21. Evanouissement (réécriture)
X Park ne me quitte pas des yeux alors que je joue, regardant moins les mouvements de mes doigts que ma gorge en sueur. Je joue mal, je rate même plusieurs reprises. Pourtant, le PDG sourit, d'un petit rictus mutin, asymétrique, qui lui creuse les joues.
Je perçois qu'Ajeong observe la scène en silence, je n'ose pas la regarder elle non plus. Les minutes s'égrènent au ralenti. Temps durant lequel personne ne tente de prendre la parole. Dans la salle de danse, mes camarades continuent leurs exercices, mais obséquieusement. M'envient-ils d'avoir toute l'attention de cet homme ? Me plaignent-ils ? Impossible à dire.
À la fin du morceau, X Park hoche la tête.
— Ce sera suffisant, mademoiselle...
Il avance sa main vers mon décolleté et j'ai un mouvement de recul. Mes muscles se contractent en sentant ses doigts effleurer ma peau, au-dessus de ma poitrine. Sa main se referme sur le cordon autour de mon cou et tire pour extraire mon badge, que je sens remonter, sous mon t-shirt, entre mes deux seins, jusqu'à devenir accessible. Là, X Park l'attrape et l'inspecte.
— Ga'din, dit-il avec un tel accent que j'ai du mal à reconnaitre mon propre nom. Jaa-neuh Ga'din. D'où venez-vous ?
Puisqu'il ne me touche plus, je m'autorise à respirer, mais je n'arrive pas à croire qu'il a fait ça : extraire à la main un objet coincé entre mes seins. Je croyais que les Asiatiques évitaient les contacts physiques avec les inconnus. Outrée, je me tourne vers mon enseignante, qui fuit aussitôt mon regard.
— D'où venez-vous ? insiste-t-il.
— ... De France.
— De France, répète-t-il en se penchant toujours plus vers moi. Et donc, toutes les femmes sont jolies comme vous, en France ?
Je ne sais pas quoi répondre à ce compliment. Dois-je être flattée qu'un homme important remarque ma beauté ?
— Vous avez aimé l'air de piano ? intervint Ajeong.
— Oui, oui.
Sur cette parole, il m'autorise à rejoindre mes camarades. Je me dirige directement vers Nanae. L'adolescente et moi échangeons un regard signifiant que nous en reparlerons plus tard. Un rapide coup d'œil dans le coin de la pièce me confirme que le sosie n'a pas quitté son ombre. Plus personne ne fait vraiment attention à lui désormais.
X Park claque soudain dans ses mains. Bruit qui ne manque pas de me faire sursauter.
— Et si nous faisions une speed-dance ? Uniquement les garçons. Allons-y !
Je soupire de soulagement, en m'éloignant du centre de la piste, pour laisser la place aux garçons. Je suis heureuse de ne pas avoir à participer à ce défi. J'ignore encore de quoi il s'agit exactement, mais je pressens que l'énergie m'aurait manqué. Les joueurs sont enthousiastes, même si l'horloge digitale, au-dessus des portes d'entrée, indique une heure qui est plus matinale que tardive.
Les garçons se placent devant le grand miroir, tous de face et à des distances raisonnables les uns des autres. La musique démarre et les trainees masculins découvrent l'enchainement que leur présente Ajeong. En résumant grossièrement : ils doivent avancer, en boxant le vide, faire un tour sur eux-mêmes, balancer leur jambe droite en restant en équilibre sur la gauche, se laisser tomber au sol en se réceptionnant sur les bras, et d'un mouvement de pompe, se redresser. Ensuite, ils reculent et recommencent.
Au bout de trois démonstrations, Ajeong s'écarte et retourne vers la chaine hifi. Une manipulation lui permet d'accélérer artificiellement la rapidité de la bande. Les voix des chanteuses s'en trouvent modifiées et sifflotent dans des aigus inhumains.
Les spectatrices se mettent à rire devant les premières difficultés des danseurs. Une partie d'entre eux chute à la première accélération du rythme et est écartée par Ajeong, définitivement éliminée. Une quinzaine de jeunes hommes demeurent. Je regarde Rémi, qui fixe son reflet dans la glace avec une détermination froide. Son maquillage s'est estompé sous l'effet des heures de travail. Sa peau est plus brune, plus sèche aussi. Des rougeurs tachent son nez et une disgracieuse acné lui marque les tempes. Sa concentration force l'admiration, la précision de ses gestes, l'ampleur de ses mouvements aussi. Seulement, il n'est pas le seul à maitriser cet enchaînement puissant.
La musique tourne en boucle sur une bande d'une quinzaine de secondes seulement. Elle se répète, dix fois, cent fois. La présence du grand miroir confronte les participants à un sévère jugement. Le leur, évidemment, mais également celui des adversaires. Les joueurs portent un intérêt égal à leurs propres gestes et à ceux des autres. Ils épient ceux qui faiblissent, scrutent les fautes, même les plus minimes. Lorsqu'un adolescent décoloré se relève trop tôt, oubliant le mouvement de pompe, aussitôt, les joueurs se trouvant à sa droite et à sa gauche lèvent leur basket et abattent leur chaussure sur le fautif. Il grogne, chute, reçoit encore un ou deux coups de pompes et quitte le jeu.
Tout autour, les spectatrices se mettent à rire, tandis que les joueurs restants poursuivent leur danse, sans un regard pour le jeune garçon éliminé. Ce dernier ne se plaint pas des coups qu'il vient de recevoir. Il rit même, bon joueur.
Le jeu se poursuit et à chaque erreur fait suite un châtiment corporel et une élimination. Au bout d'une dizaine de minutes, sur la piste, il ne reste plus que trois danseurs. Rémi en fait partie. Ils ne parviennent plus à dissimuler leur souffrance. L'un d'eux hurle :
— C'est pas vrai, les gars ! Faites un forfait, c'est trop long !
— Toi d'abord ! répond Rémi en serrant les dents.
Ajeong retourne au lecteur et accélère encore la musique. La bande est raccourcie de cinq secondes, les pas deviennent frénétiques. L'un des garçons lâche, subitement. Il tombe au sol. Je crois d'abord qu'il a été déséquilibré, avant d'entendre des exclamations parmi les filles.
— Oh !
J'entends la voix d'Ajeong crier :
— Tout va bien, continuez !
L'ordre est inutile, le duo final n'a pas esquissé un geste vers le camarade qui ne s'est pas relevé. Je comprends enfin qu'il vient, en réalité, de perdre connaissance. Je m'avance pour aller aider le trainee évanoui, mais juste à ce moment-là, Ajeong ordonne en désignant deux étudiants :
— Kim et Choi, occupez-vous de lui ! Aidez-le. Quand il se réveillera, donnez-lui de l'eau. Qu'il ne se mette pas trop vite debout.
Celui qui s'est évanoui vient justement de reprendre connaissance et les deux garçons l'entrainent à l'écart. Je me tourne vers Nanae, je remarque que, contrairement à moi, elle ne prête pas attention au garçon évanoui. Elle regarde toujours la speed-dance.
Sans qu'on ne sache réellement pourquoi, Rémi dérape après le tour sur lui-même, titube et tombe au sol. Il reste à genoux sur le sol, respirant tellement fort que j'ai l'impression qu'il va se décrocher les poumons. Le dernier concurrent debout n'a pas le temps de savourer sa victoire, il se laisse tomber par terre, allongé sur le sol, bras et jambes écartées, sa poitrine se soulève et se lève cruellement.
— Bravo !
X Park applaudit, se dirige vers les deux finalistes.
— Très impressionnant, très très impressionnant. Je crois que vous avez tous bien travaillé.
— On a bien travaillé ! crient plusieurs trainees, à la manière d'un cri de guerre.
Voici le signe pour tout le monde de regagner son dortoir respectif.
Une bande d'étudiants se rassemble autour de Rémi, toujours à genoux, sans doute incapable de tenir debout. Il a eu son quart d'heure de gloire, pourtant, son expression montre plutôt de la déception. Mauvais joueur, je le vois taper du poing sur le sol. Un copain l'aide à se redresser. Quand il passe près de moi, je ne peux m'empêcher de regarder Rémi droit dans les yeux. Je pense à sa façon de parler des femmes, à son arrogance lors du casting, à sa superficialité, au fait qu'il ne s'est pas arrêté de danser, tout à l'heure, quand son camarade est tombé, et, à son humeur actuelle, à râler, alors que ce n'était qu'un jeu, après tout. Rémi soutient mon regard, il lève le menton et me dit, en français :
— Quoi ? Tu veux ma photo ?
La phrase est digne d'une cour de récréation et pourtant, je n'arrive pas à répliquer.
À cet instant, Nanae, qui s'était chargée d'aider à ranger la salle, me rejoint tout sourire. En l'apercevant, Rémi s'écarte de son ami, se tient droit et recouvre une expression joviale. Il esquisse un clin d'œil à ma compagne de chambre qui m'attrape aussitôt, comme si j'étais une bouée de sauvetage et qu'elle était en train de couler.
— Salut, dit-il en coréen.
— Hello, Rémi.
— On se connait ?
— Je suis une de tes abonnées depuis décembre de l'année dernière.
Nanae a parlé en un souffle, sans oser reprendre sa respiration. Elle s'accroche toujours à moi.
— C'est quoi ton pseudo ?
— Nanaelle22...
— Je t'enverrai un truc, bye.
— Bye.
Et il disparait pour de bon. Je me tourne vers mon amie qui ne semble pas se remettre de ses émotions.
— Oh my god ! Il est encore plus beau en vrai.
— De quoi vous parliez tous les deux ? T'es abonnée à lui ?
Tout en continuant notre conversation, nous plions nos affaires et nous dirigeons vers les dortoirs.
— Oui. Il est Ulzzang, j'en suis une trentaine, mais Rémi a été le premier. C'est génial de le voir en vrai. C'est un mec super...
— Super ?
— Oui. Il aime beaucoup la musique. Il est diplômé de l'École des arts musicaux traditionnels de Séoul. Il sait jouer de cinquante instruments différents. Il parle quatre langues couramment et il soutient une association... je ne sais plus de quoi... si, ça me revient, une association de prévention contre le suicide, oui, c'est ça.
Une gifle. Je ne m'attendais pas à ce que nous ayons de tels points communs, Rémi et moi. Surtout pas celui-ci à vrai dire.
J'ai fait du bénévolat pour SOS suicide, même si, à cause de mon âge, mes missions se sont limitées à la distribution de prospectus et au collage des affiches. J'ai tout arrêté après l'annonce du suicide de Minsuk. Je crois que, quand j'aurai prouvé ce que j'ai à prouver, je retrouverai la foi pour continuer.
— Il est amazing. Je l'adore. La Pak va en faire un Idol. Ils sont obligés.
Je repense à la phrase de Rémi : « Tu veux ma photo. ». Je me demande si au fond, sa réaction n'a pas été provoquée par la manière dont je le regardais. Comment l'ai-je regardé d'ailleurs ? Hautaine, critique ? Peut-être même que j'ai eu de la méchanceté. Je l'ai jugé et il l'a senti.
Qu'importe. Il n'avait pas à me dire ça et j'aurais aimé lui répondre quelque chose.
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