ENQUÊTE
Le lendemain, le détective se réveilla très tôt. Il avait mal dormi, ses rêves devaient plutôt ressembler à des cauchemars. Poirot s'habilla avec soin puis descendit dans la salle à manger de l'hôtel. Il était peut-être tôt mais l'hôtesse consentit à lui servir une tasse de café serré. Poirot n'en pouvait plus du thé.
Il le buvait tranquillement lorsque Hastings apparut, frais et dispos. Ce dernier commanda un petit-déjeuner complet, conséquent et consistant.
« Alors Poirot ?
- Si vous me demandez encore une fois comment je me sens, Hastings, je quitte la salle.
- Vous n'avez pas bien dormi, manifestement. »
Hastings sourit avec bienveillance et ne releva pas davantage l'humeur du détective. Il s'empressa de manger. Puis, l'hôtesse, aimablement, apporta quelques toasts au détective. Ce qu'il regarda avec circonspection. Hastings essaya de le circonvenir.
« Vous avez toujours professé que la seule chose comestible qu'il y a chez les Anglais c'est leur petit-déjeuner. Cela ne vous tente pas ? »
Le capitaine voulait être gentil, mais son bavardage irritait Poirot. Cela dit, le détective reconnaissait le bien-fondé de ces remarques, il percevait l'inquiétude derrière les paroles de son compagnon... Mais se voir l'objet de toutes ces attentions commençait à sérieusement l'agacer.
Et Hastings n'était pas prêt à relâcher son attention ! Il attendait patiemment que Poirot ait mangé quelques toasts avant de plier enfin sa serviette.
« Et maintenant Hastings, êtes-vous satisfait ?
- C'est encourageant. Que faisons-nous maintenant ? Vous voulez toujours voir M. Stocker ?
- Toujours ! »
Ils se levèrent de concert et partirent pour le centre de Whytefool. Ils croisèrent plusieurs curieux qui les regardèrent fixement. Il faut dire qu'une fois de plus l'aspect d'Hercule Poirot ne pouvait que surprendre les gens. C'était un dandy, maniéré, tiré à quatre épingles, avec ses cheveux d'un noir excessif et sa tête en forme d'œuf, sans compter son incroyable moustache ? Oui Hercule Poirot était étrange pour tout le monde mais le capitaine Hastings, qui le connaissait bien, commençait à percevoir les fêlures dans le personnage qu'il jouait.
Le détective marchait lentement en comptant ses pas et le capitaine s'inquiétait de la marche incertaine du détective.
Enfin, la pharmacie Stocker apparut et ils y entrèrent.
« Que cherchez-vous Poirot ?, » murmura Hastings, alors qu'ils attendaient leur tour.
- Un indice pour corroborer une petite idée que j'ai. »
Ce fut tout et cela exaspéra Hastings. Une fois de plus, Poirot le traînait avec lui mais le laissait dans le noir complet.
« Bonjour. M. Stocker, je présume ?, » demanda Poirot en souriant.
Un homme doté d'une belle et majestueuse barbe rousse hocha la tête rapidement.
« Je suis le détective Hercule Poirot. Je voudrais savoir si...
- Oui, j'ai vendu un flacon de cyanure à Mlle Alice Carrow. Il y a un mois de cela. Pour tuer des guêpes. »
Poirot resta silencieux, comme sonné par cette affirmation. Le pharmacien se mit à sourire mais sans aucune joie. Il semblait surtout las de parler de cette affaire.
« La police est venue hier et elle m'a posé cette question. Je suppose que c'est ce que vous vouliez savoir, non ? Voulez-vous voir mon registre ? J'ai aussi l'inventaire de mes réserves. Le voulez-vous ?
- Non merci, réussit enfin à dire Poirot. C'est tout ce que je voulais savoir.
- C'est donc bien la petite infirmière qui a tué sa tante ?
- Qui vous a dit cela ?, demanda Hastings.
- Le sergent Tops. Il paraît qu'elle est déjà en prison.
- Le sergent Tops a effectivement arrêté Mlle Carrow, répondit lentement Poirot, mais seulement dans le but de l'interroger. L'enquête n'est pas close. »
Le pharmacien eut un sourire goguenard.
« Pour le sergent Tops, elle semble déjà l'être. »
Le détective salua le pharmacien avec respect. Puis Hastings et Poirot se retrouvèrent dans la rue. Même le capitaine ne savait plus quoi dire.
« Tuer des guêpes ? En octobre ? Quelle stupidité !
- Je ne sais pas, Poirot, peut-être des guêpes étaient restées en vie dans la serre. Il y fait toujours chaud. »
Mais Hastings contrait le détective sans conviction.
« Le cyanure, le testament, la confiture de rose...
- Mais dans ce cas, je ne comprends pas l'intérêt des lettres de menace..., fit le capitaine, perdu.
- Pour l'alibi Hastings ! Pour mystifier tout le monde, moi le premier. Qui irait soupçonner cette gentille Mlle Carrow ?
- A moins que ce ne soit quelqu'un d'autre qui a écrit les lettres de menaces ?
- Mais qui, bon sang, qui ?, s'énervait le petit Belge.
- Je ne sais pas Poirot. Ils reçoivent tous quelque chose. Même ce bon docteur Pritchard. »
Le détective renifla avec mépris et ne prit pas la peine de répondre. Ils repartirent pour le manoir Bentley. Poirot voulait revoir M. Wilson. Il trouva ce dernier en grande conversation avec la cuisinière. Cette dernière repartit fâchée.
« M. Poirot ! Vous avez entendu les nouvelles ?
- Non, M. Wilson. Que s'est-il passé ?
- Le coroner va se charger de cette affaire le plus vite possible.
- Sans les aveux de Mlle Carrow ?, reprit Hastings.
- Le coroner était un ami intime de Lady Bentley. Il veut que justice soit faite.
- Mais n'est-ce-pas un peu précipité ?, demanda le petit Belge.
- Je ne sais pas, M. Poirot. Je suis désolé pour vous et Mlle Alice. »
Il y eut un temps de surprise. Poirot mit quelques secondes à retrouver son souffle. Lui et Mlle Alice ? Puis Wilson accepta ensuite la requête du détective et le laissa fouiller les chambres des domestiques.
Poirot, ancien officier de la police judiciaire belge, voulait faire cela de façon ordonnée et organisée. Mais l'homme, Hercule Poirot, commença par la chambre d'Alice Carrow. Le cœur battant, il entra dans la pièce et sentit le parfum de la jeune femme. Du jasmin ! Le détective dut lutter pour reprendre le dessus sur l'homme et se mettre à fouiller les affaires personnelles de la suspecte. Les robes, les gants, les dessous furent vérifiés avec soin par un Hercule Poirot, implacable et impassible. Il ne découvrit rien d'important.
Sauf...ce qu'il cherchait... La lettre de menaces de Lady Bentley, cachée dans un livre posé sur la table de chevet. Un petit billet sur lequel il était écrit : « ENCORE QUELQUES JOURS ET TU VAS MOURIR, VIEILLE SALOPE. » Poirot regarda ensuite le titre du livre. C'était un recueil de légendes et d'histoires concernant la Belgique. Cela fit sourire tristement le petit Belge.
Ce fut une preuve de plus contre Mlle Carrow pour le détective. Ce fut un nouveau coup au cœur pour l'homme.
Hastings regarda le billet et reconnut l'écriture, elle lui sembla conforme à celle sur les autres billets qu'il avait vus. Poirot voulut absolument quitter cette chambre dont l'odeur l'affolait. Le capitaine aperçut sans rien dire le titre du livre de chevet de Mlle Carrow...et il sourit...
Ces deux-là avaient vraiment beaucoup de choses à se dire ! Il était surprenant aux yeux d'Hastings qu'Hercule Poirot, d'habitude si clairvoyant et sûr de lui dans son travail, soit si modeste et maladroit dans sa vie privée. Il manquait terriblement de confiance en lui-même. Il était évident pour tout le monde, Lady Bentley, Wilson, Annie... et le capitaine le premier...qu'il y avait quelque chose entre eux !
Mais Poirot ne voyait rien...ou ne voulait rien voir... Où était passée sa clairvoyance ? Le détective se sentait vieux, inutile. Il voulait examiner également les chambres des deux bonnes. Une fois face à l'imposant escalier, Poirot rassembla tout son courage et monta les marches jusqu'au dernier étage. Il n'y avait que les chambres des bonnes à cet étage-là.
Poirot frappa à la première et, comme personne ne répondit, il entra et se mit à fouiller. Sous le regard désapprobateur du capitaine Hastings, si honnête et si droit. C'était toujours une partie du travail de policier que le brave capitaine n'appréciait pas.
C'était la chambre de la petite Annie ; partout il n'y avait que des romans à l'eau-de-rose et des magazines sur les vedettes du cinéma. Une chambre d'adolescente, un peu rêveuse et espérant le prince charmant.
Très vite, Poirot quitta cette pièce pour l'autre. La chambre de la deuxième bonne, Laurence. Il lui fallut quelques minutes pour découvrir ce qui lui fallait enfin. Dans un livre, une Bible, noté dans la page de garde puis, cachée au-milieu de plusieurs romans en vogue, une photographie.
« Qui est-ce Poirot ?
- Un témoin important, voire un mobile ! »
Le petit détective tendit la photographie à Hastings, c'était un bébé. Poirot récupéra l'image et la glissa dans sa poche, sans vergogne. A la grande horreur du capitaine qui fulminait sans rien dire. Ensuite, Poirot examina les vêtements de la bonne.
Enfin, les deux hommes sortirent de la chambre, soulagés de ne rencontrer personne. Il fallait rester discret et rapide.
Dans le hall d'entrée, ils se heurtèrent à M. Wilson, le courrier à la main.
« M. Poirot ! Vous nous quittez ?
- Oui, M. Wilson. Je dois faire quelques petites recherches. Mais dites-moi, M. Wilson, connaissez-vous madame Caroline Jackson ?
- Non, M. Poirot. Qui est-ce ?
- C'est sans importance. Oubliez ce que je vous ai dit. »
M. Wilson rencontra le regard dur du détective. Le vieil intendant n'avait pas oublié l'efficacité redoutable d'Hercule Poirot. Ce dernier avait sauvé magistralement son ancien maître de la pendaison. Poirot avait posé des tas de questions étranges sur les portes, les fenêtres, les rideaux... et toutes ces petites questions anodines s'étaient révélées d'une importance capitale dans la résolution de l'enquête. Pour sa maîtresse, M. Wilson était prêt à tout. Rien de ce que le détective lui dira ne passera ses lèvres. Poirot sut tout cela en rencontrant les yeux de l'intendant. Et sans se parler, les deux hommes se comprirent très bien et inclinèrent la tête.
Dans le jardin, Poirot rencontra M. Crocker, la bêche à la main. Ce dernier avait toujours son sourire dédaigneux.
« Alors M. Poirot ? On dirait que le sergent Tops a été le plus rapide !
- Vous croyez vraiment que c'est Mlle Carrow la coupable ?, demanda le capitaine Hastings.
- Je n'en sais rien, je ne suis pas flic.
- Vous nous avez dit hier que tous avaient un mobile pour tuer Lady Bentley, même vous.
- Oui, M. Poirot. Et je le maintiens ! Mlle Alice a juste été la plus impatiente.
- Je vois mal M. Wilson vouloir tuer sa maîtresse !
- M. Wilson est prêt à mourir pour ses maîtres, capitaine Hastings, mais il a un fils qui voudrait faire des études. L'argent de Lady Bentley tombe à pic pour lui aussi, même s'il préférait se faire arracher un bras que d'avouer la vérité.
- Nous avons vu la cuisinière en colère ce matin », continua Hastings.
Le vieux jardinier ricana avec mépris.
« Tempérance ! C'est pas un secret que son mari est un ivrogne et un joueur. Elle va pouvoir enfin payer les dettes de son époux avec l'héritage. Il était temps ! Puis elle va le mettre à la diète. Pauvre Ryan !
- Et Annie ? », demanda simplement Poirot.
Pour la première fois, le visage de Crocker s'assombrit, quittant enfin son air goguenard et arrogant.
« Il n'y a rien à dire sur Annie ! C'est ma fille ! »
Et Crocker s'apprêta à partir sans saluer Poirot mais ce dernier le retint par le bras.
« Où est sa mère ? »
Sans répondre, le vieux jardinier s'enfuit en emportant sa bêche.
« C'est étrange, vous ne trouvez pas Poirot ?
- Forcément, un héritage, aussi petit qu'il soit, est toujours intéressant pour quelqu'un. On a tous des rêves, des besoins, des dettes à assouvir et toute somme d'argent peut nous y aider. Même une somme obtenue grâce à la mort d'un proche. Mais de là à tuer une personne pour l'obtenir... »
Poirot se tut, gardant la fin de sa pensée pour lui-même. Les seules qui avaient des raisons suffisantes pour tuer Lady Bentley étaient Laurence, la bonne et Mlle Alice Carrow. Surtout Mlle Carrow. Elle gagnait l'essentiel de l'héritage et une position importante dans la société.
Le sergent Tops avait raison. Il ne manquait que les aveux de Mlle Carrow pour l'envoyer à la potence. A moins que Hercule Poirot n'agisse.
Mais Poirot restait à méditer sur les propos de M. Crocker...et les siens...
« Que feriez-vous Hastings d'une somme d'argent tombée du Ciel ?
- Je partirais en Argentine pour créer un ranch et me lancer dans la vente de chevaux.
- Je vous vois très bien en cow-boy... »
Poirot avait son petit sourire amusé, légèrement ironique. Charmeur.
« Et vous Poirot ?
- Je n'ai pas vraiment de besoin mais pouvoir partir en voyage dans le monde... Ce serait une chose qui me tenterait bien... »
La conversation cessa sur ces derniers mots et Poirot s'ébroua.
« Je dois téléphoner à Miss Lemon. J'ai besoin d'informations. Trouvons un téléphone ! »
Il fallut retourner à l'hôtel. Poirot put contacter sa secrétaire et la pria de le rappeler dés qu'elle aurait les éléments en main. Puis de se préparer à les rejoindre à Whytefool.
Ensuite, Poirot contacta l'inspecteur-principal Japp de Scotland Yard pour d'autres éléments concernant l'affaire Caroline Jackson.
Enfin, Poirot décida d'aller au poste de police pour voir le sergent Tops. Poirot demanda à le rencontrer mais ce dernier mit un temps infini à accepter de recevoir ce petit détective belge et son collègue.
Lorsque ce fut fait, Tops était assis à son bureau et fixa sans aménité le détective entrer.
« Avez-vous les aveux de Mlle Carrow ?, attaqua Poirot.
- Pas encore, M. Poirot, pas encore. Mais je suis confiant. Elle va craquer. D'ailleurs, figurez-vous qu'elle vous a appelé à l'aide. Elle ne jure que par vous.
- Comment va-t-elle ? », demanda le capitaine Hastings.
Parce que Poirot ne demanderait jamais, parce que jamais il ne se le permettrait même si la soudaine raideur dans les épaules du petit homme prouvait tout l'intérêt qu'il portait à cette question.
« Elle clame son innocence, mais elle reste calme. C'est un bon point pour elle, je déteste les hystériques. »
Le détective sortit le billet de sa poche et exhiba la lettre de menaces sans mot dire. Pour la première fois, le sergent Tops le regarda sans afficher un mépris insultant.
« Où l'avez-vous trouvé ?
- Dans un livre situé dans la chambre de Mlle Carrow, » admit Poirot.
Tops soupira de soulagement et retrouva son rictus dédaigneux.
« Cela ne la raye pas de la liste des suspects !
- Elle ne serait pas assez stupide pour garder une preuve contre elle dans sa propre chambre, rétorqua Hastings, choqué.
- Cela s'ajoute au cyanure ! »
Tops et son sourire suffisant. Hastings ne sut quoi dire.
« Et à la confiture de rose, ajouta Poirot, comme malgré lui.
- La confiture de rose ? », demanda Tops.
Et Poirot raconta l'affaire de la confiture de rose. Peu à peu, le sergent Tops prit un visage concentré et perdit, enfin, son air supérieur.
« Et moi qui croyais que vous vouliez sauver envers et contre tout votre petite fiancée !?
- Poirot ne veut que la vérité !
- Peut-être pourrions-nous réellement travailler ensemble, » dit le sergent Tops, en souriant.
Un sourire franc, amical. Enfin ! Poirot lui rendit son sourire en lançant :
« Peut-être ?
- Mais elle n'est pas aussi stupide !, explosa Hastings.
- C'est une femme, capitaine Hastings. Elle a paniqué et a caché les preuves dans le premier endroit venu.
- Dans les tiroirs de sa propre chambre ! Voyons sergent ! »
Poirot leva la main pour calmer Hastings tandis que le sergent tapait des doigts sur la table, impatienté.
« Votre lettre de menaces ne change rien à cette affaire. Je garde Mlle Carrow et j'espère l'inculper demain, au plus tard après-demain. Dés que j'aurai ses aveux. Encore une nuit au poste et ce sera bon. Au revoir messieurs !
- Attendez, dit humblement le détective belge. J'aimerai parler à Mlle Carrow, s'il-vous-plaît. »
Le sergent Tops contempla le petit homme si ridicule et pourtant si célèbre et décida de ne pas négliger toutes les possibilités. Il accorda sa requête à Poirot qui quitta aussitôt le bureau du sergent pour la cellule de Mlle Carrow, Hastings sur les talons.
« Quel butor ! J'ai rarement vu un homme aussi misogyne de ma vie ! Et vous le laissez dire ?
- Mais il n'a pas tort dans ses conclusions, mon cher Hastings. Japp n'aurait pas fait mieux mais avec plus de diplomatie.
- Je continue à penser que vous ne rendez pas justice à Mlle Carrow, ou à ce cher Japp ! »
Poirot sourit, amusé. Le policier de garde les laissa entrer.
La jeune femme était assise sur le lit de camp dans sa cellule. A leur entrée, elle se leva, affolée, puis les reconnaissant, elle cria de joie. Elle s'approcha d'eux. Quelque chose cependant la retenait dans ses exubérances habituelles.
« M. Poirot, capitaine Hastings ! Comme je suis heureuse de vous revoir !
- Mademoiselle, dit Poirot en inclinant rapidement la tête. Comment vous portez-vous ?
- Bien, maintenant que vous êtes là. »
La jeune femme semblait ne pas avoir dormi depuis des heures. Ses beaux yeux verts étaient cernés, ses jolies mains ne pouvaient s'empêcher de trembler. Elle vacillait, fragilisée. Le capitaine Hastings allait la soutenir lorsque Poirot le devança. Il s'empara des mains de Mlle Carrow et l'attira doucement vers le lit où il la fit s'asseoir. Puis il se posa à ses côtés et conserva ses mains dans les siennes. Sans s'en rendre compte, le détective se mot à caresser lentement les doigts de la jeune femme, lui rendant peu à peu son calme.
« Mademoiselle, j'ai quelques petites questions à vous poser.
- Faites M. Poirot.
- Pourquoi avez-vous acheté le cyanure à M. Stocker le mois dernier ?
- Pour tuer les guêpes qui vivaient dans la serre.
- Au mois d'octobre ?, demanda doucement Poirot, l'air peiné.
- C'est ma tante qui me l'ai demandé elle-même, fit-elle avec un soupçon de reproche dans la voix. De la part de Laurence qui avait repéré le nid de guêpes dans la serre.
- Vous l'avez vu ? Le nid de guêpes ?, reprit Hastings.
- Non, capitaine. Mais comme ma tante l'a demandé... »
La jeune femme ne comprenait pas où était le souci puis elle fit tout à coup le lien et blêmit. Elle avait enfin saisi le problème.
« C'est ce poison qui a servi à tuer ma tante ?
- Oui, mademoiselle. C'est celui-là même, répondit Poirot, d'une voix sans émotion.
- Je comprends l'insistance du sergent. Mon Dieu ! »
Et Mlle Carrow se mit à pleurer. Le détective la contemplait, impuissant.
« Je vous en prie, mademoiselle, calmez-vous ! »
Il fallut quelques instants pour que la jeune femme se ressaisisse. Elle se rapprocha du petit homme et posa la tête sur son épaule.
« Que vais-je devenir M. Poirot ? M. Brown me conseille de dire la vérité.
- Qui est M. Brown ?
- Mon avocat, M. Poirot. Il me conseille de dire la vérité. Je crois qu'il me pense coupable. Quand je lui raconte ce qu'il s'est passé, il hoche la tête et se tait. Que faire M. Poirot ? Je n'ai pas pensé au poison pour les guêpes !
- Maintenant, je vais vous donner un conseil, mademoiselle : continuez à dire la vérité, et seulement la vérité, il viendra un moment où le zélé sergent Tops sera obligé de vous relâcher.
- Mais quand M. Poirot ?
- Quand Poirot lui apportera le vrai coupable. Courage mademoiselle !
- Vous m'avez redonné du courage M. Poirot. J'ai de la chance d'avoir un ami tel que vous. Si je peux me permettre de vous appeler comme tel ?... »
La jeune femme semblait incertaine, elle regardait Poirot avec inquiétude, mais le détective la rassura en lui permettant de le considérer comme un ami...et un allié.
Puis le détective se leva et frappa la porte avec sa canne pour demander à sortir.
Avant de partir, il posa une dernière question à Mlle Carrow et il l'observa attentivement donner sa réponse.
« Mademoiselle, connaissez-vous Caroline Jackson ?
- Non, M. Poirot. Qui est-ce ?
- C'est sans importance pour le moment. Ne vous inquiétez pas, je continue mes recherches. Reposez-vous et patientez ! »
Hercule Poirot s'inclina et embrassa la main de la jeune femme pour la saluer avant de quitter la cellule. Puis les deux hommes quittèrent le commissariat.
Le capitaine décida de prendre le taureau par les cornes.
« Poirot ! Vous êtes agaçant. Qui est cette Mme Jackson dont vous ne cessez de demander des nouvelles ?
- Je vous l'ai dit, Hastings, un témoin-clé voire un mobile.
- C'est le bébé ?
- Non, je ne pense pas me tromper beaucoup si je dis qu'il s'agit de sa mère.
- Mais qui ? Quelle mère ?
- Je vous dirais tout lorsque j'aurai reçu les réponses à mes questions de la part de Miss Lemon et de Japp. »
Hastings soupira avec force devant la mauvaise volonté manifeste du petit détective belge. En fait, il était surpris de retrouver peu à peu Hercule Poirot, le vrai Hercule Poirot, avec ses manies, ses secrets et ses coups de théâtre. Il était certain que Poirot avait découvert une piste et en bon limier qu'il était, il la remontait jusqu'au bout. Mais quelle piste ? Hastings ne se trouvait pas plus bête qu'un autre et pourtant il ne comprenait rien à l'affaire. Mlle Carrow ? Laurence ? Wilson ? La cuisinière Tempérance ? Stocker, le pharmacien ? Crocker, le jardinier ? Qui a envoyé des lettres de menace pour épouvanter la vieille dame ? Qui est passé à l'action et l'a empoisonnée ? Ha ! Sans oublier le médecin, le docteur Pritchard !
Alors qu'ils arrivaient à l'hôtel, un policier les rejoignit, essoufflé.
« M. Poirot, le sergent Tops vous appelle de toute urgence. »
Poirot devint livide. Un accident était-il arrivé à Mlle Carrow ? Ils repartirent en catastrophe au poste de police où le sergent fulminait contre Poirot, ce maudit détective. A peine entrés dans le bureau du sergent, Tops se jeta sur eux.
« Je savais que vous n'étiez pas franc du collier, monsieur le célèbre détective. Ha vous m'avez bien mené en bateau. Depuis quand le saviez-vous ?
- J'ignore totalement de quoi vous voulez parler...
- A d'autres ! Je viens de recevoir un appel de Scotland Yard. Un inspecteur va venir, un cador à ce qu'il paraît. L'inspecteur Japp !
- Il est vrai que j'ai demandé des renseignements à un ami de Scotland Yard mais je...
- Un ami de Scotland Yard, coupa brutalement le sergent Tops. Vous jouez les dépressifs mais depuis quand vous saviez la vérité ? Vous êtes venu la surveiller, c'est ça ? »
Poirot commençait à se lasser du ton employé par le policier et de ses accusations non fondées. Il répondit sèchement :
« Ce serait plus facile de vous suivre, sergent, si vous me disiez enfin le fin mot de l'histoire.
- Le fin de l'histoire, hein ? Il se trouve que je viens de recevoir un ordre de la part de votre « ami » l'inspecteur Japp ! Il m'a ordonné d'arrêter sans délai la bonne, Laurence Payne. Ordonné !!!
- Doux Jésus, murmura Hastings. Sur quelle accusation ? »
Cette question calma l'ire du sergent. Il observa les deux hommes avec méfiance.
« Vous insinuez que vous êtes pour rien dans cet ordre ?
- Je vous en donne ma parole, sergent, j'ai juste demandé des informations, reprit Poirot.
- Sur Laurence Payne ?
- Non, sur Caroline Jackson.
- Qui est-ce ?
- Le vrai nom de Mlle Laurence Payne, sourit le petit Belge.
- Vous m'en direz tant. Depuis quand le savez-vous ?
- Ce matin. Mais j'avais quelques soupçons sur cette histoire avant cela...
- Vous la soupçonnez d'avoir tué Lady Bentley ? »
Il y eut un instant de silence et Poirot prit alors une décision qu'il devait regretter par la suite toute sa vie...
« Oui !, » dit fermement Hercule Poirot.
Tops l'observa et se jeta dans l'action avec toute la précipitation qui le caractérisait. Il appela ses hommes et s'en alla arrêter la bonne Laurence, sur l'accusation de meurtre sur la personne de Lady Bentley.
Poirot et Hastings, laissés seuls, ressortirent du commissariat. Le détective se sentait fatigué, il avait besoin de repos. Les deux hommes retournèrent à l'hôtel où les attendait un message de Japp. Il fallait le rappeler de toute urgence. Peine perdue !
Poirot tenta de contacter l'inspecteur mais il était déjà parti pour Whytefool. Puis il appela Miss Lemon mais elle était encore en pleine recherche.
« Patience, M. Poirot, je trouve et j'arrive. »
Il ne restait plus qu'à attendre.
Le repas de midi fut morose. Le capitaine Hastings était surpris de l'apathie du détective. Poirot ne mangeait presque rien puis il sortit un paquet de cartes à jouer de sa poche. Il entreprit de construire un château de cartes pour calmer ses nerfs et réfléchir.
Pour le détective, il ne manquait qu'un dernier élément pour que tous les faits s'emboîtent les uns dans les autres. Il savait qui, il savait comment mais il n'était pas encore sûr du pourquoi.
Enfin, en fin de journée, une silhouette bien connue vint les rejoindre dans le petit salon de l'hôtel.
« Alors Poirot ? Vous vous ennuyez tellement que vous rouvrez les vieux dossiers ?
- Inspecteur-principal Japp ! Quel plaisir de vous revoir, cher ami ! »
Japp fut un instant décontenancé par l'accueil si chaleureux du petit Belge, tellement proche de ce qu'était Poirot il y a plusieurs semaines puis il en fut très heureux.
« De quelle affaire parlez-vous mon cher Japp ?, » demanda Poirot.
Japp s'assit à leurs côtés et commanda une tasse de thé. Il paraissait satisfait de lui-même.
« L'affaire Jackson bien sûr. De Chichester. Vous ne vous souvenez pas Poirot ? Cela remonte à quelques années. Une femme accusée d'avoir empoisonné sa maîtresse avec du cyanure. Elle a disparu avant d'être arrêtée par la police.
- L'empoisonneuse de Chichester ? Ça y est Japp, je me souviens de cette affaire ! Le visage m'avait rappelé quelque chose mais impossible de me souvenir de qui il s'agissait ! La femme s'était enfuie en abandonnant son enfant.
- Oui, une fillette d'une dizaine d'années.
- Jamais vous ne l'avez retrouvée ?, demanda Hastings.
- C'est là que cette affaire devient étrange. Un cadavre de femme a été repêché quelques semaines plus tard dans la Manche. Les examens médicaux ont été faits et il semblait qu'il s'agissait de Caroline Jackson. Mais je ne l'ai jamais cru !
- Pourquoi mon cher Japp ?
- Car Caroline Jackson a disparu en même temps que sa sœur. Il est certain qu'elles étaient complices. Les deux ont organisé le meurtre et se sont enfuies avec l'argent que la vieille femme conservait dans son coffre. La servante a joué les ingénues et ne s'est enfuie que le jour où les soupçons se sont portés sur elle. Sa sœur l'a accompagnée.
- Elle aussi a tout abandonné ?
- Oui et je suis persuadé que c'est son cadavre qui a été retrouvé.
- Et pourquoi pas Caroline Jackson ?
- Le visage de la morte était en bouillie, aucun examen dentaire n'a été possible, aucun bijou n'a été découvert, ni de vêtements. Elle a été étranglée. Le cadavre était nu et totalement muet.
- Peut-être que cette morte n'a rien à voir avec l'affaire Jackson ?!
- Non, elle a un lien. Je veux bien que la couleur de cheveux rousse soit courante en Irlande et en Angleterre mais pour trouver un rouge aussi éclatant, il faut chercher longtemps.
- Les deux sœurs étaient rousses ?, demanda le petit Belge.
- D'un rouge lumineux.
- Ce serait Caroline qui a assassiné sa propre sœur ? Mon Dieu !, s'écria le capitaine Hastings.
- Non ! Elle a été tuée par un homme. Un complice. Lui aussi a du mourir. Caroline Jackson a du s'en débarrasser.
- Pourquoi l'aurait-elle fait ?, reprit Poirot.
- Pour brouiller les pistes et garder l'argent bien sûr.
- Combien ?
- Dix mille livres. Alors qu'en dites-vous ?
- Cela fait une belle somme en effet. Mais la servante, Mlle Laurence Payne, ne semble pas riche à ce point. Elle attendait de l'argent pour pouvoir quitter le métier de domestique et enfin se marier.
- Non Poirot ! Ne venez pas embrouiller une affaire simple avec vos élucubrations. Une vieille femme riche, un empoisonnement au cyanure, une servante déjà impliquée dans une affaire de ce genre. C'est du tout-cuit ! Au fait, de quelle couleur sont les cheveux de la servante ?
- Brun, répondit aussitôt Hastings. Assez foncé.
- Elle les aura colorés, asséna vigoureusement l'inspecteur Japp. Pas folle la guêpe ! J'allais la voir justement. Vous m'accompagnez Poirot ? Et vous aussi capitaine ? »
Et les trois amis se dirigèrent vers le poste de police. Puis, avant d'arriver au commissariat, Poirot comprit enfin pourquoi Japp était venu les chercher de cette manière assez inhabituelle. L'inspecteur prit la parole avec maladresse, tout à coup, se permettant de saisir le bras du petit détective belge.
« Dites-moi Poirot. Le sergent Tops m'a appris une drôle d'histoire vous concernant. C'est sûrement une erreur mais je préfère être rassuré... Même si je n'y crois pas un seul instant. »
Poirot était tendu, il savait pertinemment de quoi parlait ce cher inspecteur et cela le peinait. Hastings mit, comme à son habitude, les pieds dans le plat.
« De quelle histoire parlez-vous Japp ? Le sergent Tops n'est pas quelqu'un de très sympathique.
- Peut-être capitaine Hastings, mais je préfère quand même que Poirot démente cette histoire.
- Je ne vais pas la démentir, mon cher inspecteur-principal. C'est l'entière vérité. »
Japp s'arrêta en pleine rue et posa des yeux surpris sur le petit Belge. Bien sûr, Japp savait que Poirot était souffrant, qu'il plongeait dans la dépression, mais de là à vouloir se tuer. Même si l'inspecteur avait conseillé à Hastings de le surveiller avec soin, ce n'était que des paroles en l'air. L'acte semblait impossible à imaginer venant d'un homme aussi pieux qu'Hercule Poirot.
« Vous savez Poirot que cela remet en question votre position.
- Voyons Japp !, » s'écria Hastings, scandalisé.
Poirot sourit avec bienveillance et lassitude.
« Je sais, inspecteur-principal, ma position est compromise. Mais le sergent Tops a accepté de me faire confiance. Et puis, je vais mieux maintenant.
- Je suis heureux de vous l'entendre dire, sourit Japp, immensément soulagé. Nous poursuivons notre collaboration dans ce cas. »
Poirot remercia l'inspecteur en s'inclinant et ils reprirent leur route. Mais avant d'entrer dans le poste de police, apparu devant eux, Japp s'arrêta une dernière fois, furieusement inquiet pour son ami.
« Mais pourquoi vouliez-vous vous suicider Poirot ?
- J'ai du mal à accepter mon dernier échec, admit Poirot.
- Votre échec ? Vous voulez parler de Stempley House ? Mais ce n'est pas un échec !
- Ce n'est pas non plus une réussite, » dit sombrement Poirot.
Japp était abasourdi. Son propre chef parlait de récompenser l'inspecteur-principal pour la manière magistrale dont il avait réussi cette affaire. Et lorsque Japp avait parlé pour le détective belge, Hercule Poirot, qui l'avait aidé à capturer le coupable et avait même risqué sa vie pour cela, le super-intendant avait opiné du chef. Il ne restait qu'à trouver la récompense adéquate pour le célèbre détective.
Et voilà que Poirot se morfondait à cause de cette affaire ? Qu'il avait même voulu se suicider tellement il en déprimait. Japp n'en revenait pas.
Lui était satisfait du résultat. Bien sûr, il avait appris à gérer les échecs, les décès au long de sa carrière, beaucoup moins glorieuse que celle du détective. Bien sûr, il devait s'avouer qu'il n'avait pas accepté ces enfants assassinés. Cela pesait sur sa conscience. Mais il était réaliste ! Arrêter ce tueur avait demandé du temps et de l'adresse. Impossible de le découvrir plus vite, même pour Hercule Poirot !
Japp en était conscient, mais Poirot le vivait mal, comme un vrai échec. Et le petit Belge n'avait pas l'habitude des échecs. Puis la voix, fatiguée, de Poirot s'éleva de façon inattendue.
« Cette affaire n'a pas été une réussite à cause de trois erreurs commises par Poirot. »
Ils entrèrent enfin dans le commissariat et attendirent d'être reçu par le sergent Tops. L'inspecteur-principal et le capitaine étaient suspendus aux lèvres de Poirot. Parler de cette affaire ne pouvait que lui faire du bien, et Japp était curieux de connaître les erreurs du petit Belge, si sûr de lui habituellement.
« La première erreur fut de ne pas prendre en compte le tisonnier à sa juste valeur, la seconde fut de ne pas comprendre l'importance de la mère du tueur dans les enlèvements, et la troisième... »
Poirot se tut, visiblement à bout. Japp savait exactement ce que voulait dire le détective, c'était le nœud gordien de toute cette affaire. Il est vrai que quelques heures auraient pu être gagnées...et une mort évitée... Un mort douloureuse qui fut personnellement reprochée à Poirot par la mère de la victime.
« La troisième, reprit Poirot amèrement, fut de ne pas avoir écouté le jeune Henry alors qu'il savait pertinemment où était caché le tueur.
- Nous ne l'avons pas pris au sérieux, Poirot, rétorqua Japp d'une voix douce. Tous les deux !
- Oui, mais c'est vers moi, Hercule Poirot, qu'il s'est tourné pour partager ses déductions. Il tenait la piste et je ne l'ai pas écouté.
- Un gosse de sept ans, Poirot ! Et plein d'imagination, comme vous devez vous en souvenir .
- Je ne me souviens que de ça, » reconnut Poirot, sombrement.
Le sergent Tops arriva à point nommé pour stopper la conversation qui devenait gênante pour tout le monde. Une fois dans le bureau du sergent, Poirot se tut et se plaça dans un coin éloigné de tous. Hastings avait mal de revoir le détective en proie à cette morne tristesse, mais c'était bien que Poirot se soit confié. Enfin.
« L'affaire de l'empoisonneuse de Chichester, hé ? Heureux de vous avoir aidé inspecteur-principal Japp, s'écria Tops.
- Merci sergent. Faites-la venir !, répondit Japp. »
L'ordre donné par l'inspecteur crispa le sergent mais il obéit docilement. Bientôt la servante, Laurence Payne, apparut, le visage livide et angoissée. Ce qui ne troubla qu'Hastings.
« Mme Jackson !, lança Japp, d'une voix joyeuse. Je suis heureux de vous retrouver.
- Inspecteur Japp, murmura humblement la pauvre femme.
- Dix ans, madame ! Dix ans ! Songez donc ! Vous étiez rousse à l'époque.
- Oui, monsieur l'inspecteur.
- Inspecteur-principal, aboya sèchement le sergent Tops.
- Oui, monsieur l'inspecteur-principal, reprit madame Jackson.
- Un nouvel empoisonnement, madame ?, demanda Japp, ironique. Votre maîtresse ne vous payait pas assez ? »
Laurence, enfin madame Jackson, baissa les yeux sans répondre. Mais le sergent Tops était fâché d'avoir été ainsi joué et ce depuis si longtemps et il voulait précipiter les choses. Faire à sa manière.
« On répond à l'inspecteur-principal quand il pose une question !
- Merci sergent, reprit Japp. »
La malheureuse femme leva les yeux vers le policier. Japp était un bon inspecteur, mais il ne se laissait pas facilement toucher par un regard affolé. Il en avait trop vu. Et les larmes n'étaient pas toujours réelles. Beaucoup jouaient très bien la comédie. L'inspecteur-principal s'assit juste devant madame Jackson.
« Alors cette Lady Bentley ? Une mauvaise maîtresse ? Je me souviens que madame Van Creek était une furie. Elle payait une misère ses employés et les harcelait constamment.
- Non, Lady Bentley n'était pas comme madame Van Creek, commença enfin la servante. Elle était plus compréhensive, plus honnête aussi.
- Mais le salaire n'était pas très élevé, n'est-ce-pas ?
- Il était correct, monsieur l'inspecteur-principal, mais insuffisant pour abandonner le métier.
- Ha oui ! Vous vouliez vous marier c'est ça ? »
La servante se mit à pleurer doucement, sans cris ni hystérie, juste des larmes pleines d'amertume.
« Oui, avec le pharmacien M. Stocker.
- Celui qui a vendu le cyanure à Mlle Carrow, » reprit Tops.
A ces mots, la servante leva un visage paniqué sur le sergent puis sur l'inspecteur Japp.
« George n'y est pour rien. Il n'a rien fait. Il est innocent. »
Le calme apparent de la femme venait de voler en éclats. Japp posa sa main sur le bras de madame Jackson.
« Nous ne le soupçonnons pas, madame.
- Pas encore, » enchaîna Tops.
Le regard foudroyant que lui jeta Japp fit taire, enfin, le sergent Tops.
« Nous ne le soupçonnons pas, mais il nous faut la vérité, madame. Toute la vérité ! »
La servante baissa la tête, à nouveau, puis sembla prendre son parti et avoua, tout.
Elle avait prévu la mort de sa maîtresse, fit acheter le poison par la jeune infirmière, elle empoisonna la confiture de rose de Lady Bentley. Elle servit comme d'habitude la vieille femme puis attendit le résultat. Un jour ou l'autre, elle devait mourir à cause du poison. Après l'enquête, elle allait enfin recevoir le les de l'héritage pour convoler avec M. Stocker. Puis, la femme se tut, épuisée par la pression accumulée.
« Pourquoi maintenant, madame Jackson ?, demanda tout à coup Poirot.
- Parce que M. Stocker ne voulait plus attendre, monsieur Poirot. »
Le petit Belge ne releva pas mais poursuivit son interrogatoire, ce qui énervait passablement le sergent Tops.
« Et votre fille, madame ?
- Je ne sais pas où elle est, monsieur Poirot. »
Poirot se leva et s'approcha de madame Jackson puis délicatement, il plaça entre ses mains la photographie du bébé trouvée dans sa chambre. Mme Jackson la saisit et remercia le détective dans un sanglot.
« Comment s'appelle-t-elle ?, reprit Poirot.
- Émilie.
- Vous n'avez jamais eu de nouvelles d'elle, madame ? »
La servante leva un regard troublé sur le détective belge. Hercule Poirot la contemplait avec compassion.
« Jamais, M. Poirot. »
Leurs yeux s'accrochèrent puis Poirot ajouta, d'une voix si douce que cela surprit tout le monde.
« Et de son père ?
- Jamais, M. Poirot.
- Merci, madame Jackson. »
Poirot s'éloigna mais Japp revint à l'attaque fermement.
« Et les dix mille livres de Mme Van Creek ?
- Je n'ai jamais volé l'argent de madame Van Creek, inspecteur-principal !
- Qui les a volés ?
- Je ne sais pas, monsieur l'inspecteur-principal.
- Et votre sœur ? Qui l'a tuée ?
- Je ne sais pas, murmura Mme Jackson, avant de se remettre à pleurer.
- Vous prétendez avoir tué votre ancienne maîtresse et vous être enfuie sans la voler et sans la complicité de votre sœur ?
- Lucie n'était pour rien dans cette histoire !
- Qui alors ?, hurla le sergent Tops.
- Je ne sais pas ! »
Et la malheureuse s'évanouit sous la pression des policiers. Il ne resta plus qu'à l'emporter dans sa cellule et à faire venir le médecin. Il fallait attendre qu'elle se remette, mais personne n'était vraiment satisfait.
« Ces femmes, grogna Tops, elles croient que quelques larmes et une syncope changent la donne. Le coroner appréciera qu'on ait trouvé si vite le coupable de la mort de Lady Bentley.
- Oui, mais j'aurai aimé boucler enfin l'affaire de Chichester, ajouta l'inspecteur Japp.
- Vous avez l'empoisonneuse, c'est déjà ça !
- Qui s'est chargé de la petite Émilie Jackson après la fuite de sa mère ?, demanda Poirot.
- Un membre de la famille Jackson, un oncle de Caroline, je crois.
- La petite est toujours chez lui ?
- Je suppose Poirot, rétorqua sèchement Japp. Mais que vient faire cette gamine dans notre histoire ? J'ai besoin de savoir où sont les dix mille livres et qui a tué Lucie Jackson ! L'affaire sera enfin close à ce moment-là.
- Une minute, fit tout à coup Hastings. Et les lettres de menaces ? Qui les a envoyées ?
- Certainement la bonne, pour déplacer les soupçons sur Mlle Carrow, reprit le sergent Tops.
- Des lettres de menaces ?, » répéta Japp.
En quelques mots, il fut informé de l'existence des lettres de menaces, de l'angoisse de Lady Bentley, de la demande d'aide adressée à un Hercule Poirot, bien incapable de l'apporter vu son état de santé.
« Tiens, la belle rouquine a changé sa méthode. Il n'y avait pas de lettres de menaces pour Mme Van Creek.
- Elle pensait qu'on ne la soupçonnerait pas grâce à ces lettres.
- Vous devez avoir raison, sergent, » asséna Japp.
Ce fut une surprise de voir les joues pâles du sergent se colorer tout à coup.
« Vous savez, inspecteur Japp, reprit Poirot, l'air absent. Il y a deux petits détails qui me chiffonnent dans cette affaire.
- Seulement deux ?, se mit à rire Japp.
- Que s'est-il passé il y a trois mois qui a poussé notre assassin à écrire ces lettres de menaces ? Et pourquoi la mort de Lady Bentley a été décidée hier ?
- Le hasard, monsieur le détective, murmura le sergent. Simplement le hasard. Ou alors le pharmacien a été plus pressant que d'habitude.
- Cela vous semble important Poirot ? Cette chronologie ?
- Peut-être. »
Le sergent Tops haussa les épaules ostensiblement mais Japp, lui, avait l'habitude des excentricités du petit Belge. Poirot ne posait jamais de questions par hasard.
« Je vais m'informer sur la gosse, cela vous va Poirot ?
- Merci, inspecteur Japp. »
Le sergent Tops était abasourdi de voir un inspecteur de Scotland Yard prendre au sérieux ce petit détective belge aux moustaches si ridicules mais il ne dit rien. Poirot, il était vrai, jouissait d'une sacrée bonne réputation.
« Et maintenant il ne vous reste qu'une chose à faire, sergent Tops, dit tranquillement Poirot.
- Laquelle, M. Poirot ?, rétorqua le sergent, tendu.
- Libérer Mlle Carrow, » sourit le petit Belge.
Le sergent prit lentement sa respiration avant de répondre le plus calmement possible au détective.
« J'aimerais conserver encore un peu ce témoin afin de pouvoir l'interroger, M. Poirot. Si cela ne vous fait rien. »
Et le sourire amical de Poirot disparut pour laisser la place à un regard dur et autoritaire.
« Alors je vous prierai de tout faire pour que les deux femmes ne se parlent pas. C'est d'une importance capitale.
- Je n'ai pas d'ordres ni de conseils à recevoir de vous, M. Poirot, rétorqua sèchement le sergent Tops.
- Vous craignez pour la vie de Mlle Carrow ?, demanda Hastings.
- Je crains toujours pour sa vie.
- Laissez-nous faire notre travail, M. Poirot !, » explosa le sergent Tops.
Japp laissa faire, impuissant, et se tut, le visage désolé. Le sergent n'avait pas tort et c'était sa juridiction après tout. Poirot ne dit plus rien et salua les deux policiers.
Dans le couloir du commissariat, Poirot apprit d'un policier que Mme Jackson était toujours souffrante et qu'un médecin était à son chevet. Quant à Mlle Carrow, elle espérait être libérée ce soir.
Poirot retourna résolument à l'hôtel, suivi par Hastings ; le capitaine était choqué par toute cette affaire. Et dans l'hôtel, enfin !, un message de Miss Lemon attendait le détective. Il le lut et sourit avec soulagement.
Il savait qui, comment et pourquoi...pour Lady Bentley... Il fallait encore creuser pour Mme Van Creek, mais pas tellement...
« Miss Lemon arrive demain. Avec la conclusion de cette affaire, mon cher Hastings.
- Alors ça y est ? Vous savez tout ? »
Poirot ne répondit pas, mais son sourire parlait pour lui. Cependant, il se résolut à retourner au commissariat. Lorsque Hastings voulut l'accompagner, Poirot refusa poliment, le priant de l'excuser.
« Vous savez bien, mon cher Hastings, que je réserve les explications lors du dénouement. J'en ai plus que besoin aujourd'hui. Alors laissez-moi ma méthode. Mais si vous voulez vous rendre utile, j'aurai quelque chose à vous demander, en effet.
- Laquelle ?
- Les références de Caroline Jackson. Trouvez-les moi, mon cher ami, et je vous serais infiniment reconnaissant. »
Hastings partit en chasse. L'intendant, M. Wilson, devait bien les avoir dans ses dossiers sur le personnel. Et Poirot se dirigea vers le commissariat. Il devait parler à Mme Jackson. Lorsqu'il arriva, les deux inspecteurs avaient disparu pour le dîner. La journée était passée si vite ! Poirot n'eut aucun mal à accéder à la cellule de Mme Jackson.
L'inspecteur-principal de Scotland Yard Japp était passé par là et avait affirmé son intention de travailler coûte que coûte avec le petit détective belge, donc on se pliait aux ordres de Londres.
Mme Jackson s'était reprise, elle se tenait assise devant son repas qui refroidissait lentement, les yeux perdus dans le vague. Poirot s'assit à ses côtés, sans qu'elle ne réagisse.
« Vous devriez manger, madame. Cela ne sert à rien de se laisser mourir de faim ! »
Elle rit amèrement en entendant ces paroles sensées.
« Et c'est vous qui me dites cela ? M. Poirot ? Alors qu'il n'y a pas si longtemps vous-même vous vous laissiez aller.
- Je l'ai regretté, madame.
- Vous devriez manger un peu plus aussi, M. Poirot. Vous êtes trop maigre, cela ne vous va pas. C'est ce que me disait Mlle Alice, il y a quelques jours. »
La bonne sourit avec bienveillance mais Poirot n'apprécia pas la mention de la jeune infirmière. Il ne releva pas et reprit la discussion.
« Appréciez-vous beaucoup Mlle Carrow ?
- Elle est gentille, M. Poirot, et compétente. Tout le monde vous le dira.
- Et vous ? Comment la voyez-vous ?
- Comme une jeune femme gentille et une infirmière compétente. »
Poirot se fâcha et se leva avec violence, se mettant à faire les cent pas nerveusement dans la cellule si étroite.
« Vous ne me dites pas la vérité, madame Jackson !
- Navrée que ma vérité ne corresponde pas à celle que vous souhaitez, M. Poirot !
- Il n'y a pas plusieurs vérités ! Il n'y en a qu'une et c'est celle que je veux !
- Malgré tout ?
- Malgré tout ! »
Les yeux verts se fixèrent sur la servante avec attention. Mme Jackson hésita un instant puis se décida à parler :
« J'ai voulu l'incriminer parce que je savais que son rôle d'infirmière ne jouerait pas en sa faveur. Ce fut facile.
- Et les lettres de menaces ?
- Un alibi et une arme contre Mlle Alice.
- Pourquoi commencer à agir il y a trois mois ? »
La servante se troubla mais répondit d'une voix lasse :
« M. Stocker, George, a contracté une forte dette. Je voulais l'aider à rembourser. J'ai donc précipité les choses.
- Il lui faut l'argent quand ?
- Dans un mois au plus tard. Sinon il risque de perdre son officine et d'être déclaré en faillite.
- Qu'a-t-il fait ?
- Un mauvais placement et les créanciers sont peu patients.
- Est-il complice ?
- Non !, répondit durement Mme Jackson. Il croyait vraiment qu'il y avait des guêpes. Il n'est pas entomologiste, comme vous. »
Elle eut un faible sourire que Poirot lui rendit. Mais le détective n'abandonna pas, il voulait tout savoir. Profiter de l'absence du sergent Tops pour manœuvre l'interrogatoire comme il l'entendait.
« Et votre fille ?
- Chez mon oncle, Marc Jackson, à Richmond. Émilie y grandit bien. Il m'envoie des nouvelles de temps en temps.
- Et il y a trois mois ? »
Une fois de plus, la femme prit un instant pour réfléchir posément, troublée par la question.
« Rien n'est arrivé il y a trois mois, M. Poirot, hormis le mauvais placement de M. Stocker. »
Le détective sourit sans rien dire et reprit ses questions.
« Et M. Van Creek ?
- Je ne sais pas, M. Poirot. »
Cette fois, ce fut un regard paniqué qu'elle posa sur le détective belge. Poirot la regardait avec bienveillance mais un je-ne-sais-quoi dans le regard rappelait le chat faisant face à la souris.
« Que savez-vous de M. Van Creek ?
- Rien, madame Jackson. Puisque vous ne voulez rien dire. Ne vous inquiétez pas pour lui. Il est intouchable.
- Vous ne pourriez pas comprendre, M. Poirot, gémit la femme en se tordant les mains.
- Il a encore tellement de pouvoir sur vous, madame ?
- Vous ne pourriez pas comprendre, répéta la malheureuse d'une voix éteinte.
- Et si vous essayiez tout de même ? »
Devant le signe de dénégation de Mme Jackson, le sourire de Poirot s'accentua, mais sans pour autant devenir plus chaleureux.
Peut-être cet interrogatoire mené par Poirot était une torture plus terrible pour la malheureuse que d'être interrogée durement par les deux policiers. Elle se mit à nouveau à pleurer en cachant son visage dans ses mains. Le petit détective souhaita une bonne nuit à la servante et se prépara à quitter la cellule. Mme Jackson le laissa s'approcher de la porte puis elle se précipita sur lui, en pleine panique.
« Promettez-moi que vous ne parlerez pas de moi à ma fille, je vous en supplie, M. Poirot. »
Devant l'angoisse de la pauvre mère, Poirot ne voulut pas être trop cruel.
« Je vous promets, madame, de garder vos secrets aussi longtemps que je le peux. C'est tout ce que je peux vous promettre.
- Merci, M. Poirot, un jour, je vous dirais tout !
- Mais j'y compte bien, madame. Je l'espère pour vous et pour votre fille. »
Après ces paroles, si dures, Poirot se retourna vers la femme et lui saisit les mains, un flot d'émotions dans la voix. Des remords ?
« J'ai une faveur à vous demander, madame. Une faveur importante que je vous supplie de m'accorder.
- Laquelle, M. Poirot ?, demanda la servante, surprise et inquiète par le ton pressant employé par le détective.
- Puisque vous ne voulez pas me dire la vérité, ne prenez pas de décisions définitives sans m'en parler ! Je vous en supplie ! Faites-moi confiance !
- Mais de quoi parlez-vous M. Poirot ?
- Je peux vous sauver de beaucoup de choses, mais je ne peux pas vous sauver de vous-même.
- Je ne vous comprends pas M. Poirot. »
Le détective, une fois encore, fixa Caroline Jackson dans les yeux avec insistance mais il n'obtint pas le résultat escompté. Il salua bientôt la femme et quitta enfin la cellule.
Arrivé devant le policier de garde, celui-ci lui signala que Mlle Carrow souhaitait lui parler. Cinq minutes si possible. Le détective lutta avec l'homme un instant et ce fut le détective qui céda. Il était bien attrapé.
La jeune femme se jeta sur le détective, un sourire craintif aux lèvres.
« Il m'a bien semblé entendre votre voix, M. Poirot. Avez-vous des nouvelles ? Je n'en peux plus de ce silence. »
Hercule Poirot regardait Mlle Carrow avec curiosité et s'approcha d'elle.
« Que se passe-t-il, mademoiselle ? Vous traite-t-on durement ?
- Non, M. Poirot, mais on me laisse dans le noir. Je ne sais rien de ce qui se passe. Et cela m'angoisse. »
Poirot dut se faire violence pour ne pas tout lui dire, il l'assura que le temps jouait en sa faveur. Puis il eut le souffle coupé lorsque la jeune femme se jeta dans ses bras en tremblant. Malgré lui, le petit Belge la serra contre lui. La rassurant de son mieux. Cela devenait une habitude.
« Ne m'abandonnez pas, M. Poirot, je vous en prie !
- Je ne vous abandonne pas. Demain tout sera réglé !
- Demain ?, fit-elle, d'un ton plein d'espoir. »
Les yeux verts de l'infirmière plongèrent dans ceux de Poirot. Émeraude contre émeraude. Ce fut Poirot qui plia devant la douceur de la jeune femme. Il l'enlaça dans ses bras et murmura, le souffle un peu court :
« Demain, je vous sors de cette cellule, je vous le jure !
- Merci M. Hercule Poirot. »
Ils se sourirent, incertains. Entendre son prénom venir de le bouche de la jeune femme étourdissait Poirot. Le policier de garde frappa à la porte pour lui rappeler de sortir. Cela les fit sursauter, comme s'ils enfreignaient une règle, comme s'ils risquaient d'aller trop loin...
Poirot relâcha Mlle Carrow et s'inclina devant elle avant de partir.
Le policier fut soulagé de le voir enfin et lui lança que cinq minutes ne signifiaient pas quinze, et que comme ces deux entrevues n'avaient pas été accordées par les chefs, il ne fallait pas abuser.
Le détective remercia le policier avec déférence et il s'en alla définitivement. Le détective se sentit à nouveau vieux, infiniment vieux et fatigué. Il fut heureux et soulagé de pouvoir partir sans rencontrer personne, surtout pas Japp. Il ne l'aurait pas supporté.
A l'hôtel, le capitaine Hastings attendait le détective avec impatience, il avait les références de Caroline Jackson. Elles étaient succinctes, une simple lettre de recommandations, mais de la part d'un certain M. Robert Van Creek. Hastings jubilait. Quelle imprudence !
La boucle était bouclée, il fallait maintenant jouer le dernier acte. Poirot remercia Hastings, mais dédaigna le dîner. Il ne prit qu'un peu de pain et de fromage puis alla se coucher...au grand désarroi d'Hastings.
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