40. Attraction (réécriture)
Au petit matin, sans frapper, la fraicheur s'invite dans les dortoirs. Lorsque je mets le bout de mon nez en dehors des couvertures, elle vient me chatouiller les narines.
Je n'ai pas vu arriver le mois de septembre. On raconte que l'automne est une saison parfaite à Séoul. Les journées splendides apaisent les habitants, alors que les températures matinales les revivifient ; le pays doit à ses froideurs matinales son surnom de : « pays des matins frais », bien plus approprié que celui de : « pays des matins calmes », qui a pourtant été retenu par les agences de voyages. Calmes ? Les matins en Corée du Sud sont aussi peu calmes que les nuits et les journées.
Le changement d'air me semble si brutal qu'il me donne envie de sortir au grand air, de quitter les ambiances conditionnées de l'immeuble de la Pak.
J'enfile un pull bleu marine de laine épaisse et chaude, au-dessus d'un pantalon en velours côtelé bordeaux. Les occasions d'acheter des vêtements m'ont manquée, mais j'ai tout de même réussi à enrichir mes placards d'indispensables vêtements chauds, juste à temps avant que la nouvelle saison ne se pointe.
Je prends l'ascenseur, descends, traverse le grand hall, surprise d'y trouver autant de lumière pure. C'est une clarté vivante, transparente et tendre, bien différente du soleil ardent et rouge de l'été qui s'achève. Lui donnait plutôt au décor des allures d'œuvres de Gauguin, toujours saturées de couleurs vives, parfois agressives, souvent improbables.
Je sors sur le large trottoir de l'agence, les bras croisés pour me réchauffer. Je lève les yeux vers le ciel haut. La voute céleste, d'un bleu doux, est traversée par des nuages gigantesques, aux formes inspirantes, de dragons, de nems et de bouquets de fleurs. Je n'ai pas de doute, l'automne s'installe. Bientôt, les arbres exploseront de roux, d'ocre et de jaune moutarde.
À mes pieds des pigeons picorent le sol, lorsque soudain l'intuition que l'on m'observe revient me déranger. Je regarde dans toutes les directions et je le trouve. Serait-il mon ombre ? Serait-il un espion ? Quoi qu'il soit, il est devenu mon stalker. Rémi se tient debout sur le perron de l'agence, seul, les bras croisés, comme moi. Il ne fait même pas semblant de ne pas s'intéresser à moi, bien au contraire ; il me toise, des pieds à la tête, un sourire malicieux sur les lèvres.
Depuis que je l'ai bousculé dans l'ascenseur, Rémi m'espionne tout le temps. C'est gênant. Dans les amphithéâtres, il ne se met plus au premier rang, préférant s'assoir quelques chaises derrière moi. Dès que je me retourne, je croise son regard, intense, joueur, plein de sous-entendus, un regard qui semble dire :
« Je sais que tu caches quelque chose... ça me plait, et je découvrirai ce que c'est. »
Il n'arrête jamais et il semble être partout. Si je vais en salle de musique, il s'y trouve aussi ; si j'arpente un couloir, il faut que je le croise ; enfin, si je sors prendre l'air, il me rejoint quelques minutes plus tard. Il va me rendre folle, car son obsession à mon égard n'a d'égale que celle qu'il sait m'inspirer.
La façon dont il m'observe réveille mes vices, malgré moi. Aucun homme ne m'avait jamais regardé de cette façon. Je pense à lui souvent, trop souvent. Il hante mes rêves, les corrompt, les pervertit. C'est bien simple, si je ne réfléchis pas à la façon de récupérer le journal disparu de Minsuk, alors je me perds dans des scénarios où le rapprochement inévitable se produit entre lui et moi.
J'aurais sans doute déjà cédé s'il ne cherchait pas, par ailleurs, à découvrir mon secret. Si je n'avais pas quelque chose à cacher, je serais sans doute plus sereine, j'apprécierais davantage ce petit jeu du chat et de la souris. J'ai beau n'avoir aucune expérience en infiltration, je sais que mélanger affaires de cœur et travail sous couverture ne fait pas bon ménage.
Malgré cette conviction, je n'ai pas encore trouvé le courage d'aller l'affronter. Je devrais pourtant aller lui expliquer que son attitude de stalker m'insupporte, qu'il doit arrêter tout de suite, que moi aussi, je suis capable de lui imprimer ma photo, s'il en a besoin.
À défaut de le repousser franchement, pour l'instant, je l'évite comme je peux.
Le vent souffle dans les cheveux mi-longs de Rémi et il rentre les épaules. Parce qu'il me fixe obstinément, il ne voit pas un homme sortir du hall avec une démarche pressée. Je reconnais Gong, qui s'approche de lui. Poignée de main, sourire complice, respect mutuel. Quand je pense que cet homme est celui que je dois cuisiner ! En sa qualité de manager des trainees masculins, il ne se préoccupe pas beaucoup de moi, pour ne pas dire jamais. Si j'étais Rémi, les choses seraient plus faciles. Je me demande comment l'Ulzzang s'y est pris pour le mettre dans sa poche de cette manière. Si j'osais, je lui demanderais bien quelques conseils d'approche. Peut-être même que Rémi pourrait les lui poser, lui, les questions qui me piquent la langue.
Mais non. Ce n'est pas raisonnable. Je ne dois mettre personne d'autre dans la confidence. Minhok me l'a interdit explicitement : « personne ne doit savoir. »
Seulement, la soirée de beuverie promise par le journaliste ne s'est toujours pas ajoutée au calendrier et les trois mois d'essai risquent bien de s'achever, aussi vite que l'été.
Quand le manager Gong s'éloigne, je prends la décision d'attaquer. Je rejoins Rémi en feignant de ne pas remarquer la joie manifeste avec laquelle il m'accueille, faire comme si nous ne nous cherchions pas l'un l'autre depuis plusieurs jours, comme s'il ne me faisait pas d'effet.
— Bonjour, abordé-je.
— Salut.
Je m'attends à ce qu'il ajoute une réplique sarcastique dont il a le secret, mais rien. Apparemment, c'est à moi d'enchainer.
— Euh... je me demandais. Le manager Gong, il est sympa ?
— Ça va. Mais il est grillé à la Pak.
— Pourquoi ?
— Ça ? C'est un mystère. Chacun à son hypothèse. Beaucoup de gens pensent qu'on ne lui a pas pardonné le suicide de Minsuk. Parce que, en réalité, le jour où ça s'est passé, c'était un jour où il devait le surveiller. À ce qu'il parait. Mais moi ? je ne pense pas que ça soit ça...
Je me rends compte que je me suis penchée en avant, ma curiosité maladive doit se lire sur ma figure. J'essaie de reprendre une attitude indifférente, mais, à l'intérieur, je repense à la conversation que j'ai saisie l'autre jour et au journal intime qui pourrait bien être la véritable raison de ce ban. Se pourrait-il que Rémi sache cela ? Ou plus encore ?
— Quoi ? questionné-je.
— Moi, je pense que sa coupe de cheveux est la seule responsable. Ça devrait être interdit par la loi, une coupe de cheveux pareille !
Je reste imperméable à son humour et le laisse rire tout seul, vidée de mon exaltation en une fraction de seconde. Évidemment, qu'il ne sait rien ! Qu'est-ce que j'ai cru ?
— Sérieusement, tu crois que X Park le déteste pour de bon ?
— Je crois oui. Même s'ils se donnent parfois du mal pour donner le change, tiens, regarde !
Il sort de la poche de son manteau son téléphone et y affiche un selfie de lui-même, accompagné de Gong et de X Park. Je plisse les yeux.
J'ai toujours pensé qu'une simple photographie pouvait recéler des informations précieuses, surtout quand on sait lire les expressions involontaires sur les visages et qu'on connait la signification du langage corporel. Il s'agit de mon point fort, sans mauvaise modestie.
Sur l'image que me montre Rémi, je relève le sourire pincé de Gong, crispé, faux. J'en mettrais ma main à couper. Il y a de la peur derrière ce sourire. X Park est plus sincèrement détendu, il pose une main sur l'épaule de Gong. Je ne crois pas que ça soit si affectueux. Rémi pose sérieusement, l'absence d'expression me trouble, mais moins que sa beauté.
Puis un détail m'attrape. Entre les têtes au premier plan, un individu se devine, le visage tourné aux trois quarts, il s'agit de ce type louche, le Sosie. Un malaise m'étreint, parce que je ne l'avais pas vu dans un premier temps et que sa présence pernicieuse sur la photographie semble calculée, comme s'il cherchait à intimider l'observateur. Bien que de profil, il fixe l'objectif de la caméra, ce qui me donne l'impression qu'il me regarde, droit dans les yeux.
— On pourrait presque penser qu'ils s'apprécient, tu ne trouves pas ?
— Tu veux bien m'envoyer cette photo ?
— Ah ! Pour ça, il me faudrait ton numéro de téléphone...
— Mon numéro contre la photo.
Je rêve ou je suis en train de draguer pour obtenir des informations ? Le trainee prend un air ravi.
— Pas de souci. Mais dis-moi ?
— Quoi ?
— C'est pour tes recherches sur Minsuk toutes ces questions ?
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