Chapitre 2
Alex s'immobilisa sur l'avant-dernière marche de l'escalier et parcourut le hall du regard. Il avait décidé de gagner la salle à manger sans attendre Jules, mais il le regrettait presque à présent qu'il réalisait qu'il n'avait aucune idée de l'endroit où elle se trouvait.
Il repéra, sur sa gauche, une porte en bois brun à demi dissimulée par l'accueil, et songea qu'elle menait peut-être à une partie du gîte qui n'était pas autorisée à la clientèle. Le battant pivota sur ses gonds au moment où Alex s'apprêtait à se diriger vers lui.
Une femme franchit l'encadrement d'un pas vif, mais s'arrêta lorsqu'elle perçut la présence de l'adolescent et se tourna pour lui faire face. Elle devait être âgée d'une cinquantaine d'années, à en croire les rides qui soulignaient ses yeux verts et étiraient la commissure de ses lèvres. Ses formes, ses joues, son menton... Tout chez elle était bien en chair. Même sa chevelure était si épaisse qu'une mèche brune, parsemée de fils d'argent, s'était échappée du filet qui la retenait.
— Bonjour, toi ! le salua-t-elle avec un sourire avenant, en s'essuyant les mains sur son tablier blanc. Tu dois être le neveu de la patronne... Alexandre, c'est ça ?
— Juste... Alex, marmonna l'intéressé, mal à l'aise, comme à chaque fois qu'il devait interagir avec une personne qui ne lui était pas familière.
— Ravie de te rencontrer, juste Alex, même si Nathalie m'a tellement parlé de toi que j'ai déjà l'impression de te connaître. Je suis Marlène, la cuisinière. Ton oncle et ta tante vous attendent dans la salle à manger. Tu sais où c'est ?
— Pas vraiment, non...
— Passe cette porte, et ce sera ensuite la deuxième sur ta droite. T'as de la chance : au menu, aujourd'hui, c'est ratatouille. Ma spécialité ! Tu m'en donneras des nouvelles.
Elle lui adressa un clin d'œil, et Alex s'empourpra. Malgré la bonhomie de son interlocutrice, il ne parvint pas à mettre sa timidité naturelle de côté. Il lui fallait du temps avant de s'habituer aux gens et se sentir moins gêné en leur présence.
— M-Merci, bredouilla-t-il pour toute réponse.
— Pas de quoi, mon chou.
Sur ces mots, Marlène s'éloigna en se dandinant. Alex enjamba l'ultime marche qui le séparait du rez-de-chaussée et suivit le chemin que la femme venait de lui indiquer. Il s'engagea dans un couloir dont la pénombre contrastait avec le reste du gîte, beaucoup plus lumineux.
Une délicieuse odeur de nourriture flottait dans l'air. Bien qu'Alex ne soit ni gourmand ni gourmet, il en eut l'eau à la bouche. Les effluves s'intensifièrent lorsqu'il poussa la porte de la salle à manger où, ainsi que Marlène le lui avait annoncé, Rodolphe et Nathalie étaient déjà installés.
La pièce était d'une extrême sobriété. Elle ne contenait pas d'autre mobilier qu'une grande table en acajou et la dizaine de chaises qui l'entourait. Le couvert avait été dressé pour quatre personnes. Le regard d'Alex s'attarda sur les assiettes en porcelaine, si élégantes qu'elles avaient dû être peintes à la main. Le goût exquis du défunt Lucien lui avait permis de concilier raffinement et simplicité dans l'aménagement de son gîte.
Alex longea le mur tapissé d'un papier vert pâle rayé de jaune et rejoignit sa tante qui s'était levée pour l'accueillir, au contraire de Rodolphe. Lui n'avait pas bougé d'un pouce et sirotait un verre d'alcool en guise d'apéritif. Nathalie tira le siège qui jouxtait le sien en invitant son neveu à prendre place.
— Ta chambre te plaît ? interrogea-t-elle après s'être rassise.
— Elle est très confortable, éluda Alex.
— C'était l'une des préférées de Lucien. Il aurait été ravi qu'elle te convienne.
Alex choisit de croire Nathalie sur parole, car il n'avait jamais vraiment connu son frère. Il ne l'avait vu qu'à de rares reprises, et toujours dans le cadre de réunions de famille organisées pour des évènements, tels que l'anniversaire de Nathalie, Noël ou encore le Nouvel An.
Alex n'appréciait guère ces grands repas autour desquels tout le monde se rassemblait. Faute de participer à la conversation, il passait la majeure partie du temps à fixer son assiette et à croiser les doigts pour que ces pensums ne s'éternisent pas, esquivant de temps à autre les piques que Jules – ou Rodolphe – lançait à son encontre.
Il appréhendait d'ailleurs le déjeuner qui était sur le point d'avoir lieu. La perspective de se jeter dans une fosse pleine de lions affamés lui paraissait presque plus douce que de manger en compagnie de son père et de son oncle réunis. Nathalie avait dû anticiper ses craintes, raison pour laquelle elle l'avait encouragé à s'installer à côté d'elle.
Jules annonça la couleur à l'instant où il apparut. Il rajusta le col de sa chemise tout en dardant un regard incendiaire sur son fils, qui ne tenta pas de le soutenir plus d'une demi-seconde.
— Tu aurais pu me prévenir que tu descendais, reprocha Jules. Ça m'aurait évité de me démonter les phalanges contre la porte de ta chambre.
— Tu as laissé les gonds en place, j'espère, répliqua Nathalie sur un ton sarcastique, en adéquation avec la lueur moqueuse qui brillait dans ses yeux lorsqu'ils se posèrent sur son beau-frère.
Alex baissa la tête pour masquer le frémissement de ses lèvres, provoqué par le sourire qu'il peinait à réprimer. Que n'aurait-il pas donné pour posséder le quart de la répartie de sa tante, au lieu de se laisser marcher sur les pieds par son père ?
— Alors, Alexandre ! éructa Rodolphe après que Marlène eut servi l'entrée, une salade à base de tomates et de mozzarella. Tu as l'intention de te remettre à travailler, en septembre ? Ou tu comptes rater ton bac deux ans de suite ?
La fourchette de l'adolescent émit un crissement quand, en voulant piquer une boulette de fromage, il manqua sa cible à cause d'un mouvement un peu trop sec et racla le fond de son assiette.
— Tu sais que tu nous as tous déçus, en échouant ? poursuivit Rodolphe sans lui laisser l'occasion de relever. À défaut d'en avoir dans les muscles, on pensait que tu en avais au moins dans la tête. C'est à se demander de qui tu tiens. Pas de ton père, en tout cas. Ni de moi. À ton âge, je commençais déjà à réfléchir à la société que je voulais créer, et regarde où ça m'a mené.
Alex prit sur lui pour ne pas paraître blasé. Son oncle avait l'habitude de prétendre avoir obtenu sa fortune grâce à son talent, sa persévérance et son ingéniosité, mais son projet avait surtout été financé à l'origine par son grand-père. Comme ce dernier s'était lui-même enrichi en collaborant avec le régime de Vichy, personne ne s'en vantait.
— Sa tête de linotte, c'est sa mère qui la lui a transmise, ça ne fait aucun doute, décréta Jules. Mais la plus grosse tare de ce gosse, c'est son manque total d'ambition. C'est presque une chance qu'il n'ait pas eu son bac, parce que figure-toi que Môssieur n'a pas la moindre idée de ce qu'il veut faire ensuite.
Les mains d'Alex se crispèrent tant sur ses couverts que ses jointures blanchirent. Il s'efforça de se concentrer sur ses rondelles de tomate, et non sur la conversation, mais Rodolphe parut s'en apercevoir, car il l'apostropha pour l'obliger à ramener son attention sur eux.
— C'est vrai, ça ? Tu n'as aucun plan pour l'avenir ?
Alex garda le silence. Même s'il avait souhaité s'exprimer, il n'y serait pas parvenu. Le souvenir du dessein qu'il avait nourri en secret pendant des mois, avant que tout soit brusquement balayé par des forces contre lesquelles il n'avait rien pu faire, lui comprima la gorge et lui serra le cœur.
Ce n'était ni par fainéantise ni par incompétence qu'Alex avait raté son bac, mais par défaut. Le futur qu'il espérait bâtir lui avait glissé entre les doigts avant même d'avoir vu le jour. À présent, il se sentait perdu, incapable de se projeter plus loin que le lendemain. Tout ce en quoi il croyait s'était effondré, et lui avec.
— Je... J'hésite encore, marmonna-t-il d'une voix rauque, car Rodolphe continuait à le fixer dans l'attente d'une réponse.
— Et tu comptes hésiter combien de temps ? insista son oncle. Je te rappelle que tu as dix-huit ans. Tu n'es plus un gamin à qui l'on doit ordonner de faire ses lacets. Tu es un homme, maintenant, alors cesse de tergiverser et conduis-toi comme tel.
« Conduis-toi en homme. » L'une des phrases fétiches de Jules. Comme s'il n'existait qu'une seule manière de se comporter sous prétexte que l'on était né avec un chromosome Y. Son père se considérait comme un exemple de masculinité, mais selon Alex, il était surtout un machiste en puissance.
— Oui, oncle Rody.
Inutile de discutailler ou de chercher à le contredire. Rodolphe, à l'instar de Jules, n'admettait qu'un avis : le sien. Moralement, les frères Amati étaient des jumeaux parfaits, ce qui était loin d'être un compliment aux yeux d'Alex.
Il mâcha longuement une tranche de tomate, mais même après l'avoir réduite en bouillie, il l'avala avec difficulté. Le repas venait tout juste de commencer, or la conversation avait déjà eu raison de l'appétit d'Alex. Il dut se forcer à terminer son entrée, après quoi Marlène leur apporta de copieuses assiettes de ratatouille, sa spécialité autoproclamée.
L'estomac de l'adolescent se noua à sa vue. Le met avait l'air succulent, et son fumet tendait à le confirmer, mais il se demandait comment il allait parvenir à ingérer une telle quantité de nourriture supplémentaire. Il s'imposa de prendre une première fourchetée, puis une seconde, sans pour autant réussir à savourer le goût de la préparation.
Pauvre Marlène... Elle était si fière de son plat qu'elle s'attendait certainement à recevoir des éloges. Sachant que ni Jules ni Rodolphe ne la féliciteraient, comment réagirait-elle en constatant de surcroît qu'Alex n'avait pas terminé son assiette ?
— Pas étonnant que tu sois si maigre si tu te contentes de picorer, commenta Rodolphe.
Il avait déjà englouti sa portion et repoussé sa chaise, car il était sur le point de sortir fumer une cigarette en compagnie de son cadet.
— Vous ne pouvez pas attendre la fin du repas pour ça ? soupira Nathalie.
— Au rythme où va Alexandre, le dessert ne sera pas servi avant minuit. J'aurai le temps de griller un paquet entier, d'ici là.
Sur ce, les frères Amati quittèrent la pièce, et la porte se referma derrière eux. Les prunelles de Nathalie s'attardèrent quelques secondes sur le battant, puis elle les ramena sur Alex, qui observait toujours sa ratatouille à peine entamée.
— Je suis désolé, je n'ai pas très faim, s'excusa-t-il. C'est sûrement le trajet en voiture qui m'a ballonné.
— Sûrement, répéta sa tante avec l'intonation de quelqu'un qui n'était pas dupe. Tu devrais sortir prendre l'air, ça te ferait du bien.
— Tu crois ? Ça m'étonnerait que Rody et mon père apprécient de me voir quitter la table.
— Ils n'apprécient pas particulièrement de t'y voir non plus.
Alex concéda un point à Nathalie. Partir au beau milieu du repas donnerait à Jules et à Rodolphe une nouvelle occasion de le critiquer, mais puisqu'il s'agissait de leur loisir préféré, auquel ils s'étaient adonnés jusqu'à présent, cela ne ferait guère de différence.
— Viens avec moi, lui enjoignit Nathalie en se mettant debout.
Alex l'imita et la suivit tandis qu'elle disparaissait derrière la porte massive que Marlène empruntait depuis le début du service. Elle menait à la cuisine, où la femme s'affairait aux fourneaux. En plus de s'occuper de la table de sa patronne, elle devait aussi répondre aux commandes des clients du gîte, installés dans la salle de restauration.
— Qu'est-ce qui lui ferait plaisir, à ce jeune homme ? s'enquit Marlène. Un rab de ratatouille ? Tu l'as appréciée ?
— Je...
— En vérité, le voyage a rendu Alex un peu malade, prétendit Nathalie. Est-ce que vous pourriez lui mettre une assiette de côté pour plus tard ? Je me chargerai de la faire réchauffer et de la lui porter dans sa chambre dès qu'il ira mieux. Dans l'immédiat, je pense qu'une petite promenade pourrait lui être bénéfique.
— Pour sûr, l'air frais, y a que ça de vrai ! Enfin, celui de la campagne... Tu viens de la ville, n'est-ce pas, mon chou ? Tu vas voir, ici, c'est autre chose. Y a pas toute cette pollution urbaine. Par contre, y a Yannick... La prochaine fois que cet imbécile s'avise de remettre les pieds dans ma cuisine avec ses bottes toutes crottées, je l'asperge d'eau bouillante !
Alex se balança d'une jambe sur l'autre, embarrassé. Marlène lui avait donné l'air d'être une personne débonnaire, mais il craignait de l'avoir jugée trop rapidement. Elle lui semblait soudain beaucoup plus intimidante.
— Ne t'inquiète pas, elle plaisante, le rassura Nathalie. Marlène ne ferait pas de mal à une mouche.
— Pas de mal, pas de mal, c'est vite dit... M'enfin, c'est vous la patronne. Si vous acceptez que ce malotru dégueulasse tout, c'est votre problème.
— N'essayez pas de paraître plus méchante que vous ne l'êtes, Marlène. Si vous aviez dû tuer Yannick, vous n'auriez pas attendu vingt-deux ans de mariage pour ça.
Alex laissa échapper un petit rire lorsqu'il réalisa qu'il avait simplement affaire à un couple querelleur. L'espace d'un instant, l'image horrifiante de la cuisinière ébouillantant le malheureux jardinier lui avait traversé l'esprit.
Comme le temps était limité avant le retour de Jules et de Rodolphe, Nathalie ne relança pas la discussion et entraîna son neveu vers une autre porte, qui donnait sur le flanc du gîte. Alex s'étonna que son père et son oncle ne soient pas sortis par là, avant de deviner la raison de leur détour par le hall.
Rodolphe ne s'abaissait probablement pas à pénétrer dans une cuisine, ni à utiliser une entrée de service. C'était un prestigieux chef d'entreprise, pas un manant. Et surtout pas quelqu'un de modeste.
Alex jeta tout de même un regard prudent de chaque côté, juste au cas où, avant de s'aventurer à l'extérieur. Il n'y avait personne. Seul l'écho de deux voix lui parvenait, celles d'un homme et d'une femme qui s'échappaient de la salle de restauration. L'adolescent n'en tint pas compte.
Il repéra un escalier sur sa gauche et décida de l'emprunter. Il adressa un bref signe de tête à Nathalie, qui le lui rendit, puis entama la descente des marches, plus étroites et plus abruptes que celles de la terrasse. Alex sauta les quatre derniers degrés pour se réceptionner sur un tapis herbeux. Il s'engagea ensuite sur un petit chemin de terre qui s'étendait jusqu'à l'extrémité de vastes prés rectangulaires, entourés par des clôtures électrifiées. Les paddocks.
À la mort de son frère, Nathalie n'avait pas hérité d'un simple gîte. Le domaine possédait également une écurie, qui servait à organiser des balades équestres dans les environs. Cette activité n'était pas réservée à la clientèle, et beaucoup de gens venaient louer une monture pour une heure ou deux, avec laquelle ils parcouraient la campagne alentour en suivant des itinéraires préétablis.
Alex le savait pour l'avoir lu dans la brochure que Nathalie lui avait envoyée par mail, quelques semaines plus tôt. De son vivant, Lucien se passionnait pour les courses hippiques et avait fait l'acquisition de nombreux compétiteurs en fin de carrière, afin de leur accorder une retraite paisible sur ses terres. Réformés, ils ne luttaient plus pour la victoire, mais offraient un moment d'évasion à leurs cavaliers, qu'ils soient amateurs ou expérimentés, le temps d'une promenade.
Alex avança jusqu'au paddock le plus proche, qui n'accueillait qu'un seul cheval. Il était de taille moyenne, mais possédait une silhouette musculeuse et trottait à toute vitesse, sa crinière s'agitant élégamment au rythme de ses foulées. Même pour l'adolescent qui ne connaissait pas grand-chose aux équidés, cette créature était magnifique, avec sa robe noire et son allure altière.
L'animal parut remarquer qu'il avait un visiteur, car il ralentit et se rapprocha de la clôture. Alex franchit d'un pas la distance qui le séparait encore de la barrière électrique et tendit la main à travers, afin de mettre le cheval en confiance. Ils n'étaient plus qu'à une trentaine de centimètres l'un de l'autre quand une voix s'éleva à proximité :
— À ta place, je ferais pas ça, p'tit gars.
Alex sursauta et recula aussitôt, effleurant par inadvertance l'un des fils de fer alimentés en courant. Il reçut une décharge légère, mais désagréable.
— Je... Je suis désolé. Je...
Tout en bafouillant, Alex se tourna vers l'homme qui venait de s'adresser à lui. Il était petit et râblé, avec un visage buriné encadré par une masse de cheveux bouclés, couleur poivre et sel. Sa peau était tannée par le soleil et ses bras aux muscles noueux étaient marqués par de nombreuses cicatrices, résidus de blessures qui ne semblaient pas avoir été très graves. Un simple regard sur la tenue de son interlocuteur – bottes en caoutchouc et vêtements maculés de terre – permit à Alex de deviner à qui il avait affaire.
— Vous... Vous êtes Yannick ?
— En personne. Et toi, tu es le petiot qui va me filer un coup de main, à ce qu'il paraît ? Alexandre ?
— Alex, corrigea machinalement l'intéressé. Il paraît, oui...
— J'ai été surpris quand j'ai vu ton oncle se pointer dans l'écurie, tout à l'heure. Il y met jamais les pieds, d'ordinaire, sans doute par peur d'abîmer ses godasses hors de prix. Enfin, je dois lui donner raison sur un point, c'est que t'es vraiment un sac d'os. Mais t'inquiète pas, je réussirai à trouver une ou deux tâches qui conviendront à un gringalet dans ton genre. Tu t'y connais un peu en jardinage ?
Alex entrouvrit les lèvres, mais aucun son ne daigna en sortir. Il se mit à balayer les environs du regard, à la recherche d'une alternative qui lui apparut lorsque ses yeux revinrent sur l'animal ténébreux.
— Je crois que je me sentirais plus à l'aise avec les chevaux, affirma-t-il.
— Tu fais de l'équitation ?
— Non, mais je devrais réussir à les nourrir et à nettoyer les boxes si vous me montrez comment on s'y prend.
Alex n'était pas certain de ce qu'il avançait, mais il aurait été prêt à accomplir tout et n'importe quoi pourvu que cela n'implique pas l'entretien d'un espace vert. Yannick se gratta la tempe d'un doigt crasseux.
— Nettoyer les boxes, c'est à la portée de n'importe qui, finit-il par déclarer. T'auras juste besoin d'une fourche et de pas avoir peur de la poussière, parce que la paille, ça en dégage pas mal.
— Ça ne me dérange pas, assura Alex.
— Et conduire les chevaux au paddock, tu penses que tu saurais faire ? Ces grosses bestioles, ça peut impressionner quand on n'en côtoie pas souvent.
— Ils ne m'effrayent pas non plus. D'ailleurs... Pourquoi est-ce que vous m'avez arrêté ? Il est interdit de les caresser ?
— Oh non, tu peux, mais avec celui-là, c'est un coup à y laisser les doigts. Rebel, qu'il s'appelle. C'est un trotteur, et il porte bien son nom. Une vraie teigne ! Tellement rétif que la patronne a défendu qu'on s'en serve pour les balades. Malgré ça, elle refuse de s'en séparer, parce que c'est le dernier canasson que m'sieur Lucien a acheté. Tout aussi têtue que soit cette sale bête, elle y est attachée.
Alex hocha la tête. Il était admiratif de la capacité que Nathalie avait de masquer son deuil derrière ses sourires et sa bonne humeur. Elle paraissait toujours si enjouée qu'il était difficile de mesurer la souffrance qu'avait dû lui causer le décès de son frère. La vie continuait, cependant. C'était en tout cas ce qu'elle répondait à quiconque avait l'audace d'aborder le sujet.
— Si tu veux faire copain-copain, essaye plutôt avec le selle français, là-bas, ajouta Yannick en désignant un autre cheval, beaucoup plus imposant que Rebel, qui paissait deux paddocks plus loin. Et te laisse pas intimider par sa carrure, il est aussi doux qu'un agneau. C'est généralement à lui qu'on confie les cavaliers débutants.
— D'accord. Euh... Merci du conseil.
— Pas de quoi, p'tit gars. Fais quand même attention à toi.
Sur cette recommandation, Yannick prit congé, et Alex le regarda s'éloigner en direction d'une brouette pleine d'outils que le jardinier avait dû abandonner au moment de l'interpeller. Elle émit un bruit métallique lorsqu'il la souleva, tandis que son unique roue produisait un grincement lugubre.
Le son continua de se faire entendre même une fois que Yannick fut sorti du champ de vision d'Alex, et ne s'estompa totalement que lorsque l'adolescent se mit lui aussi en mouvement. Il rejoignit d'un pas lent l'animal que son interlocuteur lui avait indiqué.
Le selle français devait frôler le mètre quatre-vingts au garrot. La tête dressée, il était si immense qu'il dépassait largement Alex. Sa robe alezane n'avait pas la splendeur du crin sombre de Rebel, mais la liste blanche qui courait sur son chanfrein lui conférait un air sympathique.
Alex leva doucement la main, afin de ne pas apeurer le cheval, et la tendit vers lui, les doigts serrés et la paume à plat. L'animal la renifla pendant quelques secondes avant de lui donner un coup de langue râpeuse. Alex esquissa un sourire, le premier destiné à quelqu'un d'autre que sa tante depuis son arrivée.
Il regrettait de ne pas avoir demandé à Yannick le nom de l'équidé. Celui-ci, très affectueux, se frotta contre son bras pour réclamer des caresses. L'adolescent tapota son encolure, puis le flatta jusqu'à l'épaule, ce qui parut plaire au cheval. Il exprima son contentement d'un petit hennissement.
En fin de compte, Alex n'allait peut-être pas être simal loti que cela. Yannick n'avait pas l'air d'être un mauvais bougre, et laperspective de prendre part à l'entretien de l'écurie ne lui déplaisait pas.Même Rebel ne pouvait pas être plus terrible que Jules et Rodolphe, or tout letemps qu'Alex passerait ici le tiendrait à distance de son père et de sononcle. C'était une opportunité bien plus qu'une punition qui s'offrait à lui.
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