17. Les dortoirs (réécriture)
— Je suis Mme Cho, la manager des trainees féminines du dortoir 3. Bienvenue à vous toutes au sein de la Pak. Vous allez voir qu'ici tout est fait pour que vous vous sentiez chez vous et que vous travailliez bien. Je serai comme votre grande sœur, n'hésitez pas à venir me voir si vous avez des problèmes.
Nanae me chuchote à l'oreille :
— Tu resteras ma eonni préférée.
Je n'ose pas sourire, car le père de Nanae semble nerveux depuis son arrivée. Je me demande s'il voit d'un bon œil le fait que sa fille se rapproche d'une étrangère.
Beaucoup de jeunes recrues sont mineures et sont venues accompagnées de leurs parents.
Mme Cho, petit bout de femme avec une coupe au bol, nous distribue nos badges fluos.
— Vous devez porter ces badges en permanence, autour de votre cou, quand vous êtes dans l'immeuble. Sauf quand vous dormez ou que vous prenez votre douche, évidemment.
Mme Cho s'interrompt le temps d'entendre quelques rires et poursuit en nous apprenant que nos badges font fonctionner les ascenseurs. C'est ainsi que nous allons pouvoir atteindre les étages où auront lieu les cours et où se trouvent nos dortoirs.
— Les étages de l'immeuble sont exclusivement réservés aux personnes faisant partie de l'agence. Vos parents vont faire la visite avec nous aujourd'hui, mais vous ne pourrez plus recevoir vos proches dans les dortoirs ensuite. Si vous désirez voir vos parents ou des amis, des parties communes sont prévues pour ça, au rez-de-chaussée. Des questions ?
Aucune main ne se lève.
— Très bien, alors, allons-y !
Les élèves trainent leurs valises et leurs proches dans les deux ascenseurs de l'entreprise. Ils ont beau être grands, il faut plusieurs allers-retours pour faire monter tout le monde. Nous nous trouvons ensuite entassés devant les portes des ascenseurs, dans un espace en T, qui n'a pas été prévu pour tant de personnes.
— La porte que vous voyez sur votre droite est l'entrée des dortoirs, pour les trainees masculins. Vous ne pouvez pas vous rendre dans cette partie. De toute façon, vos badges n'ouvriraient pas cette porte-là. Et si un trainee masculin vous invite dans cette partie des dortoirs, vous devez refuser. Il n'a pas le droit de vous faire entrer là-bas. Vos badges vous permettent d'ouvrir la porte sur votre gauche, vers le dortoir des filles. Les garçons n'ont pas le droit de venir. Et si j'apprends que l'une d'entre vous n'a pas suivi les règles, je veillerai personnellement à ce qu'elle soit renvoyée. Et, croyez-moi, si vous faites ça, je le saurai.
À la suite de cet avertissement, nous passons la fameuse porte, ce qui nous amène dans une sorte de vestiaire.
— Vous vous trouvez dans la salle des casiers. Les casiers vous servent à déposer les appareils qui ne sont pas autorisés dans les dortoirs et dans les salles de classe. Vous devez obligatoirement déposer vos téléphones portables personnels ici. Les mêmes consignes sont appliquées pour les ordinateurs et les appareils photo. Tout appareil permettant d'enregistrer ou de prendre des photos est interdit dans les dortoirs et les espaces d'enseignements. L'entreprise tient beaucoup à garder l'exclusivité des contenus que vous allez recevoir. J'en profite pour rappeler que vous avez signé une clause de confidentialité. « Ce qui se passe à Pak Entertainment reste à Pak Entertainment. ».
Une personne lève la main :
— Excusez-moi, mais j'ai l'habitude de prendre mes cours avec un ordinateur portable, comment je vais faire ?
— Ne t'inquiète pas, l'entreprise te prêtera un ordinateur. Comme le reste du matériel prêté, il ne devra ensuite pas quitter l'agence, sauf si vous avez une autorisation particulière.
Mme Cho s'interrompt un instant et reprend le fil de ses explications :
— Les casiers peuvent aussi être utilisés pour mettre des objets de valeur en sécurité. C'est une simple précaution, car il n'y a jamais eu de vol à Pak Entertainment. Ici, la confiance est une valeur très importante.
Tous les trainees féminins, moi comprise, rangeons immédiatement nos téléphones et nos ordinateurs portables dans les casiers. Mme Cho nous regarde faire. Elle s'est avancée vers une première fille et lui dit en se baissant pour mieux fureter dans sa valise :
— Les lecteurs MP3 non plus ne sont pas autorisés et les réveils...
Elle sourit.
— C'est moi ton réveil, maintenant.
Mme Cho attrape les affaires de la jeune fille directement dans sa valise et les pose dans son casier. Elle se met à fouiller toutes les valises, tâte les poches intérieures au cas où certaines filles n'auraient pas respecté les consignes. Quand elle arrive devant mon sac, je me crispe. Elle met ses mains dans ma valise et soulève mon classeur gris. Il y a marqué « recherches Minsuk » dessus. Je me maudis de si peu de discrétion. Mais qui aurait pu croire qu'on fouillerait ma valise si vite ! Je prie pour que la transparence entre l'anglais et le français sur le mot « recherches » ne me fasse pas du tort. Pourtant, elle repose le classeur, une fois qu'elle a vu dessous, et je me détends.
Je compose le code à quatre chiffre qui cèlera mon casier avant de suivre Mme Cho au-delà du vestiaire.
— Les trainees de première année, partagent les dortoirs avec les deuxièmes et troisièmes années. Les trainees qui ont plus d'ancienneté et certaines Idols dorment dans le dortoir 4. Il n'y a pas d'interdiction de circulation entre le dortoir 3 et le dortoir 4, mais je compte sur vous toutes pour rester courtoises et respecter vos ainés.
Quelques jeunes filles ont gémi d'excitation à la mention du mot idols. Il est vrai que certaines stars ne sont pas loin. Je repense à Ajeong, mais mon petit doigt me dit qu'elle ne fait pas partie de ces « certaines Idols » créchant encore avec les trainees.
Les dortoirs sont plus grands que je ne l'avais imaginé. Nous nous déchaussons dans une grande entrée, aux parois de verre. Il y a tellement de chaussures disposées là, dans des meubles ou sur les tapis, que je n'essaie pas de les compter. Je me demande combien nous sommes dans le dortoir numéro 3. Ça sent le parfum de femme, les pompes et la sueur. La lumière naturelle traverse librement l'immense appartement. Comme dans le reste du bâtiment, les pièces sont murées par des parois de verre transparentes. Depuis l'entrée, je peux voir la pièce à vivre et la cuisine. Seules les chambres et les salles de bains, sont entourées de murs peints dans des tonalités claires. Le sol est recouvert par des tatamis en coton. Leur touché lisse et chaleureux flatte la plante de mes pieds nus.
La pièce à vivre de cinquante mètres carrés est bien équipée ; plusieurs canapés et fauteuils entourent une télévision ; des plantes vertes pendent du plafond ou grimpent dans les angles de la pièce ; sur un mur, il y a un téléphone fixe très massif qui ressemble à celui qu'on mettait dans les cabines publiques ; et un distributeur propose des sodas glacés ou des boissons chaudes.
— Les toilettes sont derrière la cuisine. Désolé, il faudra se plaindre à l'architecte ! Il y en a deux pour tout le monde. Pour les salles de bains, il y en a aussi deux, avec deux douches dans chacune. Il n'y a pas de loquet, puisqu'il n'y a pas de garçon. Un planning est affiché devant la porte et c'est moi qui organise les passages. Si une fille prend du retard et que ça vous pénalise, vous devez me le dire. Je prendrai des sanctions.
Notre manager entre ensuite dans une telle logorrhée de consignes que je décroche.
À la fin de la visite, je découvre la chambre où je vais passer les prochaines semaines. C'est une pièce en I, très allongée, presque totalement vide. Elle s'oriente vers le nord. Huit futons y sont enroulés, poussés contre le mur, des couvertures et un oreiller sont rangés au-dessus. Je devine qu'une fois les couchages dépliés, il ne sera plus possible de circuler sans piétiner les voisins.
— La clim a été installée l'année dernière. Vous avez de la chance !
Depuis plusieurs minutes, j'observe les portes-fenêtres que l'on retrouve dans toutes les pièces orientées au nord. Il semble y avoir un balcon courant, qui longe tout le dortoir. La vue me parait intéressante. À mon plus grand soulagement, le choix du futon nous revient, Nanae et moi pouvons nous installer côte à côte.
La soirée d'accueil se termine et les personnes qui étaient venues accompagner les jeunes trainees doivent quitter les lieux. Je m'émeus de loin, en regardant le père de Nanae poser une main sur la tête de son enfant, ébouriffer la chevelure de l'adolescente qui n'ose même pas protester. Le paternel arbore un sourire précocement mélancolique. Je décèle dans cette expression une inquiétude retenue.
Plus tard, Nanae et moi nous postons sur le balcon, sous le clair de lune. La vue que j'espérais est malheureusement mangée par un immeuble plus haut que le nôtre. Le building voisin aurait d'ailleurs besoin d'un bon ravalement de façade, tant le lierre a envahi les murs et commencé à lézarder le crépi. Les immeubles sont si proches que les plantes grimpantes colonisent petit à petit notre propre balcon. Des lianes suspendent leurs tiges au-dessus du vide. Le mot jungle urbaine prend tout son sens.
— Au loin, on arrive quand même à voir la tour Namsan, regarde.
Je suis la direction désignée par Nanae et remarque le haut du mont Namsan et la N-tower éclairée de rouge et de blanc. Elle est superbe. Bon sang, c'est donc vrai que je suis à Séoul !
Soudain, je me frappe le front.
— Oh non !
Nanae se tourne vers moi, se redresse, les yeux écarquillés.
— Quoi ?
— C'est que... je n'ai pas pensé à envoyer un message à Soumaya, ma sœur en France, pour lui expliquer que je ne pourrai pas répondre à ses messages, parce qu'on nous prive de téléphone.
— La pauvre, elle va s'inquiéter, compatit sincèrement Nanae.
— Ça ne te dérange pas, toi, toutes ces restrictions ?
— Si un peu, mais c'est comme ça. Tu sais ce qu'on dit : « No pain, no gain ! »
Les anglicismes de Nanae me font sourire, mais je ne peux m'empêcher d'être amère face à un dicton bien pratique pour clore tout débat.
— Sérieusement, tu en as pensé quoi du contrat, toi ?
Je ne sais pas si je devrais demander cela à Nanae, mais je m'interroge, en temps normal, jamais je n'aurais signé un papier pareil. La réaction de Nanae me surprend, elle rit.
— J'ai fait une synthèse, explique-t-elle : « A, c'est l'entreprise ! B, c'est le trainee ! B doit obéir à A ! ». Qu'est-ce que tu veux que j'en pense ? Les trainees doivent obéissance aux agences. On n'a pas d'autres choix que d'accepter, parce qu'on ne trouvera pas mieux ailleurs, toutes les agences de K-pop appliquent les mêmes règles.
— Tout de même.
— Mon père ne voulait pas que je le signe. Il m'a dit qu'il trouvait que ça pouvait être un peu cruel.
— Mais il t'a laissé signer, qu'est-ce que tu lui as dit ?
— « No pain, no gain », répète-t-elle.
— Donc, ça ne te dérange pas de ne pas avoir le droit...
J'hésite à poursuivre ma phrase. Nanae n'attend pas que je choisisse un exemple. Elle a très bien compris.
— J'ai quatorze ans ! Je ne fume pas, je ne bois pas, je ne conduis pas. J'ai tout le temps pour trouver un mari. Je préfère vivre des choses et me marier après. Si je me marie trop jeune, je n'aurai rien vécu.
— Mais personne ne te demande de te marier. Tu pourrais avoir envie de sortir avec un garçon, sans que ce soit très sérieux, pour t'amuser.
Nanae fait « non » de la tête.
— S'amuser ? Mais, Eonni, on n'aura pas le temps de s'amuser. Les trainees n'ont pas le temps d'avoir une vie privée, ils s'entrainent. Ils apprennent l'un des plus beaux métiers du monde et c'est très dur. Les places sont chères. Et les Idols en début de carrière ont encore moins le temps de s'amuser. Tu sais, il y a plein de groupes qui ne durent pas. Alors, il faut tout donner les premiers temps. Ce n'est pas bien de se disperser. Quand on veut vraiment quelque chose, il faut travailler très dur pour l'avoir et oublier tout le reste.
— Je ne sais pas si je suis faite pour ça. Je n'aurais même pas dû réussir ce casting.
— Ne dis pas ça, Eonni. Et puis, quoi qu'il arrive, tu vas devoir travailler. Tu as signé toi aussi, tu n'as plus le choix.
Eonni : Grande sœur, énoncé par une femme ou une fille. Le terme peut être employé envers une femme plus âgée à laquelle on montre une marque de respect et d'affection.
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