06| des jolis yeux de chat
06
i r e n e
J'ÉTAIS UNE MAUVAISE JOUEUSE. C'était quelque chose qui me qualifiait depuis mon plus jeune âge et je n'avais jamais essayé d'y changer quoique ce soit. Perdre était pour moi la pire des punitions et c'était ce qui m'avait motivée à gagner lors des compétitions de natation. C'était génétique : mon père ne supportait pas la défaite et ma mère n'acceptait rien qui ne soit pas le meilleur. Je me souviens de leurs regards déçus lorsque je revenais avec ma petite médaille d'argent et que toute ma fierté s'envolait en voyant leur réaction.
- Joohyun, il faut que tu comprennes quelque chose m'avait expliqué ma mère dans le salon alors que nous venions de rentrer de ma première compétition. Je n'étais pas montée sur le podium, loin de là, j'avais fini avec dix secondes de retard sur la première arrivée, autant dire une éternité. Pourtant, je me souvenais de la joie que j'avais ressenti en sortant du bassin à l'eau gelée : j'avais enfin le droit de participer à ces grands rassemblements sportifs dont me parlaient mes parents depuis que j'étais en capacité de nager seule. Le but, je dirais même le principe, d'une compétition, c'est de gagner. Tu ne viens pas pour trainer derrière les meilleurs, tu viens pour être la meilleure. J'avais hoché la tête tout en admirant le petit badge de participation que l'on nous avait remis en sortant. Joohyun, lève les yeux et écoute-moi. Ca ne sert à rien de continuer à nager si c'est pour obtenir des résultats aussi ridicules, c'est clair ?
J'avais acquiescé, les larmes amères du désenchantement me montant aux yeux. Et puis, ma mère m'avait serrée contre son ventre arrondi comme pour panser la douleur qu'elle venait elle-même de m'infliger si bien que très vite, ma tristesse avait disparu, laissant place à une discussion futile sur l'arrivée prochaine de ma petite sœur.
Le message, lui, était resté bien ancré dans ma mémoire et il résonnait dans ma tête en ce moment-même alors que le mur qui symbolisait la fin de la course se rapprochait de ma main. Je devais être plus rapide et plus performante que mon adversaire ; je devais être la meilleure, c'était ça le principal.
Plus rapide et plus performante. Ces cinq mots tournaient en boucle dans mon esprit si souvent qu'il m'arrivait de les répéter sans réelle raison.
Plus rapide et plus performante. Je n'étais qu'à cinq mètres de l'arrivée, cinq mètres de la victoire.
Plus rapide et plus performante. Le coup de sifflet du coach résonnait dans mes oreilles alors que je n'avais pas encore touché ce foutu mur. J'avais perdu. Elle avait été meilleure que moi.
- ...oué, vraiment bravo Seulgi ! j'ai entendu Joohyuck dire en sortant la tête de l'eau. Ton temps est vraiment bon, si tu continues comme ça je pense que tu vas bientôt exploser ton record perso' et toutes les battre lors de la prochaine rencontre.
Elle souriait avec son air radieux et mielleux qu'elle réservait aux gens qu'elle se devait d'amadouer tandis que moi, je bouillonnais de l'intérieur. Comment est-ce que j'avais pu perdre face à quelqu'un comme elle ?
- Irene, c'était vraiment bien aussi. Ne te mets pas trop la pression parce que tu as perdue une course, okay ? Les mauvais jours arrivent à tout le monde. Je hochais distraitement la tête, enlevant mes lunettes et éclaircissant ainsi donc ma vision en même temps. Bon, je vous libère les filles, toutes les autres sont déjà parties. Tâchez de vous reposer un peu pendant ces trois jours sans entraînement : ce serait bête de flancher avant même le début de la saison et l'attribution du poste de capitaine.
La colère au fond de la gorge, je suis sortie de l'eau et, après avoir récupéré ma gourde et ma serviette, j'ai rejoint les vestiaires collectifs en traînant les pieds. Seulgi me suivait de près, j'entendais ses claquettes claquer contre le sol mouillé du bâtiment.
- Tu te rends compte Irene, c'est la première fois que je te bats ! s'est-elle exclamée une fois que nous nous trouvions dans la petite salle où nous pouvions retrouver des vêtements secs.
- Ne t'y habitue pas trop, aujourd'hui c'était une exception j'ai répondu en grognant. J'avais fait exprès de ne pas passer par l'étape de la douche en espérant pouvoir lui échapper mais Mademoiselle Pipelette semblait avoir décidé de faire amie-amie avec moi. Pourquoi est-ce que tu veux ce poste, Seulgi ?
Ses sourcils se fronçaient alors qu'elle me lançait un regard étonné, l'air de se demander ce que je racontais. C'était la première fois depuis le début de l'année que je m'adressais directement à elle.
- Pourquoi est-ce que je veux ce po- je sais pas trop, tout le monde veut être capitaine, non ? Pas toi ?
- Non, j'ai répondu fermement. Je n'ai pas vraiment envie d'être capitaine de l'équipe mais j'en ai cruellement besoin, contrairement à toi. Je ne suis pas une excellente élève, l'école c'est tout sauf mon truc alors si je n'obtiens pas de bourse sportive à l'université, je peux dire au revoir au fait de poursuivre mes études. Et tu sais aussi bien que moi que dans ce pays, sans diplôme on ne va nulle part.
Seulgi ne m'avait pas quitté des yeux, un air plein de compassion affiché sur son visage. Pour la première fois depuis que je la connaissais, je prenais le temps de l'observer.
- Je suis sûre que si tu te mets à bosser sérieusement cette année et que tu trouves un moyen de partager ton temps entre la natation et les cours, tu auras un dossier en béton et toutes les universités t'accepteront. Dieu, ce qu'elle était naïve de penser que je n'avais pas déjà essayé. Moi, par exemple, je crois que je veux être capitaine parce que c'est ma dernière année en tant que nageuse de compétition. Je nage depuis que j'ai cinq ans, c'est assez ; après cette année, j'aurais d'autres horizons à découvrir.
Elle continuait à parler de ses projets pour la suite sans que je ne l'écoute réellement. J'étais trop absorbée dans l'analyse de son visage. Elle était jolie, je n'y avais jamais prêté attention jusqu'alors. Elle avait une peau légèrement plus hâlée que la mienne, de jolies lèvres pleines et un air malicieux qui animait toute son expression quand elle parlait et lui donnait une allure sympathique. Et puis son sourire était si communicatif que je ne pouvais empêcher mes lèvres de l'imiter lorsqu'elle me parlait de ses rêves d'avenir (alors que je n'en avais pas écouté un seul mot).
Au bout de quelques temps de conversation, l'image de gamine naïve et stupide, bourrée de fausse confiance en elle que j'avais de ma rivale s'était transformée pour devenir celle d'une fille réfléchie et posée sachant très bien ce qu'elle allait faire de sa vie et qui débordait de bonne humeur. Et, lorsque je suis sortie du vestiaire quelques minutes plus tard, j'ai réalisé que la seule chose que j'avais retenu de cette discussion, c'était que Seulgi avait des jolis yeux de chat.
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