
Chapitre ⑨
Bonsoir les amis ! ^-^
J'espère que vous avez passé un bon Noël ! Je vous retrouve enfin avec la suite de Poupée hihi, je suis trop heureuse !
Bonne lecture ~ ♥
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Une fois, j'ai lu un livre dans lequel le personnage se demandait : quand le doute naît-il ?
Il élucidait, à force de son expérience, de ses ressentis, à quel moment le doute s'était mesquinement insinué en lui. Il y a un point sur lequel je ne le rejoins pas ; moi, je sais parfaitement quand j'ai commencé à douter.
Puisque ça arrive là, à l'instant. Ça implose dans mon corps comme une supernova, les fils lumineux passent dans mes veines avec cette sensation acide propre à l'adrénaline. Je crois que ça arrive lorsqu'on cesse de se bercer d'illusions, de se dire que tout va bien, qu'on est juste fou de croire que quelque chose cloche.
— Sunbae... ?
La grande habitude humaine, je crois bien, est de s'auto-persuader que tout va bien parce qu'on a peur que tout aille mal. C'est ainsi qu'on ignore le trouble qui mène au doute, aux questions inquiétantes telles que celle qui me vient à l'instant...
— Tu... Tout va bien ?
...Pourquoi est-ce que Taehyung a menti aux autres en prétendant qu'il ne viendrait pas ?
Parce qu'il est bien là. Je n'ai que trop de lucidité sur sa présence, sur sa prise sur mes bras, sur la manière dont je m'accroche à lui comme à une bouée de secours et lui à moi d'une façon que je ne pourrais décrire et interpréter. Non pas à cause de la pénombre qui nous couve, de son masque qui le cache ou de ses yeux injectés d'interdit, mais plutôt de la manière dont ses membres sont tendus comme étirés et pressés, de la manière dont il est figé, comme si un monstre pouvait apparaître soudain et le dévorer. Je n'ai pas l'expérience nécessaire à ses côtés pour comprendre son comportement si circonspect, là, dans l'instant, tandis qu'il ne semble toujours pas vouloir me lâcher.
Plus tard, je comprendrai. Je fais actuellement une rétrospective, je retourne en arrière pour m'imprégner d'un présent passé, et dans ce dernier, je me souviens que la porte s'est ouverte sans prévenir. Que quatre personnes sont sorties, que je les ai identifiées malgré le noir, bien plus vite que je n'ai identifié mon aîné qui, sans même se retourner, se tend davantage encore comme si ses sens étaient assez développés pour saisir sans voir qui vient tout juste de débarquer.
— Jungkook !
Je commence à douter, mais je ne sais pas encore de quoi je doute. Je suis seulement capable de comprendre que la situation cloche. Que mon aîné, là, devant moi, est trop figé pour que je ne l'ignore. Que les autres qui viennent d'arriver sont toujours là, dans les parages, comme s'il n'y avait qu'eux dans cette immense université, comme si je ne pouvais pas leur échapper.
Comme si on ne pouvait pas leur échapper.
— Jimin ?
— Jungkook, tout va bien ?
Imani.
— Jimin nous a prévenus que tu avais un problème.
Entre mes doigts, la chair des épaules de mon mentor devient si dure qu'il me coûterait peu d'énergie pour la briser, comme du verre poli à l'indécent.
— Hoseok, allume ta lampe de téléphone, on voit rien.
— Oui bah deux minutes !
Je ne les entends pas. Je cherche un regard chocolat derrière un masque qui cache soudain tout, tout de ce que j'avais entraperçu, si bien que je crois avoir rêvé. Tout ce que je sais, c'est que ses cils se baissent bas, sans que ses paupières ne se closent, et qu'ainsi, l'ombre qu'ils jettent sur ses yeux les dissimulent définitivement. J'entrouvre les lèvres, comme inquiet de ce voile brutal. Il se ferme comme une tortue entre dans sa coquille à l'approche d'un prédateur.
Je change d'angle, baisse légèrement le menton, le redresse, fronce les sourcils, mais plus rien n'y fait ; il est comme sans visage. Je ne distingue plus que son masque et la rigidité de son corps si près du mien.
— Tout va bien ? entends-je de la voix de Namjoon.
Et c'est comme si la porcelaine devenait du métal. J'en suis si surpris qu'il me vient comme seule idée de réduire davantage notre proximité, doucement, pour ne pas que les autres ne décèlent le moindre de mes mouvements. D'abord un pas, que je ne cherche plus à calculer comme plus tôt, à mesurer à outrance puisqu'il n'est plus une surprise mais une intention. Puis une inclinaison légère, imperceptible presque, de ma tête vers la sienne. Enfin, une prise plus forte, sans pour autant dominer, sur ses frêles épaules qui paradoxalement paraissent être capables de tout supporter.
Mes lèvres s'entrouvrent et, dans la manœuvre, je suis presque sûr qu'elles auraient pu frôler le plastique de son masque immaculé.
— ...Je les retiens, murmuré-je.
Ni un ordre, ni un conseil, ni une supplication ; une ouverture, une simple ouverture qu'il saisit sans attendre. Il recule promptement, ses gants chauds me quittant délicatement dans sa brusquerie, puis des pas réguliers, élégants, s'élèvent dans le couloir pour gagner notre opposé. Je me tourne dans sa direction en ne sachant que faire de toute cette personne que j'ai envie de regarder, de ses cheveux dont je ne distingue pas la couleur dans le soir de l'allée, de sa nuque si parfaitement tenue, à ses longues jambes qui enchaînent chaque pas sans l'ombre d'une hésitation.
Que va-t-il encore faire, seul, dans cette vaste université ?
— Jungkook ? Qui était-ce ? me questionne Imani lorsqu'elle m'atteint enfin.
— Taehyung. Je crois qu'il n'allait pas très bien.
Les autres me rejoignent, me regardent, mais je ne pose rien d'autre sur eux qu'une oreille évasive tandis que mon attention se rive toujours sur sa silhouette qui nous a quitté depuis quelques minutes.
— Impossible.
La voix de Namjoon me détache enfin de cette vision disparue.
— Taehyung n'est pas là, je peux te l'assurer, m'informe-t-il.
Je hausse un sourcil.
— Je l'ai reconnu. C'était bien lui.
— Ah, mais c'est vraiment pas possible, Jungkook. Il est en train de bosser sur son mémoire, je l'ai croisé juste avant la soirée à la bibliothèque, insiste Hoseok.
...Quoi ?
— Mais... Attendez, je sais qu'il portait un masque mais je suis pas con, c'était bien lui...
— Je l'aurais reconnu, tu sais, me sourit Imani.
Je les observe à tour de rôle, désarçonné.
Me serais-je... trompé ? Après tout, ils n'ont pas tort ; nous sommes dans un noir presque complet. Et Taehyung leur a bien dit qu'il ne viendrait pas. Peut-être, après tout, que je cherche des noises là où il n'y en a pas. Mon mentor paraît énigmatique et cela ne signifie pas que je doive surinterpréter des comportements qui lui appartiennent pour imbriquer mes théories dans d'autres afin de débusquer une vérité qui n'existe peut-être pas.
Je soupire en jetant un dernier regard derrière moi. Ce type avait un masque intégral, je n'ai pas bien vu ses cheveux ni aucune autre trace de peau à cause de ses gants et de son col de chemise parfaitement boutonné. J'ai peut-être tout inventé. Ce mec était probablement juste un type bourré que j'ai un peu trop provoqué.
— Le masque et le noir, ça a dû te jour des tours, rit Jimin.
Ils abandonnent vite le sujet pour me questionner sur mon état. Imani râle du maquillage que j'ai sillonné de mes pleurs mais elle finit par me réconforter, tandis que Namjoon jette de temps à autres des regards sur moi, qui me paraissent longs.
Finalement, ils me forcent à boire un verre d'eau qu'Hoseok a rapporté, puis me tirent de nouveau dans la salle alors que, de mon côté, je n'arrive plus à détacher mes pensées de cette figure, sous ce masque blanc, qui me semblait être trait pour trait celle de mon aîné.
**
Ça m'a hanté. Longtemps.
Trois jours en réalité. J'y pense encore, tout de suite, tandis que mes bras se tendent pour effectuer une cinquième traction qui a du mal à passer. L'alcool a embué mes souvenirs mais ne les a pas effacés ; je me souviens de tout ce qui s'est passé. Et plus les jours passent, plus l'hypothèse que le type qui m'a apporté un mouchoir dans le couloir ne soit pas mon mentor m'a paru plausible.
La scène ridicule avec Imani m'est également revenue par flashs. J'ai honte. Pas plus qu'elle à mon avis, mais j'ai honte. Je me suis laissé entraîner dans des conneries pareilles sans même y réfléchir au préalable. J'imagine qu'elle s'en veut, mais j'ai une étrange rancœur, presque une aigreur, lorsque je me souviens de ma langue dans sa bouche, de la sienne dans la mienne. Comme si j'embrassais mon double.
J'ai détesté tout de cela. Absolument tout.
En rentrant, je me suis surpris à me brosser les dents deux fois, puis à me démaquiller au gant de toilette, m'inquiétant peu de faire rougir ma peau à force de frotter avec rien d'autre que de l'eau froide.
J'ai manqué des cours le lendemain à cause d'une belle gueule de bois. Dans mon lit, torse nu malgré l'hiver qui s'installe dehors, j'ai ressassé toute cette préparation de soirée d'intégration en me haïssant d'avoir été si impliqué dans quelque chose d'aussi con.
— Putain, fais chier, grogné-je à l'encontre de la barre de tractions qui m'arrache la peau des mains.
C'est vrai. C'était con. C'était un truc de cons, je veux dire, un truc d'étudiants bien rangés en apparence et complètement dépravés en vérité. Imani fait un bel exemple. Les masques, à cette soirée, en sont la métaphore ultime. On s'amuse masqués pour feindre d'oublier tous nos vices. J'ai envie de me vomir dessus, bordel. Comme si l'alcool que j'avais ingéré trois jours plus tôt ne voulait toujours pas quitter mon corps.
En regardant l'horloge, je constate qu'il est treize heures seize. J'ai cours dans quarante-cinq minutes, et j'ai juste envie de sécher. Jimin est devenu la seule personne que je supporte, mais je risque de croiser Imani, Namjoon ou Hoseok, et je ne sais pourquoi je n'ai pas envie de voir leurs têtes pour l'instant.
Y'a vraiment un truc qui colle pas. Un truc que je pige pas.
Putain, 'faut que j'avance sur mon mémoire, Taehyung va me tuer.
Je me douche, m'habille, puis quitte mon appartement dans la foulée. Dans le métro, je me remémore le dernier rendez-vous que j'ai eu avec lui, qui a d'ailleurs été le plus fructueux jusque-là. Mon mentor m'a fait faire un espèce de plan de roman dans lequel on a défini les sujets les plus importants que je voulais aborder, comment je voulais les aborder, dans quel but... Tout cela motivé par un scénario. Ouais, un scénario. Je vais écrire une histoire. Je ne sais pas encore laquelle, ni quel titre je vais lui donner et encore moins quelle direction elle va prendre, mais il m'a convaincu.
Il m'a expliqué que ma vision philosophique des sciences ne la rend pas si immature comme j'ai cru qu'il le sous-entendait depuis le début, mais qu'au contraire, le force de cette dimension que j'aborderais pourrait être intéressante dans le cadre du mémoire.
— T'es presque en retard, me chuchote Jimin quand j'arrive en amphi.
En somme, comme il l'a si bien dit, assumer.
— J't'ai rien demandé.
Je dois assumer la bizarrerie de mon sujet.
— Je rêve où tu viens de me sourire en balançant ta remarque cinglante ?
— Si j'le fais pas tu vas pleurer à chaque fois que je l'ouvre.
Il hausse les sourcils, secoue la tête d'un air sidéré, puis se met à taper sur son clavier quand la prof commence à déblatérer.
— Bien la belle journée, votre seigneurie.
— Commence pas.
— Je me disais, on n'a pas vraiment reparlé de la soirée.
— Oh non, tu me fais le coup du debrief ou je rêve ?
— Bah...
Je souffle audiblement quand il s'installe correctement sur sa chaise, prêt à entamer la discussion.
— J'aimerais savoir si tu vas mieux, c'est tout.
— Je savais que t'allais me rappeler tous les jours de ma vie que j'ai chialé.
— Mais non !
On regarde vivement l'enseignante après son exclamation. Deux intellos se tournent vers nous d'un air agacé pour nous faire comprendre de la fermer. Je leur souris de toutes mes dents, avant de retrouver mon expression habituelle dès qu'ils nous lâchent.
— Jungkook, c'est juste que t'es du genre très mystérieux, hein ?
— ...Ah ouais ? m'amusé-je, un rictus naissant sur le coin de mes lèvres après ses mots.
Il lève les yeux au ciel.
— T'es con. Je voulais dire par là que j'ai un peu de mal à te cerner.
— Je pense vraiment que je suis pas la personne la plus difficile à cerner ici Jimin.
— Bon, là-dessus... Namjoon et Taehyung, c'est pire, rit-il.
Je cesse d'écrire un instant.
— Je trouve aussi, avoué-je.
— Ah ouais ? Non parce que ça me fait du bien d'entendre quelqu'un le dire ! Je te jure, tout le monde les connaît et les adule, mais personne n'a l'air de remarquer qu'ils sont bizarres.
Je pivote légèrement vers lui. Ses paupières sont plissées de réflexion.
— Je croyais aussi que j'étais le seul, acquiescé-je.
— Ils sont potes, mais en même temps, ils ont l'air distants l'un de l'autre... ?
— Grave. Y'a un truc entre eux.
— Heu... Tu veux dire que...
On se fixe quelques secondes, puis on explose de rire contre nos avant-bras. Malgré l'étouffement de nos voix, on attire encore quelques têtes. La conférencière semble chercher du regard qui sont les fauteurs de trouble alors on se terre derrière nos ordinateurs comme deux gamins.
— T'es con putain, soufflé-je, encore hilare.
Jimin essuie une larme sous son œil.
— Non mais comment t'as posé la question, aussi !
— Imagine, sérieux.
— Bah je serais pas étonné pour Taehyung, mais j'avoue que pour Namjoon...
Là, je perds mon sourire.
— Attends, quoi ?
Il se remet à écrire mais semble on ne peut plus sérieux lorsqu'il insiste :
— Bah tu le vois avec une fille, toi ?
Je hausse un sourcil.
— T'entends quoi par là ? L'apparence, ça veut rien dire.
— Non mais je sais bien, mais il est... Je sais pas. En fait c'est surtout que je le vois avec personne.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Aucune idée. Il fait juste très poupée de vitrine super chère que personne pourra jamais s'acheter, aha.
Je recule contre mon siège après les mots de mon camarade, interloqué. C'est vrai que Taehyung fait poupée de vitrine, ça ne fait aucun doute. Un pur produit de la littérature élitiste à première vue, avec ses mocassins bien cirés, ses pantalons à pinces bien repassés et son air interdit et haut, pas hautain, simplement haut, presque surfait sans être dans le dédain.
— Enfin, d'après ce que m'a dit mon mentor, il est un peu en marge des autres.
— Hoseok t'a dit ça ?
— Mmh. Mais il reste évasif.
— Ouais, j'ai remarqué qu'ils sont tous un peu évasifs, ici...
Il renifle. Je sens ses yeux sur moi.
— Dis... Tu l'apprécies, Taehyung ?
La première réponse qui me vient est non. Non, pourquoi tu demandes ça ? Non, c'est un connard arrogant. Non, il m'a blessé dans mon égo.
Pourtant, ce n'est pas ce qui sort.
— ...Je pense que c'est lui qui m'apprécie pas.
— Ah ?
— Je l'insupporte. Je lui fais perdre son temps. Malgré ça, il reste pro. Il m'aide. Mais bon, je sens bien que s'il pouvait se passer de moi, ça l'arrangerait.
— Je peux dire un truc ?
Je hoche la tête sans détourner l'attention de mon écran.
— Je préfère ça, plutôt qu'un mentor qui prend tout à la légère et qui semble organiser des rendez-vous que pour les potins, chuchote-t-il avec une presque honte qui l'empêche d'assumer ses mots.
Et bien sûr que ça m'intrigue. Je lâche même mon clavier pour l'aviser avec surprise. Jimin rougit en évitant mon regard.
— Quoi ?
— Disons que... Hoseok est très gentil, et puis il m'écoute quand je parle de mon mémoire, hein ! Mais... C'est pas... J'ai l'impression qu'il cherche à tout boucler assez vite pour ensuite parler de lui, ou me questionner sur...
— Te questionner sur quoi ?
Il se gratte la nuque, mal à l'aise.
— ...Me questionner sur toi.
Là, je suis sur le cul. L'enseignante nous reprend, alors on se tait quelques instants durant lesquels je n'arrive plus du tout à me concentrer sur le cours. À la fin des deux heures, je n'ai presque rien noté, trop occupé par mes pensées qui se sont torsadées pour théoriser.
En sortant, Jimin attend que je range mes affaires puis attrape ma manche pour me tirer à sa suite. Je me laisse traîner jusqu'au hall en comprenant bien vite que mon ami cherche en fait à échapper aux éclats de voix incessants des autres étudiants. Près du grand tableau sur lequel sont affichés toutes sortes de publicités pour des associations, il ancre ses yeux sérieux dans les miens.
— J'espère que je peux te faire confiance.
— Tu peux.
Il jette un oeil autour de lui. J'en fais de même, étonné par tant de précaution.
— Jungkook, y'a un truc qui cloche ici. Un truc pas net. Et pardon de t'inquiéter de ça, mais ça concerne ton mentor.
Mes lèvres s'entrouvrent. Il se penche vers moi.
— Purée, je suis pas censé te dire tout ça... Mais je suis un curieux, je fouine et j'ai trop fouiné. J'ai découvert quelque chose qui devait rester sous silence, je crois.
— Quoi ? Qu'est-ce que t'as découvert ?
Mais il semble perdre son besoin de se confier puisqu'il recule en faisant jongler ses yeux dans les miens, à la manière de quelqu'un qui doute de son vis-à-vis, soudainement.
— Jimin, je te jure que je vais la fermer, putain. Mais j'ai besoin d'aide. J'ai... Si ça concerne Taehyung, 'faut que tu me dises ce qui se passe. J'ai l'impression que...
Je me tais, surpris par ce qui allait sortir. Jimin n'est cependant pas de cet avis. Je secoue la tête en reculant à mon tour pour lui montrer que je ne compte pas cracher le morceau, mais il en paraît bien trop intéressé pour me lâcher.
— Quoi ? T'as l'impression que quoi ?
— Rien.
— Tu dis, et je dis.
— Putain non, c'était rien de ouf. C'est à toi de parler. T'as une info, tu me la donnes.
— Ah ouais et j'ai quoi en échange ?
— Putain mais-
— Soit on collabore, soit rien.
Je la boucle un instant pour le regarder fixement.
— T'es sérieux là Jimin ?
— Jungkook, si je me trompe pas sur ce que j'ai découvert, alors... Alors c'est très, très grave. Ok ? Donc soit on conclut un accord et on décide de mener l'enquête ensemble, mais on doit tout se dire, toi comme moi... Soit je continue seul.
Mes dents se plantent dans mes lèvres lorsqu'il me présente discrètement sa main après avoir une nouvelle fois balayé le hall des yeux.
— Et merde, je suis sûr que je suis en train de m'embarquer dans un bourbier pas possible..., gémis-je.
— Sauf que t'es pas tout seul.
Il tend davantage sa paume, avec l'expression réfléchie de quelqu'un qui ne balance pas une telle proposition en l'air. Je l'avise encore, longuement, en pesant le pour et le contre.
...Fais chier, putain.
Nos peaux s'accrochent, nos doigts s'emprisonnent, nos regards s'attrapent.
— ...Entendu.
Il acquiesce.
— Toi d'abord.
— Mais j'ai rien moi, j'ai juste...
— De quoi as-tu l'impression ?
Je serre les dents. Ses iris jonglent dans les miens avec patience.
— J'ai l'impression... J'ai souvent l'impression qu'il peut disparaître à tout moment. Disparaître.
Jimin n'a pas l'air étonné. Au contraire, il hoche même la tête comme s'il s'y attendait.
— Les impressions sont toujours bonnes à prendre.
— À ton tour. Dis-moi ce que tu sais.
— Pas grand-chose. Mais j'ai surpris une conversation, et j'essaie de récolter des informations auprès de M2 avec qui je noue des liens.
Il soupire, baisse la tête vers le sol, puis la redresse quand il semble décidé.
— Jungkook, son mémoire.
Je fronce les sourcils.
— Son mémoire, à ton mentor. Personne ne sait de quoi parle son mémoire.
Ça me frappe comme un coup de poing. Personne ne sait. Personne ne sait de quoi parle son mémoire, moi-même je ne le sais pas. Je n'ai même jamais posé la question, je n'ai même jamais pensé à cela, tant il le dissimule bien, tant il focalise l'attention sur moi, tant il s'efface.
— Sauf que... Tu te souviens quand les profs nous ont dit qu'on devait rendre une fiche en fin d'année de M1 pour récapituler l'avancement de notre mémoire ? Ces fiches des anciens M1, donc les M2 actuels, Imani, Namjoon, Taehyung... Elles sont disponibles à la consultation. Je l'ai découvert par hasard en posant une question à l'accueil de la bibliothéque universitaire.
— Attends attends... Quoi ? Je comprends rien.
— Je demandais des ouvrages pour m'aider dans mon mémoire. On m'a demandé mon sujet. Quand je l'ai donné, on m'a dit qu'une M2 avait le même sujet de mémoire, que je pouvais aller voir sa fiche mise à disposition pour les nouveaux M1. À la base, c'est seulement pour s'en inspirer.
— Et... Et il y a celle de Taehyung ?
— Je les ai toutes lues. La sienne est presque vide, mais il y a une phrase qui m'a marqué.
— Quoi ? C'était quoi ?
Mon cœur s'emballe lorsque je perçois, dans les pupilles de Jimin, une sorte de crainte profonde, quelque chose d'inquiet, presque de paniqué, quelque chose qu'il sait depuis un moment et dont il s'est retenu de confier.
— ...Le poète doit mourir.
Silence.
— Jungkook, c'était... C'était ce qu'il était marqué.
Silence.
— Mot pour mot, c'était...
Silence.
— ...Il était marqué que... Que...
Silence.
— ...Le poète... Que le poète doit mourir.
**
Imanini
Bon, on a eu les réponses de tout le monde, sauf des deux habituels... @Jungkook, @Kim Taehyung, vous êtes partants pour le restaurant de ce soir ? Vite, j'ai plus qu'une heure pour réserver !
Je l'ai tournée, retournée et tiraillée dans tous les sens.
Moi
C'est à quelle heure et on y mange quoi ?
« Le poète doit mourir. »
Imanini
Ah enfin un qui répond ! Dix-neuf heures, et c'est un restau italien dans le centre-ville. Je suis sûre que quelqu'un pourra te raccompagner après !
Moi
@Jimin tu viens ?
Jimin
Ouaip !
Si bien qu'elle n'a plus eu de sens. J'ai fixé le plafond blanc, jaunâtre par endroits à cause de l'humidité, en me répétant encore et encore ces quelques mots qui forment cette phrase si singulière, si effrayante, si belle, si étouffante. Il m'a semblé que les lettres se sont détachées de ces quatre mots pour se coller sur tous les murs de mon appartement pourri. Il m'a semblé aussi qu'elles se sont mélangées, décousues, mêlées, étranglées.
Tout cela n'avait que pour but de jouer avec mon esprit. L'occuper. Sinon, il me punissait.
Moi
Ok je serai là mais je vais pas trop tarder non plus
Imanini
Génial ! Plus on est de fous, plus on rit !
Il me punissait d'un Taehyung qui disparaissait, puis qu'on retrouvait avec une ceinture autour du cou, pendu à un des jolis arbres du campus de l'université générale, les pieds dans le vent, le visage aussi serein que l'est une poupée qu'on cesse enfin de malmener.
Imanini
@Kim Taehyung tu viens ou pas ? Je vais appeler pour réserver, là !
Je fais mine de ne pas regarder l'écran de mon téléphone, mais la vérité est que j'y porte un coup d'oeil toutes les dix secondes, attendant aussi impatiemment qu'Imani un signe de vie de mon mentor. Depuis la soirée, enfin non, ce n'était pas vraiment lui, je crois... Alors depuis le dernier rendez-vous que nous avons partagé, je n'ai plus eu de ses nouvelles. La révélation de Jimin n'aide en rien ma paranoïa.
Il n'a même pas daigné ouvrir la conversation. Le petit « vu » ne s'est pas affiché, pas même une fois ces quelques derniers jours. Nous sommes censés nous voir demain en début de soirée, et je ne sais même pas si ça tient toujours. J'ai la drôle d'impression que notre entrevue de cette semaine est annulée, pour une raison qui m'échappe.
Hobi
Il répondra pas, laisse, tant pis. Il viendra la prochaine fois
Et bon sang, que ça m'agace. Que ça me casse la tête, même. Ces messages, ce passif agressif permanent quand il en vient à parler de mon mentor. Les interventions d'Hoseok à qui on n'a rien demandé, le calme plat et l'air mature mais forcé de Namjoon, la gentillesse d'Imani qui cache une faiblesse et une neutralité indécentes. Je ne sais même pas pourquoi j'accepte d'y aller.
Parce que tu espères le voir, me chuchote ma conscience.
Putain.
Jimin
On pourrait peut-être attendre encore trente minutes :) Il va sûrement répondre.
Imanini
Okay !
Je soupire en remontant la conversation jusqu'au dernier message qu'il a envoyé, il y a de cela une semaine et un jour. Distraitement, je clique sur son nom pour afficher son numéro de téléphone et sa petite photo qui le représente de dos, tenant une rambarde, le regard probablement jeté vers la mer qui lui fait face. Je serre les dents lorsqu'un souvenir me parvient ; celui du type dans le couloir qui m'a attrapé, m'a presque plaqué au mur avec une drôle d'intensité pour me fixer comme si j'avais une réponse, comme si je détenais une vérité.
Alors ce n'était vraiment pas toi, sunbae ?
Mon attention capture un petit bouton. Sans trop réfléchir, j'appuie, et une conversation privée, vierge de tout message, s'ouvre sous mon regard vorace de dénicher une quelconque manière de faire réagir mon aîné. Et pourquoi ? Pourquoi souhaiterais-je le faire réagir, au juste ? Qu'est-ce que cela m'apporterait ?
Je détaille mon clavier virtuel au-dessus duquel mes pouces voyagent comme s'ils avaient le courage d'atterrir un jour. Je prends conscience du nombre de messages que j'ai envie de formuler, du plus simple au plus compliqué. Taehyung se fait personne rare, et comme toute personne rare, il se fait désirer.
Et je suis, au fond de moi, en train de le faire. Je suis en train de l'attendre, de le réclamer.
Moi
Bonsoir sunbae, tu ne viens pas au restaurant ?
J'efface.
Moi
Bonsoir sunbae, je me demandais, pour mon mémoire...
J'efface.
Moi
Pourquoi poupée ?
J'efface. J'efface. J'efface.
Plus tard, après avoir maté une série qui n'a que pour but d'anesthésier mes pensées, je décide enfin de me lever pour me préparer. Sweat-shirt noir, jean noir, baskets blanches. Je ne cherche pas à faire mieux ; je me sens beau et bien ainsi. J'attrape mes clés et sors, soupirant lorsque la pluie s'abat sur mes cheveux tout juste propres. Je fourre ma capuche sur ma tête et plonge les mains dans mon pull, lequel ne me protège pas autant du froid d'octobre que je le croyais.
Au sortir du métro, j'arpente les rues mouillées de la ville avec un peu plus d'enthousiasme. C'est drôle. Depuis le début d'année, chaque jour est pire que l'ancien, je crois. Pourtant, je ne me sens déjà plus le même. Comme si j'étais dans cette université depuis des mois alors que ça ne fait que quelques semaines.
À l'aide de mon téléphone, je me repère dans les rues marchandes en m'étonnant du nombre d'étudiants dehors pour un jeudi soir. J'avais entendu dire que le jeudi était le nouveau vendredi, puisque le vendredi servait aux jeunes de rentrer chez leurs parents en week-end. Séoul est dominée par les parapluies noirs et les bottes en caoutchouc. Je ne suis pas très malin avec ma petite capuche et mes baskets qui prennent déjà la flotte, mais j'apprécie quand même cette escapade hors des murs géants, des dalles symétriques et des fenêtres en arche immenses de l'université générale.
Quand j'y pense, celle-ci n'est vraiment pas mal. Je regrette seulement l'absence de mariage entre les lettres et les sciences, mais n'est-ce pas inhérent à tout le système ? L'université spécialisée semblait avoir compris qu'il fallait lier les deux, mais si j'y songe... N'est-elle pas la seule ? Après tout, peut-être que les gens commencent à comprendre que la vérité se trouve sûrement au croisement de tout ce que l'on connaît, et non pas dans un chemin unique.
Au détour d'une dernière rue illuminée, mes pas freinent sur le sol mouillé. Sur la rue d'en face, le restaurant italien se démarque grâce au drapeau du pays concerné qui vole au vent humide. Je jette un oeil à droite, à gauche, puis traverse. Sans mal, je distingue les autres qui attendent sagement sous le petit toit qui complète la devanture.
— Jungkook, salut ! sourit Jimin.
— Yo. Purée, je suis congelé.
— Imbécile, c'est quoi ce pull qui te sert de manteau ? soupire Imani.
Je lui tire la langue, mais étonnement, elle me regarde comme si elle ne pouvait me répondre avec autant d'entrain. J'étais certain qu'elle culpabiliserait. Elle me sourit quand même.
— Taehyung ne vient pas ?
— J'ai gagné ! s'amuse Jimin.
— Et merde, ok..., grogne Hoseok.
— Quoi ? demandé-je.
Namjoon me salue d'un signe de tête. J'observe son col roulé noir, son long manteau gris et son parapluie trempé dans l'une de ses mains.
— Ils ont parié. Si tu demandais si Taehyung venait ou non dans les cinq minutes après ton arrivée, Hoseok devait payer le restaurant à Jimin. Sinon, l'inverse.
Je les détaille avec une lassitude feinte. Au fond, je panique un peu. Comment ont-ils pu deviner que j'allais poser une telle question ? Je suis un livre ouvert, bordel. Je crois bien que je baisse un peu trop ma garde.
— Du coup, on ne sait pas. Il n'a jamais répondu, hausse des épaules Imani.
Assez vite, leur attention est détournée par la grande carte dans la vitrine. Je reste en retrait, un peu fermé soudainement, tandis que je n'ai qu'une envie ; jeter un oeil par-dessus mon épaule pour guetter l'arrivée de mon mentor. Je rouvre discrètement la conversation sur mon téléphone.
Oh. Il a vu les messages sur la conversation de groupe. Mais il n'a pas donné suite.
Mince, pourquoi est-ce que je pense autant à lui ?
— Bon, on y va ?
À l'intérieur, la chaleur me réconforte. C'est grand, chaleureux et convivial. On nous installe sur une table de six, et je ne peux que remarquer la chaise vide, en face de moi, qui restera sûrement sans propriétaire jusqu'à la fin du repas.
Les autres discutent d'un peu tout, mais mon attention à moi se perd encore. J'entends vaguement les rires de Jimin, la voix posée de Namjoon et les interventions inutiles d'Hoseok. Après quelques minutes à attendre nos plats, je sens le regard d'Imani sur moi. Celle-ci se penche vers mon oreille.
— Je crois qu'il a rendez-vous avec son directeur de mémoire.
Je frissonne en me replaçant sur ma chaise. Avec son directeur ? Monsieur Daniel ? Pourquoi ça ne me rassure pas ? Et pourquoi suis-je inquiet ?
— Jungkook, tu ne pourras jamais savoir où il est à chaque instant. Détends-toi.
— Qu'est-ce qui te fait croire que j'ai envie de savoir ça ?
— Tu regardes la porte toutes les deux minutes.
...Ah.
— Je me fiche de savoir ce qu'il fait et avec qui. Je suis juste étonné.
— Étonné ?
— Ouais. Il a l'air de faire partie de votre groupe, et pourtant il n'est jamais à vos côtés.
Là, le visage de mon amie se décompose. Je l'observe minutieusement pour n'en rater aucune miette de peur de manquer une information. Mais la gravité de son expression, qui se métamorphose très vite lorsque Namjoon prononce son prénom, ne me dit rien qui vaille.
Je crois que c'est à ce moment précis que je suis heureux. Heureux d'être en mission. Heureux d'avoir conclu cet accord avec Jimin. Heureux d'être venu dans ce restaurant pour davantage apprendre à tous les connaître si ça peut m'aider à débusquer leurs secrets les mieux cachés.
Mais il va falloir que je me rapproche du personnage principal de cette histoire, si je veux un jour comprendre qui en tire les ficelles. Et ça me percute de nouveau. J'ai besoin d'eux, j'ai besoin de Jimin... Mais j'ai surtout besoin de lui.
Vivement, je sors mon téléphone, motivé par cette excuse que j'ai enfin trouvé pour le contacter. J'ai envie de le faire. Pour ne pas dire que j'en ressens l'étrange, le pathétique besoin.
Moi
Bonsoir sunbae, tu ne viens pas au restaurant avec les autres ?
J'envoie, et mon estomac se noue puissamment. Je pose mon portable sur mes cuisses et les coudes sur la table. Ma bouche s'échoue contre mon poing fermé, tandis que j'attends impatiemment de percevoir dans ma vision périphérique l'écran de mon téléphone s'illuminer. Et s'il ne répondait pas ?
Après tout, il n'a pas répondu aux autres, alors pourquoi me répondrait-il à moi ?
— Et voilà vos plats.
Le serveur distribue les assiettes et je les observe sans faim, trop obnubilé par cet écran qui demeure noir, qui...
...qui s'illumine.
— La pizza quatre fromages était pour ?
— Heu, Jungkook je crois.
— Monsieur ? C'était pour vous ?
Kim Taehyung
Bonsoir Jungkook, j'avais un rendez-vous de prévu qui m'empêchait de vous rejoindre.
— Jungkook !
— Hein ? Ah, heu, oui ! Merci !
Moi
Oh, très bien.
— Voilà pour vous.
— Ouais. Enfin, je veux dire, merci.
Kim Taehyung
Le rendez-vous en question a été annulé au dernier moment.
— Bon appétit tout le monde !
— Bon appétit !
— Jungkook, tout va bien ? entends-je de la voix de Namjoon.
Moi
Nous avons à peine reçu les plats, et le restaurant doit être à cinq minutes de l'université en voiture. Tu pourrais peut-être nous rejoindre quand même, non ?
— Il est dans la lune ce soir, celui-là, commente Hoseok.
— La dernière fois que je fixais mon téléphone comme ça, c'est quand ma crush m'avait proposé de passer chez elle, rit Jimin.
Kim Taehyung
J'étais déjà en route. Je serai là dans une minute.
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Aaaah c'est si bon d'écrire les premiers moments !! J'adore trop, je m'éclate. J'espère que vous aussi ;) Le meilleur reste évidemment à venir ♥
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre les amis ? Vos théories commencent-elles à s'étoffer ? :p
Je vous remercie infiniment pour les 70K (déjà mais omg) et je vous souhaite, par avance, une BONNE ANNEE ♥♥♥ La santé, les amis, l'amour... toutes ces belles choses. Mais surtout, n'oubliez jamais : le temps n'existe pas comme on l'a conçu ! Donc en fait, demain soir, il se passe pas grand-chose de si dingue ! En ce sens, pas trop de panique et de pression sur "ok c'est la nouvelle année donc je dois faire ça et ça et ça..." EVERYTHING WILL BE OKAY ♥
Gros bisous les amis, et à très vite pour la suite ! Prenez grand soin de vous ! ♥
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