Où un date peut amener à une rencontre...
Le tunnel était sombre et puait le moisi. Étrangement, j'avançais dans cet étrange endroit sans sourciller. Il faut dire que mes compétences de Shadow-Warrior me permettait d'avancer dans l'ombre sans que rien ne m'indispose. J'étais l'ombre, j'étais l'obscurité. La nuit n'avait aucun secret pour moi. Mes bottes en cuir lassées jusqu'au dernier œillet me tenaient le pied et me permettaient d'avancer dans la bouillasse les pieds au sec. J'étais entièrement vêtu de noir, pour mieux me fondre dans la noirceur. Mon pantalon à sangles me permettait d'accrocher mes dagues, mes armes de prédilection. Elles ne me quittaient jamais, sauf pour tuer leur cible. Je ne sortais pas sans elles. Elles étaient au nombre de six et m'accompagnaient dans toutes mes aventures sur THE MAZE.
Il est vrai que j'avais pris un risque de choisir d'incarner un Shadow-Warrior dans un jeu aussi difficile. Les Shadow-Warriors (ou SW) sont des guerriers elfiques de l'ombre. Une part de leurs caractéristiques est due aux ténèbres. En gros, ils font partis de la team des méchants, comme les démons, les sorcières et les métamorphes. The Maze est classé comme cela, dès la première connexion, on choisit de quel côté on veut évoluer : Ombre ou Lumière (une allégorie du bien et du mal). La plupart des gamins qui jouent choisissent la Lumière. Les avatars sont plus faciles à incarner et le but de la Lumière est de chasser les Ténèbres de la surface. Cela semble une noble quête. L'Ombre est pourtant essentielle. Sans ténèbres, la lumière n'a plus autant de valeur. Tout est une question d'équilibre.
Les shadow-warriors sont des avatars difficiles à incarner. Ils ont tendance à être soumis à des tristes sorts, comme entendre des voix, être sujet à la magie noire des sorcières. Ils sont peu puissants dans les trente premiers niveaux du jeu et sont peu résistants au poison des griffeurs pendant les premiers temps du jeu. Ils évoluent lentement et difficilement car leurs aptitudes sont presque impossibles à développer sur les premiers niveaux du jeu. Cependant, un Shadow-Warrior de haut niveau est redoutable. On ne remarque pas sa présence, il peut utiliser de la magie noire puissante et terrasser ses ennemis en un sort. Il peut se fondre dans l'obscurité et invoquer des démons. Il est plus utile d'avoir un shadow-warrior dans une guilde ou un groupe. Il est difficile de survivre seul en temps qu'elfe de l'ombre.
Seul moi. Yzak-17, niveau 42, shadow-elfe, spécialiste des dagues et du sort de mort instantanée. Je suis un joueur solo, sans guilde, ni équipe et je viens tout juste de pénétrer pour la première fois dans le secteur 6. Je sais, je me la pète un peu ! Mais je suis le seul Shadow-Warrior à avoir un si bon niveau et être aussi avancé dans le jeu. Il y en a un autre qui est puissant, mais un peu moins que moi (à deux, trois niveaux près). Il fait partie d'une guilde de mercenaires. Moi non, j'avance tout seul depuis le début du jeu. Il faut dire que j'ai quelques heures de connexion au compteur.
Et là, je reviens d'une mission spéciale, l'épée démoniaque d'Alura coincée sur mon dos. J'ai relevé ma capuche sur mes cheveux blonds et je suis grimpé sur les tuyaux d'évacuation d'eau d'un bond agile et maitrisé. Rien ne pouvait m'arrêter. Plus maintenant, plus à ce niveau-là.
Et voir les yeux exorbités de Reda-B35, s'étouffant dans son sang , alors que je venais de lui piquer son arme tant recherchée me fit ricaner. Quelle belle image ! Cette petite peste rêvait de me faire mordre la poussière. Peine perdue ! J'avais pris l'arme qui pouvait lui faire gagner un mirco-avantage sur moi. J'avais assassiné sa guilde, ses petits compagnons sans qu'elle ne sourcille et cet instant, la terreur et la haine dans ses yeux, m'avaient donné des frissons. Merde, j'adorais ça. J'adorais la torturer, la vaincre, la tuer, la réduire en poussière. Je savais qu'elle allait désormais me déclarer la guerre et je jubilais à l'idée de lui arracher la gorge une fois de plus.
Yzak-17
🗡️ 🌑Shadow-Warrior
🌡️ Niv. 42
🧝🏽 Elfe (Ténèbres) - masculin
❤️Vie : 97%
🔮Magie : 85%
Je m'arrêtais un instant, contemplant mon reflet dans l'acier du tuyau. Ma peau était grise, mes cheveux étaient encore blonds mais chaque usage de la magie noire les rendaient plus ternes et blancs encore. Mes yeux noirs brillaient dans l'obscurité comme les pupilles d'un chat. Mon maquillage noir et blanc sur toute la partie inférieure de mon visage dessinait la mâchoire et les os d'un crâne, oubliant qu'à un moment de la peau et des muscles l'avaient recouvert. C'était pour parfaire ma réputation de Semeur de Mort, comme on m'appelait. Oui, j'étais assez célèbre dans le milieu, personne ne résistait à mes lames. Mes dagues étaient aussi meurtrières qu'une arme. Je ne tuais pas seulement les griffeurs et autres monstres, je butais aussi les joueurs qui se trouvaient sur mon chemin. Je léchais mon pouce et tentais d'effacer les gouttes de sang qui avaient giclé sur mon visage. Le sang de cet elfe, le compagnon de Reda-B35. Il agonisait, piqué par un griffeur, il allait y passer. C'était presque un acte de bonté que d'abréger ses souffrances. Surtout que je venais de tuer ses deux derniers amis en vie. Le pauvre. J'avais lu dans son regard de l'effroi et une sorte de stupéfaction. Ses pupilles surprises m'avaient marqué. Pour leur beauté, cette couleur si particulière, quelque chose entre l'ambre et le whisky, je dirais. Un marron doré, envoûtant. Il me rappelait quelqu'un mais impossible de mettre le nom dessus. Mais bon, il allait mourir de toute façon, alors autant faire de lui le messager de mes salutations pour sa copine, Reda-B35. Je remontais ma capuche sur mes cheveux et repris ma route aux travers de ces tunnels poisseux et dégoûtants.
Le tunnel s'ouvrit sur une grande porte circulaire, dans laquelle tournait sans discontinuer une hélice. Il fallait que je passe à travers pour rencontrer l'une des joueuses les plus prodigieuses de ce jeu. Une personne qui suscitait mon admiration. Je risquais de me faire découper en morceaux par l'hélice. Et si je n'étais pas prudent, chose qui m'arrivait rarement, je risquais aussi de me faire découper par ses sous-fifres.
Celle que j'allais rencontrer était celle qu'on appelait la Reine. Une des meilleures joueuses depuis le début du jeu. Une humaine qui se battait avec deux machettes. Elle s'appelait Rackhel le Rouge, un petit clin d'œil au pirate Rackham Le Rouge, Calico Jack, le pirate sanguinaire du 17ème siècle dont les vêtements étaient rouges. Rackel, elle, portait un chapeau de pirate rouge, coiffant sa longue chevelure rousse. Elle abordait le style d'une pirate sanguinaire, elle aussi. Mais aucun secteur de The Maze ne lui avait laissé la liberté de voguer sur les mers. Elle était niveau 54, une des figures les plus avancées du jeu. Et elle m'avait chargé d'une mission très spéciale : dérober l'épée démoniaque.
Etant un rebelle et ne me soumettant à aucune autorité, c'est sans doute mon côté anarchiste qui ressort, ni dieu, ni maître, je ne reconnais pas l'autorité de la Reine Rackhel sur moi. Mais un soir, alors que je me restaurais dans une auberge d'une ville neutre du secteur 5 (lieu où les joueurs peuvent se reposer et faire le plein de provisions), elle est venue s'asseoir à ma table, suivie de près par ses deux lieutenants, Alb-y-69, un grand mec métamorphe, armé d'une massue et Z-Artistic, un mec tout fin, mais réputé pour être un sorcier puissant et farouche.
- J'ai entendu dire, elle m'a dit de sa voix douce, que tu étais un as dans l'art des cambriolages et des assassinats. J'ai aussi su grâce à mes petites voix, que tu avais une vieille querelle avec Reda-B35... Une vieille amie... Commenta-t-elle, avec une pointe d'ironie. Elle est partie chercher l'épée démoniaque d'Alura avec son équipe minable et je voudrais que tu me la rapportes.
- Qui t'a dit ça ? J'ai demandé avant de boire ma pinte de Cervoise.
Le fait que Reda-B35 s'intéresse à l'épée démoniaque voulait dire qu'elle allait bientôt me courir après.
- Gal, mon petit frère, qui a eu quelques ennuis avec eux au Donjon d'Alura, et vu qu'il est fidèle à sa Reine, il m'informe.
- Pourquoi tu veux l'épée démoniaque ? Tu n'es même pas épéiste... Je lui ai répondu. J'ignorais qui était Gal, sans doute un joueur de niveau inférieur, et à ce moment-là, j'en avais pas grand chose à faire de ses conflits avec la bande de Reda-B35. Je m'en foutais pas mal, à vrai dire de qui était Gal...
- Dans le secteur 6, je veux faire une quête spéciale et il me faut cette épée pour la débloquer. N'étant pas épéiste, je n'ai pas pu l'avoir comme récompense de ma victoire sur le boss du Donjon d'Alura. Et aucun des membres de ma guilde n'est épéiste... Reda a le niveau suffisant pour la débloquer et je sais qu'elle la veut à tout prix pour te vaincre. M'expliqua Rackhel.
- Bien, j'irais lui piquer. J'ai dit dans un hochement de tête.
- Qu'est-ce que tu veux en échange, Shadow Warrior... ?Je sais que tu ne fais rien gratuitement. Répondit-elle avec un sourire amusé.
- Un date. Un date avec toi, dans la vraie vie.
- Hum... Marché conclu... Lâcha-t-elle après un silence ponctué par les ricanements de ses lieutenants.
Je n'étais pas si dur en affaires et supprimer des mains le précieux joujou de Reda-B35 me mettait en joie. La Reine serait contente... J'allais lui offrir son épée sur un plateau d'argent.
S A U V E G A R D E EN C O U R S . . .
D E C O N N E X I O N
A B I E N T O T N E W T .
J'ai éteint ma console et je l'ai enlevé de ma tête, la posant délicatement sur ma table de nuit. Les sons de la maison me revenaient peu à peu. Les voix de mon père et de ma soeur Sonya qui semblaient être dans un conflit. Je me redressais doucement, enfilais des chaussettes et un pull. Je sortais de ma chambre, satisfait d'avoir mener à bien ma mission. Le sourire de Rackhel était dévastateur. J'avais hâte de la voir, de la rencontrer enfin, de mettre un vrai visage sur son avatar déjà très mignon. Elle avait un charme fou dans le jeu. Des longs cheveux roux qui tombaient en cascade, des yeux bleus et un charme certain. Poisson Soluble propose des avatars avec des caractéristiques physiques semblables à la réalité mais on peut aussi construire de toutes pièces son avatar. Rackhel Le Rouge était youtubeuse aussi. Elle apparaissait souvent à l'écran maquillée étrangement, ou avec un masque, ou déguisée en cosplay. Si bien qu'on ne savait pas exactement à quoi elle ressemblait. Sa chaîne youtube parlait essentiellement de jeux vidéos, elle était très connue et très suivie, étant une gameuse de haut-niveau. Mais Rackhel Le Rouge était surtout la fille d'un des développeurs de Poisson Soluble. Et ça, c'était la véritable raison pour laquelle je voulais la rencontrer. La fille d'un des créateurs. Une chance inouïe. Rachel, de son vrai prénom, était une béta-joueuse. Elle jouait depuis la version d'essai, elle avait aidé aux améliorations des jeux et était à l'origine de certaines évolutions. Il y avait une vingtaine de béta-joueurs. Et mon rêve était d'en faire partie. Peut-être que Rachel m'ouvrirait des portes, pour rencontrer son père, parler de la merveille qu'est Poisson Soluble et qu'il me prendrait comme stagiaire pour travailler sur les nouveaux jeux de PS, les extensions ou tester les prototypes. J'en rêvais...
Je n'étais pas l'un des meilleurs joueurs sur The Maze, sur Gun Powder, sur Cosmic Gaze et un joueur récurrent du mode "Rêve" pour rien. Rachel pouvait m'aider, parler de moi à son père, me faire entrer dans le labo de création.
Je récupérais mon téléphone portable dans le hall de la maison, posé sur la commode, comme à son habitude et lu les quelques textos que j'avais reçu. Aris, mon meilleur ami, m'écrivait qu'il avait composé une nouvelle chanson et qu'il avait hâte de me la montrer. Teresa, ma soeur, qui me demandait si elle pouvait m'emprunter un chargeur pour demain, elle avait oublié le sien chez une de ses amies. Et Rachel qui m'informait que samedi, on irait dans un bar où ses amis seraient aussi, au cas où j'étais un "vieux pervers libidineux et pédophile qui se fait passer pour un gamin". Je lui ai répondu directement pour l'informer que je comprenais ses craintes et que je serais surpris que ça ne soit pas le contraire. Elle a répondu rapidement qu'elle avait une chaîne youtube ou on distinguait son age et qu'elle n'avait pas de "ventre à bière pour cacher sa petite bite poilue et dégoûtante". J'ai rigolé à son message et j'ai reposé mon téléphone sur la commode pour aller chercher le chargeur pour Teresa.
Ma sœur travaillait sur la table de la cuisine, elle bossait ses mathématiques, un casque de musique sur les oreilles. J'ai déposé le chargeur devant elle, à côté de sa trousse et elle a relevé la tête vers moi, enlevant son casque. Elle m'a offert un sourire et m'a remercié. Je lui ai demandé pour quelle raison papa et Sonya se gueulaient dessus depuis trente minutes et elle m'a expliqué que ma sœur aînée avait perdu son téléphone portable. Cadeau d'anniversaire qu'elle avait depuis deux mois et qui avait coûté un bras à mes parents.
- Papa a reçu un SMS de la part d'un mec, un certain Fry, qui dit qu'il a trouvé le portable de Sonya et qui voudrait venir ici lui rendre. Papa s'est étonné de l'honnêteté du mec, mais tu sais comment il est parano, il dit que c'est impossible de trouver le code de Sonya, etc et que le mec veut sans doute venir pour regarder la maison et après suivre Sonya, la harceler et sans doute nous cambrioler, nous violer dans notre sommeil, enfin, tu sais bien, tout le drama que papa peut inventer en une fraction de seconde ! M'a expliqué Teresa en rassemblant ses affaires.
Elle n'avait pas tort, notre père avait tendance à voir le mal partout, à anticiper le pire et à toujours tout peindre en noir. Il ne croyait pas en la bonne foi des gens, il ne croyait pas aux gentils sans qu'ils attendent quelque chose en retour. Il voyait le mal partout, quoi ! Même l'Abbé Pierre était un homme vil et hypocrite, même la plus innocente des personnes était coupable.
- Mais le code de Sonya c'est 1-2-3-4 ! Comme 50% de la population, parce qu'elle a pas assez de mémoire pour se rappeler de sa date de naissance et l'utiliser comme code. J'ai dit en sortant quelques aliments du frigo et commençant à cuisiner. Teresa a rigolé et a commencé à mettre la table. On a décidé d'envoyer un message au mec pour le retrouver à 21h à la station service au coin de notre quartier pour récupérer le téléphone de Sonya. Il nous a dit qu'il était ok, qu'il n'y avait de pas de soucis et qu'il y serait.
On entendait encore Papa et Sonya crier à tue-tête des inepties dans le salon. On a décidé de les ignorer avec Teresa et de préparer le repas. Maman n'allait pas tarder, elle risquait d'être fatiguée et voudrait sans doute mettre les pieds sous la table...
Love, Ali.
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