Boulot d'enfer
Ça fait pile trois heures que Charlène travaille et il ne lui reste plus qu'une heure à tenir avant qu'elle puisse enfin souffler. La cadence est infernale, il y a énormément de monde pour un lundi soir, ce qui inhabituel, car de coutume c'est le jour le plus calme de la semaine.
– Peut-être qu'il y a quelque chose de prévu ce soir, un concert ou même un festival, répond un de ses collègue de boulot face à ses questionnements, tu penses à quoi ?
– Qu'est-ce que j'en sais moi, ce n'est pas le genre de chose auquel je m'intéresse.
En plus de cela, il manque trois équipiers ce soir en cuisine, alors vu que la jeune femme est l'une des plus ancienne, c'est elle qui doit tout gérer, même les petits nouveaux. Parfois, elle se demande quelle est la véritable définition du poste « manager » si ce n'est pas pour manager. La définition serait plus juste si on disait que c'est un poste de glandu bon à glander dans le bureau de la gérante. Quand le chat n'est pas là, les souris dansent, il n'y a pas d'autres termes.
Charlène est ensuite reléguée en caisse quand il commence à manquer de personnel. Elle y prend les commandes avec une cadence moins élevée qu'en cuisine, mais ce n'est pas du tout le genre de poste qu'elle affectionne, même si la cadence est plus gérable.
– C'est qu'ils se la coulent douce dit donc ! râle une fois de plus la brune en allant boire un verre d'eau dans le vestiaire.
De retour à son poste, plusieurs clients s'enchaînent. Le flux devient insoutenable, mais elle fait de son mieux bien qu'elle ne soit pas formée pour ce poste. Sauf que dans ce fast-food, tout le monde s'en fiche. Il faut s'adapter, c'est la règle d'or. Alors Charlène essaie tant bien que mal de prendre les commandes, ne sachant pas huit fois sur dix où se situe précisément les menus sur son écran.
Tandis qu'elle prépare une commande pour des clients en salle et qu'elle accourt dans tous les sens, elle doit en même temps terminer des glaces.
– Cette espèce de machine pourrie marche quand elle veut ! maugréer-t-elle, exaspérée par ce poste en caisse qui commence à lui monter à la tête
– S'il vous plait ?
– Oui ? demande-t-elle, en essayant de faire couler le liquide qui remplira le pot de milkshake.
– Est-ce que quelqu'un pourrait prendre ma commande ? insiste le type.
– Qu'est-ce qu'ils me soûlent les gens comme ça. Ils se croient tout permis sous prétexte que le client est ''roi''. Roi, mes pieds ! Tu es roi parce que je te sers, sinon tu n'es qu'un pauvre client qui a juste la dalle et qui a besoin de moi pour manger !
Fuyant dans la cuisine afin de souffler un peu, ses acolytes éclatent de rire face à sa moue boudeuse et son habitude à bougonner toute seule pour un rien.
– Charlène, l'appelle un des deux formateurs, la commande soixante-six est finie ?
– Non, soupire cette dernière sans indiscrétion. Dans deux minutes c'est prêt, invite-elle le client à attendre, en prenant une petite voix mielleuse.
Se remettant en au travail, elle ne compte plus le nombre de boisson qu'il y a dans cette commande quand elle pose le dernier gobelet glacé sur le plateau.
– Je vais mourir ! se murmure-t-elle, en sueur.
– Attend un peu pour ça, on a encore besoin de toi, se moque son meilleur allié.
– Je suis sur les genoux, la caisse n'est pas faite pour moi.
– S'il vous plait ?
– Oui je sais ! Attendez encore une petite minute. J'ai une énorme commande à faire et je suis toute seule, rétorque-t-elle à bout de nerf sans poser le regard sur ce nouveau client.
– Ce n'est pas mon problème.
« Non mais je rêve là ? Il vient de dire quoi ?»
Sur le point de l'envoyer paître, elle reste muette comme une carpe décontenancée par la personne se trouvant en face d'elle.
– Euh, je peux commander ? ajoute-t-il tout aussi surpris que la serveuse.
« Ce n'est pas vrai ! Le Shiloh me suit partout, ou je fabule ? »
– Qu'est-ce que vous souhaitez ?
– Mmh, je ne sais pas trop. Vous me proposez quoi ?
« Je vais le tuer. Je vais le trucider. Il le fait exprès. J'en suis certaine ! »
La jeune brune use de son sourire de façade en optant pour le menu le plus chère.
« L'addition va être salée mon cher. » ricane-t-elle intérieurement.
– OK, d'accord. Je vais prendre ça.
– Ça fera quatorze euros soixante-dix...
– Il y aura un autre menu avec.
« Il m'énerve ! »
– Je vais prendre...
Le même type baraqué qu'un peu plus tôt arrive en trombe à sa caisse et se remet à brailler comme un bœuf.
– Ma commande est prête ? Mes glaces vont fondre ! Où sont mes menus ?
« Tes glaces vont fondre ? Ah ah ah, pire blague de l'année, c'est un milkshake crétin, elles sont déjà fondues ! »
– Je vais prendre ce menu avec euh...
Charlène ne sait plus où donner de la tête. Deux clients lui parlent en même temps, alors comment se dépêtrer de cette situation ?
« Aidez-moi sainte miséricorde ! »
– J'arrive monsieur !
– Mes sandwichs vont être froids ! hurle encore le type.
– Et ce menu-là, ajoute le deuxième.
« Je deviens barge ! Ma tête va exploser si ça continue ! »
À bout de souffle, elle laisse son voisin / client en plan et finit de préparer les glaces au criard de tous les temps.
– Enfin décidé ? lance-t-elle en revenant auprès du pseudo Shiloh.
– Vous n'avez pas pris note de ce que j'ai commandé ?
– Eh bien en fait, j'étais un peu occupée.
– C'est votre rôle d'être occupée. Moi je suis là et vous devez prendre ma commande.
Lâchant un gloussement incrédule et incontrôlable, lui la toise l'air goguenard.
– Comment ? lui demande Charlène, perdue et exténuée.
– Bah, j'ai commandé.
– Est-ce que vous pouvez répéter, s'il vous plaît ?
– Bon, soupire-t-il, c'est bien parce que c'est toi.
Charlène manque de s'étrangler suite à ce tutoiement inattendu. Elle n'en revient pas, comment peut-il la tutoyé ? Comment ose-t-il la tutoyer ? Lui ? Ce type-là ?
– Désolée, mais on ne tutoie par nos clients.
Son sourire narquois veut tout dire pour elle. Il pousse la jeune femme à bout exprès et c'est divinement bien joué.
Fier de lui, il répète enfin toutes ses commandes pour un montant exorbitant, le sourire aux lèvres.
– Ça fera soixante euros cinquante-cinq.
– Je n'ai pas fini. Je vais prendre six milkshakes. Deux chocolats. Deux vanilles et deux myrtilles.
Le sourire bloqué elle le fixe désespérée.
– Je vais craquer, c'est certain. Il faut que j'aille pleurer un coup et maintenant ! se plaint-elle une énième fois à ses collègues.
Elle garde le sourire, mais au fond d'elle, elle n'en mène pas large. Si elle avait été dans la mer, là, tout de suite, elle se serait noyée mille fois !
– Il va y avoir un peu d'attente, annonce-t-elle le plus gentiment possible
Vous croyez vraiment qu'elle a été sincèrement gentille ? Pas du tout ! C'est soit la jeune brune fait la comédie, soit elle se fait virer ! Et loin d'elle l'envie de se faire virer à cause de son satané voisin !
– Je peux avoir la sauce barbecue à la place ? demande-t-il, lorsque je pose les sachets de ketchup et de sauce frites sur ses plateaux.
Elle le guigne comme une débile durant une bonne minute. Elle est à bout. Ce soir, il aura eu raison d'elle.
– Il faut compter un supplément pour chaque sauce.
– Pas de soucis.
Il lui en bouche un coin.
En cinq minutes elle finit sa commande avant de se retrouver de nouveau devant la machine à glace, apeurée de devoir à nouveau s'en servir.
Elle respire un bon coup et se lance à l'assaut de la machine ou elle réussit à en faire trois à la suite.
Le quatrième est un peu moins bien, mais il est passable.
Le cinquième, c'est autre chose. Il dégouline de partout, mais elle se positionne de façon à ce qu'il ne voit que son dos et non pas ce qu'elle fait. Charlène essuie les dégâts avec un chiffon traînant dans le coin.
« Tiens, prend ça ! Et déguste le bien ! »
Le sixième est une catastrophe. La machine émet un gros flop et tout le liquide lui asperge le polo et le visage.
Elle se retourne en l'entendant rire. Humiliée, elle le fusille du regard.
« Je hais ce type, c'est indéniable. »
***
Aaah ! J'attendais de pouvoir écrire un truc de ce genre. Je suis plutôt contente et inspirée. Le voisin tend le bâton pour se faire battre. La guerre est, je pense, officiellement déclarée !
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