Pinky Boy
Erwan.
- Je sais ce que j'suis, je sais ce que j'ressens. Mais je refuse de l'accepter et tu n'as pas à me forcer. Tu peux pas introduire toutes ces choses dans ma tête. Pourquoi tu t'obstines à vouloir me délivrer ? Peut-être que j'suis bien prisonnier... Tu me crois pas ?... Non, non je t'interdis de dire ça, j'suis très heureux, j'ai pas besoin de tout ça... Bien sûr que non j'en ai pas besoin ! Je m'accepterai quand je l'aurai décidé... La ferme, je continuerai à cracher sur ce que j'suis parce que c'est la seule façon d'empêcher d'autres de le faire... Si c'est vrai... Non je ne me mens pas. T'es qui en fait ?... Ouais c'est ça, vous voulez tous mon bien. Et si moi j'ai pas envie d'aller bien ?... Bah ouais, j'suis un crétin et j'me fous de ton avis... Non je ne le regarderai pas... N'insiste pas je le regarder-...
Et jl'ai regardé comme un abruti. J'me suis fait avoir, putain. Cette fois jl'ai senti ; mon cœur battre contre ma poitrine et mon souffle se couper. Et merde.
Je préfère ne plus les regarder, ni elle ni lui. Parce que maintenant ça me fait encore plus mal d'être qui je suis.
- Lâche moi.
J'ai pris mes affaires, les ai enfournées avec violence dans mon sac avant de me lever et de lui foncer dessus. Putain, mais le monde veut mon malheur. J'ai levé les yeux vers lui une fraction de seconde et ça a suffit pour me faire perdre mes moyens. J'ai bégayé, j'ai rougi, puis j'suis parti.
Peut être qu'un jour j'arrêterai de mentir à mon amie. Peut être qu'un jour j'aurai assez confiance en moi pour lui parler. Quoi que non.. Ça n'arrivera pas, à moins qu'une fée débarque pour me métamorphoser.
J'ai très bien senti son regard insistant sur moi. Lui aussi ne voit que cette couleur horrible qui me colore la peau. Lui aussi ne voit qu'un monstre, un extraterrestre. Peu importe ce qu'il voit finalement, je ne suis pas normal et il le sait.
*
Externe.
Étrange que ses yeux n'aient toujours pas quitté le garçon rose. Pourtant, il n'était plus là maintenant et Alekseï fixait une porte entrouverte. Alekseï réveille toi ! Il secoua vivement la tête puis se frotta la nuque. Il fallait qu'il bosse, il le retrouverait plus tard.
Alekseï.
« Un jour à la bibliothèque, quelqu'un a oublié son carnet. Je n'ai pas pu m'en empêcher, je l'ai ouvert et j'en ai lu quelques lignes, puis quelques pages.. si bien qu'en un rien de temps j'avais entièrement découver ce garçon qui avait écrit. Des poèmes, des nouvelles et des pensées se réfugiaient sur ces pages, entre les gribouillis et les larmes. D'ailleurs, elles étaient roses. J'ai gardé le cahier avec moi et j'ai cherché son propriétaire. Je ne l'ai pas trouvé.
Quand la nuit tombait, habillée de bleu, je me glissais sous ma couette et relisais encore et encore ses mots déchirés. Mon cœur se serrait toujours un peu plus, ses fondations s'ébranlaient. Je n'avais jamais ressenti quelque chose de tel auparavant. C'était comme s'il murmurait près de mon oreille. Je pouvais l'entendre renifler, parfois pleurer.
Et puis un soir, la lueur de la lune était d'une douce transparence violette. Le sol était gelé sous mes pieds nus et je frissonnais à cause du vent.
Je chantonnais, je dessinais. Mon crayon suivait un chemin inconnu et le bruit de la mine sur le papier rythmait ma mélodie. Je n'ai pas vraiment compris sur le coup, mais je venais de dessiner un garçon. Il avait des cheveux bouclés qui lui tombaient devant les yeux, les joues un peu creuses et le regard fatigué de désir. Je crois que j'ai rougi face à ses pupilles. Puis j'ai remarqué sa peau, rose, et ses larmes qui coulaient. Et j'ai été assez étonné de ce qui m'arrivait, je pensais que mon cœur s'était endormi. »
*
C'était la cinquième fois qu'Erwan se rendait à la bibliothèque en espérant retrouver son carnet. Mais à chaque fois, la vieille dame lui offrait un sourire désolé. C'était inutile, quelqu'un l'avait emporté, sûrement déchiré ou affiché pour se moquer. Le garçon rose ne retrouverait jamais son carnet.
D'un pas las, il se mit à tourner entre les rayons. Sa main caressait distraitement les livres sur son passage.
Soudain, il fut attiré par un livre, ou plutôt un cahier, un peu abîmé où l'aquarelle se craquelait. Ses sourcils se froncèrent, il s'approcha.
Quand il retira son carnet du rayon, son regard croisa un autre, le sien. Les deux lycéens se fixèrent un moment, l'un perdu et l'autre complètement enivré. Le garçon rose se recula jusqu'à ce que son dos heurte une étagère. Alekseï contourna alors celle qui les séparait mais jamais il ne quittait ses yeux gris. Ils furent bientôt proches. C'était comme si un nuage bleu nuit s'était répandu tout autour d'eux. Des jets de lumière blanche se faufilaient entre les silhouettes presque invisibles des autres élèves, et seules quelques touches de violet s'écrasaient sur les joues creusées du jeune homme.
Son regard était fermé, froid. Un froid turquoise qui se reflétait dans le blanc de ses yeux, cachés par quelques mèches blondes. Ses doigts jouaient nerveusement avec son carnet. Il avait peur. Alekseï et ses iris le terrifiaient. Peut être parce qu'il les avait tant évité.. Et maintenant qu'il les retrouvait, son corps et son âme se bousculaient.
Et si lui aussi se moquait de sa peau, s'il le frappait comme d'autres l'avaient fait ? Le cœur du garçon rose se briserait définitivement.
Pourtant ce n'était en rien l'intention du jeune Alekseï. Sa capuche tenait assez ses cheveux bruns en arrière pour que son visage soit clairement exposé, il était beau. Sa peau légèrement métissée fit frissonner son vis à vis.
- Comment tu t'appelles ? demanda-t-il dans un souffle.
Le garçon rose écarquilla les yeux. Il lui avait réellement posé la question ?
Ses lèvres habillées de mauve ne bougeaient pas. Ni ses lèvres, ni ses mains, ni ses jambes. Alekseï, lui, restait debout face à lui dans un silence bercé par des chuchotements et des bruits de pages que l'on tourne.
- Erwan.. répondit-il finalement.
Sans savoir réellement pourquoi, Alekseï laissa sa main quitter sa poches pour venir rencontrer la peau d'Erwan, bien plus douce que la sienne et bien plus belle. Avec un petit sourire sur les lèvres, il gribouilla ses propres joues avec un feutre bleu. Leur regard se croisèrent l'espace d'un instant où le blond à la peau colorée resta figé face au brouillard destructeur qu'abritaient les iris d'Alekseï.
Ils étaient fascinants, ses yeux. Contrairement aux siens qui puaient la rancœur et la douleur. Des yeux qui exprimaient la pitié d'un cœur brisé et d'une fierté humiliée. Pourtant, ceux si fascinants d'Alekseï semblaient aussi fascinés par ceux abandonnés d'Erwan. Il trouvait que ses paupières saumon les rendaient encore plus brillants. À moins que ce soit les larmes qu'il retenait.
Car Erwan n'était pas normal. On le lui avait tant reproché. Et puis, qui voudrait l'approcher alors qu'il semblait venir d'un autre monde ? Personne.
Et pourtant, lentement, dans un mouvement presque aussi certain que logique, leurs visages se rapprochèrent. Ce lien de glace qui reliait leurs deux pupilles ne se brisa pas.
Les maigres lèvres abîmées de l'un n'étaient plus très loin des pulpeuses de l'autre. Une caresse jusqu'à son cou et une main glissée dans ses cheveux, leurs corps maintenant l'un contre l'autre s'embrassaient déjà alors qu'ils prenaient leur temps. Un souffle froid, anarchique et une ardeur brûlante s'entremêlèrent avant que leurs lèvres ne se touchent.
Le conflit étrange qui alimentait leurs regards se tut et laissa alors leurs âmes parler. Elles se chuchotaient quand le rose glissait sa main sur la joue de Alekseï, elles riaient quand le brun soupirait, elles criaient à chaque caresse et hurlaient aux sentiments, aux émotions, à tout ce bordel qu'ils ressentaient.
Depuis tout petit, Erwan supportait avec peine sa différence. Depuis le premier jour où il avait vu Alekseï rire au fond d'un couloir, il s'entêtait à se détruire car jamais personne ne l'aimerait, et surtout pas ce lycéen au sourire d'ange.
Seulement, un soir, la lune violette éclaira les feuilles du banal adolescent que pensait être Alekseï et lui permit de lire Erwan. Cette nuit là, Alekseï avait dessiné un garçon qu'il ne connaissait que de vue, et dont il était pourtant éperdument amoureux.
Leurs lèvres s'éloignèrent un instant, un court instant où chacun respirait le souffle et la chaleur de l'autre. Elles se frôlèrent ensuite, à peine.
- Tu flippes si j'te dis que je t'aime.. ?
- Et toi, tu flippes si je te répond que moi aussi ?
Le plus grand lâcha un petit rire avant de resserrer sa prise autour de la taille de son garçon rose. Tout semblait bien trop simple pour Erwan, mais il ne dit rien. Le sourire d'Alekseï l'hypnotisait. Il avait l'impression de vivre un conte de fée et n'était décidément pas assez fort pour le briser.
Un regard, une larme, un baiser et des promesses. Ils avaient pris leur décision en silence ; ils vivraient cet amour particulier minute par minute car la vie, c'était maintenant.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro