Chapitre 4
ELLISE
— Pouvez-vous me décrire à quoi il ressemblait ? Couleur des yeux ? Taille ?
L'officier laisse son regard glisser lentement de mon visage à son carnet recouvert de similicuir, dont la reliure usée témoigne de nombreuses années de service. Il attend. Patient, méthodique, il espère que je lui offre un détail décisif sur le vandale qui a brisé mon appareil photo.
Je ne sais pas vraiment ce qui me pousse à mentir à la police, mais c'est déjà fait.
— Je ne me souviens pas de grand-chose, je l'ai à peine vu, dis-je, d'une voix rauque, presque inaudible.
Le policier hoche la tête sans grande conviction, ses yeux revenant vers moi comme pour fouiller dans mes pensées. Il sait que je ne lui dis pas tout. Quelque chose dans mon comportement a éveillé sa méfiance, mais il n'insiste pas.
— Vous n'avez entendu aucun nom ? demande-t-il.
— Non, monsieur l'officier.
— Vous avez mentionné une cagoule, n'est-ce pas ?
— Oui, une cagoule noire. Et tous ses vêtements l'étaient aussi. Il avait... euh... une batte de baseball entourée de fil barbelé, j'ajoute, ma voix hésitante à chaque mot.
Ces "détails" génériques, bien que superflus, semblent pourtant atténuer les doutes de l'officier. Il hoche la tête, pensif, ses doigts effleurant distraitement l'étui de son arme.
— Ces gars-là ne savent faire qu'une chose : semer le chaos, marmonne-t-il.
— Vous n'avez pas réussi à en attraper un seul ? je lance, prenant un risque en m'adressant à lui comme si nous étions collègues.
Il me lance un bref regard avant de répondre, comme si ma question était insignifiante.
— Pas encore. Mais ça viendra. Bientôt, on leur tendra un piège. Ces bêtes méritent leur place en enfer.
Le venin dans ses mots me fait frissonner. Je hoche la tête en signe d'approbation, mais mes lèvres se contractent en une grimace forcée.
— Oui, des bêtes, je répète, presque mécaniquement.
— Je suis désolé pour ce qui vous est arrivé, mademoiselle. Nous réglerons cette affaire, tôt ou tard.
« Régler cette affaire. » Une expression qui signifie clairement : les enfermer, peut-être pour toujours. Les vandales de Riverside Cross sont une légende urbaine dans la région. Leur réputation les précède : des criminels, dit-on, dépourvus de toute morale, saccageant tout par simple plaisir ou frustration. On murmure qu'ils sont jaloux de ceux qui possèdent ce qu'ils n'auront jamais. Mais leur sauvagerie ne s'arrête pas au vandalisme. Ils volent. Parfois, pire encore.
Certains disent qu'ils aiment violer les femmes en groupe, et ces histoires, qu'elles soient vraies ou exagérées, me terrifient.
Devon arrive à ce moment-là, coupant court à ma discussion avec l'agent. Il se place devant moi et dépose un baiser rapide sur ma tempe.
— Je suis venu dès que j'ai pu, murmure-t-il.
Non, Devon, tu es venu dès que la police t'a appelé. Ce n'est pas la même chose.
Il hoche la tête en direction de l'officier.
— Agent Gallagher.
— Monsieur Whitmore, répond ce dernier, avant de saisir l'occasion pour s'éclipser et rejoindre les autres policiers.
Autour de nous, la scène est chaotique. Les agents examinent encore les dégâts : voitures éventrées, fenêtres brisées, statues renversées, colonnes fissurées, arbres déracinés, et même le kiosque en bois réduit à une carcasse. Jusqu'au système de climatisation qui pend misérablement, en lambeaux. On dit que les dommages frôlent les huit cent mille dollars.
Devon me dévisage, comme il le fait toujours, attentif.
— Ça va ? demande-t-il doucement.
— Oui, ça va, je réponds, d'une voix calme mais fatiguée.
— Est-ce qu'il t'a touchée ? Est-ce qu'il t'a fait quelque chose ?
— Non, il ne m'a rien fait.
— Dieu merci, viens là, souffle-t-il en m'attirant contre lui.
Il m'entoure de ses bras, me serrant fermement. Je résiste d'abord, mes épaules raides contre lui, mais très vite, mes défenses s'effondrent, et je lui rends son étreinte. Je me laisse happer par la chaleur rassurante de ses bras.
— Il semblerait que je n'aie plus qu'à m'acheter un nouvel appareil photo, je murmure, la voix étouffée contre sa chemise.
Je m'éloigne aussitôt que son étreinte se relâche.
— Il l'a cassé ? demande-t-il, son regard tombant sur ce qu'il reste de mon précieux Nikon Z8.
Un poids douloureux alourdit ma poitrine en repensant à la brutalité de ce moment. Ses yeux, illuminés par une rage presque jouissive, quand le fil barbelé a éraflé l'objectif avant de briser l'appareil...
Tu es un sacré connard, Cass, qui que tu sois.
— Oui, dis-je enfin. J'ai voulu le prendre en photo et...
Devon serre la mâchoire, son expression fermée.
— Tu as essayé de le prendre en photo ? Pourquoi as-tu fait ça ?
— Pour un article.
— Un article...
J'acquiesce et développe un peu :
— Les vandales de Riverside Cross. C'est un sujet qui fascine les habitants de Hollow Grove. Ça fait souvent la une des journaux. Tu sais combien ce genre d'investigation me passionne.
J'espère que cette explication va le calmer, qu'il va comprendre, pour une fois, mon besoin viscéral de prouver ma valeur dans le journalisme. Mais au lieu de cela, il se raidit davantage, son regard devient plus dur.
Il lève légèrement le menton – un geste qu'il fait toujours avant de prononcer une remontrance cinglante.
— Ce n'était pas nécessaire, Ellise.
Je résiste à l'envie de lever les yeux au ciel.
— Je vais le remplacer, ce n'est pas un problème.
— Ce n'est pas une question d'argent, siffle-t-il, irrité. C'est une question de sécurité. Arrête de te fourrer dans des situations impossibles !
Son ton grimpe d'un cran, mais je ne me laisse pas démonter.
— C'était juste une photo.
— Ce n'était pas juste une photo. C'était une photo d'un vandale, Ellise. Dois-je vraiment te rappeler ce qu'ils sont capables de faire ?
— Ce n'est pas la peine, Devon. Je sais déjà ce qu'ils sont.
Mon exaspération suinte de ma voix. Ses sermons constants me pèsent.
— Alors pourquoi tu l'as fait quand même ? C'est totalement irresponsable, grogne-t-il.
— Rien ne s'est passé, d'accord ? je lâche, coupant court.
Il reste silencieux une seconde, mâchant les mots qu'il voudrait dire, avant de murmurer :
— Pourquoi es-tu comme ça ?
— Comme quoi ?
— Si imprudente, si... têtue.
— Parce que je l'ai toujours été.
Je ne vais pas m'excuser pour ça. Je sais qui je suis. Cette flamme pour les défis, je la tiens de ma mère.
— Ce n'est pas vrai, dit-il doucement en attrapant mes bras, son geste mesuré mais ferme. Avant, tu n'étais pas comme ça. Tu étais... plus docile.
Je me tends. Docile. Ce mot m'arrache un rire sec.
Tu as tort, Devon. Je n'ai jamais été docile. J'étais simplement... plus jeune, plus naïve. Je n'avais pas encore trouvé ma voie. Maintenant, je sais ce que je veux.
Mon regard s'assombrit légèrement.
— Et ça t'agace, pas vrai ? Le fait que tu ne puisses pas me plier à ta volonté ?
Cette fois, c'est moi qui relève le menton et affronte son regard. Mes iris se plantent dans les siens, et je tiens bon, déclarant haut et fort ce qui compte le plus pour moi : ma liberté. Il finit par relâcher son emprise sur mes bras et recule d'un pas. Ses sourcils se froncent, puis s'arquent, trahissant sa confusion.
— J'essaie juste de te protéger, murmure-t-il, comme une plainte.
Je m'ancre dans ma résolution, inflexible.
— Eh bien, arrête. Je ne suis pas une enfant.
— Alors cesse d'agir comme telle.
La réplique claque, acérée, et m'arrache un sourire amer. Incrédule. Pense-t-il vraiment ce qu'il vient de dire ? Je suis loin d'agir comme une enfant, mais si c'est ainsi qu'il me voit... pourquoi pas ? Autant jouer ce rôle, ne serait-ce que pour lui faire ravaler ses mots. Quitte à taper du pied et à adopter une tenue absurde.
Je lui lance un regard noir, puis je pivote brusquement, le bousculant d'un coup d'épaule pour m'éloigner. Derrière moi, sa voix résonne, teintée d'un soupçon de regret.
— Ellise...
Puis encore, plus autoritaire :
— Allez, monte dans la voiture.
Je ne m'arrête pas.
— Je rentrerai seule ! dis-je sans me retourner.
Mes talons claquent contre l'asphalte humide, l'écho rebondissant dans la rue déserte. La lumière bicolore d'une voiture de patrouille, rouge et bleue, m'aveugle un instant alors que je traverse la chaussée, prenant soin d'éviter les grilles de trottoir.
— Ne fais pas l'idiote, monte dans la voiture ! crie-t-il, sa voix montant d'un cran.
— J'ai dit que je rentrerai seule, Devon !
D'un coin de l'œil, j'aperçois les policiers se tourner vers nous, intrigués. Mais qu'importe ? Ils ont sûrement mieux à faire que de surveiller une querelle futile. Devon, lui, abandonne la partie et me laisse partir.
J'accélère le pas, croisant les bras contre moi pour me protéger du froid mordant. L'air est chargé d'une humidité glaciale, et une fine brume s'étend comme un voile sur les rues désertes et les arbres environnants. En marchant, je me rappelle que Maddie m'a déposée ici. Mais où est-elle maintenant ? La dernière fois que je l'ai vue, elle me bombardait de questions sur mes plans. Des questions auxquelles je n'ai pas pris la peine de répondre.
Je sors mon téléphone de mon sac à main, tape rapidement mon code et envoie un message.
[ Maddie, t'es où ? ]
[ Maddie ??? ]
[ T'es encore à la fête ?
Je me suis disputée avec Devon, je veux rentrer.
Tu peux venir me chercher ? ]
J'attends, frustrée, mordant ma lèvre pour contenir ma colère. Une, deux, trois minutes passent, et aucune réponse. Génial. Appeler un taxi sera ma seule option.
Bravo, Ellise. Ne pas venir avec ta propre voiture ? Très malin.
Je m'arrête sur le trottoir, seule, sous un lampadaire qui clignote faiblement. Le béton est craquelé, usé par le temps, et une flaque d'eau reflète vaguement la lumière terne de la lune. L'air vibre d'une étrange tension.
Avant que je puisse composer un numéro, un rugissement grave fend le silence derrière moi. Le vrombissement d'une moto.
Je me fige, sentant une présence lourde, dominante, s'imposer dans mon dos.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro