→ 28. Prêt à tout
Il y a quelques jours Taehyung s'était rendu seul chez Namjoon, décidant de prendre en main sa vie, d'acter certaines choses pour lui-même, de ne plus subir la vie comme il la subissait depuis sa plus tendre enfance, des rouées de coups de son père et ses grands-frères aux directives parfois contraignantes de Min Yoongi. Il n'oubliait pas qu'il avait aussi subit de bonnes choses, comme ces jours de pluies où il avait vu sa vie changer du tout au tout, que ce soit sa rencontre avec Namjoon ou plus tard celle de Jungkook : les deux hommes avaient changé quelque chose en lui, Namjoon en lui donnant la possibilité de s'exprimer et de trouver sa place dans ce monde, et Jungkook en lui montrant que la fascination pour un autre être humain était possible. Qu'un attachement dirigé par le cœur pouvait avoir lieu, et même être destructeur.
Et Taehyung ne voulait perdre ni son travail et le talent qu'on lui donnait, ni Jungkook. Et pour le pas perdre l'un, il faudrait qu'il ne perde pas le deuxième. Et Jungkook avait besoin de soins.
Jin et Hoseok avaient voulu le déposer au dispensaire la veille, mais le noiraud qui, depuis qu'il était dans ce lit, entouré de ses amis, avait parfois des moments de lucidité – courts mais remarquables – avait catégoriquement refusé. Cela faisait bien longtemps qu'il avait cessé de croire en Dieu, priant plutôt les divinités marines aux cotés des matelots : l'emprise du Dieu du monde sur la mer en furie n'était pas assez forte et les vieilles croyances et les vieilles légendes et les vieux dieux resurgissaient des tréfonds.
Ils n'avaient donc pas déplacé le jeune homme et seulement fait venir un apothicaire qui avait dit pouvoir vendre des lotions qui pourraient l'aider à guérir.
Mais tout ça avait un prix. Et du groupe d'ami seul Min Yoongi avait un peu d'argent. Il avait donc payé la première bouteille, mais les flacons étaient minuscules et le produit avait beau être concentré, il descendait vite.
Namjoon avait dégoté pour le jeune artiste des commandes : de simples portraits, natures mortes, vanités, décors pour d'autres artistes que Yoongi. Cela faisait quelques mois à présent qu'il parlait à Yoongi de laisser Taehyung voler de ses propres ailes : il en avait la capacité et le méritait d'après le mécène. Mais Yoongi refusait convoquant là le manque d'expérience de son élève qui, s'il avait un âge acceptable pour de telles tâches, n'avait pas encore l'expertise nécessaire. Sauf que Yoongi avait depuis quelques jours perdu tout intérêt pour son élève, ayant il semblait oublié son existence, comme celle de Jungkook et de ses autres amis de longue date : Yoongi avait disparu après une dispute éclatante avec Jin. Une conversation qui aurait du être sérieuse avait dégénérée et une bourse de pièces pour les soins de Jungkook avait fini sur la table tandis que Min Yoongi s'évaporait dans la nature. Jin et Hoseok avaient l'habitude des sautes d'humeur de leur ami, de sa froideur aussi, mais elle avait été terrifiante cette fois-ci. Taehyung avait assisté à la dispute : Jin n'avait eu d'autre choix que de hausser la voix, lui qui pourtant gardait toujours son calme. Il s'était passé quelque chose cette nuit-là, celle où Jungkook avait été rapatrié mourant chez Jin. Le peintre n'avait réapparu qu'une fois la matinée bien entamée, un air joueur sur le visage et déboulé dans la maison de Jin quelques peu saoul, criant le nom de Taehyung. Il avait été renvoyé là par les employés du port après avoir bu comme un trou depuis les premières leurs du jour dans un silence de mort, les cadavres s'entassant sur le port.
Min Yoongi avait le chic pour ne jamais se trouver au bon endroit dans la tenue qu'il aurait fallu. Hoseok avait catégoriquement refusé de lui parler après que ce dernier ait grimpé les escaliers jusqu'à la chambre de l'ancien noble et ouvert la porte en fracas, réveillant en sursaut les trois veilleurs. Il était resté bête, Min Yoongi, devant sa muse couverte de ce qui aurait pu être un linceul blanc. Il avait été con, Min Yoongi, d'insulter ainsi un homme mourant. Hoseok le savait pourtant, qu'il pouvait être violent quand il buvait, qu'il ne mâchait pas ses mots : mais cette fois avait été la fois de trop, celle qu'Hoseok aurait beaucoup plus de mal à pardonner bien qu'elle ne l'ait pas directement concerné. Celle que Yoongi, une fois son état normal retrouvé, regretterait amèrement.
Jungkook avait pleuré. Hoseok avait assuré à Taehyung qu'il n'avait rien entendu des paroles odieuses prononcées par celui qui avait autrefois été son maître, son amant et l'être dont il avait été le plus proche pendant de nombreuses années ; pourtant, quand les trois amis s'étaient retournés vers lui, une fois Min Yoongi sortit, des larmes coulaient des yeux du marin évanoui.
La dispute du lendemain entre Seokjin et Yoongi portait sur les mots qui avaient été prononcés la veille ainsi que sur l'état critique du marin : le peintre encore un peu rond car il avait continué à boire ne s'était excusé – il reviendrait probablement ramper aux pieds de ses amis dans quelques jours – et n'avait laissé qu'un nom et quelques pièces de monnaie.
La situation n'avait laissé beaucoup d'alternatives à Taehyung et, encouragé par les quelques minutes lucides de celui que Yoongi avait traité de « monstre », de « défiguré » et « d'abomination de la nature », il s'était rendu chez Namjoon pour supplier ce dernier de lui trouver n'importe quelle tâche pour laquelle il serait doué. C'était précipité comme demande, mais Namjoon avait bien compris l'urgence de la situation. Il avait commencé par prêter de l'argent à Taehyung avant de lui donner l'adresse de peintres et de chantiers où on pourrait avoir besoin de lui. Il lui avait aussi demander de peindre après avoir acheté des pigments simples et de l'huile avec l'argent. Peindre n'importe quoi qu'il signerait de son nom et lui rapporterait. N'importe quoi que le mécène puisse présenter à de potentiels clients. Le grand homme avait passé de longues dizaines de minutes à expliquer à Taehyung comme il fallait qu'il s'y prenne pour lancer sa carrière sans comprendre que l'objectif n'était pas là pour l'instant pour le bien trop jeune homme. Taehyung ne pouvait penser à autre chose qu'à Jungkook allongé dans un lit, brûlant de fièvre. Il aurait fait tout ce qui était en son pouvoir pour l'aider et s'il n'avait pensé qu'à la peinture c'est car c'était bien le seul domaine où on avait un instant cru en son talent. Mais il aurait fait n'importe quoi d'autre s'il y avait songé ou s'il en avait été capable.
Ce matin donc, Taehyung avait quitté la chambre où il passait à présent toutes ses nuits, parfois aux côtés de Jin et Hoseok quand ils ne découchaient pas. Il s'était rendu chez un apothicaire – il s'est fait quelques sous la veille en appliquant des couleurs chez un maître dont les élèves l'avaient pris de haut – et avait acheté son premier pigment. Du bleu, le plus cher, mais il voulait peindre la mer pour son premier tableau.
L'atelier était toujours vide quand il était rentré, Yoongi avait emporté avec lui certaines de ses affaires : un chevalet manquait, il avait du passer le chercher après la dispute car il était alors parti les mains dans les poches. Des pinceaux aussi, visuellement, sans les compter, il en manquait c'était certain, et son baluchons de pigments et d'huiles. Ceux qu'il restait, Taehyung les utiliserait : Yoongi lui avait dit qu'il pouvait en emprunter certains, les moins cher pour pratiquer, alors il le ferait.
Il ouvrit un de ses cahiers de croquis et sélectionna une esquisse. Il avait des centaines de feuilles reliées représentant des marines, mais il voulait un mer plus authentique, une mer comme il ne l'avait jamais vue, une eau qui ne l'avait jamais bercée. Il voulait représenter ce que Jungkook avait vu de pire de ses yeux sans savoir que la mer la plus agitée soit-elle était loin d'être ce que Jungkook avait vu de pire. L'horreur pour le marin n'était pas en mer mais sur Terre et s'il avait pu ne jamais y remettre les pieds, il n'aurait pas hésité une seconde... avant. Avant Taehyung... Malade le noiraud n'avait pensé qu'à une chose : rentrer et rejoindre la misère. Tout marin digne de ce nom dans son état aurait prié pour mourir sur les flots et ne pas pourrir au fond d'un hospice où les infections se propageaient par les parasites ; mais pas Jungkook qui s'était accroché de toutes ses forces à l'idée de ne pas mourir avant d'avoir revu Taehyung. L'avait-il revu ? Ses moments de lucidité se confondaient en rêves dans son esprit fiévreux, si bien que voir Taehyung à ses cotés à chacun de ses réveils était une surprise agréable dont il ne se lassait. Il n'était pas non plus déçu quand le jeune apprenti n'y était pas comme ça.
Taehyung trouva le croquis parfait. C'était un vieux tracé qu'il avait fait au cours de la première année sans Jungkook, une fois où, comme tous les autres jours, il était parti très tôt le matin dans la baie du port et s'était hissé sur un rocher. Il avait, pour dessiner, imaginé qu'il se trouvait sur le pont d'un bateau, il en avait ressenti jusqu'à la sensation de l'eau sous ses pieds, et plongé son regard intensément dans l'eau agité en contrebat, faisantt abstraction du fait que derrière lui ce n'était pas l'océan mais la terre. Un vertige l'avait saisi rapidement – car regarder les vagues c'était ne plus avoir de point de repère, plus de point fixe à part l'horizon : mais il ne voulait pas dessiner l'horizon, il voulait dessiner la mer. Et à présent il voulait la peindre et ce croquis était celui qui la représentait le mieux : les vagues s'écrasant sur les rochers comme elles l'auraient fait sur une coque de navire.
Il prit alors un outil et esquissa les traits tracé deux ans plus tôt sur une toile : ce n'était pas la première fois qu'il faisait cela, mais c'était la première fois qu'il le faisait avec la volonté d'aller au bout. Au bout d'une œuvre. Son regard n'était plus le sien mais celui de Jungkook, il s'éloigna de ce qu'il connaissait pour véritablement changer d'élément.
Une fois l'esquisse terminée, il décida qu'il aurait besoin du noiraud pour l'ajustement de son bleu : il espérait le trouver éveillé. Il voulait être au plus proche de lui, au plus proche de la réalité à laquelle il avait assisté. Il emballa sa toile et ses pinceaux et courut chez Jin sous un ciel gris mais sans se prendre la pluie.
***
Hey ! et oui, on n'est pas vendredi, mais c'est l'anniversaire de @lilili1205 ♥ (soyeux naniversaire, je t'offre un chapitre de Pigments tout triste en espérant pouvoir vous donner des réjouissances d'ici peu - on croise les doigts).
Donc voilà un chapitre un peu précipité mais je suis contente d'avoir réussi à l'écrire. J'espère arriver à faire en sorte que Jungkook et Taeghyung passent un peu de temps ensemble !
A très vite (y a un autre anniversaire qui arrive, vous même savez ;)) !
Tacha' pour sa petite-sœur .
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