J'avais prévenu Teresa que je partais en date avec Rachel, la gameuse-youtubeuse-béta Joueuse. La grande Rachel, la Reine Rouge. Je voulais que ma sœur soit au courant, au cas où il m'arriverait quelque chose. Après tout, je n'avais pas forcément 100% confiance. J'étais encore un gamin, maigrichon, incapable de coller une droite à quelqu'un si on s'en prenait à moi. J'allais avoir 18 ans d'ici quelques mois, mais ça ne voulait pas dire que j'avais une masse musculaire assez signifiante pour réussir à sortir indemne d'une baston. J'étais assez grand certes, mais mon père avait tendance à dire de moi que j'étais une brindille. Avec deux ans alité, dans une chambre d'hôpital, juste au moment où votre croissance doit être exponentielle, je peux vous dire que ça défie la norme. Alors c'est vrai, face à mes copains du lycée, même s'ils sont dans l'ensemble plus jeunes que moi, je suis le maigrelet de la bande. J'ai dû redoubler une année, si bien que je suis en première au lieu d'être en terminale. C'est un fait qui arrange bien ma sœur Teresa, elle n'avait pas vraiment envie qu'on se retrouve dans la même classe. J'ai passé ma seconde grâce à des cours par correspondance, sur deux ans, donc, pendant que j'étais à l'hôpital. Je suivais des cours de soutien, grâce à des professeurs et enseignants qui viennent faire des cours aux enfants malades. Mais étant souvent à bout de force, j'ai eu du mal à apprendre aussi vite qu'un élève de mon âge, assis à sa place au lycée. 

Le fait d'être redoublant ne m'avait jamais dérangé. J'avançais à mon rythme, c'était l'essentiel. Et le système éducatif actuel n'était pas forcément un des meilleurs moyens d'exploiter le potentiel de ses élèves et enfants. Je n'étais pas surdoué, je n'étais pas un des meilleurs élèves de ma classe ou de ma promotion, je n'étais pas un cancre, ni un élève en difficultés. J'étais banal, dans la moyenne, j'étais un élève moyen. Je travaillais mes cours, souvent plus que les autres élèves moyens, parce que ma capacité de mémorisation suite à mon traitement était encore lente et que l'apprentissage de nouvelles notions me prenait plus de temps qu'un élève lambda. J'étais cependant fondu dans la masse, avec des notes ni bonnes ni mauvaises, rien de prometteur en soi, pas de quoi faire la fierté de mes parents. 

Alors oui, face à une fille brillante comme Rachel, j'allais sans doute faire tache. Certes, j'étais un bon joueur, j'avais un bon niveau mais je n'étais pas le petit génie de ma famille, comme elle, où la fierté de mes parents comme mes sœurs. Je n'avais pas plus d'ambition qu'un autre, pas plus de grands projets pour mon avenir et je ne me lançais pas des défis intellectuels pour booster mon QI. Rachel, quant à elle, était brillante, intelligente et fortement audacieuse. Ses parents pouvaient être fiers d'elle, de ses ambitions, des superbes projets qu'elle montait, de sa réussite sur Youtube, sa célébrité sur les réseaux et dans les différents jeux auxquels elle jouait. Elle était douée dans tout ce qu'elle faisait. Elle vendait déjà les tableaux qu'elle peignait sur Internet. Elle avait une grande renommée. Moi, j'étais juste un "nobody", comme on dit. Un mec qui se fondait dans la masse. Manque de pot, j'étais aussi un fieffé stratège. Approcher Rachel n'était pas chose aisée. Il avait fallu lui prouver de quoi j'étais capable, mais le Yzak que j'étais dans The Maze était différent du Newt de la réalité. Il avait plus de couilles, surtout ! Le Newt de la réalité n'était qu'un pleutre, une couille molle, un nul. 

 J'ai été m'asseoir à une tablette, dans un coin du bar où Rachel m'avait donné rendez-vous. Elle était déjà arrivée, je venais de la croiser, elle m'avait dit d'aller m'asseoir après m'avoir fait une bise énergique sur la joue, me mettant à l'aise, comme si on se connaissait depuis longtemps. Elle était très belle, sous la lumière tamisée du bar, elle m'était apparue comme une fille trop belle pour moi. Enfin, dans tous les cas, je n'étais pas là pour la draguer. J'étais là pour en apprendre plus sur le jeu, savoir si je pouvais rencontrer son père et peut-être, pourquoi pas, être pris comme stagiaire au centre de développement virtuel.

Mais après tout, peut-être que la draguer était un moyen facile de rencontrer son père, si elle mordait à l'hameçon, les portes de Poisson Soluble s'ouvriraient devant moi. Peut-être mon charme de blond gringalet au regard profond allait lui plaire. On ne sait jamais. Ma colocataire de chambre à l'hôpital était bien tombée amoureuse de moi, même avec une canule sous le nez, un teint de macchabée, alors qui sait ! (il faudrait être aveugle). Rachel a déposé une pinte de bière devant moi, une blanche, à en deviner la couleur. Sa bière était rose, elle devait être aromatisée aux fruits rouges ou quelque chose comme ça. Elle m'a sourit et a remis une mèche de ses cheveux roux derrière son oreille. Elle a commencé à parler, rapidement, facilement, comme si on se connaissait bien, qu'on était bons amis. Elle avait une facilité à parler, à raconter sa vie, comme une épopée magnifique à l'époque moderne. J'ai décroché que des "oui", "Ah ouais ?", "naaan ? Dingue !" et des hochements de tête. Je me suis jamais senti aussi invisible. J'étais là, mais ma personne n'avait aucune consistance. J'aurais pu être sa copine, son frère ou même la grand-mère de son camarade de classe de petite section, elle ne me calculait pas. 

Elle n'a pas parlé de Poisson Soluble, n'a jamais mentionné son père ou le travail de son père. Elle est restée focus sur elle, sur son art, sur son compte Instagram, sur sa chaîne Youtube qui l'aide à garder la tête hors de l'eau, soi disant. Elle a parlé d'elle. J'étais un peu déçu, je dois dire. Parce qu'un date avec une fille comme elle pouvait être valorisant pour ma vie amoureuse. Mais non, j'étais toujours le bon vieux nobody que je suis depuis des années. J'ai sifflé ma bière bien rapidement, fallait bien que ma salive rencontre la douceur et les arômes d'agrumes de cette bière blanche. Quand j'ai posé ma pinte vide, Rachel la suivit du regard, m'a sourit et a claqué des doigts en regardant à sa droite. J'ai vu deux mecs. Un d'eux s'est levé, il s'est avancé vers nous. Elle lui a demandé d'aller chercher d'autres bières. Quatre au total. Elle m'a ensuite demandé si ça me dérangeait que ses amis, Alby (le grand qui s'était levé pour aller chercher à boire) et Zart viennent s'asseoir avec nous, vu que j'étais sympa et que visiblement, je n'étais pas trop débile. Je lui ai répondu que ça m'était égal, que j'avais prétexté un date pour être sûr qu'elle viendra et que ses amis étaient les bienvenus à ma table. Elle s'est décalée à côté de moi sur la banquette en sky rouge. Zart s'est assis en face, un sourire de travers sur la face. J'en ai déduis que c'était Zar-tistic son acolyte dans The Maze. Et Alby devait être son deuxième lieutenant. Alby est revenu avec quatre pintes de bière et les a distribué. On a tous trinqué ensemble. 

La discussion a changé. Rachel ne parlait pas que d'elle. Elle s'était ouvert à d'autres débats, d'autres histoires, elle écoutait attentivement ce que disaient ses amis. Elle avait l'air moins abjecte qu'avec moi. Je participais aux conversations, je n'étais plus la plante verte et ça m'a fait plaisir. Alby et Zart étaient des mecs très sympas. On a rigolé sur différents sujets. A un moment, ils sont allés chercher à nouveau à boire et j'ai senti la main de Rachel glisser le long de ma cuisse, caressant doucement ma jambe. Elle s'est penchée à mon oreille et m'a chuchoté.
- Désolée, quand les gens m'intimident, je parle beaucoup... Ses lèvres frôlaient presque mon oreille. Tu as fait ton petit effet sur ma personne, Yzak-17 ! 
J'ai émis un petit son interloqué et j'ai plongé mon regard dans le sien. J'avais peut-être gagné quelques points, déjà et Rachel était une très belle fille, très attirante. Enfin, moi elle m'attirait... 
- Il ne faut pas douter de ton charme, chère Rachel, car il fait aussi son petit effet ! 
Je l'ai vue rougir d'un coup, elle a détourné ses yeux et a ricané bêtement. La main sur ma cuisse, quant à elle, s'est raffermie et est allée se balader un peu plus haut, près des zones sensibles. 
- Puis les garçons qui m'écoutent vraiment quand je parle, ça m'excite ! Elle m'a lâché avant de se décaler, souriante comme une innocente. J'ai fermé les yeux un petit instant pour dissiper la brume que le litre de bière que j'avais avalé avait créé sur mon corps. 

Je les ai rouvert et j'ai vu un mec glisser sur la banquette en face de moi, son sourire illuminait son visage. La moitié de celui-ci était mangé par un bonnet, dont les bords étaient repliés pour laisser apparaître ses cheveux et ses oreilles. Il était vêtu d'un énorme manteau en fausse fourrure vert sapin et j'ai eu envie de lui piquer parce qu'il avait l'air si doux et si confortable. Rachel a retiré sa main de ma cuisse subitement, comme si elle s'était brûlée. 
- Coucou Rachel ! A dit le mec.
Et sa voix rauque m'a fait un petit effet, je l'avoue. J'étais un peu sur les bords, ma libido s'était réveillée depuis que Rachel avait collé ses lèvres près de mes oreilles. Et c'est aussi un endroit sensible chez moi... Sa peau était pâle mais j'étais sûre qu'il bronzait bien en été. J'ai passé un moment à suivre la courbe de son nez. Le brun de ses yeux pétillait d'or. Sa peau était tachetée de grains de beauté et j'ai eu envie de les toucher, un à un. 
- Thomas, casse-toi ! Lui a rétorqué Rachel. Enfin, ils se sont peut-être dit d'autres choses mais j'étais trop accaparé par la beauté de son visage, à ce mec, ce Thomas, que j'avais rien écouté. 
- Tu sais, il m'a dit en se tournant vers moi, appuyé sur ses coudes, Rachel, c'est une fille cool au pieu, dans la vie aussi d'ailleurs, mais elle s'aime plus que n'importe qui... Il m'a raconté avec un beau sourire. Mais si jamais t'as besoin de tuyaux pour la draguer, appelles-moi, je te filerais un coup de main, BG ! Il m'a fait un clin d'œil et il s'est tiré en ricanant. 
Alby qui venait de revenir lui souffla un "Ouais, c'est ça, tire-toi !" d'un air mauvais. 

J'ai bu un peu de la troisième bière qu'on venait de m'apporter et j'ai cherché du regard le mec au manteau de fourrure. J'aurais bien aimé qu'il me laisse son numéro en réalité, ce Thomas. Il me plaisait pour sa désinvolture. Il était beau aussi. Vraiment beau. Et j'avais comme un air de déjà-vu, j'avais l'impression de le connaitre, de l'avoir déjà croisé, déjà rencontré. 

Zart m'expliqua que Rachel et Thomas étaient sortis ensemble au lycée, pendant les trois années de lycée et que Thomas avait plaqué Rachel depuis l'été dernier parce qu'il aimait une autre fille, que Rachel était un peu trop narcissique et que leur histoire battait de l'aile. Rachel a très mal vécu l'abandon, elle s'est surtout rendu compte à ce moment-là qu'elle était véritablement amoureuse de Thomas et que lui, ce n'était plus le cas. Elle avait essayé de lui faire regretter son départ en devenant célèbre et encore plus talentueuse qu'avant mais Thomas ne s'intéressait pas à ça. Zart m'expliqua qu'il était toujours en bons termes avec Thomas même s'ils n'avaient plus d'amis communs, et qu'ils ne se fréquentaient plus. Alby, par contre, ne pouvait pas encadrer ce Thomas. 

On a continué de discuter et de rigoler une bonne partie de la nuit, on parlait d'un peu de tout, de nos passions, nos études et nos envies. Rachel était intéressante et elle était capable d'écouter les autres aussi. Sa main avait réintégrer ma cuisse. On décidait de quitter le bar vers une heure du matin. C'est Rachel qui réglait la note. "Toujours !" Me dit Alby. C'était avec l'argent qu'elle gagnait sur Youtube. Elle le dépensait avec ses amis, pour s'amuser. Je trouvais ça beau, de faire la fête. 

Je l'ai attrapé par la main, laissant Alby et Zart partirent devant et je l'ai remercié de m'inviter. Elle m'a répondu que c'était normal. J'ai eu envie de l'embrasser. Ses doigts se sont liés plus étroitement aux miens. Je lui ai demandé si je pouvais l'embrasser. Elle a souri et m'a embrassée, glissant délicatement sa main dans ma nuque. Le serveur du bar nous a dit de dégager du passage et on s'est décalé pour le laisser passer en rigolant. 

- Tu viens chez moi, ce soir ? Elle m'a demandé dans un sourire alors qu'on rejoignait ses amis. 
Je lui ai répondu oui, parce que j'en avais envie. Je me suis écarté après, du petit groupe où Alby se grillait une cigarette et j'ai prévenu ma sœur que je ne rentrais pas, que j'allais chez Rachel. 

Puis je l'ai vu. Là, une main appuyée contre le mur de l'immeuble à côté du bar, l'autre retenant les pans de son grand manteau, la tête baissée, le corps tremblant. On entendait qu'il vomissait. Il m'a fait de la peine. Il vidait littéralement tout ce qu'il avait dans le ventre. Je suis rentré dans le bar à nouveau, après avoir dit à Rachel que je revenais dans une minute. J'ai été dérangé le barman en lui demandant une bouteille d'eau. Le mec m'a tendu une petite bouteille et je l'ai remercié avant de ressortir rapidement. Je me suis mis à côté du mec au manteau de fourrure, ma main s'est posée sur son dos et a commencé à tracer des ronds réconfortants. Je lui ai tenu la bouteille. 

Il l'a attrapé après un énième vomissement et s'est redressé. Il s'est décalé et s'est avachi un peu plus loin sur le bord du trottoir pour boire d'une traite l'eau que je lui avais filé. Il m'a regardé avec un sourire. Un de ses beaux sourires. 

- Mec, je ne sais pas d'où tu sors mais t'es mon ange-gardien ! Il m'a lâché de sa voix rauque. 
J'ai rigolé et je lui ai dit de pas s'en faire, ce n'était que de l'eau. 
- Mec, t'es adorable ! Il m'a dit alors que je reculais lentement pour rejoindre Rachel et ses amis. Prends soin de toi !
Je lui ai souris et lui ai souhaité la même chose. 
- A bientôt, j'espère  ! Il m'a dit. 
- A bientôt Thomas !! J'ai répondu avec un signe de la main. 

Et je l'ai laissé là assis sur son trottoir, dans son manteau vert sapin, une bouteille d'eau à la main et les baskets pleines de vomi. 

Love, Ali.