Le soleil à son zénith tappait sur épaules dénudées et le hâle naturel de notre épiderme nous protégeait quelques peu de ces baisers brulants. Il faisait chaud et pour une fois à cette heure avancée, nous n'étions pas dans les champs. C'était un jour spécial.

La musique résonnait en fanfare, égayant ce petit lieu qu'était Xieng-Khuang. Soudain, un de mes jeunes voisins m'interpella, il m'invitait à la rejoindre et semblait excité alors je le retrouvai. La foule était dense, je me frayai un chemin parmis les familles amusées et excitées qui acclamaient je-ne-sais-quoi.

Après de nombreuses minutes à tenter d'avancer et de percevoir quelque chose dans cet amas humain aussi dense qu'une forêt et aussi agité que la mer de Chine, nous rejoignîmes quelques amis, nous nous connaissions tous depuis l'enfance ici, fils de paysans, travailleurs des champs.

Je m'appuyai sur l'épaule de l'un d'eux pour me hisser sur la pointe des pieds et j'aperçus enfin ce qui agitais la foule qui poussait tantôt des cris effrayés, tantôt des hurlement amusés, ils acclamaient un serpent, un dieu, une merveille que jamais je n'avais perçu en deux décénnies d'existence. Habillé de couleurs vives, vermeille, pourpre, dorures et turquoise, se balançait un dragon. Il m'effraya au premier abord avec sa grande coiffe et ses moustaches, ses écailles colorées qui réverbaient le soleil et ses yeux noirs mais d'une profondeur abyssale, bien plus puissante que l'obsidienne de nos cheveux. Il se mouvait avec le vent, avec la foule tout comme en moi se mouvait une multitude d'émotions dominées par une seule : la fascination.

Je n'avais jamais rien vu de tel, de si beau, de si coloré. Et ça avait beau être un dragon de papier, il paraissait réel. Mes amies s'agitaient, criaient et frappaient dans leurs mains au rythme des cymbales, moi je restai figé, appuyé sur mon ami et épris d'une admiration effleurant la dévotion. Il semblait narguer, concurrencer le soleil tant il était solaire et majestueux, j'avais face à moi un dieu.

De nombreux cerf-volants et lanternes colorés gravitaient autour de lui comme une parade de merveilles animées par quelques habitants qui avaient vêtu leur plus beaux sinh et sarong, je me sentait tâche au milieu de cela, seulement vêtu de mon unique chemise blanche avec mes amis. Je n'étais pas digne à recevoir ce dieu dans cet habit, ce dieu qui venait clamer le début d'une nouvelle année.

J'étais hypnotisé par cette danse lascive qu'il exécutait sous les caprices du vent et lorsque mes yeux virent les billes onyx représentant les siens, je me sentis minuscule et empli d'une puissance, je fus presque effrayé le temps de quelques secondes de voir sa grande gueule colorée comme les plus belles pierres précieuses s'ouvrir pour laisser passer le feu ardent de sa fureur.

Je ne sais combien de temps je défiai cette chimère, cette divinité, ni si je le paierais plus tard, je ne ressentis que sa puissance. Mais lorsque ses yeux se détournèrent de mes prunelles, je ne pus qu'apercevoir, se mouvant au loin jusqu'à disparaître son corps ailé et ses petites pattes écaillées étincelantes et plus pigmentées que n'importe quelle fleurs, pierre ou vitrail de ce monde. Il avait laissé en moi un grand vide mais une fascination, un intérêt particulier. Je me sentis empli de sa puissance pour cette nouvelle année lorsque je repartis travailler au champs et cette puissance ne me quitta jamait.

J'avais rencontré le Roi, le seul et unique dieu en qui désormais je croyais et il avait apporté une nuance de couleurs bien plus variée à ma vie.

Mai 2020

Travail d'écriture de littérature à partir d'une photo.