
Chapitre ①⑤
Bonsoir les amis ! ^-^
Voici la suite de Poupée ! Un peu plus courte parce que les chapitres suivants vont être assez longs... ;)
Bonne lecture ~ ♥
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Un souffle presque tremblant, bouleversé, s'échappe d'entre mes lèvres lorsque sa main passe sur ma pommette.
— Tu es beau, murmure-t-il.
Un sourire. J'ouvre un œil pour l'observer.
— Moins que toi.
— Menteur.
Le silence nous englobe le temps d'un instant, de nouveau, et comme j'espère profondément que ce moment ne cesse jamais.
— Tu sais, j'ai réfléchi pour le master.
Ses paupières blanches se relèvent immédiatement. Je tente un autre rictus parce que je recherche déjà le sien, évaporé. J'essaie de chasser cette sensation qui s'invite au creux de mon torse ; celle qui me dit que je viens de tout gâcher. Ai-je tout gâché ? Les prémices d'une expression qui me tord l'estomac s'installe sur son visage. Je me rassure parce qu'elle n'éclot pas encore.
— Tu n'es qu'en deuxième année de licence, répond-il.
— Justement, le master que je vise demande un niveau tellement énorme que j'ai pensé à commencer à préparer l'oral cette année. Ça me laisserait de la marge.
— C'est quoi ce master ?
— Master en sciences. À l'université spécialisée.
J'espère déceler l'illumination. Sentir des bras autour de mes épaules. Percevoir une étincelle, dans ses yeux, qui répondrait à celle dans mon cœur.
— Tu as conscience que c'est dur ?
Ma bouche s'ouvre, se referme. Mon attention se perd sur la couverture froissée qui couvre nos deux corps.
— Oui oui, je viens de le dire. Je le sais.
— T'es certain de ne pas viser trop haut ?
Mon regard remonte dans le sien.
— Je... J'aime les sciences. Et...
— Il ne suffit pas d'aimer. Il faut être bon dans le domaine, surtout.
J'acquiesce lentement.
— Oui, je sais. C'est pour ça... Si je commence maintenant, peut-être que ça pourrait marcher.
Il renifle sans répondre. Mes lèvres se plissent, mon cœur s'emballe. Est-ce que je suis ridicule ? Je ne veux pas qu'il croit encore que ma pensée puisse dépasser mes capacités. J'ai compris ce qu'il m'a appris : il faut connaître sa valeur, ne pas se surestimer, sinon on tombe de haut.
— C'est peut-être un peu grand, comme rêve... ? ajouté-je alors.
Son sourire réapparaît enfin. Sa main reprend son chemin sur ma joue.
— Il faut rêver grand. Mais il ne faut pas se bercer d'illusion non plus, mon coeur. Et puis on sait tous les deux que tu te disperses trop. Y'a quelques jours tu me parlais de commencer à faire de la musculation, et maintenant tu me parles de sciences.
— Mais j'ai toujours aimé les sciences ! Je ne t'en ai juste jamais parlé, je t'assure.
— Comme je te l'ai dit, il y a aimer et être bon. Termine ta licence sans aller aux rattrapages, ce sera déjà un bon début, chuchote-t-il tendrement.
Mais je recule légèrement, sonné.
— Quoi ? Mais... Tu sais très bien que le rattrapage que j'ai eu c'était pas ma faute, j'avais révisé à fond et...
Son soupir me coupe. Il se redresse pour enfiler son t-shirt, dos à moi.
— C'est jamais de ta faute, Jungkook.
— Non mais là tu sais très bien que c'était parce que le stress m'avait fait paniquer pendant l'oral et que...
— Je dis seulement que si tu rates un oral de quinze minutes en licence tu ne devrais peut-être pas penser tout de suite à passer un oral d'entretien pour l'université spécialisée.
Mes mots meurent dans ma gorge. Yoongi se tourne de nouveau vers moi lorsqu'il constate que je ne me défends plus, parce qu'il a tout-à-fait raison. Tandis qu'il s'approche de moi, mes yeux coulent vers la pile de livres neufs qui jonche sur mon bureau. Tous traitent de physique quantique.
— Regarde-moi.
Je m'exécute. Ses doigts passent dans mes cheveux.
— On sait tous les deux que ce serait compliqué pour toi de supporter un tel master.
— Mmh...
— Tu sais pourquoi.
J'opine du chef.
— Je fais trop dans l'émotion, deviné-je.
— Tu fais trop dans l'émotion.
Silence. Ses phalanges coiffent mes mèches emmêlées.
— Tu sais que je serai toujours là pour toi, Jungkook ?
Mon expression abattue mue en soulagement. Je me précipite dans ses bras. Il embrasse le haut de mon crâne.
— Je sais pas ce que je deviendrais sans toi, hyung.
Je le sens sourire contre mes cheveux, et bientôt, il secoue mon épaule. Une fois, deux fois, trois fois, jusqu'à ce que je ne me réveille brusquement et que ce soit le visage de Jimin qui entre dans mon champ de vision.
— Ah bah quand même ! Je te croyais mort, là.
Mes paupières papillonnent. Je m'apprête à bouger, mais ma nuque hurle de douleur. Je grimace en y portant la main pour la masser durement tandis que mon ami lâche enfin mon bras qu'il balançait dans tous les sens.
— Putain, je me suis endormi ?
— T'as littéralement comaté tout le trajet. On arrive dans dix minutes, je me suis dit que tu voudrais reprendre vie un peu avant de devoir descendre du bus.
Je me penche en avant, coudes sur les genoux, pour étirer mon dos.
— Je t'ai pas réveillé trop tôt au moins ?
— Non, c'est bon. T'aurais même dû le faire avant.
— Ah ?
— On est où ?
Je me redresse et soupire en m'enfonçant de nouveau dans mon siège.
— On vient juste de quitter l'autoroute. Regarde ! C'est trop beau, il fait nuit noire.
Jimin ouvre le rideau en grand, ravi. Je hausse les sourcils en constatant la lune haut dans le ciel. Ce dernier est bien dégagé ; une multitude d'étoiles sont visibles malgré la pollution ambiante qui, habituellement, les cache sans scrupule.
— Eh, y'en a qui dorment.
Je souris en entendant cette voix. Je me tords pour fourrer ma tête entre les deux sièges que Jimin et moi occupons, découvrant avec joie qu'Imani et Hoseok sont juste derrière nous. Elle ôte un masque rouge en mousse de ses yeux.
— Jungkook je t'en supplie, dis-lui que ça fait BDSM.
Je hausse les sourcils vers Hoseok. Jimin me pousse pour regarder à son tour puis explose de rire. Ça réveille les quelques personnes qui dormaient encore dans le fond du bus, si j'en juge les quelques regards qu'on se prend de certains étudiants qui émergent à peine.
— J'avoue que j'aurais pas choisi rouge comme couleur.
— Pitié, merci ! 'Manque plus que le fouet, sérieux, peste Hoseok.
— Tu m'as l'air tendu ma chouquette, t'es sûr que ça va ? demande Imani en se penchant vers son voisin de bus.
Elle effleure les mains d'Hoseok de son masque. Ce dernier sursaute et se colle à la fenêtre.
— Stop ! Loin de moi ! Arrête !
— Jung Hoseok a peur d'un masque, renchérit Jimin, hilare.
— Votre attention, s'il vous plaît !
Namjoon.
Hoseok, Imani, Jimin et moi nous remettons en place. Le délégué des M2 se dresse à l'avant du bus, debout et un petit micro en mains. Le brouhaha de plus en plus puissant s'amenuise jusqu'à disparaître à mesure qu'il parle :
— Dans cinq petites minutes, nous arriverons à l'hôtel de Daegu. Tâchez de ne rien oublier de vos affaires, ne laissez rien traîner sur les sièges et jetez vos détritus à la sortie du bus, s'il vous plaît. Requête du chauffeur.
Un « oui » général s'élève. Je m'apprête à vérifier que mon téléphone est bien dans ma poche et que je n'ai pas perdu un de mes écouteurs, jusqu'à ce qu'autre chose n'attire soudain mon attention. Que ça l'attire assez pour que tout autour de moi s'évapore dans l'instant.
Ce bras, au premier rang, délicatement posé sur l'accoudoir d'un siège côté couloir.
— En sortant du véhicule, vous attendrez près de la soute que l'un d'entre nous ne distribue vos bagages. D'ailleurs, Jungkook, tu voudras bien t'en occuper ?
Mes yeux se détachent vivement du bras que je remontais du regard pour sauter dans ceux de Namjoon. Je hoche la tête en déglutissant.
— D'accord, peux-tu lever la main, s'il te plaît ? Que les autres sachent que c'est toi qui t'en occuperas.
Jimin ricane comme un idiot lorsque je lève la main en l'air. Toutes les têtes se tournent vers moi.
La sienne aussi. Légèrement. Vingt degrés à peine. Je perçois le bout de son nez et quelques mèches éparses de ses cheveux. Il a juste pivoté sur quelques centimètres sans faire plus d'effort et, dans cette position, il m'est impossible de voir la totalité de son visage. J'attends, pourtant. J'attends qu'il le fasse. Qu'il s'incline davantage, qu'il cherche à me voir.
— Merci. Vous vous rapprocherez donc tous de Jungkook pour récupérer vos bagages, il est hors de question que vous ne fouilliez dans la soute vous-même. Les prochaines instructions se feront hors du bus, vous me rejoindrez dès que vous aurez votre sac. Merci de votre attention.
Namjoon éteint le micro, se rassoit. Alors lui aussi se détourne, sans que j'aie pu voir sa figure en totalité. La frustration me consume immédiatement, brûlante dans mes veines jusqu'à en gonfler mes muscles. Mes dents se pressent entre elles.
— Ça va, Kook ?
— Ouais. Super bien, souris-je grand.
Jimin hausse un sourcil.
— C'est que... T'as l'air un peu préoccupé, me glisse-t-il, intrigué.
En observant distraitement mon ancien mentor discuter avec Namjoon placé de l'autre côté du couloir, j'essaie de percevoir ses mots, en vain ; si la voix de Namjoon me parvient, celle de Taehyung est inaudible. Ses lèvres remuent, pourtant. Ma jambe se met à tressauter nerveusement.
J'ignore Jimin qui finit par hausser les épaules, et bientôt, le bus manœuvre pour se garer.
À l'extérieur, tous se précipitent vers la soute pour tenter de l'ouvrir, à l'inverse même des consignes de Namjoon. Je souffle un bon coup et enfile mon sweat à capuche que j'avais ôté quelques heures plus tôt, le soleil n'étant plus là pour réchauffer ma peau. En me frayant un chemin parmi les étudiants excités au possible - on dirait une putain de classe de neige - je n'hésite pas à en pousser quelques uns sans vergogne pour atteindre le coffre.
— Bouge de là s'te plaît, grogné-je à l'encontre d'un type qui essaie d'ouvrir la soute à l'aide de ses petits bras.
Il replace ses lunettes et me sourit comme un con avant de s'excuser et de se décaler. Je claque ma langue contre mon palais et m'occupe de tirer la lourde porte avant de commencer à distribuer les sacs. Ils ont tous hâte d'entrer dans l'hôtel, et de ce que j'entends, c'est pour pouvoir ensuite se tirer en boîte de nuit.
Petit à petit, la foule commence à se dégrossir pour se diriger vers Namjoon. Celui-ci semble donner quelques instructions auxquelles je n'entends rien, encore trop occupé par les étudiants qui me réclament leurs sacs.
Quand j'attrape l'avant-dernier, je constate que le seul contenant qui demeure dans la soute est un cylindre couleur pêche. Je l'attrape dans ma main gauche. Je me redresse et me tourne vers l'étudiant restant pour lui donner ses affaires, après quoi je ferme la portière pour m'éloigner du bus, mon propre sac balancé dans mon dos. Je rejoins le groupe qui s'est formé devant le délégué des M2 et ne tarde pas à trouver Imani.
— Donc, il y a des chambres seuls et des chambres à plusieurs. Vous pouvez choisir ce qu'il vous plaît dans la mesure des disponibilités. Maximum trois personnes par chambre. Ceux qui souhaitent être seuls, venez tout de suite.
— Eh, Imani.
Elle quitte Namjoon des yeux pour me regarder.
— Il est où Taehyung ? J'ai ses affaires.
— Oh ! Il est déjà à l'intérieur avec Monsieur Daniel. Ils prennent les clés.
Je hausse un sourcil. Il a préféré s'occuper des clés maintenant, sans même avoir récupéré son sac ?
Minute.
Mon attention se lève vers l'entrée illuminée de l'hôtel.
Se doutait-il que je m'occuperais de son sac à sa place ?
— Au fait, pour pas que l'un d'entre nous soit tout seul on pensait à faire deux chambres séparées. Une avec Nam, Hoseok et moi, l'autre avec Jimin et toi. T'en penses quoi ?
— Heu...
— Taehyung prend une chambre seul, avant que tu me poses la question, me coupe-t-elle.
L'absence d'étonnement sur mon visage la fait rire.
— Ouais. Plus le temps passe et plus il se met à part, souffle-t-elle soudain, et la manière dont ses pupilles s'imprègnent d'émotion attise ma curiosité.
Je cherche à comprendre cette soudaine étincelle, ou plutôt absence d'étincelle, mais elle se dérobe à mes yeux curieux en souriant de toutes ses dents, comme si toute cette situation n'était pas franchement étrange.
Mais je m'en moque. Depuis ce jour-là, sous les rayons du soleil au beau milieu du campus intérieur, j'ai pris la décision de faire cavalier seul. Jimin lui-même ne semble plus vouloir m'aider, et c'est très bien. Il réside en moi, depuis que j'ai pris cette certaine décision, un apaisement qui atténue la frustration.
Je n'ai eu besoin de personne pour dire au revoir à cette ancienne vie qui a frôlé de tout me prendre, de tout aspirer tant elle fut massive dans son caractère traumatique. Il ne me faudra pas plus de monde pour mener à bien cette mission que je me suis donné, ce midi-là...
— Nous allons entrer dans l'hôtel, à présent. S'il vous plaît, restez groupés jusqu'à recevoir vos clés !
...quand son ignorance m'a mis au défi sans même qu'il l'ait réalisé.
**
— Woah ! Deux lits doubles ?!
Jimin court et se jette sur celui de gauche. Je ris en déposant mes affaires au sol pour me diriger vers celui de droite.
La chambre est tout ce qu'il y a de plus basique - probablement que le financement de l'université générale n'a pas pu offrir mieux, mais ça me va. Deux lits, une salle de bain, un canapé et une télévision. Mon ami se tourne vers le plafond en soupirant, les bras écartés sur le matelas.
— Eh, Jungkook.
— Mmh ?
— Je rêve ou c'est le sac de Taehyung que t'as dans la main ?
Je déglutis.
Taehyung est introuvable. Je veux dire, la dernière fois que je l'ai vu, c'était dans le bus. Quand il n'a même pas daigné me lancer un coup d'œil alors que tout le monde s'était tourné vers moi. Depuis qu'on a quitté le véhicule, je ne l'ai pas revu. C'est étrange, d'ailleurs ; selon les dires d'Imani, c'était lui qui aurait dû distribuer les clés, mais monsieur Daniel s'en est chargé, ravi d'enfin servir à quelque chose - il faut dire que Namjoon ne lésine pas sur la prise de parole. Après tout, c'est lui qui a fait le plus gros de l'organisation.
— Ouais. J'ai pas pu le lui donner, je sais même pas où il est.
— Tu devrais lui ramener directement dans sa chambre un peu plus tard. Je suis sûr qu'il est déjà en train d'échanger avec des gens sur les conférences de demain.
— Y'a pas que nous dans l'hôtel ?
— De ce que j'ai entendu dire, nous on a le deuxième et le troisième étage, mais le quatrième est réservé à des étudiants d'autres universités.
Je cesse d'ôter mes chaussures pour l'aviser.
— Imani l'a dit sur le groupe, 'faut suivre.
— Des gens de l'université spécialisée aussi ?
Jimin hausse les épaules.
— Aucune idée. Mais je sais pas si t'as vu sur les réseaux sociaux, ce séjour de conférences fait beaucoup de bruit. L'université de Daegu se fait une pub' de malade, ils sont forts. J'ai trop hâte d'être demain même si je préférerais visiter la ville.
— J'entendais des types dire qu'ils vont sortir ce soir.
— Ah, parce que t'avais pas compris ?
Je secoue la tête en attendant qu'il m'explique. Il se redresse sur le flanc pour pouvoir me voir.
— Y'en a plein qui prennent ce week-end pour des vacances. La plupart ne vont suivre qu'une ou deux conférences à tout casser. Je les comprends, moi aussi j'aimerais sortir demain soir.
— T'es sérieux ?
— Oh, pitié, me dis pas que t'allais passer ton week-end entier à écouter des gens parler ?
Mon attention se perd sur la moquette grise au sol.
— Je sais pas trop, je t'avoue.
— T'es vraiment studieux pour un mauvais garçon.
— Mauvais quoi ?
Il se fend encore la poire. Ce voyage met tout le monde de bonne humeur, et même si je me sens particulièrement détendu, j'ai un drôle de pressentiment. Je veux pouvoir profiter de cette sorte de pause, de ce changement d'air, mais mon estomac se comprime d'une drôle de manière.
— Fais pas cette tête, t'es un cliché sur pattes, Jeon Jungkook.
— Tu prends un peu trop la confiance pour quelqu'un qui va dormir dans la même pièce que moi.
Il perd son sourire. Le mien s'agrandit.
— Qu'est-ce que je disais..., marmonne-t-il.
— Quoi ? J'entends pas bien, Park Jimin.
— Pff.
Il se relâche et son dos rencontre de nouveau la literie, les bras croisés sous sa nuque. Je commence à défaire mon sac pour ranger quelques affaires dans une petite armoire près de mon lit, mais soudain, une question me brûle les lèvres. Je lance un coup d'œil à mon ami qui se laisse bercer par le bruit de mes pas allants et venants, les paupières couvrant ses yeux.
— C'est vrai, que j'ai l'air d'un connard ?
Il en ouvre une.
— J'ai pas dit connard, rétorque-t-il.
— Tu m'as compris, grogné-je en fourrant un pull sur un autre.
Il prend quelques secondes avant de répondre :
— Je te taquinais, mais... Disons que t'es pas d'une absolue douceur, hein ? J'ai dû forcer pour avoir un peu de ton empathie, je te rappelle.
Je ricane.
— J'étais méfiant, c'est bon.
— ...Pourquoi ?
Je m'arrête un instant. Retiens l'adrénaline. Reprends l'instant suivant.
— Pourquoi quoi ? répété-je, feignant de ne pas piger.
— Pourquoi tu te méfies de tout et tout le monde ?
Il se tourne de nouveau dans ma direction.
— Je me méfie pas de tout le monde.
— Jungkook, tu...
Il s'interrompt en constatant que je l'ignore, les mâchoires serrées. Si je crois cependant qu'il va lâcher l'affaire, c'est parce que je ne le connais pas encore assez bien.
Jimin s'assied en tailleur au milieu de son lit après avoir retiré ses baskets. Je renifle nonchalamment en ignorant royalement sa position qui cherche clairement la discussion. Dans mon sac, je saisis ma brosse à dents, mon dentifrice et une serviette que je m'apprête à poser dans la salle de bain.
— Tu m'as jamais parlé de toi, lance-t-il.
Mes pas cessent dans l'encadrement de la salle d'eau.
Les frissons qui me parcourent après ses mots, je les hais plus que tout. Ils sont toujours aussi sournois, comme ses paroles qui me paraissent alors être une attaque. Au fond, le peu de lucidité restante me chuchote que ce n'est pas le cas, que Jimin essaie juste d'approfondir notre amitié voire qu'il s'inquiète pour moi. Mais ma vue est brouillée, obstruée par le passé, par ce qu'il m'a fait, par tous les mots qu'il a employés pour que mon esprit finisse torsadé, tué.
Alors je fais volte-face en laissant les sentiments m'aveugler plutôt que de tenter de les contrôler, parce que tout ce qui me paraît calculé, réfléchi ou défini me donne l'impression de n'être qu'une poupée.
Est-ce pour ça que je t'ai d'abord détesté, sunbae ?
— Ferme-là !
Sa bouche se plisse, ses yeux s'agrandissent. Je regrette, bien sûr que je regrette, bien sûr que je n'étais pas loin de réussir à le retenir - mais c'est sorti. Alors, plutôt que d'observer son expression se décomposer, je fais demi-tour encore pour pénétrer dans la salle de bain dans laquelle je dispose mes affaires tout juste attrapées.
Il ne prononce pas un mot.
Je prends mon temps pour tout ranger alors qu'il ne s'agit que de deux ou trois bricoles, parce que je ressens une chose que je n'avais pas expérimentée depuis un moment : l'embarras. Hormis Taehyung, personne ne m'avait poussé dans une telle situation de malaise.
La raison en est bien simple : je ne m'attachais pas. En début d'année, constater les traits faciaux de Jimin s'effondrer après une de mes paroles cinglantes ne me dérangeait pas, mais ce soir, ce n'est pas la même histoire. Je suis gêné quand je regagne la chambre, et plus gêné encore de le voir sur son téléphone, allongé sur le côté mais surtout dos tourné. Je m'arrête et l'observe pianoter distraitement sur son écran. Je soupire et prends mon courage à deux mains pour détendre l'atmosphère, mais rien n'y fait ; les mots restent coincés dans ma gorge. Je m'échoue sur le bord du matelas et le silence est si étouffant que je décide de sortir moi aussi mon cellulaire après avoir jeté un œil au sac qui ne m'appartient pas.
Moi
J'ai toujours pas rendu son sac à Taehyung, il faudrait qu'il le récupère avant de dormir quand même
Tu peux me dire où il est là ? Ça me saoule
Ma jambe tressaute jusqu'à ce qu'elle réponde.
Imani
On est tous au bar-restaurant de l'hôtel ! Venez ! Y'a plein de gens d'autres universités !
La surprise me gagne. Je ne savais même pas qu'on pouvait manger, ici. Je me redresse immédiatement et attrape fermement le sac.
— Ils sont tous en bas en train de discuter, tu viens ? lancé-je, près de la porte.
Un instant, je crois qu'il ne va pas me répondre, mais il finit par pivoter doucement dans ma direction. Ses yeux paraissent lourds.
— Je suis claqué. Je vais dormir.
J'acquiesce.
— Je garde les clés. Je vais devoir t'enfermer, mais si tu veux que je vienne ouvrir envoie-moi un message.
— Ok.
J'ouvre puis ferme la porte avant de la verrouiller, l'estomac de plus en plus compressé. Par ma faute, son sourire s'est évaporé.
Ce qui prouve qu'il a raison.
Je ne suis rien d'autre qu'un connard aux clichés bien vissés.
**
Le hall de l'hôtel n'est pas bien grand, et il me faut seulement suivre les panneaux pour trouver le bar-restaurant. C'est indiqué sur la gauche, et en effet, deux grandes portes vitrées me laissent entrevoir un joli monde en train d'échanger. Je fiche le sac sur mon dos et pousse les poignées dorées pour découvrir une vaste salle qui donne de l'allure et casse toute cette simplicité presque morose que j'ai jusque-là rencontrée.
Cet endroit se sépare en deux parties : à ma gauche, un restaurant fermé à cette heure et à ma droite, une sorte de bar et salon de thé encore bien animé. J'observe toutes ces personnes - une trentaine au moins - échanger avec énergie. Je peux percevoir des retrouvailles, des étreintes, des froncements de sourcils lorsque la discussion semble déjà porter sur les conférences de demain matin. Je m'approche doucement en cherchant discrètement un visage que je peux connaître.
Et celui que je trouve en premier ne tarde pas à tout bonnement me méduser.
Mais...
— Jungkook ?
J'écarquille les yeux.
— Monsieur Pyon ! m'exclamé-je malgré moi, la surprise prenant le pas sur la retenue.
Je n'attends pas pour me précipiter vers lui et lui tendre la main.
— Je t'en prie, appelle-moi Ilhwan, Jungkook.
— Je ne m'attendais pas à vous voir, avoué-je, le cœur gonflé.
— Ah ! Tu sais, je n'étais pas censé venir, cela s'est fait au dernier moment. Mes étudiants m'ont tanné pour les accompagner. Je n'ai même pas de conférence à donner ! Je suis cependant ravi d'apprendre que Taehyung s'est lancé.
Je hoche la tête.
— Les trous noirs. J'ai hâte, soufflé-je.
Je me pince les lèvres en prenant conscience d'à quel point ces mots m'ont échappé. Monsieur Pyon acquiesce.
— Les trous noirs. C'était son sujet de mémoire à l'université où j'enseigne. Si tu savais comme il est passionnant quand il en parle !
J'ose à peine l'imaginer.
— Dites, hum... J'ai ses affaires. Vous l'auriez vu, à tout hasard ?
— Je viens tout juste d'achever une longue discussion avec lui, pardon de te l'avoir volé. Me semble-t-il qu'il a rejoint des amis... Mais je ne saurais te dire où ils sont passés.
Grondement sourd dans mon estomac qui se compresse plus fort, plus vite maintenant. Merde. Ça ne va pas. Je le remercie rapidement en m'apprêtant à le laisser vaquer à ses précédentes discussions pour m'occuper de le trouver moi-même, mais je m'arrête une seconde lorsque mon inquiétude se matérialise soudain en une question que je n'aurais pas cru poser maintenant.
— Au fait... J'ai entendu dire que Kim Namjoon avait été également élève à l'université spécialisée.
Et ça me frappe immédiatement.
La manière dont son expression change.
— Kim Namjoon ? répète-t-il, l'air bien moins lumineux maintenant que ce nom flotte entre nous.
Putain. Putain, c'était quoi, ce ton de voix ?
— Vous... Vous le connaiss-
— Jungkook ! Ah, tu es là !
Imani et Hoseok débarquent comme une fleur et je dois me faire violence pour ne pas les dégager. Elle m'attrape le bras si puissamment que je dois lutter pour rester assez longtemps près de monsieur Pyon pour le saluer.
— Il faut absolument que tu te serves un verre ! Y'aura plus rien sinon. C'est offert par la maison, ils sont trop sympas !
— On... J'espère vous revoir demain !
— Avec plaisir, Jungkook, répond-il sans bouger d'un pouce.
Pour la première fois, son sourire se fane, puis il m'envoie un signe de tête. Je le fixe en étant toujours si brusquement tiré en arrière ; il m'a déjà salué, alors cet inclinement, ce hochement n'est pas une autre manière de m'autoriser à prendre congé. C'était un acte de connivence. Bon sang, j'en suis persuadé.
— Tiens !
Imani me fourre un verre dans les mains. Du champagne.
— Jimin n'est pas là ?
— Il viendra pas. Où est Taehyung ?
Si je ne le vois pas dans mon champ de vision d'ici cinq minutes, je risque de tous les frapper.
— Tu veux que je lui donne le sac ? me propose Hoseok.
C'en est trop.
Je ne sais pas si c'est Jimin. Notre altercation. Si c'est la fatigue du voyage de presque quatre heures. Si c'est Namjoon qui a tant essayé de me faire monter dans le bus pour se retrouver seul avec Taehyung. Si ce sont ses paroles au restaurant, à Hoseok, ses regards malicieux, ses piques incessantes. Si c'est la manière dont mon ancien mentor m'ignore, la manière dont il a serré mon poignet pour s'excuser quelques jours plus tard comme si ce n'était pas plus que ce qu'il prétend (une erreur), si c'est la manière dont Imani vient de me tirer comme un malpropre.
Si c'est le rêve que j'ai fait contre mon gré.
Je ne sais pas si ça concerne un seul de ces points, ou tous à la fois.
Toujours est-il que, dans le coin du bar où nous venons de me prendre un verre déjà plein sur une table jonchée de coupes gratuites, je repose la mienne pour saisir durement et à deux mains le manteau d'Hoseok qui sursaute en attrapant mes poignets pour me dissuader d'aller trop loin.
— Eh... Eh ! Jungkook ! s'inquiète Imani.
— Où est Taehyung ? articulé-je, d'une lenteur presque inhumaine, mon visage en face du sien.
Je détache chaque mot, presque chaque lettre, en formulant ma demande. Il y a eu trop de frissons ignorés, trop de fourmillements tassés, trop d'adrénaline faussement atténuée ; je craque, et bon sang ce que j'aurais aimé éviter ça, mais ma lucidité n'est plus.
Je l'ai perdu de vue depuis bien trop longtemps. Ça suffit.
— Jungkook, calme-toi, d'accord ? Taehyung est dehors. Il a dit qu'il avait besoin de prendre l'air, il est dehors avec Namjoon.
Avec Namjoon.
C'est tout ce qu'il me faut pour lâcher Hoseok. Ce dernier titube en se massant les clavicules, une grimace collée au visage.
— Dehors où ? demandé-je, les épaules tendues à souhait.
— Là. Par là. Y'a une porte ici, elle n'est pas verrouillée, ça donne sur le parking.
Je m'apprête à y aller, mais je ne sais pour quelle raison mon bras s'étend afin de saisir le verre qu'Imani m'avait donné. Sous leur air éberlué, je descends le champagne cul sec avant de reposer la coupe et de m'essuyer la bouche du dos de la main. Ni une ni deux, je me dirige vers cette putain de porte qui se situe dans le fond du bar-restaurant. C'est une sortie de secours. Je la pousse des deux mains, le sac de mon aîné dans le dos, pour déboucher sur un petit parking visiblement réservé au personnel de l'hôtel. Le froid me fait frissonner, mais l'inquiétude m'empêche de m'y attarder.
Je regarde à gauche, à droite, jusqu'à entendre des éclats de voix à l'angle du bâtiment. La nuit noire ne me facilite pas la tâche et l'absence de lampadaire à cet endroit me force à longer le mur pour ne pas me vautrer dans un poteau ou une voiture.
— Ok, alors je te laisse respirer.
Je freine puis m'arrête. La voix de Namjoon.
Une idée franchement malhonnête me vient en tête. Avant même de peser le pour et le contre, je décide de l'appliquer ; je reste caché. Ils sont juste là, de l'autre côté du mur que j'ai rasé, et j'entends tout distinctement. Autant en profiter.
— T'es sûr que ça va aller ?
— Je t'ai déjà dit que oui.
Mes sourcils se haussent dans la nuit. Je ne m'attendais pas à ce qu'une telle glace imprègne sa voix. Surtout pas avec Namjoon.
Merde, je savais que quelque chose clochait.
— Bon... Si t'as besoin, tu sais où toquer, Taehyung.
Pas de réponse. Je m'empresse de filer derrière une voiture pour m'y accroupir, et me surprendre à faire ça me conforte dans l'idée que je deviens taré. Sérieusement, pour qui je me prends ? Namjoon s'en va. La nuit m'aide à ne pas me faire voir ; même si je bougeais, je ne suis pas sûr qu'il me distinguerait. Je soupire en attendant qu'il pénètre de nouveau dans la bâtisse.
Taehyung est encore là. Je ne le vois pas, cependant. Je ne l'entends pas. Toute cette situation me rend dingue ; Namjoon l'a réconforté comme ce soir-là, au restaurant. Est-ce qu'il lui parlait de cette manière ? Mon ancien mentor n'avait pourtant pas l'air de le rembarrer si durement la dernière fois. Qu'est-ce qui a changé ce soir ?
Sunbae, qu'est-ce qui se passe, putain ?
Un de mes genoux s'échoue au sol pour me maintenir. Mon front, lui, frôle la paroi de la voiture derrière laquelle je suis planqué comme un fou. Mon estomac hurle, les frissons ne s'arrêtent plus.
Pourquoi ? Pourquoi je me sens ainsi depuis la sortie du bus ?
Des pas. Je lève la tête pour essayer de distinguer sa silhouette, non sans rester correctement caché. Je pourrais me montrer, après tout. Et puis j'ai son sac, bon sang. Mais je ne le fais pas, je reste là, ses affaires dans les mains et l'autre se faufilant dans ma nuque pour la masser une deuxième fois ce soir.
Il est là.
Pour être sûr de ne pas me faire voir, je me redresse en silence et recule à mesure qu'il approche de la porte pour davantage m'éloigner de lui. Je suis maintenant dans son dos, à une trentaine de pas, contre un mur sur lequel je m'appuie, épuisé.
J'attends qu'il entre pour pouvoir le suivre quelques minutes après.
Sauf qu'il ne rentre pas.
Mes sourcils se froncent. Je le vois là, figé, la main sur la poignée de la porte de sécurité. Je ne distingue rien d'autre que son ombre qui se détache à peine de la nuit, et je me demande s'il va craquer. Moi aussi, j'ai envie de craquer. Une goutte de pluie tombe sur ma main. Mon nez.
Il appuie sur la poignée.
Enfin. Je soupire et me décolle déjà de la paroi murale pour me préparer à le seconder. Il ne faudra pas que je le perde de vue, je dois lui rendre son sac ; si je le suis d'assez loin, je pourrai faire semblant de le croiser dans le hall de l'hôtel afin de l'attra...
— Bonsoir, Jungkook.
Ma nuque hurle de douleur en se redressant du sol vers sa voix.
Oh, non.
Non. Non, non, non.
— S-Sunbae...
Il se tourne vers moi. Mon torse est traversé d'une adrénaline cette fois proche d'un véritable courant électrique.
Je recule, mais je ne peux pas reculer, alors je me contente de déglutir en posant la main sur la brique contre laquelle je me retrouve à présent tétanisé. Il se met dans la même position que moi mais contre la sortie de secours, et un faible reflet de la lune éclaire son long manteau noir ouvert sur sa tenue que je connais déjà.
Ce qu'elle éclaire, aussi, ce sont ses lèvres qui se séparent une seconde fois :
— Je suppose que c'est pour me rendre mon sac, que tu es venu me trouver ?
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Je vais me faire tuer de couper ici je le sens XD Pour ma défense : les prochains chapitres vont être assez longs, je préfère séparer ainsi. J'espère que vous comprenez les amis ♥
Chapitre de transition (vraiment, cette fois) mais il le fallait avant que les hostilités ne commencent :p Qu'en avez-vous pensé les amis ? ^-^
Prêt.e.s pour la suite ? :)
Je vous dis à bientôt pour le chapitre 16, prenez soin de vous, et bonne semaine ! ♥♥♥
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