Complainte d'un violon
Elle n'avais que dix ans quand elle m'a adopté.
Je me rappelle encore de ses mains collantes et de ses yeux brillants alors qu'elle m'installa dans sa chambre.
Elle pensait à tout ce qu'on allait pouvoir faire, tout ce qu'on allait dire, ce qu'on allait chanter.
Elle nous voyait déjà sur scène, moi dans ses mains d'enfants, le public enchanté, notre mélodie montant dans les airs comme un vol d'oiseaux sauvages.
Nos premières discussion ne se déroulèrent pourtant pas très bien. Nos rapports ne furent d'abord pas vraiment amicaux. Il ne s'échappait de nos échanges qu'un horrible bruit, tumulte exaspérant.
Elle me malmenait, je gémissait, elle râlait, persévérait, je grinçait, elle partait désespérée.
Je crus un moment qu'elle m'abandonnerai. Alors je songeait de toutes mes forces, non.
Non
non
non
non
non
no..
n....
...
..
.
Elle persévéra pourtant, fit des efforts, me parla plus longtemps chaque jour pour mieux m'apprivoiser, travailla, se fit plus douce, me comprit peu à peu.
Elle prit un peu de plaisir à jouer.
Oh, elle n'était pas toujours facile. Elle râlait presque, toujours, et me quittait pleine de rage quand nous ne parvenions pas à communiquer.
Mais elle revenait toujours. nous nous réconciliions et reprenions notre jeu, et nos rêves de devenir connus.
Alors mes grincements mécontents se transformèrent bientôt en murmure timide,
puis en petit rire,
avant de devenir avec le temps une grande et belle ovation.
Elle avait quinze ans quand mon bonheur fût complet.
Ses caresses me murmuraient des ordres mélodieux. Je chantais ses envies et criais dans une tornade de notes toutes ses peines.
Nous deviendrions musiciens. Ensemble.
C'était parfait.
Elle m'aimait.
Je l'adorais.
Mais vint le lycée.
Elle sortait de plus en plus, jouait de moins en moins avec moi.
Elle riait fort et chantait peu.
Elle partait, et moi je restais.
Seul.
Abandonné.
Quand ses amies venaient chez nous, elles me remarquaient parfois, tristement posé sur une étagère. parfois elles demandaient;
-Tu en joues?
Et elle me regardait, gênée, avant de dire dans un petit rire:
- Ça? Non, ce n'est qu'une antiquité!
Huit mots comme huit petits poignards dans ma carapace de bois verni.
C'est vrai que je n'étais pas très moderne.
C'est vrai que je n'avais rien d'impressionnant pour quelque lycéenne futile.
je n'était pas rutilant,
non,
mon chant n'avait rien des airs métalliques qui avaient tant de succès,
c'est vrai,
je n'était pas sur scène avec une vedette très connue,
non plus.
Mais
on
devait
s'aimer.
On devait réussir ensemble.
Et là...
Ce n'était pas possible.
J'aurais voulu n'être jamais créé. Qu'elle ne m'ait jamais adopté. N'avoir jamais espéré.
Mais je n'étais pas au bout de mes malheurs.
Un jour, le pire arriva.
Un jour, elle décida que je devais sortir complètement de sa vie.
Une fois pour toutes.
Sans aucune explication, elle mle boucla dans une vieille malle du grenier.
Pour toujours.
J'y suis encore.
Et oui.
J'y suis encore, entre quelques dessins, un jouet cassé et des vêtements de grand-mère.
C'est dans cette malle que je crie mon désespoir muet.
C'est dans cette malle que je chante en silence ma complainte, la complainte de tous les oubliés.
Cette complainte, je la dédie à celle que j'adore et qui m'oublie.
Celle que j'ai vénéré et qui m'a jeté.
Tant pis.
Pour le concours de
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