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III ― Les dés sont jetés









✧・゚: *✧・゚:*  Chapitre III *:・゚✧*:・゚✧

Les dés sont jetés










Senmout laissa échapper un soupir d'irritation lorsque l'employée du spatioport lui tendit sa valise. Le quart d'heure durant lequel on avait procédé à la fouille de son bagage lui avait paru interminable. Sur les millions de voyageurs qui passaient par le terminal principal de Prînos, la capitale d'Ephèse, il avait évidemment fallu que ce contrôle aléatoire tombe sur lui. Peu désireux d'avoir des ennuis avec la sécurité, le directeur de Venator n'avait eu d'autre choix que d'attendre que l'on retire un à un les vêtements qu'il avait pourtant soigneusement pliés et rangés. Une longue soirée de préparation réduite en miettes par un coup du hasard.

Visiblement, les dieux n'étaient pas satisfaits de sa récente offrande déposée sur l'autel.

— Tout est en ordre, monsieur Sed-Saqqarah, annonça la femme. Veuillez nous excuser pour le dérangement.

Senmout produisit une réponse plus proche des onomatopées que de véritables mots avant de saisir sa valise pour s'éloigner le plus vite possible du portique de sécurité. La zone d'attente des voyageurs s'étendait sur l'ensemble du bâtiment construit de façon circulaire autour d'un arbre millénaire qui trônait en son centre. Ses branches se déployaient dans toutes les directions, longées par des allées noires de monde D'immenses cascades d'eau semblaient jaillir du toit vitré, habile effet d'optique qui faisait toujours son effet, afin d'arroser continuellement les racines du feuillu..

Les déplacements interplanétaires faisaient partie intégrante de la profession de Senmout, aussi pouvait-il affirmer connaître ce lieu presque aussi bien que sa propre maison. Moultes boutiques, zones de logement et de divertissement se côtoyaient aux différents étages du terminal, tous les moyens déployés pour rendre l'attente des voyageurs en transit moins longue et pour remplir les poches de l'administration du spatioport. On en oublierait presque le cours du temps, malgré l'omniprésence d'écrans rappelant les horaires des prochains vols spatiaux.

C'était sous l'un de ces affichages que l'attendait Thusnelda Jónsdóttir, immanquable dans son tailleur vert pomme, orné de motifs entrelacés. Les longues tresses serrées qui descendaient jusqu'au milieu de son dos évoquaient deux épis de blé sauvages. La chaleur de ses mèches blondes contrastait avec la froideur de ses pupilles de glace, fixées sur la liste des vols long courrier de cette fin d'après-midi. Où qu'elle se trouvât, la responsable de communication de Venator attirait l'attention par son élégance naturelle et son sourire éclatant. C'était à cela que consistait son travail, après tout. Jouer avec les apparences, montrer à l'univers une image idéalisée de l'écurie à la flèche d'argent et de ses auriges. S'assurer qu'aucun des membres de l'équipe n'entache cette image. Cela s'appliquait également et surtout au directeur de ladite équipe.

Thusnelda se tourna vers Senmout à son approche. L'agacement de ce dernier était limpide mais il lui fit rapidement comprendre qu'il n'était pas d'humeur à entendre l'une de ses plaisanteries presque aussi irritantes que celles de sa sœur. Le jeune homme prit place dans un siège libre près des écrans d'affichage et sa collègue fit de même, se positionnant à sa droite. Leur vol spatial était indiqué à l'heure, ce qui laissait aux deux employés de Venator un peu plus d'une heure à combler.

Il restait à Senmout de la paperasse à remplir, aussi il profita de prochaines minutes pour finir de les signer et parcourir sa messagerie pleine à craquer de demandes et rapports en tout genre. Sa réception la plus récente portait la signature électronique de Tassadit qui y avait joint le fichier de sa dernière conception à télécharger sur le simulateur ainsi qu'un message vocal. Il préféra s'épargner le ton réprobateur de la maîtresse faber pour le moment.

L'aspect managérial de la position de Senmout n'était certes par le plus passionnant mais un des plus chronophages. Sans le coup de coude de Thusnelda qui interrompit son analyse du budget prévisionnel de la prochaine saison, il aurait sans doute loupé l'annonce de l'embarquement en direction de Sérifos. Sitôt qu'il eut rangé sa tablette, le Siwan suivit son accompagnatrice qui rejoignait déjà le flot de passagers se dirigeant vers la porte affichée.

Une passerelle fermée les conduisit jusqu'à la zone centrale du vaisseau de transport déjà bien remplie de natifs d'Ephèse partant à la découverte de mondes lointains ou de Sérifosiens impatients de retrouver leur chère planète. Compte tenu de la courte durée du voyage et du budget limité de Venator, Senmout et Thusnelda se contenteraient d'une place de catégorie trois qui leur donnait accès à l'ensemble des espaces communs où se trouvaient quelques banquettes plus ou moins confortables, un bar proposant des boissons bien trop chères pour ce qu'elles étaient et quelques écrans proposant des rediffusions de pièces de théâtre populaires.

Cela ne leur offrirait pas le calme d'une cabine privative mais les immenses hublots qui tapissaient les surfaces des quatre coins de la pièce centrale réduisaient l'impression d'enfermement dans cette immense carcasse de métal capable de traverser des galaxies. Lorsque Senmout trouva enfin une place assise de libre, le vaisseau prenait tout juste son envol dans le ciel sans nuage d'Ephèse. Une première petite secousse se répandit sous ses pieds au moment de franchir la canopée qui se mua en une simple étendue d'un dégradé de verts à mesure de l'altitude prise par l'appareil. Puis une nouvelle barrière fut franchie, celle de l'atmosphère, et l'obscurité envahit la pièce.

Ce spectacle faisait pleinement partie du quotidien de Senmout et pourtant, cela lui faisait toujours un petit quelque chose d'observer le monde qu'il venait de quitter ne devenir qu'une boule de terre flottant au milieu du vide spatial. Ephèse semblait suspendue dans un océan d'obscurités ponctué des lueurs lointaines des systèmes voisins. On pouvait également voir ses sept satellites — un record au sein de l'Imperium ! — qui veillaient sur elle depuis leur orbite. Les lumières à l'intérieur du vaisseau s'étaient allumées au cours de la montée et de l'entrée dans l'espace infini.

Le Nilien ajusta sa position dans son siège sous le regard amusé de Thusnelda installée en face de lui. Il laissa échapper un soupir plein de lassitude.

— Vivement qu'on en ait fini avec tout ça. On a mieux à faire que d'aller supplier un entrepreneur véreux de nous accorder son soutien financier.

— N'oublie pas que nous avons absolument besoin de cet argent, Senmout, réprimanda Thusnelda. Centimanes est le plus gros sponsor avec lequel nous pouvons espérer signer, vu notre situation. Ce n'est vraiment pas une opportunité qu'on peut se permettre de gâcher.

Elle disait cela comme si Senmout avait prévu de saboter volontairement l'entretien avec le directeur de l'entreprise. En vérité, il redoutait cette rencontre autant qu'il détestait jouer les lèches-bottes. La signature d'un accord n'était en effet pas acquise et il réfléchissait encore aux arguments à glisser entre deux compliments pour convaincre Sylvius Aurelius de s'engager auprès de l'écurie à la flèche d'argent.

Il haussa les épaules avant de poser ses coudes contre le dossier de la banquette et de marmonner :

— Je sais. Et je sais aussi que c'est pas gagné d'avance. Je me vois mal lui promettre que son nom sera associé à celui d'une future équipe championne étant donné que ça serait le plus gros mensonge de l'univers que même un homme ivre-mort ne pourrait pas gober.

Thusnelda secoua la tête avec un rictus, entre amusement sincère et désapprobation.

— Tu vois, Senmout, c'est précisément pour ça que tu ferais un mauvais aurige. Tu pars toujours perdant. Comment peux-tu te hisser sur le podium si tu ne crois pas que tu as une chance, même toute petite ? Si tu n'essaies même pas ?

Lui reprochait-elle vraiment d'être réaliste ? La comparaison ne lui paraissait même pas pertinente. Dans son cas, des millions de sesterces étaient en jeu, ainsi que l'avenir d'une équipe entière composée de centaines d'employés. De plus, bien qu'il ait eu l'occasion de piloter des modèles de séries inférieures dans un passé lointain, Senmout ne s'était imaginé nulle part ailleurs que face au mur des stands. Envisager une défaite pouvait s'avérer utile pour élaborer une stratégie. Et pour que cette défaite fasse moins mal.

Une voix synthétique annonça aux voyageurs l'imminence d'un saut en hyperespace. Senmout se redressa en prévision du tremblement familier qui accompagnait le passage en vitesse lumière de l'appareil stellaire. Les étoiles lumineuses brûlant au loin se muèrent en rayon d'une blancheur immaculée sous l'effet de la vitesse. Quelques passagers encaissèrent moins bien le choc que lui, sûrement peu habitués à cette sensation. Ils seraient sans doute sujets à des vertiges au cours du voyage qui prendrait plusieurs heures.

Bercé par les légères vibrations du vaisseau, Senmout finit par s'abandonner au sommeil, dans un monde utopique, loin des soucis financiers, où tout était permis. Observer avec fierté les auriges aux couleurs de Venator se hisser sur le podium. Se battre contre les meilleurs à coups d'innovations mécaniques et de stratégies ingénieuses. Soulever la coupe du Championnat des constructeurs.

Et au milieu de ces rêves de victoire chimérique se glissèrent des souvenirs qui ne restaient jamais bien longtemps enfouis, composés de fragments d'images de montagnes enneigées, d'un regard verdâtre et d'un sourire timide, capable de faire fondre tous les glaciers de la planète qui l'avait vu naître.

Si le vert dominait à la surface d'Ephèse, celle de Sérifos se déclinait selon toutes les nuances de bleu. Le règne des arbres faisait place à celui de l'océan au milieu duquel seules quelques îles isolées jaillissaient et abritaient la population locale. Cette mer infinie et hostile représentait pourtant l'atout majeur des planètes du système des Cyclades qui partageaient cet environnement. Les profondeurs de leurs abysses offraient les conditions idéales au développement des cristaux d'ikhôrium. Un monde produisant la ressource la plus précieuse de l'univers attirait forcément l'attention de l'Imperium, mais contrairement à la richissime Mónoikos et son élégance, Sérifos s'était enfoncée dans la débauche et l'avarice.

Sous la lumière déclinante de l'étoile locale, le frémissement des vagues créait des reflets orangés annonciateurs de la tombée du soir. Cette vue somme toute agréable s'offrit à Senmout lorsque la porte de la salle de bain coulissa pour le laisser pénétrer dans sa chambre d'hôtel. Une serviette enroulée autour de la taille et une autre servant à frictionner ses boucles humides, le Siwan traversa la pièce joliment meublée et confortable malgré son prix bon marché. Sur le lit qui n'avait pas encore été défait trônait la tablette du jeune homme, dont l'écran affichait le dernier message reçu de la part d'Aurelius. L'entrepreneur avait prévu d'assister à une course de série gamma locale et leur donnait rendez-vous, à Thusnelda et lui, dans la loge privée qu'il avait réservé pour l'occasion.

Au moins semblait-il avoir un réel intérêt pour les courses motorisées. Cela le démarquait un peu de ces autres industriels qui ne voyaient que l'intérêt commercial et promotionnel du système de sponsoring.

À côté de l'éternel compagnon numérique du directeur de Venator, Senmout avait déposé les vêtements qu'il prévoyait de porter lors de l'entretien. Sous l'éclairage vespéral, les fils d'or de sa tenue de soirée resplendissaient tels des veines divines, témoins de la richesse toute relative du propriétaire du vêtement — son père lui avait offert avant de décider que son aîné était désormais assez grand pour se financer tout seul. Peut-être était-ce un peu trop, compte tenu du manque de formalité de ce rendez-vous, mais Senmout comptait mettre toutes les chances de son côté. Habillez-vous comme un riche officiel d'écurie et de loin, ils croiront que vous l'êtes. Par Osiris, il commençait à penser comme Thusnelda.

Le temps que ses cheveux sèchent, Senmout s'intéressa aux récentes nouvelles concernant ses concurrents de la saison. Mons Silvius venait d'annoncer le prolongement du contrat d'Octavia Regilia, leur seconde pilote qui avait plutôt bien performé lors de ses deux premières saisons dans la catégorie reine. Le Nilien préféra ne pas s'attarder plus sur l'article qui en parlait, craignant que son esprit suive le même chemin qu'il avait pris en rêve durant le voyage stellaire à la mention du nom du coéquipier de la jeune femme. Cato Ceteghus était un adversaire à vaincre, rien de plus. Senmout devait rester concentré sur son objectif.

Il prit ensuite le temps d'enfiler sa tenue et l'ajuster devant le grand miroir. La douceur du tissu dans lequel la veste et le pantalon étaient fabriqués l'impressionnait toujours. Deux traits de khôl sombre sous ses yeux vinrent compléter sa mise en beauté et il décida de laisser ses cheveux onduler naturellement autour de son visage.Son image dans la glace ne le satisfaisait pas totalement mais après un coup d'œil rapide vers l'heure affichée dans un coin du miroir, il réalisa qu'il n'avait pas le temps d'en faire plus. Au moins, ne risquait-il pas d'en faire trop.

Senmout retrouva Thusnelda dans le hall de l'hôtel. La chargée de communication avait elle aussi opté pour des vêtements qui la mettaient en valeur. Sa silhouette élancée était soulignée par la robe bleue de nuit qu'elle portait avec l'assurance d'une aristocrate. La jupe descendait juste en dessous de ses genoux et était ornée de runes traditionnelles de la planète de la Bordure Extérieure dont elle était originaire. Thusnelda aimait afficher ainsi ses racines, couplées au raffinement « à l'impériale ». C'était un moyen pour elle de rendre justice aux habitants des systèmes récemment conquis, encore trop souvent considérés comme des paysans sans manières par la haute société de l'Imperium et représentés comme tels dans les pièces de théâtre et ces horribles combats de gladiateurs si populaires sur la planète capitale. Un traitement auquel avait eu droit chaque monde au moment de son annexion, en réalité.

Thusnelda terminait les derniers ajustements de l'entremêlement complexe des tresses de mèches blondes. Lorsqu'elle vit Senmout descendre les escaliers jusqu'à la réception, elle ferma l'écran réfléchissant qui flottait jusqu'alors devant elle et se leva pour rejoindre son collègue dans sa marche en direction de l'entrée de l'hôtel. Dehors, une vectura les attendait. Ils prirent place à l'arrière et Thusnelda indiqua au chauffeur de prendre la direction du circuit de Sérifopolis. Le véhicule démarra avec le son caractéristique de la mise en marche de ses suspenseurs.

Senmout se tint droit sur la banquette afin d'éviter de froisser sa veste. Le temps qu'il terminât de s'habiller, les rayons de l'étoile Délos avaient été remplacés par la faible lueur des deux satellites naturels de Sérifos. A cela venait s'ajouter la lumière artificielle des constructions humaines. Les enseignes des différents magasins, bars et maisons de passe diffusaient un mélange chaotique de couleurs charivariques. A travers la fenêtre légèrement ouverte, les passagers pouvaient entendre le rythme effréné de la musique s'échappant de Grand Casino mêlé à la clameur furieuse résonnant dans l'enceinte des arènes. Les locaux et touristes trouveraient sans mal de quoi occuper leur nuit car c'était sous le manteau de Nyx que Sérifos s'éveillait vraiment.

Si aucune des activités du centre-ville ne retenait votre attention, il suffisait d'emprunter la voie rapide est pour rejoindre le circuit de Sérifopolis qui accueillait des manches de certains championnats régionaux de série gamma et delta. Senmout se trouva d'ailleurs surpris de découvrir la zone de stationnement autour du complexe aussi remplie. Visiblement, la course avait son bon et fidèle public ici, ce qui n'était pas le cas dans tous les systèmes — chose qu'il ne comprenait pas vraiment, mais il n'était pas totalement objectif. Ce sport l'avait toujours passionné, après tout.

Dans son message, Aurelius avait indiqué à ses invités de se présenter à l'entrée numéro quatre et de donner leur nom à l'hôtesse d'accueil, ce qu'ils firent. L'ouvreuse mit moins de temps que ce que Senmout avait imaginé pour vérifier leur identité, par une simple prise d'empreintes digitales, et les diriger vers l'un de ses collègues. Les employés de Venator montèrent jusqu'au dernier étage du gradin principal et traversèrent un grand couloir entouré de baies vitrées qui offraient la meilleure des vues sur le circuit. Les projecteurs illuminaient le tracé de métal sombre et brillant sur lequel s'élanceraient bientôt les pilotes aux commandes de leurs monoplaces sous les acclamations d'un public déjà très en forme.

Malgré tout, cette audience n'avait rien à voir avec celle du Championnat Galactique qui emplissait chaque semaine des gradins beaucoup plus grands. Les compétitions de séries bêta, gamma et delta intéressaient plutôt un public niche de supporters autochtones. Le championnat de série alpha se disputait à l'échelle de l'Imperium et faisait s'affronter ceux qui étaient considérés comme les vingt meilleurs pilotes de l'univers connu. De quoi soulever bien plus de passions.

On fit entrer Senmout et Thusnelda dans une loge située juste en face des garages et de la voie des stands. Le jeune homme comprit alors que ce rendez-vous ne serait pas tout à fait privé. Plusieurs banquettes luxueuses étaient installées près des fenêtres, disposées afin de former plusieurs petits salons occupés par des hommes et des femmes richement vêtus. Les rires résonnaient et on entendait trinquer des coupes remplies de champagne ou de cocktails aux couleurs saugrenues. Un antre d'opulence qui, encore une fois, n'atteignait pas celle des sénateurs et autres membres des gentes impériales qui se déplaçaient régulièrement pour suivre le Championnat Galactique.

— Monsieur Sed-Saqqarah !

Un bras s'agita un milieu de l'assistance. Parmi les gens présents, personne n'accorda vraiment d'attention aux deux nouveaux arrivants et à celui qui leur faisait signe de le rejoindre à la place qu'il occupait pile au milieu de la pièce. Le mouvement de Senmout vers son hôte fut amorcé par une légère poussée dans le dos de la part de Thusnelda qui semblait bien plus enthousiaste et prête pour les négociations qui allaient suivre, alors qu'elle était simplement là en tant que spectatrice et soutien émotionnel. Senmout se dit qu'il valait mieux se lancer finalement, cela permettrait d'en finir plus vite.

Sylvius Aurelius terminait une première — enfin, était-ce réellement la première ? — flûte d'alcool pétillant et en commanda une nouvelle pour lui et ses deux invités avant même qu'ils prennent place autour de la table basse. Le PM de Centimanes portait une tunique blanche liserée de pourpre qui rappelait une toge sénatoriale mélangée à un style moins formel. Son pantalon, rouge lui aussi, paraissait satiné et scintillait sous la lumière tamisée du lustre au design singulier. Il serra la main de Senmout puis de Thusnelda qui se présenta poliment. Les verres remplis de champagne avaient été déposés devant eux durant ces échanges de formalités.

Plus de retour en arrière désormais. Senmout se permit une petite gorgée de sa boisson avant d'enfiler son masque de négociateur, de politicien. Celui qu'il détestait le plus.

— Veuillez m'excuser d'avoir choisi ce lieu un peu bruyant pour notre discussion, Sed-Saqqarah (tiens, on avait déjà perdu le « monsieur »). Mais je suis avec intérêt le Championnat des Cyclades et je me suis dit qu'au moins, vous ne serez pas dépaysé, déclara Aurelius, un sourire se devinant sous sa moustache.

— En effet, cela ne me change pas beaucoup, répondit Senmout le regard porté vers le circuit. Même si j'ai plus l'habitude de me trouver de l'autre côté de cette vitre, face au mur des stands.

D'un côté comme de l'autre, certaines choses ne changeaient pas. Il fallait rester sur ses gardes, s'adapter du mieux possible aux réactions des adversaires et voler vers la victoire. Dans les deux cas, d'importantes sommes d'argent étaient en jeu. A choisir, Senmout préférait pourtant sa place dans la voie des stands, par habitude et parce que derrière ses écrans, il n'avait pas besoin de ramper devant ses concurrents comme un mendiant. Il espérait tout de même ne pas en arriver là avec Aurelius. Un peu de flatterie pour commencer ne ferait cependant pas trop de mal, du moins il le supposait.

Léger sourire, position décontractée mais pas trop, allure naturelle. Il adopta cette posture en se récitant cela comme il le ferait avec les consignes qu'il donnait à ses pilotes à travers son casque.

— Je suis très reconnaissant que vous ayez accepté cet entretien, monsieur Aurelius. Et je vous remercie également pour l'intérêt que vous portez au projet de Venator.

Mieux valait ne pas perdre trop de temps et mettre le sujet sur la table. Le jeune homme échangea un rapide regard avec Thusnelda qui gardait une expression neutre pour le moment. Tant qu'il ne donnait pas une mauvaise image de l'équipe, elle le laisserait gérer comme il le souhaitait.

— Hum, de l'intérêt, c'est vite dit, enchaîna l'industriel sans pour autant perdre sa bonhommie. Disons simplement que je suis curieux de savoir ce que vous comptez me proposer, Sed-Saqqarah. Centimanes a déjà été sponsor en série alpha il y a des années, avant que j'en prenne la direction. L'entreprise en avait tiré bien des profits, si j'en crois les archives.

Senmout contint du mieux son soulagement, comprenant alors qu'il n'aurait pas besoin de lui expliquer l'intérêt et les bénéfices d'un accord de sponsoring. Aurelius se fit servir un autre verre alors que les deux employés de Venator n'avaient pas encore bu la moitié du leur.

— Je vous en prie, expliquez-moi donc pourquoi j'aurais intérêt à signer avec votre équipe.

Au ton qu'il venait d'employer, saupoudré d'une condescendance amusée, Aurelius s'attendait probablement à un discours préparé à l'avance par son locuteur. Ce fut plus ou moins ce qu'il obtint. Senmout avait planifié les points à aborder mais pour ce qui était de la forme, il avait préféré faire confiance à sa capacité d'improvisation sur le moment.

— Venator vous offre la certitude que toutes vos demandes seront satisfaites. Les dix-neuf courses du Championnat de série alpha seront dix-neuf occasions pour vous de faire apparaître le nom de votre entreprise devant des milliards de spectateurs. Il s'agit bien sûr du strict minimum mais pour le reste, nous sommes ouverts à tout. Vidéos courtes avec nos auriges pour promouvoir vos produits, publicité plus longue qui serait diffusée à heure de grande écoute, visite de nos locaux et évènements réguliers dans notre usine sur Ephèse.

Aurelius écoutait les paroles de Senmout tout en se lissant la moustache. Son rictus se voulait réconfortant mais Senmout y décelait quelque chose d'inquiétant. Il déglutit de façon discrète avant de continuer.

— Bien que notre côte de popularité ne soit pas au plus haut, surtout comparée à celle des équipes de tête, nous disposons d'un soutien fidèle et acharné du public vivant dans notre système. Notre aurige titulaire, Avad Enkiddu, nous apporte également une audience supplémentaire depuis les planètes de la Bordure Extérieure dont il est originaire. Et croyez-moi, les natifs de Gundeshapur sont très fiers de leur petit prodige local.

Malgré leurs différents, Senmout ne pouvait pas retirer cela à Avad, en plus de ses compétences de pilotage tout à fait correctes, parfois au-dessus de la moyenne lorsqu'il y mettait du sien.

— En outre, j'ai cru comprendre que Centimanes tenait à son image d'entreprise familiale et chaleureuse. Nous sommes nous-mêmes une petite structure, et nous tenons à la bonne entente et l'esprit de communauté entre nos employés. Nous nous rejoignons donc sur cet aspect que vous ne retrouverez pas chez nos concurrents.

Senmout perçut le léger mouvement de tête désapprobateur de Thusnelda. Tirer ses adversaires vers le bas pour se mettre en valeur n'était pas toujours très bien vu, mais dans un domaine aussi compétitif que le leur, pointer les défauts des autres pouvait parfois s'avérer bénéfique — une petite pénalité en cas de pièce moteur non conforme ou de dépassement des limites de piste par exemple.

Le jeune directeur réalisa que tous les points importants avaient été cités et, faute d'avoir bien marqué le point final, se redressa un peu sur sa banquette, laissant le bourdonnement de l'assemblée se répandre dans le cercle réduit formé des trois locuteurs. La voix cristalline du commentateur de la course s'ajouta à ces murmures pour annoncer l'imminence du départ. Ni Senmout, ni Aurelius ne semblaient se préoccuper de cela. L'homme d'affaires se décida enfin à prendre la parole, après avoir laissé poireauter le Nilien pendant de longues secondes.

— Je dois avouer que je suis un peu désappointé, Sed-Saqqarah.

Ce dernier serra les dents, déçu de lui-même. Que lui fallait-il de plus ?

— Votre discours, bien qu'éloquent et pleins de bons arguments, est affreusement... Banal.

Le regard que Senmout échangea avec Thusnelda respirait la confusion. La responsable de communication osa même un haussement d'épaule. « Banal » ? Qu'espérait-il ? Que Senmout se mette à chanter ? Qu'il rampe réellement à ses pieds ? Voilà pourquoi il détestait cet aspect de son travail. Quoi qu'il fasse ou dise, ces entrepreneurs exigeaient toujours plus.

— Comprenez-moi bien, Sed-Saqqarah. D'un point de vue purement financier, je ne vois absolument aucune raison de refuser votre proposition.

Pourquoi vous apprêtez-vous à refuser alors, par Horus ?!

— Comme vous l'avez dit, Centimanes est une entreprise familiale, mais c'est aussi une entreprise qui ose, qui surprend. Qui s'impose dans notre secteur d'activité !

Il ponctua son énumération de gestes de la main beaucoup trop théâtraux pour ne pas être en partie le fruit de l'alcool ingéré durant ces dix dernières minutes. Derrière la vitre, le départ fut donné et les riches spectateurs se laissèrent emportés par l'euphorie du premier virage.

— J'ai suivi une partie du Championnat Galactique, l'année dernière, reprit Aurelius. Et c'est justement ce qui vous manque, chez Venator. L'audace. La prise de risque.

Leur situation ne leur permettait pas de prendre des risques, bon sang ! Pourtant, ce discours lui rappelait terriblement ce que Thusnelda lui avait dit dans le vaisseau de transport. Des paroles prononcées par une membre de sa propre équipe.

— Vos concurrents vous surpassent parce qu'ils n'hésitent pas à faire le grand saut, contrairement à vous. Et en cela, vous ne vous alignez pas avec les valeurs de mon entreprise. En plus, j'ai cru comprendre que vous n'avez toujours pas trouvé votre deuxième aurige. Permettez-moi donc de douter de votre crédibilité.

Senmout ne pouvait pas laisser échapper cette occasion. Les dieux seuls savaient si un autre sponsor se présenterait à la porte de Venator. L'écurie avait besoin de cet argent. Bordel, il allait vraiment le faire. Il allait supplier.

Tu vaux mieux que ça, cracha la voix de Meneptah Sed-Saqqarah dans sa tête. Ne gâche pas ton potentiel avec ces ratés, mon fils.

Les champions, les légendes, avaient-ils dû implorer aussi avant de pouvoir monter sur la première marche du podium, couronnés de gloire ? Ou bien naissaient-ils déjà gagnants ? Quoiqu'il en soit, cette situation était si humiliante.

— A-Attendez, monsieur Aurelius. Je suis enclin à accepter n'importe quelle condition que vous estimerez nécessaire.

L'homme se levait pourtant déjà et réajustait sa tunique froissée. Il ne prenait même plus la peine de jouer les illusionnistes derrière un sourire presque naturel.

— Ecoutez, Sed-Saqqarah, je ne suis pas totalement fermé à une nouvelle sollicitation de votre part dans le futur. Mais dans l'état actuel des choses, je ne préfère pas m'engager auprès de Venator. Trouvez votre second pilote pour commencer, surprenez-moi, et nous en rediscuterons. Si vous voulez bien m'excuser, j'ai un appel à passer.

Senmout se sentait comme un gladiateur désarmé face à une chimère de la taille d'un immeuble, prête à le dévorer devant la foule qui s'en délecterait. Désespoir et rage se mêlaient en lui mais aucun mot ne lui vint, alors que Sylvius Aurelius quittait la loge privée et ajustait son oreillette. Pas si intéressé que ça par la course qui battait son plein derrière le verre trempé, finalement. Même là Senmout n'avait pas distingué le piège. Une partie de lui avait envie de se recroqueviller sur lui-même mais il ne pouvait pas se le permettre. Pas devant autant de monde, pas tant que le peu de réputation restante à l'écurie était en jeu.

Alors il resta muet, presque absent. Après tout, il ne lui restait que cela dans l'instant présent. A ses côtés, Thusnelda attendit quelques secondes avant de tapoter gentiment son dos. Un geste amical que l'on attribuait aux perdants pour lui dire « Eh, ce n'est pas grave, tu as fait de ton mieux ». Ce n'était pas vrai.

— La saison n'a pas encore commencé, Senmout. On va trouver une alternative. Je vais appeler Nikè et voir ce que l'on peut faire.

Il grogna des mots inintelligibles pour accompagner le départ de sa collègue, désormais seul face à son verre toujours à moitié plein. La seule chose qu'il avait obtenu d'Aurelius. Autant rentabiliser ce rendez-vous catastrophique.

Il saisit la flûte par son pied et descendit d'une traite le reste de champagne tiède et sans bulle. Le cliquètement du cristal contre le plateau métallique de la table résonna en même temps que la voix forte du commentateur.

— C'est incroyable ! Valerius Principus continue sa remontée depuis la vingt-deuxième place. Après son terrible échec en qualification et un début de saison passable, notre représentant local semble enfin sortir ses griffes !

Il se sentit touché par l'agitation autour de lui pour la première fois de la soirée et prit enfin le temps de porter son regard sur le circuit. Les vaisseaux aux couleurs bariolées filaient sur la piste, à une vitesse moins élevée que le standard de la série alpha, mais toujours impressionnante, surtout pour les néophytes. Senmout demanda à une femme qui passa près de lui lequel des monoplaces étaient piloté par ce Valerius Principus, puisqu'il était mis à l'honneur par le présentateur. Elle lui indiqua le véhicule à la coque orange pétant et à partir de cet instant, ses yeux d'ambre ne le quittèrent plus.

Valerius Principus volait à un rythme plus soutenu que ses adversaires. Bloqué dans la ligne de droite par l'aurige qui le précédait, il attendit le tout dernier moment pour freiner à la sortie du virage suivant et doubler son concurrent par l'intérieur. Une manœuvre risquée mais effectuée avec la plus grande des précisions.

Avec un niveau proche de ce qui s'observait lors du Championnat Galactique.

La frénésie qui prenait possession des spectateurs de marque dans la loge finit par l'emporter lui aussi mais il possédait quelque chose de plus que même tout l'ikhôrium de l'Imperium ne pourrait acheter. L'œil expert d'un directeur d'équipe, bercé dans l'univers des courses motorisées. Et par Osiris, cet instinct ne le trompait jamais.

Les mouvements engagés par Principus témoignaient d'un talent et d'une expérience qu'on trouvait chez peu d'individus. Senmout en vint à se demander comment était-ce possible qu'il n'ait jamais entendu son nom avant ce soir. Le Siwan se surprit même à lâcher une exclamation subjuguée lorsque l'aurige parvint à effectuer un double dépassement très propre, quoiqu'un peu brouillon sur la fin. Il applaudit en chœur avec ses compagnons de loge et un sentiment d'admiration sincère lui fit hocher la tête.

En plus du verre de champagne onéreux, Aurelius lui avait aussi offert un très beau spectacle. Un peu d'amusement après la débandade.

Les paroles de l'industriel se mirent alors à résonner dans sa tête.

Surprenez-moi.

Jusqu'à présent, Senmout avait été raisonnable. Chacune de ses décisions, en course comme à l'extérieur, était calculée, pensée à l'avance, analysée jusqu'à l'os. Il n'avait peut-être pas ce qu'il fallait pour être aurige — pas assez de cran, un attachement trop prononcé à la vie — mais ce soir, il se glissa dans la peau d'un champion à en devenir, à qui rien ne faisait peur. Il laissa parler son instinct, guidé par ce qu'il venait de voir.

Sylvius Aurelius voulait être surpris ?

Oh, Senmout allait le surprendre. Et surprendre l'entièreté de ses collègues et concurrents au passage.

Il se leva sans attendre la fin du dernier tour, tout était déjà joué de toute façon. Valerius Principus avait sécurisé une jolie quatrième place, étant parti vingt-deuxième. Dans le couloir, il croisa Thusnelda toujours en communication avec leur patronne. Il passa devant elle sans lui adresser un mot, une démarche déterminée, rapide, comme si l'envie de réfléchir, de calculer, menaçait de revenir à tout moment. Sa collègue ouvrit de grands yeux à son passage et l'interpela alors qu'il arrivait au bout du couloir.

— Senmout, je peux savoir ce que tu fais ?

Il se tourna vers elle, un dernier instant d'hésitation avant de descendre les escaliers vers la piste, vers peut-être la pire décision qu'il n'ait jamais prise de sa carrière. Il répondit à la question de Thusnelda par une autre — sa technique préférée en interview lorsqu'il voulait contourner une question ardue.

— Tu crois que je pourrais m'entretenir avec ce Valerius Principus ?

Elle fronça les sourcils avec un mouvement d'épaule confus. A l'autre bout de son oreillette, il doutait que Nikè ait entendu sa réplique vu la distance qui le séparait de Thusnelda.

— Par la barbe d'Odin, Senmout, répéta-t-elle, qu'est-ce que tu fais ?

Les lèvres du Nilien formèrent un sourire qu'il dédiait habituellement aux victoires et aux faits de course qui allaient en la faveur de Venator.

— J'ose, Thusnelda. J'ose.




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On continue de découvrir les membres de l'équipe Venator avec Thusnelda et sa tendance à s'impliquer dans ce qui ne relève pas de son job :P

Senmout recherche désespérément l'argent et peut-être qu'il va finir par le trouver un jour

N'hésitez surtout pas à laisser vos commentaires pour me dire ce que vous pensez de l'histoire !

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