Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

IV.1 ― La fortune sourit aux audacieux









✧・゚: *✧・゚:*  Chapitre IV *:・゚✧*:・゚✧

La fortune sourit aux audacieux - Partie 1










Sur Sérifos, il valait mieux éviter le port principal si l'on voulait profiter de l'air frais. Les grandes raffineries d'ikhôrium fonctionnaient jour et nuit, déversaient dans les eaux côtières les produits non désirés des obscures réactions permettant d'obtenir un métal pur, et crachaient dans l'atmosphère leurs sinistres nuages de fumée qui montaient parfois si haut qu'ils en masquaient la lumière de leur étoile. Construites au plus proche de l'océan planétaire d'où étaient extraits les cristaux bruts, ces usines sépulcrales représentaient avec justesse l'économie locale. Des montagnes d'argent sale engrangées grâce à l'exploitation d'une nature et d'une population qui n'en vivaient pas mieux.

Saxa espaçait le plus possible ses inspirations depuis son entrée dans le bassin industriel. Déjà éreintée par ses deux heures de footing ininterrompu, l'exercice parut d'autant plus difficile mais elle préférait cela à une maladie cancéreuse provoquée par l'inhalation des brumes cémenteuses des raffineries. La prochaine fois, elle trouverait un moyen d'éviter cette maudite jetée qu'elle avait détestée depuis son premier jour sur la planète Cyclade.

Qui aimait cet endroit à part ceux qui empochaient l'argent des ventes, de toute manière ?

La jeune femme accéléra un peu la cadence pour s'extirper au plus vite de cet air pollué et un soupir soulagé lui échappa lorsqu'elle permit à sa respiration de reprendre un rythme régulier. C'était comme plonger quelques instants et nager en brasse coulée avant de jaillir à la surface et repartir de plus belle. Les rayons de la Néa Kaméni à son zénith chauffaient son visage rougi par l'effort et se reflétaient surle revêtement lisse du trottoir. D'un mouvement de bras rapide et sec, Saxa rejeta vers son dos sa tresse de cheveux noirs humides de sueur qui s'était collée contre son épaule.

Malgré l'usure de ses vieilles chaussures de sport, elle avait fait de cette course matinale un rituel spartiate qu'elle se forçait à reproduire chaque jour. Si la paresse prenait le dessus ou que la météo faisait des siennes, elle troquait son jogging contre autant de temps d'exercices de renforcements musculaires, qu'elle pratiquait quoiqu'il en soit un jour sur deux. Faute de machines sophistiquées, Saxa se débrouillait avec ce qui lui tombait alors sous la main. C'était le strict minimum pour maintenir sa forme physique au niveau de celle d'un pilote expérimenté.

Il y avait une sorte de paradoxe cruel dans cette routine qui la suivait depuis les cinq années passées sur Sérifos. Elle adaptait son corps à poursuivre un rêve qu'on lui avait enlevé, à la poursuite d'un espoir qui paraissait toujours aussi loin de sa portée.

Les infâmes usines laissèrent enfin place aux plages d'albâtre qui entouraient l'île principale de Sérifopolis. Quelques touristes se prélassaient sur les galets blanchâtres ou se rafraichissaient dans l'eau claire, protégée des déchets industriels par une digue artificielle. Avant d'être une planète minière, Sérifos proposait surtout toutes sortes de divertissements bien plus abordables que sur les mondes de la Graine. La clientèle y était donc bien moins fréquentable et Meresankh avait très vite conseillé à Saxa d'éviter certains quartiers une fois la nuit tombée. Conseil qu'elle avait appliqué sans rechigner. Avoir un bon cycle de sommeil jouait aussi un grand rôle dans le maintien de l'équilibre de son corps.

Enfin, si l'on excluait la nuit précédente. La prestation catastrophique de Valerius lors des qualifications avait valu à l'équipe technique de longues et dures heures de réparation afin que le monoplace soit prêt pour la course de ce soir. Saxa ignorait l'heure exacte à laquelle elle s'était laissée tomber sur son lit, le corps aussi lourd qu'un vaisseau de fret. Elle se souvenait cependant de la morsure de ses muscles douloureux et du martèlement contre son crâne qui l'avaient poursuivi même après avoir quitté la cacophonie du garage.

Avec tout cela, elle en avait presque oublié la blessure infligée par les paroles de l'aurige. Presque. Comme pour toutes les plaies, la cicatrisation prenait du temps et ce malgré tous les discours de motivation qu'elle s'était murmuré à elle-même jusqu'à ce que la fatigue l'emporte et l'entraîne dans des songes lancés à grande vitesse, saupoudrés de pulsions d'adrénaline et de cris de victoire. Le réveil pour son footing en ce Solis Dies avait été particulièrement difficile.

Toujours lancée à un rythme soutenu, la jeune mécanicienne calait le tempo de sa course avec celui de la musique diffusée à travers sa paire d'écouteurs. Une mélodie de cithare traditionnel que venaient compléter des sonorités plus électroniques, créant un morceau unique dont Saxa ignorait le titre et le compositeur. Elle réglait toujours le volume juste assez haut pour lui permettre de se laisser emporter par la musique tout en permettant aux sons extérieurs de se frayer un chemin jusqu'à ses oreilles. Le clapotis des vagues contre le rivage. Le couinement des mouettes qui tournoyaient dans le ciel d'azur. Le vrombissement des véhicules urbains qui cheminaient sur la route à sa droite en direction du centre de la ville, tout comme elle.

Les bâtiments prenaient de la hauteur à mesure que ses pas la conduisaient vers la métropole et le calme du littoral s'effaça au profit de l'agitation de la cité. Un petit soupir de soulagement échappa à Saxa qui, bien qu'elle appréciait se dépenser, n'était pas mécontente de revenir à son point de départ, d'autant plus que venait l'heure de se restaurer après tant d'efforts déployés. Son ventre lâcha un gargouillis d'anticipation quand elle se mit à ralentir autour d'un croisement qu'elle pourrait aborder les yeux fermés.

Quelques foulées supplémentaires la menèrent devant la porte de son thermopolium favori de la capitale sérifosienne. L'enseigne de l'entreprise de Barnabas brillait sous la lumière du soleil le jour et s'illuminait de teintes fluorescentes une fois la nuit tombée. D'après le propriétaire, qui officiait également dans les cuisines, l'endroit avait sa petite popularité. Saxa voulait bien le croire, la plupart des tables était occupée à chaque fois qu'elle franchissait la porte coulissante de l'établissement de restauration rapide.

Ce midi-ci ne dérogeait pas à la règle. Son entrée se remarqua à peine, noyée dans le tohu-bohu des conversations joviales et le cliquètement des couverts dans les assiettes. Des vêtements sombres et formels habillaient les employés de bureau venus prendre leur pause déjeuner avant de repartir de plus belle. Quelques ouvriers en combinaison criarde, qui lui rappelait un peu trop son uniforme de mécanicienne, se mêlaient aux gratte-papiers pour s'offrir un repos bien mérité.

Saxa dénotait un peu dans son short et maillot de sport en fibre absorbante. Il fallait dire que le restaurant de Barnabas ne servait pas ce que l'on pourrait qualifier de « nourriture équilibrée ». Si l'on connaissait bien sa carte, il était cependant possible de trouver de quoi satisfaire sa gourmandise sans tomber dans un excès qui serait contradictoire avec l'hygiène de vie que s'imposait la jeune femme.

Le propriétaire ne demandait même plus à Saxa ce qu'elle désirait lorsqu'il la voyait s'approcher pour s'asseoir au comptoir. Après qu'elle eut pris place et échangé un signe avec l'homme à la barbe grise, ce dernier se tourna vers ses fourneaux pour lancer la cuisson de la commande silencieuse de son habituée.

Saxa accepta avec plaisir le grand verre d'eau fraîche que Barnabas poussa vers elle. Le réconfort après l'effort faisait toujours du bien. Profitant d'une accalmie, le vieil homme en profita pour se livrer à quelques bavardages avec sa cliente, qu'il osait même parfois appeler sa préférée pour la taquiner.

— C'est moi ou tu as l'air encore plus éreintée que d'habitude, tekníon.

Barnabas s'adressait à toutes les personnes ayant dix ans de moins que lui ou plus comme si elles étaient ses petits-enfants. Le surnom affectif dans le dialecte local, qui signifiait tout simplement « mon petit enfant », avait une sonorité chantante qui plaisait beaucoup à Saxa. Pour sa part, elle ne maîtrisait que la langue commune imposée à travers l'Imperium. Il s'agissait d'un héritage de son enfance passée sur les mondes de la Graine, imprégnés de la culture de la Planète-Capitale jusqu'au plus profond de leurs âmes.

— J'ai passé une très courte nuit, répondit Saxa. C'est le prix à payer lorsqu'on travaille pour Valerius, le Destructeur Suprême.

Elle étira son dos en parlant, appuyée contre le bas dossier de la chaise de bar. Barnabas émit un rire discret tout en se grattant la barbe.

— J'ai entendu dire que notre pilote sérifosien n'avait en effet pas été au meilleur de sa forme hier soir.

— Même au « meilleur de sa forme », je doute qu'il aurait obtenu un excellent résultat, railla Saxa. C'est terrible, ce type vole en série gamma et pourtant, il lui manque des bases que l'on nous enseigne dès la série d'initiation.

La rancœur envers l'aurige la faisait parler bien plus qu'elle n'aurait dû si elle voulait être raisonnable, mais ses paroles blessantes valaient bien qu'elle se montre un peu critique dans son dos.

Elle n'hésiterait d'ailleurs pas à lui dire en face si elle n'avait pas la certitude qu'il irait tout répéter à Zénon qui s'empresserait de la mettre à la porte. Elle ne craignait pas le patron à proprement parler mais elle ne pouvait pas se permettre de se retrouver au chômage, surtout maintenant qu'elle avait appris à apprécier son métier.

— Le tracé de Sérifopolis demande un minimum de concentration et de précision. Il faut savoir anticiper le virage suivant pour freiner au bon moment et repartir en optimisant sa trajectoire. C'est d'autant plus vrai pour cette maudite chicane mais même en dehors de ça, je crois que je ne l'ai jamais vu prendre un seul virage à la corde et...

Saxa s'interrompit lorsqu'elle croisa le regard pétillant de Barnabas. Sans s'en rendre compte, elle s'était lancée dans une tirade accompagnée de petits mouvements de mains pour appuyer ses propos. Cela lui arrivait souvent en présence de Meresankh, mais l'ingénieure possédait les connaissances qui la rendait capable de comprendre ce blabla technique. Ce n'était pas le cas du propriétaire du restaurant.

— Excuse-moi de t'embêter avec ça, Barnabas. Je sais que ça ne t'intéresse pas vraiment.

— Je ne vais pas prétendre le contraire, tekníon. Cela m'intéresse autant que tu t'intéresses au subtil mélange des herbes de Massalia que j'ajoute à mes plats.

Sa blague le fit rire aux éclats et arracha un sourire à Saxa. Elle espérait que Barnabas ne découvre jamais l'état de sa cuisine. Il en ferait une syncope.

— Mais je trouve ça très beau de te voir parler avec autant de passion.

Plus qu'une passion, la course était sa vocation. Elle donnerait tout pour ne pas seulement en parler mais aussi la vivre. Malheureusement, même tout ce qu'elle possédait ne suffirait pas. Si seulement son père avait eu la jugeote de lui laisser autre chose que des dettes.

C'est toi qui as commencé, Gaius. Tu as été aussi mauvais dans ton rôle de grand frère que notre père ne l'a été dans le sien.

Barnabas s'éloigna quelques instants avant de revenir avec l'assiette de Saxa. Un sourire sincère remercia l'homme qui n'avait pas oublié d'accompagner les croquettes d'épinards d'un petit ramequin de sauce garum qu'elle appréciait tant. Le menu affiché par projection holographique à l'entrée du restaurant stipulait que les beignets de légumes étaient servis par six, mais Barnabas lui en avait servi huit. C'était comme ça depuis le jour de sa première visite où elle s'était présentée avec à peine de quoi payer un hors-d'œuvre. Le tenancier lui avait proposé une double portion devant sa mine dépitée et la tradition perdurait.

Le geste était plein de gentillesse sincère, mais Saxa ne pouvait s'empêcher d'y voir une forme de pitié, et elle détestait ça.

On n'avait pas pitié des champions. Sûrement parce qu'ils n'en avaient pas besoin. En contrepartie, ils n'en possédaient pas non plus. C'était ça, ou laisser sa place de leader.

Saxa était-elle vraiment prête à cela ?

Lorsqu'elle terminason repas, la salle du restaurant s'était vidée à l'approche de l'heure de reprise du travail. Saxa remercia Barnabas après l'avoir payé puis elle quitta à son tour la pièce. La Néa Kaméni entamait à peine sa course descendante et une agréable brise modulait la température extérieure. Néanmoins, la jeune femme estima qu'elle avait assez couru pour aujourd'hui. L'objectif n'était pas non plus de s'épuiser alors qu'une soirée animée l'attendait. Après ce bon repas, elle ne rêvait que d'une sieste bien méritée. Mens sana in corpore sano, comme dirait le philosophe, bien que son esprit n'eût pas connu la paix depuis longtemps.

Posséder peu de ressources financières n'ouvrait pas beaucoup de choix de logement. A son arrivée sur Sérifos, Saxa avait choisi l'option la moins chère et surtout disponible le plus rapidement possible. La réputation de cette planète et de sa capitale n'invitait pas à une nuit à la belle étoile. La résidence Elysée portait mal son nom. Passé le hall d'entrée et ses majestueuses guirlandes de jasmin, on découvrait un immeuble résidentiel bien moins impressionnant que les hauts bâtiments corporaux des magnats de l'ikhôrium. Saxa espérait que l'ascenseur avait été réparé, ses courbatures commençant à pointer le bout de leur nez — elle seule était à blâmer, elle ne s'était pas étirée avant le déjeuner.

Fort heureusement, la cabine translucide fonctionnait à merveille cet après-midi et la conduisit sans encombre jusqu'au douzième étage. Saxa tira sa clé magnétique de la poche de son short et la pressa contre la serrure.

L'appartement numéro 1216 n'était pas bien grand et les tendances bordéliques de la locataire n'arrangeaient pas les choses. L'évier contenait une vaisselle métallique qui attendait encore d'être faite. La couverture du canapé vétuste trônait sous forme de boule textile entre les coussins dudit meuble. Quant à la table basse, elle était recouverte de mugs vides et l'écran tactile qui composait le plateau avait été laissé allumé — la facture électrique risquait d'être salée — plusieurs onglets ouverts sur les dernières nouvelles du Championnat de série alpha.

L'article le plus récent mentionnait le renouvellement de contrat d'Octavia Regilia, une aurige de chez Mons Sylvius que Saxa appréciait beaucoup. Ses éclats de rire et ses blagues en conférence de presse arrachaient toujours un sourire à la jeune mécanicienne. Peut-être parce que c'était l'attitude qu'aurait Saxa si elle était à sa place : une pilote prometteuse signant chez une écurie de tête qui pouvait se battre pour un titre. L'annonce lui avait fait plaisir et permis en partie de se motiver pour son jogging.

Désormais, une seule chose la motivait : l'envie de se laisser tomber sur son canapé pour reposer ses muscles endoloris, ce qu'elle fit après avoir retiré ses chaussures, propulsées au hasard dans la pagaille grandissante. Elle poussa un soupir d'aise lorsque sa tête se posa contre l'accoudoir qui, malgré sa dureté, lui procurait un certain confort. Se trainer jusqu'à sa chambre à peine plus grande qu'un placard lui aurait demandé trop d'efforts, alors elle s'en contenterait. Et puis, elle aimait s'enrouler dans la couverture moelleuse qu'elle récupéra sous les coussins.

Saxa ne prit conscience de s'être endormie que lors de son réveil. Cela suffit à la convaincre que cette sieste avait été nécessaire pour recharger les batteries. Elle prit quelques secondes, peut-être quelques minutes, avant d'émerger de ce sommeil sans rêve et de réaliser que, dehors, la lumière de l'étoile du système des Cyclades avait été remplacée par la douce lueur des satellites de Sérifos. Elle tourna la tête vers l'écran de la table qui confirma ses craintes.

Grands dieux, l'heure de la course se rapprochait. Juste le jour où elle ne pouvait pas se permettre d'être en retard.

Saxa bondit de son canapé pour se précipiter vers la salle de bain. Après avoir autant transpiré lors de son effort matinal, elle refusait de se rendre au travail la peau dégoulinante de sueur. Elle se contenta de se rincer abondamment sous le jet à faible pression. Elle n'attendit pas que l'eau atteigne la température désirée, l'urgence de la situation primant sur son bien-être. Tandis qu'elle frictionnait son corps sous le nuage mousseux de son savon bon marché, elle espérait limiter les dégâts pour éviter une réprimande de la part de Zénon. Il serait certainement là ce soir, c'était aussi sa course à domicile après tout.

Une fois propre et sèche, Saxa enfila des vêtements simples, par forcément très raccords les uns avec les autres mais ils étaient de toute façon destinés à disparaître sous sa combinaison de mécanicienne, pliée au fond d'un sac en bandoulière qui attendait près de la porte.

Saxa s'en saisit et vérifia rapidement que toutes ses affaires s'y trouvaient. Elle pivota ensuite vers le mur de l'appartement contre lequel elle avait déposé un petit miroir mais ses yeux gris ratèrent la glace et se posèrent sur la sorte de temple miniature installé sur la commode.

Le lararium de la famille Caecilius ne possédait rien qui lui permettait de se démarquer. L'autel miniature dédié aux ancêtres familiaux aurait même bien besoin d'un coup de chiffon pour le débarrasser de la poussière qui le recouvrait. Saxa ignorait pourquoi elle s'obstinait à garder cet objet. Il était un rappel cruel du patronyme lié à Saxa pour l'éternité et à toute l'infâmie qu'il portait en lui. Un souvenir physique de la débâcle qui l'avait conduite ici dans ce misérable appartement, dans un rôle qui ne lui convenait pas mais qui se rapprochait au mieux de ce qu'elle aurait aimé être.

Sa famille avait failli à son devoir. Elle l'avait trahi elle aussi ce jour-là.

Pourtant, le lararium subsistait, tout comme les figures joviales gravées sur sa paroi qui invitaient à la prière par leurs mains tendues. Une partie d'elle était sûrement restée perdue dans l'antre de Somnus, errant encore entre rêve et réalité, car elle se surprit à fixer l'autel et à joindre les mains.

Son nom avait été entaché, lui avait fait tout perdre. Le temps l'avait peut-être effacé de la mémoire collective mais elle était toujours là et elle se souvenait. Elle seule se souvenait. En avait-elle vraiment envie ? Elle l'ignorait, mais au fond d'elle, elle y voyait une forme de devoir. Contrairement à son père et Gaius, elle saurait le remplir.

Saxa adressa une très courte prière aux Lares — « Faites pleuvoir la chance et le bonheur sur mes proches et moi », etc. — puis poussa la porte pour quitter l'appartement. Elle atteignit le bas de l'immeuble au moment même où la navicula faisant la liaison entre l'Elysée et le circuit de Sérifopolis s'arrêtait dans la rue d'en face. Si elle avait pensé en avoir fini avec la course à pied pour aujourd'hui, le sprint qu'elle effectua jusqu'à l'entrée du véhicule de transport en commun lui confirma qu'elle s'était trompée.

Cela faisait longtemps que le costume nocturne de la capitale n'impressionnait plus Saxa. Tous ces néons et morceaux musicaux joués à tue-tête n'étaient qu'un moyen de cacher son vrai visage de vice. Parfois, Saxa éprouvait un sentiment de reconnaissance amer à l'égard de Zénon. Sans lui, elle aurait pu finir à vendre son corps dans l'une des nombreuses maisons de passe du quartier des plaisirs, ou à saigner sur le sable des arènes.

Ne pense pas comme les perdants, Saxa. Ne rentre pas dans le jeu pervers de Zénon.

L'heure continuait de défiler au-dessus de la place du chauffeur et Saxa en conclut très vite qu'elle serait bel et bien en retard. Pour économiser du temps à l'arrivée, elle déplia sa combinaison afin de s'y glisser avec plus ou moins d'élégance, sous le regard confus de la vieille dame assise face à elle.

Il restait peu de places libres sur la zone de stationnement du circuit lorsque Saxa débarqua. Les projecteurs placés autour de la piste crachaient leurs rayons éclatants vers la noirceur du ciel parsemé d'étoiles. Saxa courut jusqu'à l'entrée du personnel, bien séparée de celle du public et aussi bien plus sécurisée. Saxa jura au moins deux fois contre elle-même alors qu'elle fouillait chaque recoin de son sac pour y dénicher sa carte d'accès. Elle n'eut même pas le temps d'être soulagée de la retrouver, sitôt le portique ouvert pour elle, la jeune femme fonça vers les locaux de Karpusi, repérables de très loin par leur façade orange.

Son entrée fracassante dans le couloir du garage manqua de la faire percuter Meresankh qui passait une tasse de café dans un main, son casque audio posé autour de son cou. Elle haussa un sourcil qui retomba quand elle eut reconnu son amie et collègue. Cette rencontre fortuite permit à Saxa de faire une pause dans son élan et de reprendre son souffle.

— Désolée, éructa-t-elle. J'ai... Je me suis endormie.

L'ingénieure de source accueillit sa confession d'un sourire. Elle essayait de se donner un air détendu mais Saxa devina son anxiété via le tapotement discret de son pied droit. C'était toujours ainsi avant le début d'une course, la tension montait petit à petit et ne redescendait que lors de l'affichage du drapeau à damier. Ou lors du prochain accrochage de Valerius.

— Avec un peu de chance, Démos n'a pas encore remarqué ton absence, vu combien il est occupé, la rassura Meresankh avant de prendre une gorgée de café.

La seule personne capable de battre la Nilienne en termes de consommation de caféine était Senán Breinn, un autre aurige de série alpha qui apparaissait toujours à l'écran muni de sa fidèle tasse de boisson chaude. Saxa se demandait parfois si le système de distribution d'eau de son monoplace n'était pas lui aussi rempli de café.

— Apparemment, l'aileron latéral est toujours bancal, ajouta l'ingénieure avec lassitude.

Un vaisseau endommagé n'aiderait pas Valerius à rattraper la débandade de ses qualifications. Il l'avait un peu cherché aussi.

— On est mécanos, Mery, souffla Saxa, pas des dieux.

— Ah bon ? ironisa sa collègue. J'ai toujours cru que tu étais Qadesh réincarnée, pourtant. Tu as sa détermination et son courage en tout cas.

Les joues de Saxa se teintèrent de rose à l'entente de ces paroles sincères, destinées à faire redescendre la pression d'avant course. Elle tira nerveusement sur sa tresse désordonnée et répondit :

— Et toi tu as la sagesse de Minerve. Et surtout sa patience.

— Deux déesses guerrières face au Destructeur Suprême, plaisanta Meresankh. Espérons que notre alliance l'éloigne à jamais de ces barrières qu'il aime tant côtoyer.

Saxa se laissa rire avec elle. Cela faisait toujours du bien de prendre la situation avec légèreté. Meresankh lui apportait un soutien émotionnel dont elle n'avait même pas conscience, et ce depuis que Saxa avait été engagée et avait commencé à fréquenter l'ingénieure. Contrairement à ce qu'elle avait dit, Saxa ne se sentait pas courageuse. Si elle l'était vraiment, elle aurait depuis longtemps fait tomber le dernier rempart entre elles mais elle ne pouvait s'y résoudre. Pas quand la vérité risquait de détruire le peu d'espoir d'atteindre son rêve qui demeurait.

Personne ne devait se souvenir du passé de sa famille à part elle.

Meresankh l'invita à rejoindre le garage avec elle, ce que Saxa accepta avec joie. Elles s'apprêtaient à s'engager dans une nouvelle conversation anodine quand elles furent interrompues par un appel et des pas de courses qui arrivaient dans leur dos.

— Saxa ! Meresankh !

Les deux femmes pivotèrent presque comme une seule personne et découvrirent un Proteus encore plus agité qu'à l'accoutumée. Ses yeux parcouraient l'ensemble du couloir, sans oser s'arrêter sur ses locutrices. Il semblait pris d'une curieuse admiration pour ses pieds alors qu'il annonça d'une voix brisée :

— Je crois qu'on a un problème. Un gros problème.

La poitrine de Valerius se soulevait et s'abaissait dans un rythme apathique. Etendu sur la couchette de sa loge personnelle, la tête rejetée en arrière contre un coussin plat, le pilote laissait échapper des ronflements bruyants et disgracieux. Un bras recouvert de la fibre ignifugée de son sous-pull dépassait de la couverture blanche dans laquelle il se tenait enroulé.

Penché au-dessus de son visage endormi, Saxa grimaça avec dégoût lorsqu'un filet de bave entreprit de dévaler la vallée de son menton. Même tombé entre les bras de Morphée, l'aurige manquait de prestance. La mécanicienne résistait tant bien que mal à la tentation de claquer des doigts près de ses oreilles dégagée, jugeant cela trop puéril, même pour elle. Si Valerius avait voulu, ou plutôt avait été capable de se réveiller, il l'aurait déjà fait depuis longtemps.

Proteus parcourait la petite pièce de long en large, agitait ses mains de façon aléatoire autour de lui, et paraissait au bord de l'hyperventilation.

— Tout est de ma faute ! Il m'a demandé de lui apporter ses stimulants ! Il en prend toujours une bonne dose avant une course, juste assez pour se donner un coup de fouet, mais tout en restant en-dessous de la limite pour les contrôles anti-dopage !

Une manœuvre typique de Valerius, en somme. Jouer avec les règles et frôler l'acceptable devait être la devise de l'écurie Karpusi. C'était une chance que la Fédération accordât moins d'importance aux compétitions des séries inférieures et se montrât un peu plus laxiste que dans le cadre du Championnat Galactique.

Saxa se redressa et pivota vers Proteus que Meresankh venait de forcer à s'asseoir, non sans mal. L'ingénieure lui tendit un verre d'eau qu'il refusa d'un mouvement de tête. L'assistant prit son visage entre ses mains et baragouina :

— Je n'ai pas très bien dormi cette nuit, j'étais épuisé... Je me suis trompé de flacon. Je lui ai donné des somnifères. Et vu la dose qu'il a ingérée, il ne se réveillera pas avant des heures !

Proteus ne put retenir ses sanglots plus longtemps. Accroupie à sa hauteur, Meresankh entoura le jeune garçon de ses bras et frotta son dos dans un geste réconfortant. Saxa adressa un regard compatissant à l'assistant, elle n'arrivait pas à lui en vouloir de craquer. Il supportait Valerius à longueur de journée, cela tenait même du miracle qu'il ne se soit pas effondré plus tôt. Le pilote l'avait totalement brisé, comme il avait tant l'habitude de le faire avec ses vaisseaux.

— Ce n'est pas grave, Proteus, assura doucement Mery. Tu as fait une erreur, et ça arrive à tout le monde.

Saxa leva la tête vers l'heure affichée en amont de la porte.

— Vu l'heure, on n'a pas trop le temps de contacter un réserviste, constata-t-elle.

Elle s'en voulut un peu une fois sa réplique achevée. Comment pouvait-elle penser à la course alors que Proteus pleurait devant elle ? Meresankh ne lui en tint pas rigueur, et le garçon ne l'avait probablement pas entendue entre ses hoquets. L'ingénieure jeta à son tour un œil à l'horloge.

— Tant pis, conclut-elle dans un haussement d'épaule. On n'a plus qu'à aller voir la direction de course pour déclarer forfait. De toute façon, on ne risquait pas de prendre des points vu d'où Valerius était censé partir. On évitera juste de malmener une fois de plus le monoplace.

Meresankh sursauta alors que le poing de Proteus se refermait autour du tissu orange de son haut marqué du logo de l'écurie. Saxa ouvra la bouche pour lui indiquer de se calmer et de lâcher sa collègue mais cette dernière l'arrêta d'un mouvement de la main. Une terreur profonde succédait au désespoir dans sa voix :

— Non, non, ne faites pas ça ! Monsieur Karpusi est dans le garage ! S'il apprend ce qu'il s'est passé, que son aurige n'a pas pu voler devant son public à domicile à cause de moi, il va me renvoyer !

Saxa aurait aimé dire que Zénon n'était pas assez idiot pour faire ça, étant donné le faible salaire qu'acceptait de prendre Proteus, mais elle n'aimait pas mentir au jeune garçon. Dès que Valerius se réveillerait, il ferait un scandale et le patron se plierait à ses exigences. Combien d'assistants s'étaient retrouvés à la porte de cette manière ?

— J'ai besoin de cet argent, continua-t-il. Je ne peux pas me retrouver sans travail. Je vous en supplie, ne dites rien !

— Proteus, le départ sera donné dans quinze minutes, lui rappela Meresankh avec un calme olympien. Que veux-tu que l'on fasse ? Le vaisseau est attendu sur la grille, et il ne va pas se piloter tout seul.

Cette triste vérité arracha un nouveau gémissement à Proteus. Saxa se sentait particulièrement connectée à la situation du garçon. Quelques années plus tôt, elle avait passé de nombreuses nuits blanches à la recherche d'un emploi stable et plus ou moins proche de son domaine de prédilection. Elle savait ce que cela faisait de dépendre autant d'un maigre salaire, de sombrer à l'idée de se trouver à la rue.

Pendant que l'ingénieure faisait de son mieux pour faire retrouver son calme à Proteus, la jeune femme se tourna de nouveau vers Valerius. Même endormi, il causait bien trop de soucis à son équipe. Elle le soupçonnait parfois d'être une calamité ayant pris forme humaine envoyée par un dieu farceur pour les tourmenter. L'aurige grogna avant de se déporter sur son épaule et présenter son dos à Saxa qui laissa échapper un soupir.

Il n'avait même pas eu le temps de s'équiper avant de se laisser emporter par le sommeil. Sa combinaison tape-à-l'œil attendait d'être enfilée contre le dossier de la même chaise sur laquelle reposait le casque du pilote. Les motifs complexes peint sur l'alliage de fibres de carbone et d'aramide brillaient d'un éclat vibrant sous la lumière blanche des néons. Cette même lueur se reflétait sur la visière du casque dans laquelle Saxa pouvait distinguer le reflet de ses yeux.

Ces deux orbes gris qui avaient déjà bien trop pleuré avant de s'assécher alors qu'elle se murmurait une promesse. Celle de ne jamais abandonner.

L'idée la frappa soudain comme un éclair de génie. Elle traversa la pièce sous le nez de Meresankh, qui posa son regard sur elle tandis que sa main tapotait la tête de Proteus qui pleurait toujours dans le creux de son épaule. Ses sourcils se froncèrent quand la mécanicienne saisit le casque de Valerius, le pesa entre ses mains qu'elle fit ensuite passer à l'intérieur comme pour en évaluer la taille.

— Qu'est-ce que tu fais, Saxa ? demanda-t-elle.

Cette dernière fixait toujours le casque coloré lorsqu'elle répondit avec un sourire confiant.

— Je crois que j'ai une idée.




─── ⋆⋅☆⋅⋆ ───


Un chapitre divisé en 2 car il est vraiment trèèès long xS

Honnêtement, c'est la deuxième moitié qui est vraiment intéressante mais j'aime bien celle-ci aussi. On en apprend un peu plus sur Saxa, son passé et son quotidien sur Sérifos.

Vu qu'il s'agit d'un même chapitre coupé en deux, la suite sera postée dès la semaine prochaine ! (je fais un peu durer le suspens quand même xD)

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro