→ 29. Au plus près de la couleur bleue
Quand Taehyung était arrivé, Jungkook était plongé dans un sommeil qu'il espérait réparateur. Jin veillait. Si ce n'était lui, c'était de toute façon Hoseok ; mais le fait est qu'il y avait tout le temps quelqu'un dans la pièce de Kim Seokjin. Jin. C'était Jin dans cette pièce. Il avait été Kim Seokjin autrefois, il avait été l'héritier d'un grand domaine de campagne jusqu'à la faillite de sa famille. Depuis il vivait ici, seul enfant ayant échappé à l'emprisonnement des barreaux ou du mariage pour ses sœurs et sa mère. Et depuis il s'appelait Jin et tout le monde savait d'où il venait.
Quand Taehyung avait toqué à la porte discrètement, Jin lui avait laissé son siège et était sorti, Taehyung n'avait jamais réussi à savoir ce qu'il faisait de ses journées, de ses soirées parfois lorsqu'il le rencontrait sur le port. Et il n'avait jamais osé lui poser la question car Jin n'aurait répondu, le temps où il lui raconterait son histoire dans la totalité n'était pas encore venu.
Taehyung avait pris place, il y a peut-être plusieurs heures, là où Jin avait passé la première partie de la journée et il s'était mis au travail auprès d'un Jungkook somnolant qui n'avait pas remarqué sa présence. Taehyung, bien que concentré, ne pouvait s'empêcher de lancer des œillades vers le noiraud assoupi. Ce dernier, quant-à lui, ne pouvait s'empêcher de venir porter une main à sa blessure au visage de manière répétée et périodique. Il la tâtait sans même plus s'en rendre compte puis laissait glisser ses doigts abîmés et rêches sur ses lèvres naturellement entrouvertes. Cela faisait mal au cœur du plus jeune. Jungkook avait pris cette habitude depuis que Yoongi avait fait irruption dans la chambre, hurlant des horreurs toutes plus absurdes les unes que les autres, ne laissant aucun doute au fait que Jungkook l'avait entendu, bien que peu conscient au moment de l'incident.
Le bleu attendrait. Le reste prenait vie. Les rochers revêtaient une texture griffante, érodés par l'eau mais attaqués par le sel, la profondeur du tableau se dessinait, laissant un vide blanc qui bientôt serait bleu et attirerait le regard du spectateur comme un gouffre. Taehyung avait même commencé à peindre l'écume du bout des vagues violentes de cette mer agitée. Il attendait, attendait que Jungkook lui parle du bleu de l'eau que lui ne connaissait et ne connaîtrait jamais. D'un bleu que Taehyung se souvenait avoir vu passer dans le fond de ses yeux sombres lors de leur balade sur le port alors qu'il ne se considérait encore que comme un enfant.
Taehyung n'avait pas tourné les yeux vers le noiraud depuis plusieurs minutes à présent : représenter l'écume avec des couleurs était un travail fascinant mais qui demandait une concentration particulière et qui allait, sans aucun doute, le vider de son énergie. Jungkook s'était éveillé, il avait ouvert les yeux, une de ses paupières, celle du coté de la blessure, avait tendance à coller, il faut dire que deux centimètres au-dessous à peine, son visage était ouvert et sa joue à jamais défigurée. La chair peinait à se refermer et il souffrait et il était fiévreux car tout était infecté. Sa cuisse était pire et il ne s'était levé depuis des jours. L'apothicaire avait dit à Jin et Hoseok que dès qu'il reprendrait connaissance, il faudrait au moins l'asseoir, puis un jour il faudrait prendre le taureau par les cornes et le relever complètement pour éviter les complication dues à l'immobilisme. Mais pour l'instant Jungkook était bien trop faible, le simple fait d'ouvrir les yeux et de fixer son environnement lui faisait tourner la tête. Ouvrir la bouche le brûlait tant son souffle était chaud. Il mangeait et s'endormait à nouveau. Parler lui était pratiquement impossible et même si physiquement il lui arrivait de lâcher des sons, ses pensées étaient trop emmêlées pour qu'il puisse articuler quelque chose de cohérent.
L'odeur des pigments à l'huile l'avait pourtant tiré cette fois d'un sommeil qui n'était jamais profond. C'était l'odeur qui emplissait la pièce à chaque fois que Taehyung y mettait les pieds. Le jeune homme n'avait pas cette odeur avant, de ça, Jungkook en était sûr. Il avait changé aussi, du peu qu'avait pu entrevoir le marin à travers son regard brumeux.
Il prenait, cette après-midi, le temps de le regarder pour de vrai. Il se sentait bien, probablement un peu moins fiévreux. Les effets de la fiole hors de prix disposée à la tête de son lit sans doute ; ou de la chaleur de la pièce, autant physique qu'émotionnelle : il n'était mieux nulle part qu'ici dans cet état, Jin, Hoseok, Taehyung, il n'avait besoin de rien d'autre. Yoongi, Yoongi manquait quand il y pensait, et ça l'attristait mais il ne se serait attendu à des visites de sa part, ce n'était pas le genre de l'artiste.
Taehyung avait vieilli. Il avait maturé et était un homme à présent : il n'y avait plus seulement sa voix qui avant trahissait seule un âge plus avancé que celui qu'on lui aurait instinctivement prêté, mais aussi son physique : sa carrure s'était élargie bien qu'il reste maigre, son visage endurci aussi – et ce fut ce qui sauta aux yeux du noiraud en cette après-midi, et l'attrista un peu : combien de temps était-il parti ? – et il s'était partiellement couvert d'une barbe éparse fraîchement rasée qui n'était pas sans incidence sur son apparence beaucoup plus adulte. Taehyung avait changé, il ne resplendissait plus comme lorsque Jungkook l'avait rencontré pour la première fois. Pourtant sa beauté restait inchangée et si cette étincelle de vie n'était plus un feu dans son corps entier, elle crépitait encore au bout de ses longs doigts tenant un pinceau et dans le fond – tout au fond, très loin – de ces yeux bruns qui venaient de se poser sur le lit et accrochaient finalement ceux brillants de maladie du marin blessé.
- Salut, articula le noiraud d'une voix pâteuse.
Et Taehyung loucha presque, sur sa figure qui, pour une fois paraissait vivante ; sur ces yeux qui, pour la première fois depuis leur retour, se posaient sur lui et le voyaient sans voile brumeux. Il avait accès au fond du regard sombre de son vis-à-vis et il vit passer ce qu'il y cherchait : cette lueur bleue, cet océan qu'il portait au fond de lui, imprimé sur sa rétine à force de l'avoir regardé.
- Jungk-, lâcha Taehyung avant d'avaler sa salive bruyamment car il avait été surpris, et était gêné de ce regard noir plein d'admiration posé sur lui.
La gêne de Taehyung arrivant à un point culminant car ils se fixaient depuis trop longtemps, il se baissa pour ramasser un récipient contenant de l'eau et l'apporta directement à la bouche de Jungkook qui but sans protester. L'eau fraîche descendant dans ses entrailles était un plaisir dont il ne voulait se priver même s'il n'avait pas plus soif que ça.
- Tu veux essayer de te redresser ? s'empressa de demander Taehyung en se rappelant des paroles de celui qui avait des connaissances en médecine.
Il déposa rapidement son pinceau qu'il tenait jusque-là coincé entre son majeur et son annulaire sur le bord du chevalet, de peur d'en badigeonner la pièce et les draps. Puis il approcha ses mains du noiraud avant de se figer. Allait-il réellement toucher Jungkook ? Et s'il lui faisait mal ? Et si c'était en fait une mauvaise idée ?
Les mains toujours suspendues dans les airs au-dessus du corps du blessé, il hésitait à en passer une derrière la nuque du noiraud.
- Je veux bien essayer, l'informa Jungkook en passant machinalement sa main sur sa blessure.
Il sourit à Taehyung, heureux de le trouver lui et pas un autre dans son moment de lucidité. Il doutait que se relever soit une bonne idée. Il savait même très bien qu'il ne se sentirait pas bien, mais cette main suspendue au-dessus de son corps, il voulait la sentir le toucher, comme quand, dans ses songes il voyait les membres de Taehyung s'affairer au-dessus de son crâne, poser un linge propre sur sa blessure ou un morceau de tissu humide du son front chaud.
Le marin essaya de poser ses mains contre le matelas qui n'en était pas un et de se redresser mais sa tête elle-même ne décollait pas des vêtements qui formaient son oreiller. Il se laissa alors retomber dans l'amas de tissu et tourna la tête vers le jeune artiste qui l'avait regardé faire.
- Je vais avoir besoin d'aide je crois, dit-il peu fier.
Jungkook ne pouvait-il réellement pas bouger ? Ces bras qui dans son souvenir avaient l'air si forts étaient à présent si minces ! et tremblaient suite à l'effort inabouti.
Alors Taehyung passa une main dans la nuque poisseuse du noiraud et la fit descendre entre ses deux omoplates. Son touché était tiède, pas froid – Taehyung n'avait pas les doigts froids alors qu'il étaient restés en suspend devant une toile pendant plusieurs heures sans gestuelle importante, mais son cœur ne manquait pas de les approvisionner en sang chaud – et doux. Jungkook se détendit immédiatement, se laissant aller à ses bras qui allaient l'enserrer.
Taehyung frissonna. Puis, faisant abstraction du fait qu'il appréciait un peu trop toucher l'être humain devant lui, il saisit, à l'aide de sa deuxième main, le bras du marin qui reposait contre le mur. D'un coup peut-être un peu trop sec, il rapprocha le corps du noiraud de son buste. Ce dernier grimaça, mais Taehyung, trop concentré sur ses mouvements peu délicats et bien trop excités, ne le remarqua pas. Maintenant Jungkook maladroitement contre lui, il rassembla du tissus sous ses reins et essaya de le tirer vers l'arrière, pour le faire reposer contre la tête de lit qu'il venait de couvrir pour pas que ce soit trop inconfortable.
Autant dire que Jungkook dégustait tant Taehyung était pataud et peu délicat. En même temps il n'avait jamais eu à déplacer un blessé et s'était lancé dans quelque chose qu'il ne maîtrisait pas du tout en plus d'avoir la tête sur le point d'exploser et le corps en sueur du fait de la proximité qu'il entretenait avec celui qui, depuis des années, occupait absolument toutes ses pensées du réveil au couché, en passant par les rêves et n'épargnant que les moments où il peignait à s'en épuiser.
Quand Taehyung essaya de le tirer vers l'arrière et que cela vint étendre le muscle de sa cuisse, ce en fut plus un gémissement douloureux que Jungkook réussit à cacher mais un véritable cri de douleur qui passa la barrière des lèvres du noiraud. Taehyung arrêta tout, lâchant complètement le corps du soldat blessé qui retomba, sans que celui-ci ne puisse rien y faire, comme un pantin désarticulé sur le lit, sa tête manquant de heurter le bois dur recouvert d'un drap qui constituait la tête du lit de Jin.
Taehyung avait les larmes aux yeux en entendant le noiraud jurer de douleur à nouveau, son visage se déformant en une grimace qui elle-même devait le faire souffrir du fait de la plaie sur sa joue.
- Je suis désolé, s'étrangla Taehyung à deux doigts de pleurer, voir de s'évanouir.
Jungkook, haletant, au comble de la crispation pour ne pas se tordre de douleur alors que des coups lancinants venaient lui assaillir la cuisse et le visage mais aussi la tête, serrait les dents pour ne pas tourner de l'œil, il n'entendait pas Taehyung se complaire en excuses, seulement la douleur bourdonnant à ses oreilles.
Quand il parvint enfin à se calmer et à retrouver ses esprits, Taehyung, le visage dévasté par les larmes – un peu comme la fois où, en pénétrant dans la demeure du peintre, il y a de cela trois ans, il avait déclenché chez le jeune garçon qu'il venait de rencontrer, une crise de larme – lui tamponnait le visage d'un tissus humide et froid en répétant « désolé » sans cesse entre deux sanglots.
- Je-
Taehyung retira ses mains en tremblant. Au moins Jungkook avait repris connaissance.
- De l'eau, balbutia le noiraud pour faire court.
- Je suis désolé, se répéta Taehyung en avançant vers lui le récipient.
Jungkook ne lui en voulait pas, mais il se sentit partir à nouveau avant d'avoir pu le lui dire.
Quand Jin rentra ce soir-là, il trouva Taehyung dans la position qu'il avait occupé des heures durant après que lui et Hoseok eurent ramené le corps du marin dans la pièce ; son visage ne mentait pas : il avait pleuré une bonne partie de l'après-midi et de la soirée. Que c'était-il passé ? Jin fut pris qu'un accès de panique qui ne se calma qu'une fois qu'il vit la poitrine du corps paisiblement assoupi de Jungkook se soulever et se rabaisser. Il respira à nouveau, passa une main sur son visage et sentit sous ses doigts ses traits tirés, fatigués. Il prenait de l'âge et la situation de Jungkook n'arrangeait rien à la fatigue qu'il accumulait depuis plus d'une dizaine d'année à présent. Il dormait encore moins que quand il était seul dans cette chambre, il stressait énormément et n'osait beaucoup s'éloigner, traînant dans ce quartier miteux.
Se retirant dans un coin de la pièce sans faire de bruit, il se dévêtit. Son corps aussi fatiguait : lui qui avait été servi tout au long de sa jeunesse, devait à présent supporter plus qu'aucun corps ne le devrait jamais. Il enfila un un pantalon et une tunique sur ses membres douloureux et entreprit de rapiécer la robe qu'il avait porté la journée durant.
Plus tard il ressortirait. Peut-être s'aventurerait-il au port ce soir ? Peut-être irait-il voir Namjoon ? Après tout il avait besoin d'argent en ce moment.
***
Hey !
ça fait un petit moment pardon... Je voulais vraiment publier un chapitre pour l'anniversaire de Jin mais ça faisait trop de chapitre à la suite pour moi, je n'avais pas réalisé... Je suis un peu triste mais soit... J'espère que ce chapitre vous a plu, je continue Pigments, je ne sais pas pou combien de temps j'en ai encore, je n'avance pas aussi vite que je le souhaiterai mais j'aime cette histoire donc je ne vais pas m'en attrister.
A très vite j'espère !
Tacha'
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