Chapitre 9 : Confrontation
Yomaki.
La nuit est un gouffre sans fond.
Keiko, ma petite sœur est chez une amie depuis quelques jours elles ne supportait plus l'atmosphère de la maison. Je n'ai même pas la force de l'appeler, trop abandonné à l'idée de devoir prononcer les mots que je n'arrive même pas à accepter.
Je sais qu'elle est probablement dans le même état que moi, si ce n'est pire.
Chaque seconde s’étire, semblant de durer une éternité. Allongé sur mon lit, les yeux rivés au plafond, je peux entendre chaque battement de mon cœur, sourd et désordonné.
Mon père.
Mort.
Ces mots tournent en boucle dans mon esprit, comme une mélodie macabre.
Je n’arrive pas à m’y résoudre.
Comment une figure aussi puissante que Kenjiro Atsuki peut-elle disparaître du jour au lendemain ?
Je n’ai pas pleuré.
Pas encore.
Une partie de moi refuse toujours d’accepter la réalité.
Peut-être qu’il s’agit d’une erreur ?
Une fausse information ?
Mais l’image du présentateur, avec son ton grave et ses mots soigneusement choisis, me revenait sans cesse.
§
Vers trois heures du matin, incapable de trouver le sommeil, je me lève.
Mon corps agit comme en pilote automatique, m’entraînant vers une destination bien connue : la pièce réservée aux encens et aux objets sacrés.
Cette pièce est l’âme de notre maison familiale, un espace que mon père respectait profondément. Petite et épurée, elle n’est éclairée que par une lumière tamisée provenant d’une lampe en papier, posée dans un coin.
Sur le mur principal, un rouleau de soie suspendu affiche une calligraphie élégante : "無常" (Mujo), signifiant l’impermanence.
Au centre, un autel minimaliste en bois laqué, où trônent des photos de nos ancêtres, des bougies et un brûleur d’encens.
Je m'agenouille, le cœur lourd, devant cet autel. Mes mains tremblent alors que je sors un paquet d’encens de sa boîte.
Dans la culture japonaise, allumer de l’encens est plus qu’un simple rituel. Chaque bâton représente une prière, une pensée envoyée aux défunts. La fumée, montant doucement vers le ciel, symbolise la connexion entre ce monde et l’au-delà.
Je me souviens des fois où mon père m’a expliqué ce rituel, sa voix grave et posée résonnant dans ma mémoire.
— Yomaki, l’encens purifie l’air, mais aussi l’âme. À travers lui, nous montrons notre respect et notre amour à ceux qui ne sont plus.
Les volutes de fumée s’élevent lentement, dansant dans la pénombre. Je reste là, immobile, mes mains jointes en prière.
— Otōsan… Pourquoi maintenant ? Pourquoi si tôt ? ( Papa )
Les mots sont à peine audibles, étranglés par le nœud dans ma gorge.
Et là, les larmes viennent.
Incontrôlables.
Elles roulent sur mes joues, chaudes et amères, brouillant ma vision.
Je m'effondre, mes poings frappant le tatami, un cri de douleur muet s’échappant de mes lèvres.
§
Le lendemain matin, je suis encore là, les genoux engourdis et le visage humide.
Je n’ai pas dormi, mais je sais que je devais affronter la réalité.
En arrivant dans le compartiment central de la maison familiale, je me retrouve face à une scène chaotique.
Des voitures luxueuses garées dans l’allée, des journalistes massés derrière les grilles, et une foule de visiteurs en costumes sombres.
À l’intérieur, ma mère est assise dans le salon principal, entourée d’associés de mon père et de figures politiques influentes. Elle semble touchée par le drame, mais quelque chose dans son comportement me met mal à l’aise.
Elle est trop calme.
Trop posée.
Quand un journaliste lui demande si les médecins avaient découvert la cause de la mort, elle répond d’une voix douce mais ferme :
— Les résultats de l’autopsie ne sont pas encore connus. Nous attendons des précisions.
Je n’y crois pas.
Je connaissais cette voix, ce ton.
Ma mère est une femme qui contrôle tout. Même dans la tragédie, elle ne laisse rien transparaître.
Keiko n'est toujours pas là. Elle devrait rentrer plus tard dans la journée. Rien que d’imaginer sa réaction me faisait mal au cœur. Elle adorait notre père, elle vit pour ses encouragements et ses rares moments d’affection.
Malgré tout ce chaos, une autre pensée me hante.
Yuki.
Elle a organisé ce rendez-vous, et j’ai promis d’y aller.
Une partie de moi veut annuler, rester enfermé chez moi pour affronter cette douleur seul.
Mais je sais que je n’aurais peut-être pas d’autre chance de revoir Akira.
Je vais y aller.
§
En sortant de la maison familiale, je suis immédiatement assailli par une foule de paparazzis. Les flashs des appareils photo crépitent, et les questions fusent de toutes parts.
— Yomaki ! Que ressentez-vous après la mort de votre père ?
— Allez-vous succéder à Kenjiro Atsuki ?
— Quelles sont les causes du décès ?
Je ne répond pas.
Pas un mot.
Je monte dans ma voiture, les mâchoires serrées, le cœur battant la chamade.
En démarrant, je prend soin de ne pas suivre l’itinéraire principal. Les paparazzis sont collés à mes talons, mais je multiplie les détours, traversant des ruelles étroites de Tokyo, jusqu’à enfin les semer.
J’espére que cette rencontre m’apportera un semblant de répit, mais au fond de moi, je sais que rien ne sera plus jamais pareil.
§
Yuki.
La lumière dorée du crépuscule se répand doucement sur les toits du temple Zojoji.
Je me tiens près des marches, légèrement en retrait, regardant Akira qui avance d’un pas hésitant. Elle ne sait pas encore pourquoi je l’ai amenée ici.
Peut-être pense-t-elle que ce n’est qu’une sortie banale pour échapper, ne serait-ce qu’un instant, à la noirceur de son quotidien. Mais moi, je sais.
Je sais qu’aujourd’hui, ce qui a été brisé devra commencer à être réparé, même si les morceaux tranchants de leur passé risquent encore de blesser.
Mon regard glisse vers le grand torii à l’entrée.
Ce lieu est parfait.
Solennel.
Paisible.
Mais je ressens déjà la tension dans l’air.
Akira pivote vers moi, ses yeux plissés de suspicion.
— Pourquoi m’as-tu emmenée ici, Yuki ?
Je prends une profonde inspiration.
— Quelqu’un veut te parler.
Elle fronce les sourcils, sa méfiance se transforme en une colère latente.
— Yuki, qu’est-ce que tu as fait ?
Je n’ai pas le temps de répondre qu’une silhouette familière apparaît au bas des marches : Yomaki Astuki.
Je le vois à travers ses yeux, ce garçon qu’elle aimait autrefois, mais qui n’est plus que l’ombre de lui-même.
Sa posture est légèrement affaissée, comme si le poids du monde reposait sur ses épaules. Ses traits, bien que toujours élégants, sont marqués par une fatigue profonde. Ses vêtements sombres, un simple manteau noir et une chemise blanche froissée, trahissent son état d’esprit : désordre intérieur et peine.
Akira recule d’un pas instinctivement, ses poings se serrant.
— C’est une blague ? marmone-t-elle, sa voix tremblante de rage.
Je me tiens entre eux, levant une main apaisante.
— Akira, écoute-moi…
Mais elle ne m’écoute pas. Ses yeux, brûlant d’une colère contenue, sont fixés sur lui.
— Pourquoi es-tu là, Yomaki ? Tu n’as pas eu assez de temps pour fuir ?
Il fait un pas en avant, mais son regard reste rivé sur le sol.
— Je suis désolé, Akira.
Ces mots, si simples, résonnent comme une cloche dans le silence du temple.
— Désolé ?! répète-t-elle avec un rire amer. Tu crois que ça suffit ?!
Je vois Yomaki tressaillir, mais il ne se défend pas. Il reste là, comme un homme prêt à accepter toute la foudre qui va s’abattre sur lui.
Akira continue, sa voix tremblant d’émotion :
— Où étais-tu, Yomaki ? Quand ma mère était à l’hôpital, quand je pleurais seule dans cette foutue maison que ta mère nous avait donnée, où étais-tu ?!
Je pose une main sur son bras, tentant de calmer la tempête, mais elle me repousse. Ses larmes coulent maintenant librement, mais son regard est fixé sur Yomaki, brûlant de douleur et de reproches.
— Tu sais ce qu’elle m’a dit, ta mère, avant de m’abandonner ? Elle est venue chez moi, un sourire froid sur le visage, et m’a dit que tu étais parti sans moi, que c’était mieux ainsi. Elle m’a menacée, Yomaki. Elle m’a offert une maison à l’autre bout de la ville, puis elle m’a laissée tomber quand ma mère est morte.
Yomaki lève enfin les yeux, et ce que je vois dans son regard me frappe. Ce n’est pas de la honte. Ce n’est pas de la colère. C’est une profonde tristesse.
— Je ne savais pas… souffle-t-il, sa voix presque inaudible d'un ton désolé.
Akira rit, un rire cruel.
— Bien sûr que non. Toi, tu ne savais rien, hein ?! Monsieur vivait son rêve à l’étranger pendant que moi, je crevais ici, seule, abandonnée, brisée !
Je fais un pas en avant, élevant légèrement la voix.
— Akira, ça suffit !
Elle se tourne vers moi, ses yeux enflammés.
— Non, Yuki, ça ne suffit pas. Il doit entendre. Il doit comprendre ce qu’il m’a fait !
— Je veux comprendre ! l’interrompt Yomaki, sa voix soudain plus ferme. Akira, je ne suis pas venu ici pour me justifier ou effacer le passé. Je suis venu parce que je sais que je t’ai blessée dune manière ou d'une autre. Je sais que je t’ai abandonnée d'une certaine façon, et je ne mérite peut-être pas ton pardon, mais je veux au moins essayer.
Akira se tait un instant, déstabilisée par son ton. Elle détourne les yeux, les larmes roulant sur ses joues.
Je décide d’intervenir.
— Vous êtes tous les deux brisés, et je le vois. Vous portez des blessures que vous avez infligées l’un à l’autre, mais si vous continuez comme ça, elles ne guériront jamais.
Je me tourne vers Akira, ma voix douce mais ferme :
— Akira, il n’a pas d’excuse pour ce qu’il a fait. Mais regarde-le. Il vient de perdre son père; tu as vu les infos ce matin. Il est tout aussi perdu que toi.
Puis je regarde Yomaki, plantant mes yeux dans les siens.
— Et toi, Yomaki, tu dois comprendre que les mots ne suffisent pas, bien que je comprenne que tu viens de perdre ton père. Si tu veux réparer les choses, tu dois prouver que tu es prêt à affronter les conséquences de tes actes.
Il hoche la tête, ses épaules s’affaissant un peu plus.
— Je ferai tout ce qu’il faudra, Yuki.
Je prends une inspiration, serrant les poings.
— Alors, commencez ici. Parlez-vous. Pas pour régler tout d’un coup, mais pour faire le premier pas.
Le silence s’installe entre eux.
Akira fixe ses chaussures, ses mains tremblant légèrement.
Puis, elle murmure :
— Pourquoi maintenant ? Pourquoi revenir après tout ce temps ?
Yomaki hésite, cherchant ses mots.
— Parce que… j’ai enfin compris ce qui était vraiment important. Mon père… il a toujours voulu que je sois comme lui. Froid, implacable. J’ai cru que je devais fuir pour me trouver. Mais en réalité, je me suis perdu en te laissant derrière moi.
Akira lève les yeux vers lui, et pour la première fois, je vois autre chose que de la colère dans son regard. Une douleur plus profonde, mêlée de vulnérabilité.
— Je ne te fais pas confiance, Yomaki.
— Je sais, répond-il doucement. Mais je suis prêt à gagner cette confiance, peu importe combien de temps ça prendra.
Je laisse échapper un soupir de soulagement, sentant que quelque chose, bien qu’infime, a changé.
Sous la lumière déclinante, je regarde ces deux âmes blessées, espérant que ce temple, témoin de leurs douleurs, puisse aussi être le lieu de leur réconciliation.
D'un coup, les larmes d’Akira s'intensifient. Une rage incontrôlable se fait sentir par son habitude.
Elle tourne légèrement la tête vers moi. Ses cheveux noirs en bataille tombent sur ses épaules, dissimulant son expression. Son manteau usé flotte légèrement dans le vent, et ses mains sont enfoncées dans les poches de son jean.
Elle paraît si dure.
Je comprends que quelque chose ne passe pas net dans sa tête.
Elle porte son regard vers moi avec fureur.
Je comprends qu'elle n'apprécie pas ce que j'ai fais, ça me fait flipper. Mais il fallait que je le fasse, peu importe du comment elle le prendra.
J'essaie de prendre une inspiration pour briser ce silence.
— Akira, tu te demandes sûrement pourquoi je fais ça.
Je sens Akira se raidir. Sa respiration devient saccadée, ses mains tremblent légèrement avant qu’elle ne serre les poings.
— Comment... tu as pu... me faire ça… souffle-t-elle.
Son ton, à la fois incrédule et chargé de colère, me fait mal.
Elle recule d’un pas, comme si elle brûlait de l'intérieur.
— C’est un putain de rêve, murmure-t-elle.
Yomaki lève les yeux vers elle, et une tristesse palpable émane de lui.
— Akira… tenta-t-il de répondre.
Mais elle explose avant qu’il n’ait pu dire autre chose.
— Tu sais je ne comprends toujours pas pourquoi tu es ici ! Pour me parler c'est ça ?! Après tout ce temps ?! Tu crois vraiment que tu peux simplement revenir comme ça, après m’avoir abandonnée ?!
Elle se tourne violemment vers moi, les larmes aux yeux.
— C’est ça, Yuki ? C’était ton plan ? Me piéger ici avec lui ?
Je tente de poser une main apaisante sur son bras, mais elle la repousse avec force.
— Tu ne comprends pas… commence Yomaki d’une voix brisée.
— Je comprends très bien ! coupe-t-elle en hurlant. Tu m’as laissée. Tout simplement.
Je vois Yomaki déglutir, ses mains tremblant légèrement. Il fait un pas en avant, mais s’arrête lorsque le regard furieux d’Akira l’immobilise.
— Je ne t’ai pas abandonnée, insiste-t-il.
Elle rit amèrement, un rire qui semble déchirer l’atmosphère paisible du temple.
— Tu mens. Si c'est pas le cas alors répond Où étais-tu, Yomaki, quand ma mère est morte ? Quand ta mère m’a humiliée et chassée ?!
Yomaki ne dit rien.
— Tu vois ? Tu n'as aucune réponse. T'es vraiment culotté de te pointer ici !
Sa voix se brise, et elle détourne les yeux, refusant de montrer sa vulnérabilité.
Je décide d’intervenir, ma voix tremblante d’émotion.
— Akira, tu dois l’écouter. Ce n’est pas aussi simple que tu le penses.
Elle me lance un regard chargé de reproches.
— Qu’est-ce que tu en sais, Yuki ? Tu ne peux pas comprendre ce qu’il m’a fait.
Mais avant que je ne puisse répondre, Yomaki prend la parole.
— Je n’ai jamais voulu te blesser, Akira. Je t’ai cherchée, encore et encore. Ce n’est que récemment que j’ai appris… ce que ma mère t’avait fait. C'est elle qui t'a contraint d'écrire la lettre n'est-ce pas ?
Le silence tombe lourdement. Akira le fixe, ses yeux s’écarquillant légèrement, comme si elle ne savait pas si elle devait le croire.
— La lettre ? répète-t-elle doucement.
Yomaki hoche la tête.
— Tu m'as laissé cette lettre avant de partir, continua-t-il en sortant un papier vieilli par le temps, puis il l'a lu.
— Je n'ai écris aucune lettre ! Répond-elle avec indignation, elle arrache la lettre à Yomaki. C'est mon écriture mais je ne l'ai pas écrite et je ne l'aurai jamais fait.
Akira détourne le regard, mordant nerveusement sa lèvre inférieure. Je sens qu’une partie de sa colère vacille, remplacée par une profonde tristesse.
Yomaki s’approche d’un pas, gardant une distance respectueuse.
— Akira, je n’ai pas choisi de partir sans toi. Ma mère… elle a manipulé la situation. La lettre que tu aurais soi-disant écrite, ce n’était pas toi. Et j'ai la confirmation maintenant.
Akira reste silencieuse, ses épaules tremblant légèrement.
Je pose une main sur son épaule, murmurant doucement :
— Akira, il ne cherche pas à effacer ce qu’il a fait. Il essaie juste… de réparer, autant que possible.
Elle laisse échapper un long soupir, se tournant de nouveau vers lui.
— Et pourquoi maintenant, Yomaki ? Pourquoi pas avant ? Excuse-moi, mais ces questions tournent en boucle dans ma tête; j'arrive pas à m'en défaire.
— Parce que je ne comprenais pas. Je pensais que fuir résoudrait tout. Mais j’avais tort. Maintenant j’ai perdu mon père... et en même temps, j’ai réalisé que j’avais perdu bien plus. Toi. Sache que pendant toutes ces années je n'ai jamais cessé de penser à toi, à me poser ces mêmes questions. Le pourquoi tu étais parti soudainement me hantait.
Ses mots semblent la toucher, bien qu’elle tente de le cacher.
— Je ne te pardonne pas, susure-t-elle finalement. Je comprends que tu as été manipulé par ta mère... Quoi qu'il en soit... je suis pas prête pour renouer du tic au tac. Je suis désolée pour ton père mais tu assumeras les conséquences de ce qu'a fait ta mère.
Sous le regard bienveillant des statues du temple, je sens que ce moment marque un bon début.
Fragile.
Incertain.
Mais réel.
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