→ 31. Chaque jour à mon tour j'irai voir la mer
– Partie terminale –
- Dis, Tae...
Ce surnom paraissait trop enfantin à présent pour qualifier l'artiste. Ça faisait bien longtemps qu'il n'était plus « Tae ». Le « Tae » qu'avait rencontré Jungkook pour la première fois un après-midi pluvieux dans cette cave sombre à présent à l'abandon. Celui qu'il avait pris pour un enfant alors qu'il en était un lui aussi, Jungkook, d'enfant.
C'était une des premières fois où il remettait les pieds dehors. La première fois qu'il avait eu la force de pousser sa promenade quotidienne jusqu'au port. Il pensait être seul aujourd'hui, mais il avait très vite distingué l'ombre vêtue d'une cape grise le suivre dans les rues sales. Il ne savait pas si ça le dérangeait ou pas, que Taehyung l'ait suivi. Taehyung. L'homme qui avait changé encore plus radicalement ces derniers mois et cette fois sous les yeux d'un Jungkook cloué dans un lit, impossible de reprendre une place dans le monde, la sienne lui ayant, il le pensait toujours, été retirée.
- Pardon de t'avoir suivi Kook, répondit l'ombre grise se détachant de l'humidité sombre de la rue et du temps.
L'ex marin haussa les épaules, sans se retourner vers celui dont provenait cette voix pour laquelle il ne trouvait toujours pas les mots pour en décrire le timbre, alors même qu'elle avait chanté avec le vent dans les voiles des journées durant, bercé des nuits agitées et résonné dans les profondeurs de ses absences au réel.
- ... tu cherchais quoi quand tu passais des journées à regarder la mer depuis un endroit qui ne la représente même pas un peu ? continua le noiraud sans attendre.
Jungkook avait du mal à accepter qu'il ne verrait plus de l'océan que cette eau plate, salement trouble et puante dans laquelle baignaient les coques de navires sur lesquels il ne remettrait jamais les pieds. La fortune l'avait cloué à la terre. Il avait été retiré de son élément et certains jours il en venait presque à regretter de ne pas être mort, sur le trajet de retour. Car aujourd'hui il était obligé de se mouvoir sur un sol trop dur qui ne voulait pas qu'il se tienne droit et qui l'aurait bien vu ramper. Il se battait depuis des semaines pour réussir à se tenir debout à nouveau.
Il avait eu le mal de terre en repassant à une position verticale, le plus dur était venu ensuite, lorsqu'il avait été question d'enchaîner à nouveau des pas. Jungkook avait failli abandonner à de nombreuses reprises. C'était à ce jour quelque chose d'incroyable qu'il soit capable de marcher, mais pour lui ç'avait été très long, trop long. Personne n'aurait réussi à se relever et à remarcher si vite à sa place, mais pour lui ç'avait été long, trop long. À peine avait-il cru avoir réussi – il était alors capable de faire le tour de la chambre de Jin sans se tenir aux murs et meubles – l'épreuve suivante lui avait paru insurmontable et avait failli lui coûter une nouvelle blessure grave. Il s'était fait réprimander comme un enfant ce jour-là. Il était un enfant depuis son retour de toute façon. Il avait fini par l'accepter, se faire à l'idée que Taehyung continuait de grandir, de se rapprocher de l'indépendance telle qu'on pouvait en avoir dans ce monde plein d'injustices alors que lui stagnait, régressait même. Il n'avait plus rien du fier soldat encore adolescent qui s'était engagé pour la seule et bonne raison qu'il était incommensurablement attiré par la mer. Il ne pouvait que garder la tête baissée, espérant ne pas croiser le regard de ses amis, et encore moins celui de Taehyung qu'il n'avait plus regardé dans les yeux depuis qu'il n'était plus dans les vapeurs provoquées par la fièvre que lui avait causée l'infection de ses plaies.
Trois jours à nouveau cloué au lit après une chute dans les escaliers. Et quant il avait enfin réussi à les descendre et qu'il pensait atteindre le monde extérieur, il n'avait même plus eu la force de pousser la porte d'entrée. Et encore moins de les remonter. Il avait attendu, le corps physiquement à bout, pendant des heures au pied de cette montagne qu'il ne pouvait gravir. Attendu que quelqu'un rentre et vienne à son secours. Taehyung était arrivé, l'avait soulevé comme rien, avec beaucoup plus d'assurance que quelques mois auparavant où le châtain s'était pourtant juré de ne plus jamais toucher à un être humain blessé, et l'avait aidé à gravir – si ce n'est porté dans – ces escaliers pourtant peu nombreux.
L'histoire de Jungkook réapprenant la vie se poursuivit des semaines encore, jusqu'à aujourd'hui où, sous le regard protecteur de Taehyung, il avait enfin atteint son objectif : la limite entre terre et mer. Le port.
En parallèle celle de Taehyung aussi s'était poursuivie. Il a passé moins de temps chez Jin, plus de temps dehors. Pas d'un coup évidemment, ce fut long, comme Jungkook réapprenant à marcher. Long car quitter celui qui avait disparu de sa vie pendant plusieurs années pour le retrouver à l'orée de la mort un matin un peu par hasard, ça n'avait pas pu se faire du jour au lendemain. Taehyung avait d'abord consenti à quitter Jungkook des yeux quelques minutes, puis assez rapidement quelques heures quand il avait remarqué qu'il lui faudrait se reposer et pour ça fermer les yeux histoire de s'autoriser une bonne nuit de sommeil. Puis des demi-journées car il lui fallait du matériel pour travailler, enfin un matin il était parti une journée complète pour aller porter ses œuvres de commande à Namjoon. Les journées avaient parfois été des jours quand Jin le traînait sur le port, pour qu'il « voit la vie et non seulement la mort » lui avait-il dit. Et peu à peu Taehyung s'était autorisé à recommencer à vivre sans nécessairement avoir les yeux posés sur Jungkook tout en sachant qu'il était là, quelque part et que son état, tirant plus vers la mort que vers le règne du vivant, ne lui permettait pas de bouger.
Taehyung avait produit ses plus beau tableaux durant cette période. Des mourants. C'en était presque devenu sa spécialité. Il avait plusieurs commandes ainsi, se rendant auprès de cadavres pour les peindre dans leur agonie. Il était devenu maître dans l'art de peindre cette frayeur des corps entre la vie et la mort, et la vie ? La vie semblait revenue pour Jungkook. Ses modèles étaient mort depuis des jours où des heures quand il peignait l'image de leurs derniers instants, ce qu'il n'avait heureusement jamais eu à faire pour Jungkook. Bien que parfois il se le soit imaginé. Bien que parfois il en eut l'impression alors qu'il pénétrait dans la chambre et que la respiration du noiraud était si apaisée qu'elle ne faisait aucun bruit ni frémir les draps remontés sous son menton.
- Toi. Quelque part, articula calmement Taehyung en osant s'approcher mais en restant à distance et surtout sans passer dans le champs de vision du noiraud. Je pense que j'essayais d'imaginer ce que tu faisais, comment c'est là-bas et peut-être d'apprivoiser la mer ?
- Tu y es arrivé ?
Ça faisait beaucoup de réponses à apporter, à différencier. Mais Taehyung allait répondre, car il avait envie de parler. De ça. De cette période de sa vie qui n'avait été que suite de mêmes, de questionnements qui, sur le coup, lui avaient semblé sans réponse possible. Avec le recul qu'il avait acquit depuis le retour de Jungkook, mais surtout de ces dernières semaines, Taehyung pouvait même voir qu'il n'avait pas stagné mais progressé même lors de cette période. Sur le plan artistique d'une part, il ne pouvait le nier et Jin et Hoseok avaient bien fait de le lui répéter ; mais aussi dans ses questionnements.
- À imaginer ce que tu faisais, oui. J'ai demandé à des anciens pour être honnête, car je n'y arrivais pas, tu sais comme tout ce qui touche à la mer m'est étranger...
Jungkook hocha la tête. Il aurait aimé sourire et si son visage ne l'avait pas fait, peut-être son cœur avait chauffé un peu ?
- Comment c'est là-bas non. J'ai essayé Kook, de l'imaginer. Yoongi a même voulu m'envoyer pêcher une fois. Il disait que je ne pourrais pas devenir un bon marinier sans avoir eu une expérience de la mer. Mais je n'ai pas réussi, je ne peux ni imaginer ni expérimenter « comment c'est là-bas ».
Évoquer Yoongi. Taehyung avait un instant pensé qu'évoquer Yoongi serait naturel, mais sa phrase n'avait pas le moins du monde sonné naturelle. Il en frissonna même. Jungkook se souvenait-il même l'avoir revu ? Ils n'en avaient jamais parlé. Jin, Hoseok et lui n'en avaient jamais vraiment reparlé avec un Jungkook en état de conscience. Le noiraud ne cilla pas. Taehyung continua :
- Quant à ce qui est d'apprivoiser la mer...
Jungkook serra la mâchoire en entendant cette phrase. Taehyung avait-il réussi quelque chose qu'il désirait depuis toujours ? Apprivoiser la mer et pas la contrôler, la dominer. Échanger avec elle et construire une relation d'homme à élément naturel comme seuls des marins isolés, comme seuls des agriculteurs dévoués pouvaient le faire.
- ... je crois qu'elle et moi nous seront à jamais étrangers Jungkook. J'espère que tu ne m'en veux pas.
- Pourquoi je t'en voudrais ? rétorqua presque immédiatement Jungkook retenant un soupire de soulagement.
Soulagement à l'idée que Taehyung ne lui avait pas volé cette chose qu'il désirait tant et qu'il ne pourrait avoir.
Mais Jungkook se trompait juste de point de vue. La mer, elle, l'avait apprivoisé contrairement à ce qu'il pensait. Tous ceux qui le connaissaient pouvaient affirmer ce que lui ne s'autorisait pas, et qu'il ne s'autoriserait plus jamais à penser. Qu'il l'avait déjà cette relation privilégiée avec les étendues d'eau. Peut-être quand il aurait encore guéri un peu il s'en rendrait compte, des regards que les marins qui pouvaient encore partir en mer, ou qui y avaient passé des années, posaient sur lui. Jungkook pourrait ne jamais remettre les pieds sur l'eau, il resterait cet enfant apprivoisé par les flots.
- Parce que je ne comprendrai jamais cette partie de toi.
Le marin ne regardait toujours pas celui qui essayait de s'intéresser à lui. Il ne voyait que sa personne perdue sur une carte qu'il ne pouvait lire car il n'y avait pas de courants, car il n'y avait pas de vent à qui il aurait pu présenter ses voiles pour avancer.
- Cette partie de moi n'existe pas Taehyung. Peut-être a-t-elle existé, mais c'est révolu, annonça Jungkook se voulant résigné.
Où allaient-ils tous les deux ?
- Je ne sais pas vraiment mais..., continua le marin dont les jambes qui le soutenaient depuis qu'il était sorti de la maison commençaient à faiblir à force de fouler ce sol trop dur, ... peut-être arriverai-je moi, à apprivoiser la Terre et te comprendre toi ?
Taehyung en doutait. Il avait réfléchi toutes ces années, à la probabilité de voir Jungkook se tenir aussi fier sur terre que sur mer, mais alors même qu'il ne le connaissait pas vraiment, ça il l'avait déjà compris. Pour autant, il appréciait l'effort que le noiraud avait fourni pour se décentrer de lui-même et l'inscrire, lui, l'enfant qui aurait du mourir il y a longtemps déjà, dans son monde.
Jungkook se retourna alors quelques secondes seulement après avoir prononcé ces mots. Inscrivant physiquement Taehyung dans son champs de vision, dans son monde au présent.
***
*timide coucou* , je ne sais même pas comment j'ose m'exprimer dans des NdA après autant de silence... Désolée ? Je le suis évidemment mais je crois que je n'aurai pas pu aller plus vite. Ce chapitre, c'est un exploit qu'il soit là : moi-même je ne croyais pas que ça reviendrait comme ça. Je savais que j'y reviendrais un jour mais j'avais peu d'espoir que ce soit aussi "rapidement" (décembre... le précédent chapitre date tellement ! Même quand j'avais annoncé faire une pause cet été je n'avais pas pris autant de temps avant de me remettre à l'écriture de cette fiction...).
Merci à celleux qui ont eu le courage de revenir.
A l'heure d'aujourd'hui je ne peux pas vous donner une idée de quand sortira le prochain chapitre, mais j'irai au bout de cette fiction ! Je fais de mon mieux pour vous apporter une fin qui vaille la peine d'avoir continué jusque-là. J'espère que j'y parviendrai même s'il m'arrive de douter énormément en ce moment, de tout.
Ça me brise le cœur de ne pas apporter à mes personnages l'attention qu'ils méritent, j'espère qu'on ne dirait pas que je les abandonne... et vous non plus !
A bientôt ?! :) le plus rapidement et bien possible !
~tacha'
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro