Chapitre 3
Me mettre à l'internat était la pire idée qu'il soit. Bien évidemment, je suis habituée à vivre en groupe avec la colonie et puis je n'ai pas trop le choix, je n'ai nulle part où aller d'autre. Avant, j'allais dans des écoles à proximité de Montauk et je rentrais tous les soirs au camp. C'était étrange de dormir dans le bungalow vide. Nous n'étions qu'une poignée à y vivre comme ça en permanence. Cette année, comme j'ai insisté pour intégrer la même école que Quentin, Chiron m'a placée à l'internat. C'est la première année que Quentin y est.
Alors que les surveillants font lentement l'appel, je scrute les autres élèves : Jack, Tim et Bilal sont en pleine discussion avec Hector. Je comprends mieux alors d'où il les connaît. Près d'eux se tiennent Fred, Julia et quelques personnes que je ne connais pas. Je jette un regard à Quentin :
"Pourquoi tu ne m'as pas dit qu'ils étaient dans ton école ?
- Je me suis dit que tu ne voudrais pas venir, répond mon ami d'une toute petite voix, et puis l'high school est grande... Je ne savais pas qu'ils étaient à l'internat et je me suis dit qu'on ne les croiserait pas..."
Je soupire et tente de repérer les gens autour de moi. Clara et une de ses amies, Halley, si ma mémoire est bonne, s'approchent de moi. Je lance une œillade paniquée à Quentin qui décide d'aller voir Hector et ses amis.
"Salut, me lance Clara, mal à l'aise, on s'est dit que vu qu'on est dans la même classe... tu voudrais peut-être intégrer notre chambre ? On peut être jusqu'à six et on est plus que quatre de l'année dernière... les deux autres sont des potes un peu plus jeunes."
Je le voir venir en pleine figure. Le karma. Oui, évidemment. Julia et son amie s'approchent de nous. Car ça ne pouvait être qu'elle. Elle va vraiment me pourrir mon année... Je hoche la tête avec un sourire forcé et l'amie de Julia, dont le nom est Lili, je l'apprendrais plus tard, me regarde avec curiosité et se penche vers moi :
"C'est elle alors l'ex de colo de ton frère ?
- Oui, marmonne Julia, tu vas voir elle est très agréable à vivre..."
L'ironie ne m'échappe pas et des larmes montent à mes yeux. Halley s'est tournée vers une fille qui fait théâtre avec nous, Jess. Elle est nouvelle à l'internat et, finalement, au bout de quelques minutes, notre chambrée est fixée. Je salue vite fait Quentin et suis mes camarades dans les escaliers, ma valise à la main, montant tant bien que mal. Julia s'agace de ma lenteur et redescend m'aider. Je me sens un peu honteuse mais, heureusement, je suis loin d'être la seule à peiner...
"Merci, je souffle, arrivée en haut, je sais qu'on est pas parties sur de bonnes bases mais...
- Sara. On était pas si proches que ça avant mais on s'est jamais détestées. Pourquoi tu t'es mise d'un coup à me haïr ? C'est à cause de Fred ?
- Peut-être. Je sais pas. J'allais mal, j'avais perdu ma sœur et je t'en voulais de défendre ton frère parce que ça me rappelait ce que j'avais perdu. Fred et moi on arrêtait pas de se disputer et tu le surprotégeais toujours alors que moi je n'avais plus Kiara. Je crois que j'étais surtout jalouse."
Elle hoche la tête et me tapote l'épaule. Ni l'une ni l'autre ne dit quoi que ce soit jusqu'à la porte de la chambre. Halley, Lili et Jess ont déjà choisi leurs lits : elles sont toutes les trois en haut des lits superposés. Clara, Julia et moi prenons respectivement les lits du bas. Nous nous installons tranquillement mais dans un silence un peu gênant. Et puis, nous descendons.
Je rejoins Quentin qui me fait de grands signes de la main. Il est entouré de Hector, Tim, Jack Bilal et Fred. Ses camarades de chambre. Les filles vont toutes retrouver des amies à elle, sauf Julia, qui me suit et court ébouriffer les cheveux de son frère pour l'embêter.
Nous prenons une table. Je me retrouve entre Quentin et Julia, avec devant moi Fred, Jack et Hector, de gauche à droite. Jack, juste en face, semble être très extraverti. Il lance des blagues, plaisante et rit beaucoup. Je réalise que c'est sûrement lui le fameux meilleur ami de Fred dont il parle parfois. Vers le milieu du repas, alors que j'entame une nouvelle pomme de terre, Bilal, assis à côté de Quentin, lui demande :
"Alors, ça avance comment avec Rose ? Vous êtes encore ensemble ?"
Tim, en face de lui, pouffe avant d'ajouter :
"Jack et Rose ça pouvait plus marcher. Leur amour est tombé à l'eau..."
Tout le monde rit et puis Bilal jette un regard à Quentin :
"Et toi p'tit gars, t'es en couple ?"
Mon meilleur ami secoue la tête et hausse les épaules. Bilal me jette un regard en coin. Je lui réponds avec un visage désabusé. Il sourit et lance :
"Ben moi je suis allé voir ma crush !"
Tout le monde se tourne vers lui. Jack lui lance une œillade coquine avant de se lever. Il lui tapote l'épaule, l'air grave et dramatique avant de déclamer d'un ton moqueur :
"Hélas, telle une jardinière agressive, elle lui a mis un énorme râteau... Dommage, il aurait mieux fallu qu'elle lui roule des pelles..."
Nouveau fou rire général. Bilal, pas vexé, interpelle Julia :
"Et toi Juju, des nouvelles ?
- Non. Je n'aime personne."
Quentin et moi nous regardons. Visiblement, Soltairis est un secret. Je remarque d'ailleurs que Fred aussi a trouvé cela suspect. Il jette à sa jumelle des regards interrogateurs. Je pense que Fred et Julia n'ont pas un lien psychique comme les autres jumeaux ou en tout cas pas aussi fort. Ils se sont rencontrés il y a seulement trois ans alors qu'ils avaient toujours été dans la même école. Ils sont proches mais je n'arrive pas à savoir à quel point.
"Et toi Fredou ?"
Fred devient alors tout rouge. Je remarque que les regards sont braqués sur moi. L'ambiance devient malaisante. Et puis c'est au tour de Tim d'être interrogé. J'apprends alors à ma grande surprise qu'Hector a un cousin d'un an de plus, Brandon, et que Tim et lui sont en couple. C'est donc le seul d'entre nous à avoir une relation.
Le repas se termine sans encombres et chacun rejoint sa chambre. Les filles prennent leurs cours pour aller en étude. Je les suis mais, très vite, l'ambiance m'ennuie. Il n'y rien à faire d'autre que des fiches de présentation et, si elles adorent papoter avec tout le monde, Quentin n'est pas là. Je laisse Julia avec Jack, Tim et Hector et je vais chercher mon meilleur ami.
Dans les couloirs, je scrute les têtes, à la recherche d'une tignasse blonde. Mais il a dû rester dans sa chambre. Je songe à retourner dans la mienne. Je croise alors Bilal, qui discute avec un garçon que je ne connais pas. Il me salue et me dit que Quentin bricole des trucs J'avais oublié sa nature de fils d'Héphaïstos. Je décide d'aller aux toilettes pour boire un peu.
Alors que j'entre dans la pièce, le froid m'envahit. Des bruits étranges me parviennent. Des bruits de chasse d'eau mais plus puissants. Quelque chose qui n'a rien de naturel. J'entre et tombe nez à nez avec Fred. Je remarque alors derrière lui un immense jet d'eau qu'il essaye de cacher. Fichu fils de Poséidon... D'énormes flaques se sont formés au sol et le robinet cassé continue de projeter des jets de partout.
"Fred mais ça va pas la tête, je hurle, rebouche ça !
- Je suis pas un fils d'Héphaïstos moi...
- Mais sérieusement, arrête avec ta jalousie à deux balles ! Tu vas inonder l'école !"
Il ricane et mon sang se glace.
"Je ne peux pas arrêter... avec de la volonté peut-être, mais je n'en ai pas. Julia, elle, elle y arriverai sûrement. Elle est toujours là pour réparer mes dégâts. Mais, oh tiens bizarre, elle n'est pas là aujourd'hui... Oh et puis il y a Quentin. Ton "meilleur ami". Ah lui c'est sûr il réparerai tout ça. Il est si parfait... Mais, ah tiens étrange, il a préféré rester dans la chambre pour bricoler des trucs stupides. Il n'y a personne. Rien que toi et moi..."
Son regard est grave, dans le vague. On dirait presque que ce n'est pas lui. Il fait un geste nonchalant de la main et claque des doigts. Aussitôt, toutes les toilettes explosent et d'immenses geysers s'élèvent du sol. Je cherche à sortir au plus vite mais une immense vague me pousse contre le mur et une autre claque la porte. Me voilà enfermée.
"Alors, dit mon ami d'une voix rauque, à quoi ça va te servir maintenant ton intelligence remarquable ? Même ta sœur qui était la fille d'une déesse mineure avait des pouvoirs plus importants que les tiens..."
La rage et la rancœur me montent à la tête. Mon cœur se serre et je ne réfléchis plus. La haine s'empare de moi. Je n'en peux plus. Je suis fatiguée de me battre avec les démons du passé. J'attrape Fred par le col. J'ai envie de le gifler. Mais je n'en ai pas la force. Je le lâche et il se relève, moqueur.
"Ne parle pas de Kiara...
- Sinon tu vas faire quoi ? Arrête de me faire rire Sara... Tu passes ta vie à te plaindre, à te morfondre... Tourne un peu le dos au passé ! Tu crois quoi, que tu réussiras à vivre comme ça toute ta vie ?"
Je ne réponds pas. Ce serait trop long d'expliquer à Fred pour la malédiction de Janus. Mes souvenirs remontent peu à peu tandis que ma gorge se noue. C'était bien avant que je ne rencontre Julia et lui, ou même Fred...
Nous n'étions même pas encore arrivées à la colonie. Kiara et moi étions assises, en larmes. Les souvenirs me reviennent peu à peu et les larmes coulent aussitôt de mes joues. Les geysers se figent et retombent. Fred me regarde, surpris et impuissant. Mais je suis déjà loin...
"Sara... Sara lève-toi. C'est fini maintenant."
Le monstre est au sol. Ces innombrables têtes qui hanteront souvent les cauchemars de Sara sont immobiles. Les yeux vitreux la font frissonner. Même elle n'est pas en état ni d'avoir peur ni de comprendre ce qui lui arrive. Près d'elle git un corps immobile. Il est tant déchiqueté que la petite fille ne le reconnaît pas. Mais elle sait très bien qui il est. Le temps semble s'arrêter et un homme apparaît. C'est le portrait craché de son père : même tignasse rousse, mêmes taches de rousseur, mêmes yeux bruns. Mais ces yeux là ne reflètent pas cette chaleur caractéristique : ils sont froids, embués et apitoyés. Ils ont pitié d'elle.
"Qui êtes-vous ? souffle Kiara, pas dupe.
- Janus."
Et sous leurs yeux ébahis, l'homme reprend sa véritable apparence. Il a deux têtes. Sara se jette sur lui et le frappe de ses petits poings. Elle entend des cris mais ne réagit pas. Elle continue à le frapper. Avec ces deux têtes, il ne peut être autre qu'un monstre. Comme celui qui vient de tuer son père. Et immonde en plus, au point de prendre son apparence pour les tromper. Elle ne le connaît pas mais elle le haït déjà. Lorsqu'elle s'arrête, à bout de souffle, il la prend dans ses bras. Elle voudrait le frapper mais elle n'y arrive plus.
"C'est fini princesse ?"
La haine ressurgit. Comment ose-t-il l'appeler princesse ? Seul son père a droit à ce luxe. Elle observe ses deux visages. L'un d'eux ressemble à son père, sur les photos de sa jeunesse, avec ses cheveux roux qui partent de tout côté en pétard. L'autre est très différent : ridé, aux yeux blancs, aux cheveux et à la longue barbe grisâtres, fatigués.
"Janus, souffle Kiara, le dieu romain du passé et du futur. Regard Sara, c'est le dieu des choix. Le père de papa."
Mais Sara secoue la tête. Elle refuse d'avoir des liens avec cet homme effrayant. Elle est trop jeune pour comprendre ce qu'il dira ensuite mais Kiara le lui expliquera plus tard. Les descendants de Janus ont, comme lui, des difficultés à choisir entre le passé et le futur. C'est la malédiction de Janus. A un moment de leur vie, il leur faudra faire un choix. Et ce choix pourra être fatal. C'est ce même choix qui a pris son père et qui, plus tard, prendra la vie de Kiara...
"Sara ! Sara ! Sara, répond-moi ! Sara ! Sara, ça va ?"
Je cligne des yeux. Fred m'a attrapée par les épaules et me secoue vigoureusement. Je me rends compte que mes joues sont trempées. J'essuie mes yeux du revers de la manche. Je me sens impuissante. Je ne sais plus quoi faire. Je comprends que le moment de ce choix approche inexorablement. Et que ma mort pourrait très bien suivre. Je m'étais promis d'aider ma famille. Mais j'en ai été incapable. Je suis inutile à ce monde. Comme mon père, ma sœur et tous les enfants de Janus, je devrais me sacrifier. Mais je ne sers à rien moi. Mon sacrifice sera sûrement vain et aussi inutile que moi.
"Désolée."
C'est tout ce que je parviens à prononcer avant de m'évanouir dans les bras de mon ami.
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