Elle est seule sur l'estrade de bois. Tous les regards sont accrochés à elle comme ses cils sont accrochés à ses yeux. Elle jette un regard à ce public. Ils sont si nombreux, ces gens qui viennent la voir... Elle doit se concentrer. Elle s'assoit sous la lumière des projecteurs. Et toujours ces milles regards plantés sur elle. Elle respire. Ce public est la preuve de la lumière qui éclaire sa carrière. Alors elle pose ses doigts sur le piano. Et les notes s'envolent. Notes qu'elle n'essaye pas de rattraper. C'est comme tous les petits bouts de pissenlit, qui partent au fil du vent pour s'approcher de la lumière du soleil. Mais les notes, elles, sont enfermées dans la salle. Alors elles rebondissent contre les murs, elles atteignent le plafond et repartent en sens inverse. Et les notes échouent dans les oreilles du public. Certaines se perdent en chemin. Ces petites notes esseulées, trop petites pour rejoindre leurs soeurs dans le public, se réfugient dans le coeur de la pianiste. Un regard attentif pourrait voir, sous la lumière des projecteurs, le fantôme de ces notes perdues. Un fantôme fait de petites perles d'eau sur les joues de la musicienne.

Car toutes ces notes qui brillent sous la lumière des projecteurs, ces notes qui dansent entre elles sous le regard du public charmé, ses notes sont la pour dire qu'elle a réussi. Réussi à briller au côté des plus grands. Son nom et son piano sont lumière dans le monde entier. Et elle peut chaque jour, devant le public, devant ces milles regards, laisser parler ses notes.

Ses doigts s'arrêtent. Les notes tombent comme des feuilles mortes. Elles tombent pour se loger dans le coeur du public.

Place au silence. La musicienne se lève. Comme dans un rêve. On ne voit qu'elle. La lumière la pointe du doigt. Elle ne pense plus qu'à cette lumière, et au public. A ce regard sur elle. Les notes sont déjà loin. Ce silence n'a pas duré deux secondes, mais pour elle il était aussi écrasant que s'il avait duré deux heures.

Un claquement de main. Puis deux, trois. Et c'est tout le public qui se lève. Il joue pour la pianiste cette musique bien à lui, cette musique faite de mains qui se rencontrent et qui s'éloignent, inlassablement. Cette musique qui veut dire qu'elle a bien joué.

Encore des notes. Mais des notes disgracieuses, stridentes et sans harmonie. Elle ouvre les yeux. Plus de public. Plus d'estrade de bois. Plus de projecteurs répandant leur lumière. Le seul regard planté sur elle est celui de son réveil, l'auteur sadique des notes qui l'ont arraché à sa scène chimérique.

Elle soupire. Le rêve laisse place à la réalité.

Elle a du vendre son vieux piano pour payer son loyer.

Elle ne jouera jamais devant personne.

Les seules touches que son doigt poussera seront celles de la caisse du supermarché ou elle travaille.

Elle abandonne ses rêves de notes et de lumières. Elle doit aller travailler, loin du public.

Note de moi: Ce texte a été écrit pour le concours par  . Le but du concours est d'écrire un texte à partir de quatre mot de notre choix qui doivent revenir fréquemment. Devinez lesquels en commentaire, et si vous aimez bien le concept, jetez un coup d'oeil à son livre Concours de Nouvelles ! Et participez!