.
— Je vous suis très reconnaissant, monsieur Park. J'ai si souvent été occupé, ces derniers mois, que je n'ai pas eu le temps de vous parler. Il y a peut-être eu une erreur dans la somme que l'on m'a versée.
— Pourquoi y aurait-il une erreur ? Tu trouves que ce n'est pas suffisant ?
J'ai gardé le silence, ce qui était l'équivalent d'un aveu. La semaine précédente, j'avais reçu mon chèque : 17.9 millions de wons. J'ai commencé à travailler en janvier 2012. Trente-et-un mois de boulot ! Si je divise par ce nombre, cela me fait une moyenne de 580 000 par mois. C'est inférieur au seuil de pauvreté. Je ne comprends pas qu'il puisse s'attendre à ce que je me réjouisse.
Mon patron s'est redressé sur son siège.
— Il n'y a pas d'erreur. L'entreprise t'a versé ce qui restait, après qu'on remboursé nos dettes, c'est pour ça qu'il n'y a pas grand-chose. En plus... il fallait que tu nous rembourses tes frais personnels : nourriture, logement et les cours qu'on t'a donnés. Cela fait des sommes ! Tu es à notre charge depuis cinq ans, ce n'est pas rien !
— Je sais tout cela, lui ai-je dit. Je vous fais confiance, néanmoins... pour ma mère, il serait préférable que je consulte les relevés comptables. Pour que je puisse lui expliquer comment onze milliards de wons de recettes n'ont pas suffi à compenser les dépenses. Si je pouvais obtenir ces relevés, les lui donner et...
— Oh là là !
Il m'a posé une main sur l'épaule en riant.
— Comment tu y vas toi ! Sortir les pièces comptables de l'entreprise, te balader avec... et puis quoi encore ? Les montrer à un avocat...
Il a ri, un rire de gorge, puissant et lourd, comme s'il venait de faire une proposition absurde. Puis, il m'a montré du doigt.
— Toi, tu pourras les voir, si tu veux. Je n'y vois aucun inconvénient. Mais il y a des règles. Les pièces comptables sont consultables sur place. Elles ne doivent surtout pas sortir de l'entreprise. Tu sais, entre les mains de n'importe qui, ces papiers seraient une indication précieuse pour nous doubler. Dans ces comptes, il y a la recette de la fabrication de ton succès. C'est comme une recette de parfum, comme la recette du Coca-Cola. Tu crois que le PDG de Coca-Cola révèlerait sa recette secrète à ses employés ? Non ! Il met cette recette à double tour, dans un coffre-fort blindé et bien gardé. Tu me comprends, j'espère ?
J'avais des doutes, j'en ai encore, mais je n'ai aucune raison de scier la branche sur laquelle je suis assis. Il est d'accord de me laisser consulter les pièces comptables. Je ne demande qu'à voir.
17.9 millions de wons = 13 500 euros
580 000 w = 438 euros
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