II ― Si proche et pourtant si loin
✧・゚: *✧・゚:* Chapitre II *:・゚✧*:・゚✧
Si proche et pourtant si loin
Le bourdonnement de la foule résonnait jusqu'à l'intérieur du garage où régnait une agitation toute aussi effrénée. Les mécaniciens s'affairaient autour du vaisseau monoplace pour effectuer les réglages de dernière minute. Les outils passaient de main en main sans une seconde de répit sous les ordres du chef d'équipe qui avait du mal à se faire entendre au milieu de ce brouhaha. Les chiffres qui s'affichaient au-dessus de la porte grande ouverte vers la piste défilaient vite, bien trop vite. Encore tant à faire en si peu de temps.
— Alors, qu'est-ce que tu en penses ? Ça vaut le coup de le remplacer, oui ou non ?
D'un mouvement de pied, Saxa Caecilia s'extirpa de sous le vaisseau, son corps accompagnant la planche à roulette qui la séparait du sol. La lumière vive des néons au plafond lui fit plisser ses yeux devenus sensibles après ces longues minutes passées entre les griffes de cette carcasse métallique. Il lui fallut un peu de temps pour que l'image floue de la personne postée face à elle prenne peu à peu forme, que le brouillard se dissipe et que le retour à la réalité se fasse. Le regard sévère d'Antonia braqué sur elle réclamait une réponse à la question laissée en suspens. Une réponse rapide si possible.
— Je ne remarque pas d'anomalie visible. La fixation reste solide et les circuits m'ont l'air intact. Il faudrait faire plus de tests à grande vitesse pour savoir s'il a vraiment été endommagé.
— On n'a pas de temps pour ça, Saxa, souffla Antonia. La séance de qualification débute dans dix minutes. Soit on remplace ce suspenseur, soit on reste comme ça mais on doit se décider tout de suite.
Si Saxa avait un sesterce à chaque fois que sa collègue mécanicienne lui parlait aussi sèchement, elle aurait sans doute de quoi se payer son propre astéroïde privé. Elle avait un peu de mal à lui en vouloir, surtout un contexte aussi critique que celui-ci, quand la panique devenait maîtresse des mots et gestes, quand l'air se chargeait d'électricité et que le temps commençait à manquer. Et puis après toutes ces années, Saxa était habitué à ce manque de respect envers sa personne. Cela ne la blessait plus.
Presque plus.
— Tentons le coup, soupira-t-elle. Il ne nous reste qu'un seul jeu de suspenseurs et il vaut mieux qu'on le garde pour la course de demain. À voir ce que Démos en pense.
Aussitôt dit, Antonia pressa son oreillette pour entrer en contact avec le mécanicien en chef. Leur conversation laissa à Saxa le temps de se redresser et étirer son dos endolori. L'orange criard de sa combinaison s'était terni avec le temps et le nombre de cycles de lavage qu'elle avait connu. Malgré tout, on pouvait encore distinguer de vieilles tâches de carburant ici et là. Quelle idée d'avoir choisi une couleur qui se salissait aussi facilement.
— Il est d'accord avec toi, annonça Antonia. On reste comme ça. Espérons que les arrières tiennent le coup durant toute la séance.
— On n'aurait pas à se poser la question si Valerius n'avait fini dans le mur lors des essais, marmonna Saxa.
Antonia laissa échapper un soupir las. On aurait pu croire son agacement dirigé vers Saxa et sa remarque acerbe envers l'aurige de cette écurie. En réalité, tout comme l'ensemble des employés présents dans ce garage, elle partageait les pensées de sa cadette vis-à-vis des performances de Valerius Principus et de la charge de travail que ses expéditions dans les barrières leur apportaient. Saxa avait juste l'audace de le dire tout haut.
Ce fut le moment que choisit Valerius pour faire son apparition, comme si prononcer son nom avait fonctionné comme une invocation. Casque sous le bras, le pilote ne prenait même pas la peine de dissimuler son ennui face à son ingénieure de course venue lui dicter les dernières consignes. Antonia attrapa le col de Saxa pour l'entraîner avec elle alors qu'elle s'écartait pour laisser place à l'aurige.
— C'est bon, Meresankh, cracha-t-il. Je sais ce que je fais.
Ses cheveux bruns plaqués contre son crâne par beaucoup trop de gel disparurent sous son casque avant même que sa locutrice ait pu répondre. Cette dernière étouffa sa frustration dans un grognement. De toutes les personnes forcées de se plier au bon vouloir de Valerius, Meresankh était sûrement la plus à plaindre. En tant qu'ingénieure de course, sa mission consistait d'être en étroite communication avec le pilote. La synergie entre ces deux partis jouait un rôle essentiel dans le bon déroulement d'une course mais Valerius avait bien trop souvent tendance à l'oublier. C'était pourtant l'une des premières choses que Saxa avait apprise.
A la place de Meresankh, Saxa aurait depuis bien longtemps perdu patience. Heureusement, l'ingénieure originaire d'une petite planète nilienne savait garder son sang-froid, la plupart du temps. Peut-être avait-elle fini par se résigner aussi. Malgré le travail colossal qu'elle fournissait, elle ne valait rien face à la somme astronomique que le père de Valerius versait chaque année pour acheter sa place en série gamma. Pour lui faire plaisir, l'équipe entière devait courber l'échine et accepter en silence, au risque d'avoir de gros ennuis avec le patron.
Meresankh méritait mieux que ça. Antonia, Démos et tous les autres méritaient mieux que ça.
Et moi aussi, je vaux tellement plus.
— Essaie au moins de nous ramener le monoplace en un seul morceau, Valerius, indiqua Meresankh.
Le concerné agita une main gantée vers elle et Saxa soupira intérieurement, certaine qu'il ne l'écoutait plus. Meresankh l'avait bien compris puisqu'elle n'ajouta rien. Elle se contenta de lever ses yeux sombres vers le ciel et fit signe aux mécaniciens afin qu'ils s'écartent et laissent partir le vaisseau chargé de son pilote.
Valerius pianota sur son tableau de bord et le son discret du moteur qui chauffait indiqua que tout était prêt. L'appui conféré par le cric pour maintenir le vaisseau au-dessus du sol fut bientôt remplacé par le jeu habile de forces d'attraction et de répulsion produites par les quatre suspenseurs. Après tout ce temps, Saxa devait avouer que cet instant avait toujours quelque chose d'impressionnant. De si petits objets, deux à l'avant et deux à l'arrière, capables de supporter une masse aussi importante... Tout dans ce sport la fascinait, des prouesses techniques aux exploits des pilotes lancés sur la piste. Des exploits qu'elle aurait pu accomplir si les Parques en avaient décidé autrement.
Par Minerve, depuis quand était-elle devenue si pessimiste ?
L'équipe se remit en mouvement sitôt Valerius sorti du garage. Dehors, le public de Sérifos accueillit son « héros » local avec ferveur alors qu'il ouvrait cette première séance de qualifications, dont le résultat déterminerait sa position de départ pour la course du lendemain. Les mécaniciens devaient rester à l'affût et prêts à apporter les réglages nécessaires pour maximiser la performance de leur pilote.
Si ce dernier n'écourtait pas cette manche de la même façon que les essais.
Pendant qu'Antonia récupérait sa tablette personnelle pour consulter les rapports de ce matin en compagnie de Démos, le regard de Saxa se posa sur Meresankh. L'ingénieure avait pris place face au mur d'écrans affichant toutes les données de course ainsi que les prévisions fournies par le département météo de la région. Casque sur les oreilles, son visage au teint d'ocre affichait une expression sévère, son doigt s'enroulait autour d'une mèche de cheveux noirs, un tic nerveux qui revenait chaque fois que son aurige lui causait du souci. C'est-à-dire souvent.
— Fais un premier tour lancé pour voir ce que ça donne, l'entendit Saxa. Il n'y a pas beaucoup de trafic pour le moment, alors profites-en.
La jeune mécanicienne s'était rapprochée de Meresankh qui, après quelques secondes où elle avait probablement attendu la réponse de Valerius, se laissa aller contre le dossier de sa chaise avec un soupir.
— Ce type va me rendre folle, souffla-t-elle.
— S'il t'entendait, Zénon dirait qu'il a juste besoin qu'on lui laisse un peu de temps, répliqua Saxa. Temps qui durera jusqu'à ce que son papounet décide de couper les vivres.
La bouche de Meresankh s'étira d'un sourire moqueur. Ses yeux ne quittaient pas les chiffres éparpillés sur les écrans.
— J'avoue que je vous plains, l'équipe et toi, il vous donne pas mal de boulot avec ses bêtises.
— Bah, ça doit être usant pour toi aussi, Mery. Surtout lorsqu'il n'assume pas ses « bêtises ».
À défaut d'assurer en piste, Valerius se montrait plus que doué lorsqu'il s'agissait de trouver quelqu'un à blâmer pour ses erreurs. La plupart du temps, l'ingénieure de course faisait une coupable parfaite. Beaucoup d'adjectifs peu flatteurs s'imposaient dans l'esprit de Saxa lorsqu'elle pensait à Zénon Karpusi — qui dans sa grande modestie avait utilisé son patronyme comme nom pour l'écurie qu'il possédait. « Idiot » n'en était pas un et heureusement pour Mery, c'était ce qui lui permettait de conserver sa place. La jeune femme travaillait bien et coûtait peu cher, argument loin d'être négligeable lorsqu'on était aussi près de ses sous que le propriétaire.
Un premier temps apparut à côté des initiales de Valérius sur l'écran. Saxa accorda un regard curieux aux nombres clignotants avant de soupirer de concert avec Meresankh. Heureusement que cette dernière lui avait dit de faire un tour « lancé ».
— Tu peux pousser encore un peu, Valérius, ordonna-t-elle avant une longue pause. Oui, je sais ton arrière droit est endommagé, mais il faut garder nos suspenseurs neufs pour demain.
Saxa n'entendait rien aux réponses du pilote mais elle comprit à l'expression de sa collègue qu'il n'appréciait pas cette décision prise par l'équipe technique. Tant pis pour lui s'il manquait de bon sens. Même avant de perfectionner ses compétences en mécanique, faute d'avoir autre chose à vendre, Saxa aurait été capable de comprendre les raisons de ce choix.
L'énergie des suspenseurs s'amenuisait d'autant plus vite que l'aurige poussait, d'où l'intérêt de conserver un jeu neuf pour le départ de la course. Bien que les qualifications fussent importantes et facilitent la victoire au terme d'une manche de la compétition, seul le résultat final rapportait des points. Saxa n'appréciait pas Valerius mais elle pouvait tout de même comprendre qu'il cherchât à se donner à fond pour sa course à domicile, même si cela ne le dispensait pas de faire preuve de bon sens et de respect envers son équipe technique.
Pendant que Meresankh reportait toute son attention sur les performances de son pilote, la jeune mécanicienne posa son regard sur l'écran qui retransmettait en direct la caméra embarquée sur le vaisseau de Valerius. Placé sur l'avant de l'engin, l'objectif capturait les mêmes images que voyait l'aurige, donnant l'impression au spectateur d'être à sa place dans le cockpit, lancé sur la piste de métal sombre. Dans sa tête, Saxa y était.
Elle se sentait transportée quelques années en arrière, avant que tout n'éclate, à une époque où la vitesse faisait partie d'elle, où sa vie était rythmée par le son aérien des moteurs et la sensation des forces qui s'écrasaient contre elle à chaque mouvement de son vaisseau monoplace. Elle se transposait à la place de Valerius, voyait à travers l'œil de sa caméra, l'entrée d'une longue ligne droite. Sa main droite se referma autour de sa commande d'accélération invisible qu'elle poussa fort, le plus qu'elle pouvait pour prendre de l'élan, gagner de précieuses secondes qui seraient déterminantes dans la place qu'elle obtiendrait au terme de ces qualifications.
Saxa sentait le poids des regards que lui accordaient les membres de son équipe qui passaient près d'elle. Leur jugement ne l'atteignait plus depuis longtemps et de toute manière, elle ne se trouvait plus vraiment dans ce garage : son imagination l'entrainait dans l'épingle serrée du virage numéro quatre. Main gauche autour de la manette de frein, elle se laissa emporter vers la droite, longeant la limite intérieure de la piste pour réduire au maximum le temps passé dans la courbe et s'élancer à nouveau, sans perdre un seul instant.
Plus rien n'existait à part la vitesse, la poussée d'accélération brusque qui lui donnait de nouveau l'impression d'être vivante. La sensation était devenue si familière qu'elle parvenait à oublier où elle se trouvait réellement — sa conscience restait juste assez accrochée à l'instant présent pour qu'elle parvînt à rester debout. Elle était comme entrée dans un simulateur personnel, mis en marche par son esprit trop plein de rêves brisés.
Série de virages en zigzag difficile à aborder sans maîtrise parfaite de son allure. La chicane du circuit de Sérifopolis était redoutée par la plupart des pilotes mais rien ne semblait pouvoir arrêter Saxa. Freinage prudent, trajectoire portée vers la gauche. L'essentiel était de ne pas prendre trop de vitesse pour enchaîner vers la droite aussitôt après. Saxa ajusta la direction prise par son vaisseau.
Valerius ne le fit pas.
Il avait commis l'erreur basique de se laisser emporter hors du tracé et la bulle de Saxa éclata au même moment où Mery bondit sur son siège, de concert avec l'impact de la coque de Valerius contre la barrière vitrée.
Un grognement de désespoir commun emplit le garage. Le public communiqua sa déception à travers une exclamation triste et quelques huées. Seule Saxa resta silencieuse alors qu'elle revenait lentement à la réalité, aussi douloureuse qu'elle puisse être. C'était d'autant plus frustrant que l'incident aurait pu être évité si le monoplace avait été piloté par quelqu'un de compétent. Résultat : l'écurie Karpusi ne dépassait pas la première manche de qualifications et les mécaniciens se préparaient mentalement à passer la nuit à réparer les bêtises de leur pilote.
Si ça avait été moi, ça ne se serait pas passé comme ça.
Saxa savait qu'elle devrait rejoindre les autres mécaniciens pour se préparer au retour de Valerius et de ce qu'il restait de son monoplace, mais elle attendit quelques instants derrière Meresankh. Cette dernière retira son casque après s'être assurée de l'état du jeune homme, plus par formalité que par réelle inquiétude le concernant. Elle fit pivoter sa chaise vers Saxa tandis qu'elle se massait la tempe entre deux soupirs.
— Je crois que ce n'est pas cette semaine que nous prendrons des points.
— Tu n'as rien à te reprocher, Mery, assura Saxa. Tu as fait ton travail comme il fallait, contrairement à certains...
— N'en profite pas pour cracher ton venin sur Valerius, ricana l'ingénieure.
— Il faut bien que quelqu'un le fasse au nom de toute l'équipe.
Les deux femmes partagèrent un sourire amusé avant de se quitter, Mery dans son univers de données chiffrées, Saxa vers Antonia. La trentenaire l'attendait bras croisés et bouche tordue dans une grimace de mécontentement. Sa collègue la comprenait très bien. Leur nuit de sommeil risquait d'être courte et tout était parti d'une erreur de débutant.
Valerius n'était pourtant pas un amateur. Enfin, il n'était pas censé l'être. Dans son égocentrisme, il ne remarqua aucun des regards agacés qui se posèrent sur lui lorsqu'il pénétra dans le garage. Il retira son casque avec violence, arracha presque ses écouteurs en même temps que sa cagoule. En si peu de tours en piste, l'effet de son gel coiffant n'avait pas eu le temps de se dissiper.
Saxa ignora ses jurons et autres noms d'oiseaux pour se focaliser sur l'état de son vaisseau qui fit son entrée, poussé par des volontaires immanquables dans leur combinaison fluorescente. La jeune femme se mordit la lèvre en découvrant l'aile droite pliée selon un angle qu'elle ne l'aurait cru capable d'atteindre. Elle les examinerait plus en détail mais les suspenseurs semblaient avoir été plus ou moins épargnés. C'était déjà ça.
— Proteus ! cracha la voix de l'aurige. Mais où est-ce qu'il est celui-ci encore ?
Une tornade rousse sortie de Minerve ne sait où traversa le champ de vision de Saxa qui manqua alors de faire tomber la caisse à outils tendue par Antonia. La mécanicienne serait toujours impressionnée par la capacité de Proteus à apparaître et disparaître comme s'il disposait d'un portail divin qui s'activait dès que Valerius beuglait son nom. Tout juste l'âge légal de travailler, l'assistant du pilote paraissait tout aussi essoufflé que terrifié. Qui ne le serait pas face à un aurige frustré par sa défaite et qui cherchait une victime facile pour décharger sa colère ?
Pauvre Proteus, pensa Saxa alors qu'elle se baissait pour inspecter le fond plat. Derrière elle, Antonia avait dégainé son stylet, prête à noter le rapport des dommages.
— Jamais là quand on a besoin de toi !
Du coin de l'œil, Saxa vit les gants du pilote voler en direction de l'assistant qui les réceptionna tant bien que mal. Valerius empoigna avec rage la gourde qu'il lui tendit. Elle se força à détourner le regard de cette scène trop familière. Les suspenseurs avant n'avaient pas apprécié la secousse mais tenaient le coup. Les arrières ne paraissaient pas plus endommagés qu'avant la course.
— Tu es vraiment un bon à rien, Proteus, râla Valerius en faisant les cent pas autour du monoplace — dieux que c'était agaçant !
— Excuse-moi, Valerius, répondit sa petite voix. J'étais en train de...
— Je m'en moque, ton travail c'est de faire en sorte que j'ai tout ce dont j'ai besoin.
Ce n'était pas vraiment ce qu'il y avait indiqué sur le contrat du jeune garçon mais chez Karpusi, les missions s'adaptaient en fonction de l'humeur du pilote et du patron.
Saxa glissa sa main sous la coque pour tâter la surface à la recherche d'un potentiel autre problème. Démos menait une autre partie de l'équipe qui se concentrait sur l'aile droite.
— Ah, je suis vraiment entouré d'incapables, continua Valerius. Vingt-deuxième position, c'est n'importe quoi !
— Tu as encore une chance de te rattraper demain, dit doucement Proteus, trop bon pour son propre bien comme d'habitude. Sur la piste tout peut arriver.
— Ne fais pas comme si tu en savais quelque chose, idiot. Et je ne supporte pas cette mentalité de perdant.
Désormais passée sous la coque, Saxa commençait à en avoir assez. Proteus ne méritait pas de se faire incendier alors qu'il n'avait rien fait. Et Valerius empêchait l'équipe de travailler correctement à crier ainsi.
C'était comme lorsqu'on pilotait sur la piste. La plupart du temps, il valait mieux aborder l'épreuve avec une stratégie préétablie, mais parfois, l'instinct prenait le dessus, et c'est l'instinct de Saxa qui parla pour elle pendant qu'elle se redressait en position assise.
— Arrête de hurler sur Proteus, Valerius. Ce n'est pas lui qui a foncé dans le mur.
Elle aurait peut-être dû se passer de la seconde partie de sa réplique mais le mal était fait. Un silence gênant s'abattit sur le garage. Prête à assumer ses paroles, Saxa soutint le regard coléreux du pilote qui s'approcha d'elle à pas menaçant, non sans avoir rendu sa gourde à son assistant, avec la même délicatesse dont il faisait preuve au quotidien.
— Je ne t'ai pas demandé ton avis, pesta-t-il en la regardant de haut. Alors, abstiens-toi de le donner.
— Alors calme-toi un peu ou va décharger ta frustration ailleurs. On va devoir bosser toute la nuit pour réparer ton erreur de débutant et on aimerait bien pouvoir travailler en paix.
Personne dans l'équipe ne la soutint mais personne ne la contredit non plus. Elle capta juste un mouvement de tête solidaire d'Antonia et le sourire reconnaissant de Proteus. Valerius n'appréciait clairement pas de se faire chasser ainsi d'un territoire qu'il considérait comme le sien. Tout ce qui se trouvait dans cette pièce, matériel comme personnel, dépendait des versements de son père et par conséquent, il estimait que les employés lui devaient quelque chose. Cela ne lui donnait pas le droit d'agir comme un idiot mais peut-être l'était-il un peu, au fond.
Un idiot qui savait frapper là où cela faisait mal ceci-dit.
Un rictus méprisant se forma sur son visage pendant que Saxa se relevait en se débarrassant de la poussière carbonée qui noircissait ses mains. Déjà passée à autre chose, la jeune femme ne s'était pas préparée à encaisser sa contre-attaque.
— Tu te plais à jouer les donneuses de leçons, mais c'est moi qui pilote. Toi, tu t'occupes de resserrer les écrous et de nettoyer la coque parce que c'est ce dont tu capable.
Par moments, Valerius ressemblait un peu trop à Zénon et cela faisait mal, terriblement mal. Dans ce cas précis, ce n'était pas seulement Saxa qu'il rabaissait, mais l'entièreté de l'équipe qui se donnait corps et âme pour qu'il puisse voler dans les meilleures conditions. Il était facile d'ignorer le propriétaire de l'écurie dont la position trop éloignée de la réalité en course permettait de minimiser la portée de ses mots. Mais Valerius... Il avait tout ce dont Saxa rêvait depuis qu'elle était en âge de marcher. Tout ce que Zénon lui avait promis un jour avant de lui couper les ailes pour continuer à agiter chaque jour juste sous son nez ce qu'elle aurait pu avoir.
Ce qu'elle n'aurait plus jamais. Dans sa course effrénée vers le but qu'elle s'était fixé, elle avait rencontré le mur de la façon la plus violente qu'il soit. Elle avait réussi à rassembler les débris d'elle et à les faire tenir ensemble par la force d'une assurance presque aussi inébranlable que celle des grands champions. Mais il suffisait de frapper au bon endroit pour que tout se brise. Valerius et Zénon connaissaient trop bien cette faille. Elle les détestait pour ça. Plus encore, elle détestait la personne qui avait provoqué le premier éclat il y a cinq ans.
Tout est de ta faute, Gaius.
Meresankh décida enfin de s'interposer entre l'aurige et la mécanicienne, prétendant vouloir faire un rapport sur la performance de Valerius et réfléchir avec lui sur de potentiels points d'amélioration. Satisfait d'avoir le dernier mot, il se contenta de tourner le dos à Saxa sans en rajouter. Proteus partit à la suite du pilote et de l'ingénieure, et Saxa entendit à peine son petit « merci » chuchoté. Le garage reprit ainsi vie, trop de temps perdu dans cette altercation puérile. Une tape amicale dans le dos de Saxa par Antonia l'invita à se remettre au travail, ce qu'elle fit sans rechigner.
Pendant qu'elle détachait les suspenseurs, la mélodie métallique des travailleurs en action se répandit autour d'elle et cette cacophonie familière lui ferait presque oublier les mots durs. Elle prit quelques secondes pour s'arrêter sur le visage de chacun de ses compagnons. Les mécaniciens étaient un rouage important dans cette immense machinerie qu'était une équipe de course. Ils étaient essentiels, irremplaçables mais Saxa aspirait à plus. Était-ce vraiment mal ?
Saxa refusait d'accepter une telle défaite. Elle voulait croire qu'un jour la balle changerait de camp. Plus dure était l'épreuve, plus satisfaisante serait la victoire. Alors, elle rassembla les quelques morceaux d'âme qui s'étaient dessoudés et elle laissa sa rage de vaincre se répandre entre les fissures.
Un jour, elle le ferait. Elle piloterait jusqu'à la ligne d'arrivée. Elle monterait sur le podium.
Et enfin, elle atteindrait les étoiles.
Et voici le chapitre 2 qui introduit notre héroïne ! Je l'aime un peu moins que le premier mais y a eu tellement d'idées abandonnées et de versions remaniées que finalement, c'est pas trop mal x)
Rejoignez la team des haters de Valerius :D
Et des lovers de Mery <3
J'espère que ce chapitre vous a plu !
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