DEPART
Le matin, le capitaine eut un mal fou à se réveiller. Il prit le temps de préparer sa malle. Il posa les yeux sur le parc depuis la fenêtre. Il vit la jeune femme, seule, auprès du lac. Poirot n'était pas visible.
Une fois habillé, Hastings descendit dans la salle à manger. Il savait qu'il allait retrouver Lady Bentley, seule, comme tous les matins et en effet la vieille dame était seule et semblait inquiète.
« Bonjour capitaine Hastings. Alors vous nous quittez ? Ma chère Alice m'a prévenue ce matin que M. Poirot vous accompagnait.
- Il semble penser qu'il se rétablira plus vite s'il se remet au travail.
- Malgré sa tentative... ?
- Il le pense en tout cas.
- Espérons qu'il aura raison. Je suis désolée, sincèrement, pour lui...et pour ma petite Alice... »
La vieille dame allait ajouter quelque chose lorsque le détective fit son apparition dans la salle à manger. Poirot, affaibli, marcha lentement, le visage fermé, le regard dur. Il salua brièvement les deux personnes présentes et allait se joindre à elles lorsque Mlle Carrow arriva à son tour. La jeune femme était pâle également, après sa nuit agitée, ses yeux avaient rougi. Elle n'arriva qu'à afficher un petit sourire bien loin des sourires rayonnants qu'elle prodiguait ces jours-ci. Un instant, Poirot et Mlle Carrow se firent face puis le détective s'écarta et laissa le passage à la jeune femme. Poli, respectueux M. Hercule Poirot.
Celle-ci, dans un mouvement irréfléchi, saisit le bras de Poirot et lui demanda s'il allait bien.
« Ne vous inquiétez pas, mademoiselle. Poirot va bien et n'a pas besoin de vos services. Je vous remercie pour tout. »
Poirot se dégagea puis s'inclina galamment avant de laisser la jeune femme sur le pas de la porte pour venir s'asseoir et prendre son petit-déjeuner. Mlle Alice Carrow restait abasourdie. Elle vacilla puis quitta la salle à manger précipitamment.
« Poirot, lança Hastings, avec une pointe de reproche dans la voix. Vous ne devriez pas traiter cette chère mademoiselle Alice de cette façon.
- Oui Hastings ? Il me semble pour ma part que j'ai été on ne peut plus poli. Cette jeune femme a parfaitement rempli son rôle d'infirmière personnelle. Je me sens mieux et c'est grâce à elle. Vous le lui direz, Lady Bentley, si je n'ai pas été assez clair. Je lui suis infiniment reconnaissant.
- Oui M. Poirot, » reprit faiblement la vieille dame.
Bientôt le repas fut terminé. Poirot se contentait toujours d'une simple tasse de thé et d'un toast. Puis les malles furent emportées et les adieux consommés. Avant de laisser les deux hommes monter dans sa voiture, Lady Bentley ne put s'empêcher de parler une dernière fois au capitaine Hastings de ce qui la tracassait tellement.
« Ne m'oubliez pas capitaine !
- Non madame. Si une nouvelle lettre arrive, prévenez-moi et je vous promets que je viendrais vous apporter mon aide.
- Et celle de Poirot, Lady Bentley, ajouta le détective belge. Le capitaine Hastings m'a fait part de vos tourments. Je ne suis pas au mieux de ma forme mais cela n'a que trop duré. Poirot sera là pour vous. Je vous le jure ! »
La vieille femme parut rassurée. Elle remercia les deux hommes avec un pâle sourire. La voiture partit pour la gare. Retour à Londres !
Poirot n'avait pas menti. Il se jeta à corps perdu dans le travail. Tout d'abord, il fila le jour même à Scotland Yard prêter son assistance à l'inspecteur Japp. Il remit de l'ordre dans son courrier, fit répondre à tout le monde, visita quelques clients potentiels. Il en profita pour commander quelques nouveaux costumes, il ne voulait plus de bretelles ni de ceintures.
La fin de ce jour le trouva assis à son bureau, le visage toujours aussi fermé, fatigué, mais au travail, les petites cellules grises reprenaient du service.
Et ce jour ressembla à tous les jours suivants.
Poirot avait repris les collier, comme il l'avait annoncé, mais le cœur n'y était plus. Le détective belge ne souriait plus, il faisait très bien son travail, aussi bien qu'auparavant, mais de façon mécanique, froide, sans le petit pétillement dans les yeux. Son retour précipité avait surpris, et inquiété, Miss Lemon, elle fut ensuite heureuse de le voir reprendre goût aux enquêtes, réclamer sa tisane, retrouver ses habitudes. Bref, revenir à la vie. Puis elle déchanta quand elle s'aperçut que Poirot avait perdu goût à la vie. C'était devenu un homme froid, poli, maniéré, sans humour, terriblement efficace. Un autre Hercule Poirot en somme.
Japp s'en rendit compte aussi. Poirot était habituellement une personne fort sympathique mais il était devenu distant. Comme s'il ne connaissait pas Japp depuis des années. Et l'inspecteur avait du mal à s'y faire.
« Mais bon sang que lui arrive-t-il Hastings ? Il ne reconnaît plus ses amis ?
- Il essaye de sortir de sa dépression, tenta maladroitement le capitaine.
- Vivement qu'il réussisse. Je n'aime pas du tout ses manières. »
Mais Japp était compréhensif et patient. Hastings n'avait parlé à personne de la tentative de suicide de Poirot. Ce fait était enterré, oublié. Le capitaine se félicitait même de voir le changement opéré chez le détective. Il était froid, certes, mais il n'était plus suicidaire.
Le docteur se félicita aussi du repos à la campagne du détective. Poirot allait sensiblement mieux, même si la tension n'était pas parfaite. Un prolongement des vacances n'aurait pas été inutile. Poirot refusa même d'y penser. Il en avait soupé de la campagne et devait rattraper des semaines de retard dans son travail.
Le médecin lui prescrivit des compléments alimentaires et parla de repas plus conséquents, cela devenait indispensable vue la maigreur du détective. Poirot continuait à se nourrir de façon vraiment frugale et sans s'intéresser vraiment au contenu de son assiette.
Mais malgré tout Poirot accomplit des exploits. Des enquêtes compliquées, des vols spectaculaires, des scandales à étouffer... Que des succès mais les télégrammes de félicitation, les articles élogieux dans les journaux, les demandes d'interview ne rendaient pas le sourire à Hercule Poirot. Cela ne semblait lui faire ni chaud, ni froid.
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