Chapitre 2 :Premières impressions troublantes
Tokyo, Japon
Quartier de Minato
Résidence ATSUKI
Yomaki.
En sortant de ma chambre, un silence étrange plane toujours dans la maison. Sans doute à cause de ce dîner.
Mon esprit est toujours accaparé par les mots de mon père, par cette fatigue visible qui pèse sur ses épaules. Je ne peux m'empêcher de me demander si quelque chose d'important m'échappe.
Je me dirige vers le salon où ma sœur Keiko est assise, les jambes croisées, feuilletant un magazine de mode. Elle lève les yeux en me voyant, mais je sens une certaine tension dans son sourire.
- Oniichan, tu veux quelque chose à boire ? propose-t-elle doucement. ("Oniichan" signifie "grand frère" en japonais. C'est un terme affectueux souvent utilisé par les jeunes pour s'adresser à leur grand frère de manière familière et respectueuse.)
- Non, ça va. J'aimerais juste qu'on parle un peu plus que tout à l'heure. Comment ça va vraiment ici ?
Keiko hésite, et ses yeux trahissent une émotion qu'elle tente de dissimuler.
- Tout va bien... Je veux dire... les choses sont différentes, maintenant. Papa travaille beaucoup et... tu verras, mais... c'est dur parfois.
- Papa... Il n'a pas l'air en forme. Qu'est-ce qui se passe réellement ?
Elle jette un regard vers la porte, comme pour s'assurer que personne ne l'entend. Puis elle baisse la voix.
- Tu n'as pas remarqué ? Tout a changé depuis que tu es parti. Papa est... il est plus distant, plus froid. Maman essaie de faire comme si tout allait bien, mais même elle, on dirait qu'elle est ailleurs, parfois. Et... il y a autre chose.
- Quoi ? insistai-je, sentant une inquiétude grandir en moi.
- Depuis que M. Oma a commencé à venir plus souvent... Bon c'est vrai qu'il est toujours venu plus souvent mais là c'était trop. Je ne sais pas, c'est comme si tout le monde était en train de marcher sur des œufs. J'ai l'impression que quelque chose se prépare, mais personne ne veut en parler.
Je fronce les sourcils.
M. Oma, cet homme mystérieux, semblait déjà exercer une influence malsaine sur mon père. Ce n'était pas seulement une question de travail, il y avait autre chose, quelque chose de plus personnel, plus sombre.
- Et toi, Keiko, ça va ? demandai-je doucement, changeant légèrement de sujet pour ne pas la mettre mal à l'aise.
- Oui, ça va... répondit-elle avec un léger sourire, mais je sens qu'elle ne me dit pas tout.
Avant que je ne puisse approfondir, ma mère entre dans la pièce, interrompant notre conversation.
- Yomaki, pourrais-tu aller voir ton père dans son bureau ? Il veut te parler, dit-elle avec une voix douce, mais ferme.
Je hoche la tête, puis je me lève. Keiko baisse les yeux vers son magazine, visiblement soulagée de l'interruption.
En montant les escaliers, je sens la tension monter en moi.
Mon père veut me parler ?
Qu'a-t-il à me dire que je ne sais déjà ?
L'idée que cela concerne l'entreprise me traverse l'esprit.
Je me rends compte que je n'ai jamais réellement envisagé de prendre la relève. Mes études à l'étranger m'ont éloigné de cet univers, et pourtant, il semble que ce soit inévitable.
Devant la porte du bureau de mon père, je prends une profonde inspiration avant de frapper doucement.
- Entrez.
Sa voix est grave, fatiguée, mais il y a une autorité indéniable dans ce ton qui m'est familier. J'ouvre la porte et le trouve assis derrière son large bureau en bois massif. Les lumières tamisées créent une ambiance presque austère, et je remarque une pile de documents éparpillés devant lui.
Il lève les yeux, et pendant un instant, un faible sourire traverse son visage.
- Assieds-toi, Yomaki.
Je m'installe en silence, attendant qu'il prenne la parole.
- Je sais que ton retour n'a pas été simple, commence-t-il. J'imagine que tu as beaucoup de questions.
Je hoche la tête.
- Oui, Otōsan... J'ai remarqué que tu n'étais pas en pleine forme. Et Keiko m'a dit que les choses avaient changé ici.
Il soupire et passe une main sur son visage pâle.
- Beaucoup de choses ont changé, en effet. L'entreprise, la famille... tout semble plus fragile qu'avant. Je ne vais pas te mentir, Yomaki. Je vieillis, et je ne peux plus gérer les affaires comme avant. C'est pourquoi... c'est pourquoi j'ai besoin de toi.
Je me fige à ses mots.
- Tu veux dire... que tu veux que je prenne la relève ?
Il hoche la tête.
- Oui, c'est inévitable. Il est temps pour toi d'assumer ces responsabilités. M. Oma et moi avons beaucoup discuté de l'avenir de l'entreprise. Il est prêt à t'aider à prendre les rênes, mais tu dois être prêt, Yomaki.
Il y a quelque chose dans sa voix qui me met mal à l'aise.
L'idée de collaborer avec M. Oma ne m'enchante pas, et je me demande jusqu'à quel point cet homme a pris le contrôle de la situation.
- Et si je ne suis pas prêt ? demandai-je doucement.
Mon père lève les yeux vers moi, et pour la première fois, je vois une lueur de vulnérabilité dans son regard.
- Tu n'as pas le choix, Yomaki. C'est ton destin.
Je reste silencieux, sentant le poids de ses paroles s'abattre sur moi; c'est comme si j'étais dans une fantastique ou je ne sais pas quoi.
Mon avenir, qui me semblait encore flou quelques heures plus tôt, devient soudain beaucoup plus sombre.
Suis-je vraiment déjà prêt ?
§
Le lendemain matin, je me réveille tôt, le soleil levant perçant à travers les fines cloisons de papier de ma chambre.
L'air est encore frais, et l'odeur persistante des cerisiers ( des Sakura ) me rappelle combien la maison est profondément ancrée dans les traditions. En descendant les escaliers, l'ambiance semble étrangement calme, presque pesante.
Je croise Madame Nishikawa dans le couloir. Comme toujours, elle se déplace avec grâce et discrétion, mais aujourd'hui, elle paraît plus préoccupée que d'habitude. Ses traits sont légèrement tirés, et ses mouvements manquent de cette fluidité habituelle.
- Nishikawa-san, est-ce que tout va bien ? demandai-je poliment. ( Nishikawa-san signifie "Madame Nishikawa" en japonais. Le suffixe "-san" est utilisé pour montrer respect et politesse lorsqu'on s'adresse à quelqu'un. )
Elle s'arrête un instant, ses yeux se fixant sur moi avec une expression indéchiffrable.
- Yomaki, tout est en ordre. Ne vous inquiétez pas. Cependant... veillez sur votre père. Il a beaucoup à porter sur ses épaules ces derniers temps.
Ses paroles résonnent en moi bien plus que je ne l'aurais cru.
Je la remercie d'un signe de tête avant de la laisser continuer ses tâches.
Sa remarque me plonge dans des réflexions silencieuses. Mon père, est toujours un homme de fer, pourtant, son comportement la veille m'a laissé perplexe.
Cette distance, ce manque de vivacité...
Il n'est plus le même homme qu'avant mon départ.
Déjà que sa proposition d'hier soir me fait toujours froid au dos.
Reprendre la société familiale est bien mon sort .
Je me dirige vers la salle à manger, où je trouve ma mère, élégamment vêtue comme toujours, déjà en train de préparer le petit-déjeuner. Elle est assise, droite, buvant du thé vert tout en lisant un journal.
Le silence qui règne dans la pièce contraste avec l'effervescence de la maison de mon enfance.
Tout semble...
Trop calme.
- Ohayō gozaimasu, Okaasan, dis-je en entrant, brisant le silence. ( Bonjour, maman )
Elle relève doucement les yeux vers moi et me sourit, mais ce sourire me semble une fois de plus mécanique, comme si elle jouait un rôle.
- Ohayō, Yomaki. Tu as bien dormi ? me demande-t-elle d'une voix douce.
- Oui, merci. Et toi ? Où est Keiko ? dis-je, cherchant à la fois des nouvelles de ma sœur et à engager la conversation.
- Keiko est sortie avec quelques amies ce matin. Elle devrait être de retour pour le déjeuner, répond-elle avant de détourner à nouveau le regard vers son journal.
Je me sers une tasse de thé, essayant de chasser cette impression de malaise qui me serre la poitrine. Je dois me ressaisir. Après tout, je viens à peine de rentrer.
Mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, mon père fait son apparition.
Il semble plus éveillé que la veille, mais toujours avec cette fatigue latente sur son visage. Il me lance un regard et hoche la tête en guise de salutation.
- Ohayō, Yomaki. Aujourd'hui, je vais te montrer quelque chose d'important, dit-il simplement, sans s'étendre plus.
Je reste silencieux, mais mon cœur bat plus vite.
Est-ce que c'est aujourd'hui que je découvrirai ce que mon retour signifie vraiment ?
Après le petit-déjeuner, mon père et moi quittons la maison pour nous diriger vers le siège de l'entreprise Atsuki.
Le trajet se fait en silence, ponctué seulement par le ronronnement de la voiture. Je jette des regards furtifs à mon père, cherchant à percer ses pensées, mais il garde les yeux fixés sur la route.
L'entreprise Atsuki est une référence mondiale dans le domaine des technologies de pointe, une véritable institution à Tokyo, fondée par mon grand-père. Ce dernier, avec une vision audacieuse, avait investi dans la recherche et le développement des systèmes informatiques révolutionnaires. Sous la direction de mon père, l'entreprise a prospéré en diversifiant ses activités dans l'intelligence artificielle, la robotique, et les infrastructures technologiques, faisant d'Atsuki Tech l'un des leaders du marché mondial.
En grandissant, j'avais toujours ressenti une immense admiration pour les accomplissements de mon père, cet homme visionnaire qui avait su transformer une simple société familiale en un empire de la technologie.
Chaque innovation, chaque avancée dans nos produits portait l'empreinte de son travail acharné.
Mais aujourd'hui, la perspective de rejoindre l'entreprise me remplit de doutes.
Nous arrivons enfin au bâtiment imposant, une tour de verre et d'acier qui se dresse au cœur de la ville. Je me souviens encore de la première fois que j'avais mis les pieds ici enfant, émerveillé par la grandeur des lieux.
Mais aujourd'hui, tout me semble différent, presque oppressant.
Mon père me guide à travers les couloirs, saluant brièvement les employés qui s'inclinent respectueusement à notre passage. Il ne s'arrête que devant une porte en bois massif, gravée des armoiries de notre famille. Il pousse la porte, révélant un vaste bureau éclairé par la lumière naturelle qui inonde la pièce à travers de larges baies vitrées. Les murs sont couverts de tableaux représentant des scènes de paysages japonais et de calligraphies anciennes, évoquant un mélange d'élégance traditionnelle et de modernité.
Mon père s'assied derrière le grand bureau en bois sombre et m'invite à prendre place en face de lui.
- Yomaki, cette entreprise est ton héritage. Un jour, elle sera entre tes mains. Mais avant cela, il y a des choses que tu dois savoir, et des responsabilités que tu dois assumer.
Ses mots sont lourds de sens.
Je n'ai donc pas de choix, c'est mon destin.
Avant que je puisse répondre, il ouvre un tiroir et en sort un dossier épais, qu'il pousse vers moi.
- Lis ceci attentivement. Cela te donnera un aperçu de ce que tu devras gérer.
Je prends le dossier avec précaution et l'ouvre.
À l'intérieur, je découvre une série de documents légaux, des rapports financiers, des notes stratégiques... Tout est détaillé, complexe, et une vague d'angoisse me submerge.
Est-ce vraiment ce que je veux ?
Me noyer dans ces affaires, ces responsabilités, alors que je n'ai jamais envisagé un tel avenir pour moi ?
Je lève les yeux vers mon père, cherchant des réponses, mais il semble absorbé dans ses propres pensées, le regard lointain.
- Papa, je-
Il lève la main pour m'interrompre.
- Écoute Yomaki, je sais que c'est difficile pour toi d'assimiler autant ton départ. Mais sache que le moment venu, tu devras prendre une décision. Pour toi. Pour notre famille. Néanmoins, sache que je ne voudrais pas aussi te l'obliger comme une malédiction.
Je hoche la tête en silence, sentant le poids de ces paroles s'accumuler sur mes épaules.
§
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