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3. Entretien (réécriture)


J'ai mon rendez-vous aux bureaux de la rédaction du Newsweb-Korea, situés dans les quartiers historiques de Séoul. J'en profite pour prendre un selfie devant la porte de Gwanghwa, son majestueux toit double et ses trois ouvertures dans la muraille. J'envoie la photo à Soumaya. Elle ne me répondra pas tout de suite, je sais qu'elle dort et qu'elle fera sans doute la grasse matinée. Pourtant, j'ai la certitude qu'elle pense à moi dans son sommeil.

La rédaction se trouve au troisième étage d'un immeuble, où les deux premiers niveaux sont dédiés à la restauration. Pour y accéder, rien de bien compliqué, un ascenseur me permet d'y monter.

J'ai toujours ma grosse valise. J'aurais aimé m'en débarrasser, la consigner, mais je ne peux pas m'en séparer. Elle contient des documents que je tenais à apporter avec moi.

Je me présente à l'accueil, avec la peur de celle qui commet une imposture et craint d'être démasquée. Je ne suis pas fière d'avoir menti, mais je n'avais pas le choix. Sur les mails, j'ai écrit que j'avais vingt-deux ans, parce qu'on n'aurait pas trouvé crédible ma demande autrement. Je me suis présentée comme étant une jeune Française, étudiant dans une école de journalisme. Je suis censée préparer un mémoire qui a pour titre : la couverture médiatique des grandes affaires de corruption à travers le monde de 2014 à 2018.

Pour avoir l'air plus âgée, j'ai mis des vêtements de femme. Je suis plus habituée aux baskets qu'aux talons, et porter une veste pour la première fois de ma vie me donne l'impression désagréable d'être déguisée. En plus, il fait une chaleur insupportable.

La dame de l'accueil vérifie sur son registre, me demande ma pièce d'identité et m'amène à travers des couloirs beiges vers le moment crucial.

— Il vous attendait, dit-elle en m'ouvrant la porte d'un bureau.

Je me crispe. Je ne suis pas prête.

Mes yeux sautent les détails accessoires pour aller directement scruter l'être humain qui se trouve à son ordinateur, les doigts agités sur leur clavier. Il ne lève même pas les yeux en entendant la porte de son bureau s'ouvrir. Il continue de taper son texte vivement, concentré sur sa tâche.

Je m'étais préparée à l'avance au choc. Finalement, le voir n'est pas aussi éprouvant que je ne l'avais imaginé. Je n'aurai pas besoin d'éviter de regarder Minhok. Bien sûr, il ressemble à Minsuk. Je reconnais bien ce cou massif et ce menton étroit. Même forme de sourcil, même forme de nez, même forme de tout. Techniquement, ils ont le même visage, mais paradoxalement, je décide qu'ils n'ont rien à voir.

Bien sûr, Minsuk n'a pas pu vieillir comme son frère, mais ce ne sont pas ces quatre années de plus qui sont la cause de cette différence. Minsuk était plus illuminé. Il irradiait. J'ai cherché longtemps la raison de cette aura. Il me semble que le mot qui convienne est plénitude. Minsuk, la majeure partie du temps (si l'on exclut les deux derniers mois avant le drame), était pareil à une large étendue d'eau qu'aucune brise ne venait déranger. Cette nature si paisible le rendait assurément beau. Je crois bien que seuls les idéalistes sont capables d'être aussi beaux, parce qu'ils ont quelque chose en plus, que les réalistes n'ont pas.

Minhok est de ceux-là. Il a le visage grave, les yeux terriblement cernés. Il dégage une forte impression de stress. Il est l'antithèse de la plénitude.

— Êtes-vous timide ? demande-t-il sans me regarder. Ce n'est pas une qualité lorsqu'on se destine au métier de journaliste. Présentez-vous.

Entendre sa voix me retourne le sang. Une voix très grave, peu commune. Je m'étais préparée à ce que ce soit troublant de le regarder. Je n'avais pas pensé que l'entendre me perturberait davantage. Je secoue la tête pour évacuer les émotions qui déferlent à l'écoute de ses sons, des émotions qui ont toutes à voir avec Minsuk, avec cette sensation de manque, ce trou béant qu'il a laissé dans ma vie. Je lisse nerveusement ma jupe noire.

— Je... commencé-je en coréen. Je suis très heureuse de vous rencontrer. Mon nom est Gardin Jeanne, je vous ai envoyé un mail, il y a un mois environ, et vous avez accepté de me rencontrer. J'ai donc fait tout ce chemin.

Il rabat l'écran de son ordinateur et m'accorde son premier regard. Impossible de dire ce qu'il pense de moi à cet instant. Il fait un signe de la main pour m'inviter à pénétrer dans son bureau.

— Avez-vous fait bon voyage ? demande-t-il pendant que je m'avance en trainant ma grosse valise rouge.

Cet attelage doit me faire perdre des points de crédibilité. Les roulettes de mon bagage se prennent à plusieurs reprises dans des piles de dossiers qui encombrent le sol. Mes cheveux me barrent la vue. Ils sont lâchés et s'envolent à cause du climatiseur qui brassent l'air de ce bureau surchauffé.

Je ne peux m'empêcher de remarquer, entre une vitrine et un meuble de dossiers, un petit cadre accroché sur le mur. J'y vois parfaitement deux petits garçons du même âge courir pieds nus. Deux enfants coréens, semblables en tous points, se tenant par la main.

Malgré ma curiosité, je n'ai pas le temps de l'observer davantage, parce que Minhok s'est levé et attrape ma valise. Il ne tente pas de la faire rouler, il la soulève et la dépose au pied d'une chaise à roulette.

— Merci.

Nous échangeons une poignée de main, un salut à l'Occidentale, de plus en plus courant en Corée du Sud. La poigne de Minhok est ferme, alors que j'ai à peine osé me poser sur lui.

— Avez-vous fait bon voyage ? répète-t-il en me faisant signe de m'assoir.

— Oui.

Je m'assieds.

— Cela doit vous faire un écart de température avec Paris. Il fait une chaleur intolérable depuis une semaine, à Séoul. Heureusement, la canicule devrait cesser mercredi.

— Oui.

— Vous vous intéressez donc à la révolution des bougies et à l'affaire Park Geunhye ? Votre mail et votre documentation sur le sujet m'ont beaucoup étonné. Je ne m'attendais pas à ce que notre participation dans ce retentissant scandale soit connue jusqu'en France.

— Dans les milieux qui s'intéressent à la lutte anticorruption, les rôles qu'ont joués les médias coréens dans cette affaire sont connus et reconnus.

Il s'assied à son tour, déplace son ordinateur portable et les feuilles qui en encombrent la surface, comme s'il avait peur que trop d'objets entre nous n'interfèrent dans notre entretien.

— Je ne suis pas sûr de pouvoir vous apporter plus d'éléments que tout ce que vous avez déjà réuni, poursuit-il toujours avec cette voix grave qui me fait du bien et du mal à la fois. Je ne suis pas sûr que le journalisme coréen puisse se vanter. J'ai honte quand je pense à la façon dont on parlait de Park Geunhee. Elle était médiatiquement et politiquement présente dans les médias depuis 1974 et personne ne l'a attaquée. Nous ne faisions pas assez d'enquêtes sur elle.

Il s'interrompt. Puisqu'il semble attendre de moi une intervention, je lui dis :

— Vous ne devriez pas avoir honte. Vous n'étiez pas encore journaliste à l'époque.

— En effet, mais je parle au nom de tous, de mes confrères, du groupe. Tout de même, n'allez pas écrire que tous les journalistes coréens ont été des lâches ou des kiraegi. Je suppose que vous voulez m'entendre au sujet des lois coréennes qui protègent le pouvoir et servent à intimider les journalistes. Vous voulez peut-être que nous parlions des lois sur la diffamation qui nous interdisent de dire du mal de la Corée du Nord ? Ou, peut-être, que nous pourrions parler des pressions des grands conglomérats sur la presse privée ? Les étrangers sont souvent intrigués par la puissance des chaebols. Jusqu'où vont leur pouvoir et leur contrôle sur la Corée du Sud ? Tout le monde s'intéresse aux pouvoirs des chaebols...

Il attend que je confirme et je sens que je ne peux plus continuer.

— En réalité, je ne suis pas venue jusque-là pour discuter de l'influence des chaebols. Je me suis renseignée sur la lutte contre la corruption en Corée du Sud et dans le monde entier, mais c'était uniquement pour pouvoir obtenir cet entretien. Je suis venue pour vous voir, vous.

L'aplomb de ma réplique me surprend plus que lui. Je ne peux pas m'empêcher de jeter un coup d'œil vers la photo des deux enfants qui courent main dans la main. Ils sont très jeunes : cinq ans environ. Ça ne peut être qu'eux. Pourquoi Minhok a-t-il mis une photo de famille sur le mur de son bureau ? Lequel de ces deux petits garçons en short est Minsuk ?

— Pour moi ? s'étonne Minhok. Si vous n'êtes pas venu me parler de lutte contre la corruption, vous êtes venu pour me parler de quoi ? De journalisme ?

Je me tourne de nouveau vers lui.

— Pas de journalisme.

— De quoi voulez-vous m'entretenir dans ce cas ?

— De Minsuk.

Le prénom a un effet immédiat sur mon interlocuteur. L'homme se ferme et me fixe comme si je venais de retirer un masque et de lui dévoiler un visage d'une grande laideur. Mais une laideur qu'il a l'habitude de voir, car il ne semble pas vraiment horrifié, seulement déçu.

— Vous êtes quoi exactement ? marmonne-t-il entre ses dents. Une journaliste people ? Non... non, sûrement pas. Plus personne ne s'intéresse à Minsuk, maintenant. Vous êtes une ancienne fan, une E.T. ?

J'acquiesce.

— Je ne sais pas ce que vous êtes venue chercher, dit-il froidement. Mais si vous avez fait tout ce chemin pour que je vous donne des informations privées, vous pouvez faire demi-tour et passer la porte de mon bureau dans l'autre sens.

Il fait mine de se lever, bien décidé à mettre fin à cette conversation avant même qu'elle ne commence. Je me dépêche d'attraper ma valise.

— Attendez ! Attendez, s'il vous plait !

Je fais glisser la fermeture éclair pour rabattre le couvercle de ma valise entièrement, comme si j'ouvrais une grosse coquille Saint-Jacques. Au-dessus de mes vêtements et d'une grande quantité de livres, j'attrape mon classeur gris que je viens ensuite déposer sur le bureau, orienté dans le sens de lecture de Minhok. J'ouvre le classeur avant qu'il n'ait le temps de s'y opposer.

— Dans ce classeur, dis-je en tapotant l'objet, j'ai passé les quatre dernières années, depuis sa disparition, à apprendre le coréen et aussi à réunir toutes les informations que je pouvais avoir sur sa vie et sur les circonstances qui ont mené à sa disparition. Regardez...

Je fais tourner les feuilles devant les yeux de mon interlocuteur, trop sidéré pour m'interrompre. Je lui dévoile des documents, tantôt en coréen, tantôt en anglais. Parfois, des pages sont écrites de ma main, en français. Il y a aussi des photographies, beaucoup de photographies, et de captures d'écran. Tandis que je fais défiler l'ensemble, Minhok m'arrête en mettant sa main pour empêcher les transparents de tourner davantage. Il fronce les sourcils en remarquant un dessin.

— Ce dessin... Minsuk l'avait publié sur son compte Instagram, dit-il.

— Oui. Le 2 septembre 2014. La date est inscrite, ici.

J'avais en effet collé un petit post-it jaune pour ne pas avoir à me souvenir de la date de publication de l'image. On voit un homme noir, de petite taille et atrocement maigre, tendant une main squelettique vers l'extrémité d'un tuyau d'arrosage, mais il n'aura pas d'eau, car le tuyau est retenu par la main d'un homme : blanc, bien habillé, gras, dont on ne voit pas le visage.

— J'ai gardé cette image, parce que je pense qu'elle signifie quelque chose. Minsuk l'a publié pour nous envoyer un message. Ce n'était pas très longtemps avant sa disparition. Je pense que si j'arrive à comprendre ce qu'il a voulu dénoncer en publiant cette image, je comprendrai les raisons qui l'ont poussé à nous mentir...

— Mentir ?

— Oui. Cela fait quatre années que je collecte ces informations, parce que je ne comprends toujours pas pourquoi il a fait ça... J'ai besoin de trouver la réponse à cette question, de connaître la vérité. Vous faites partie des rares personnes qui doivent comprendre quelque chose, qui doivent savoir ce qui s'est réellement passé. J'ai besoin que vous me disiez la vérité. Vous la savez, n'est-ce pas ? Dites-moi que vous la savez ? Vous, vous savez que Minsuk ne s'est pas suicidé...

— Pardon ?

L'expression de Minhok est en train de changer. Au fur et à mesure que je lui dévoile mes recherches, il ne me regarde plus avec froideur et lassitude ; il écarquille les yeux à chaque nouvelle page que je tourne. Maintenant que je lui ai dit ma plus grande conviction, je le vois m'examiner avec une telle incompréhension que je saisis à quel point je me suis trompé à son sujet : Minhok est comme tous les autres, il croit sincèrement à la version officielle.

En désespoir de cause, je tourne les pages du classeur gris à la recherche d'une de mes meilleures preuves. Peut-être puis-je lui faire ouvrir les yeux. Je mets une feuille en avant sur le bureau.

— Vous reconnaissez cette lettre ?

Il se frotte les yeux, je le vois hésiter entre m'envoyer me faire pendre ou regarder la preuve que je lui tends. Il cède, mais semble regretter en voyant de quoi il s'agit.

— Pourquoi venir jusque dans mon bureau pour me montrer la lettre de suicide de Minsuk ? Vous aimez voir les gens souffrir, c'est ça ?

Je ne relève pas, il va comprendre que je ne fais pas ça pour lui faire du mal. Au contraire, il me remerciera.

— Maintenant, regardez cette autre lettre.

Je place une deuxième feuille en vis-à-vis de la première. Sans m'en rendre compte, je me suis levée pour pouvoir attraper les documents plus facilement. Minhok est de plus en plus profondément enfoncé dans sa chaise de bureau. La stupéfaction l'empêche de réagir.

— Il s'agit de la lettre de suicide de Kurt Cobain. J'ai surligné en jaune les passages qui se ressemblent étrangement. Regardez, il y en a plein !

Mon interlocuteur se frotte le front comme s'il avait soudainement très mal à la tête.

— J'en ai déduit que ces ressemblances ne pouvaient pas être dues au hasard. Minsuk a donc copié la lettre de Cobain. S'il avait vraiment voulu se suicider, Minsuk ne serait pas allé copier la lettre d'un autre. Mais il n'avait pas d'inspiration pour écrire... Évidemment ! Il n'en avait pas ! Parce qu'il n'était pas dans cet état d'esprit. Il n'avait pas envie d'en finir. Pour une raison ou pour une autre, et je ne sais pas laquelle, Minsuk a été obligé de simuler ce suicide... ou quelqu'un l'a fait pour lui. Je ne sais pas. Mais tout ce que je sais de Minsuk me démontre qu'il n'aurait jamais pu se suicider... Cette lettre ! Je sais qu'il avait horreur de faire écrire ses textes par les autres. Vous pensez vraiment que s'il s'était réellement suicidé, il aurait rédigé une lettre qui ne serait pas de sa main... ça ne lui ressemble pas. Rien dans ce suicide ne lui ressemble...

Minhok abat le plat de ses mains sur son bureau avec une violence surprenante. Je sursaute et recule d'un pas, alors qu'il se lève de son fauteuil. Ses traits sont déformés par la colère.

— Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous pour venir me dire, à moi, à quoi ressemblait ou ne ressemblait pas mon frère ?

Je ne sais tout simplement pas quoi lui répondre. Je baisse les yeux.

— Vous n'imaginez pas le nombre de filles qui sont déjà venues me voir pour me parler de Minsuk. Elles avaient toujours une bonne raison pour que j'organise une rencontre avec lui. J'ai été suivi. Certaines sont rentrées chez moi. J'ai dû porter plainte, plus d'une fois. L'une d'entre elles m'a dit qu'elle était tombée amoureuse de Minsuk en le regardant à la télé. Elle a su qu'il avait un frère jumeau et elle s'est dit que je serais plus accessible. Elle ne m'avait jamais vu, mais elle voulait tout faire pour me rencontrer, persuadée que je serais l'homme de sa vie. Elle croyait que je tomberais amoureux. Elle ne comprenait pas pourquoi ce n'était pas le cas. Elle était persuadée, un peu comme vous, de me connaitre. Elle disait que je devais me laisser faire, que j'allais comprendre que nous étions faits l'un pour l'autre. Est-ce que vous comprenez ?

— C'est une maladie, dis-je.

Minhok hausse les sourcils. Puisque je ne sais pas comment dire « érotomanie » en coréen, je poursuis en périphrase.

— Les personnes qui ont cette maladie croient que l'autre est amoureux et n'écoutent pas ce qu'il dit. Quoi qu'il dise, elles continueront de penser qu'elles ont raison et qu'il a tort. C'est une maladie mentale reconnue.

— Et la vôtre ? Votre maladie mentale, elle est reconnue ?

— Je ne suis pas folle. Et je ne suis pas une sasaeng.

Minhok a un rire sans joie et il commence à faire le tour du bureau, probablement pour me faire sortir, en utilisant la force s'il le faut. Je lève la voix :

— Attendez ! Je sais que vous êtes sceptique aussi. Je le sais ! Je suis venue vous voir, vous, parce que j'ai vu le tweet que vous avez écrit l'année dernière. Vous avez écrit... c'était la date de la disparition de...

— Décès ! Arrêtez de dire disparition, c'est un décès.

Il ne vient pas vers moi pour l'instant, il se baisse pour refermer ma valise. Je continue sans faire attention à ses paroles, en parlant sur sa voix.

— ...de Minsuk. Vous avez écrit, je vous cite : « Mon deuil serait plus facile s'ils avaient retrouvé le corps de mon frère. Quand j'ai trop bu ça me donne des idées, je l'imagine en train de boire un verre en terrasse, à l'autre bout du monde. ». Vous avez retiré ce message trois minutes plus tard. Pourquoi ?

— Je n'ai jamais écrit ce message. Vous l'imaginez.

Je suis indignée qu'il ose me mentir.

— Je n'imagine rien ! Je sais ce que j'ai lu. Est-ce que vous vous rendez compte de l'importance de cette information ? S'il n'y a pas de corps...

— Arrêtez ! Ça suffit !

Il a hurlé, si fort que je suis certaine, maintenant, que nous ne serons plus seuls longtemps, si fort que je suis obligée de me taire, d'attendre qu'il se calme. S'il y parvient.

— Vous n'avez donc aucune éducation en France ! Vous ne croyez pas que j'ai assez souffert ?

— Mais je souffre aussi.

Je me rends compte en m'exprimant que je suis allée trop loin. Bien que je pense ce que je viens de lui dire, je me rends bien compte qu'il ne peut pas entendre que ma perte a été importante. Il ne peut pas l'entendre, parce qu'il la compare à la sienne. Je voudrais seulement qu'il comprenne que ce n'est pas parce qu'il a beaucoup plus souffert que moi que je n'ai pas, moi aussi, besoin de réponses.

Minhok a fini de fermer ma valise. Il se redresse au moment où la porte du bureau s'ouvre sur l'un de ses collègues journalistes.

— Ça va, Minhok ?

— Ça ira, répond-il avec un timbre de voix qui n'a rien de rassurant.

Il ne vient pas vers moi. Il fait demi-tour et va décrocher le cadre photo dont je n'arrivais pas à détacher mon regard tout à l'heure. Il me le tend et je le prends comme s'il s'agissait d'un objet très fragile et précieux.

Le collègue de Minhok ne part pas, j'ignore s'il reste là pour empêcher Minhok de me frapper ou si c'est pour l'aider à me mettre dehors. Pour l'instant, je reporte mon attention sur la fameuse photographie. Naturellement, l'œil est davantage attiré par l'un des jumeaux, celui qui court devant, en ouvrant la voie, le regard tourné vers l'avant. L'autre est plus en retrait, il se laisse guider par l'impulsion que son frère lui donne. Il ne regarde pas où il met les pieds, il regarde le ciel.

— Depuis tout à l'heure vous ne m'écoutez pas. Vous êtes venue me déballer votre théorie délirante. Vous espériez vraiment que j'allais vous suivre ? Je connaissais Minsuk. Je le connaissais, parce que j'ai grandi avec lui, parce que c'était mon frère, mon twin. Vous n'êtes rien pour moi et rien pour lui non plus. Vous ne savez rien... rien...

— Il est ici, dis-je.

— Pardon ?

— Minsuk, il est ici.

Je désigne du doigt le jumeau qui regarde le ciel. Minhok fait un aller-retour entre moi et mon doigt. Il est perplexe. Il sait que sur cette photographie les deux jumeaux se ressemblent parfaitement.

— Vous, Minhok, vous êtes celui qui marche devant, parce que quand vous étiez petit, vous étiez le frère qui prenait les décisions. Minsuk était introverti, rêveur. Il vous laissait décider de tout. Vous marchiez pour lui. Vous parliez pour lui. Vos parents et vos grands-parents... ils avaient tendance à être plus fiers de vous que de lui. Ils ne voulaient pas vous chouchouter, mais... c'était plus fort qu'eux. Même sur les photos, vous êtes celui qui est le plus photogénique, celui que les adultes mettent au centre du cadre, comme ici. Ensuite, en grandissant, Minsuk a continué de vous considérer plus comme un grand frère que comme un frère jumeau.

Minhok reprend la photographie sans rien dire. Il ne me dit pas que j'ai tort. Il ne le dit pas, parce que j'ai raison.

— Minhok, dit le collègue devant la porte, nous pouvons la faire sortir, si tu veux.

L'homme ne répond pas tout de suite. Il ne me regarde pas. Il serre le cadre contre son ventre. Les yeux dans le vide, il dit :

— Cette jeune femme va s'en aller toute seule. Tout de suite...

Je cache ma déception, mais je comprends que ça ne sert plus à rien d'insister. Pas aujourd'hui en tout cas...

L'intervention de son collègue l'empêcherait de m'avouer quoi que ce soit, de toute manière.

Je reprends donc mon classeur que je glisse sous mon bras et ma valise. Cette fois, Minhok ne m'aide pas à la trainer. Il ne vient ni me serrer la main ni me dire au revoir. Alors que je suis sur le point de sortir, que son collègue s'éloigne, je l'entends me dire.

— Vous devriez quand même vous faire soigner.

— Dites-moi au moins si le cercueil est vide, dis-je doucement. C'est vrai cette histoire de corps qui n'a pas été retrouvé, n'est-ce pas ?

— Vous avez une capture d'écran du tweet que j'aurais, soi-disant, écrit ?

— Je n'ai pas eu le temps d'en faire. Je n'y ai pas pensé.

Mais je sais que je ne l'ai pas rêvé. Il ne dit rien de plus, alors j'insiste.

— S'il vous plait. Dites-moi la vérité à ce sujet et je vous laisserai tranquille.

— C'est une menace ?

— Non, ce n'est pas ça, non.

— Moi, je vais en faire une. Revenez encore me voir et je ferai sauter votre visa.


Kiraegi : Terme insultant signifiant : chien.

Chaebols : Grandes multinationales coréennes (Samsung, LG, etc.)

Sasaeng : Littéralement : fan de vie privée. Il s'agit d'un fan très invasif au comportement harceleur.

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