→ 19. Le petit garçon aux grands yeux noirs, la mer et le vent
- D'où tu sors toi ?
Pris la main dans le sac, le petit qui devait avoir cinq ans tout au plus se figea. L'homme qui lui faisait face paraissait immense. Le visage creusé, très blanc, des cernes noires sous ses petits yeux foncés et sévères, il faisait plutôt menaçant. Le très jeune garçon avala sa salive difficilement et ses grands yeux sombres se remplirent de larmes mais il ne laissa rien paraître et fronça les sourcils ; essayait-il d'impressionner son vis-à-vis ? La main toujours sur le rebord de la fenêtre, il fixait le petit homme avec un regard qu'il aurait aimé celui d'un chien méchant. Mais alors qu'il tirait sur son poignet – coincé dans le garde-fou de la fenêtre du rez-de-chassée de la maison sur laquelle reposait un pain presque noir, rassi – une larme s'échappa de son œil et roula sur sa joue salle et maigre.
L'homme en face de lui était très très maigre lui aussi. Il était dans une période de sa vie où il n'avait jamais autant souffert de la misère, de la précarité dans laquelle le plongeait son métier. Le petit garçon devant lui était, en quelques sortes, à son image : physiquement, c'était lui en miniature. Le corps très maigre, le visage, traits tirés, sale, des vêtements qualifiables de haillons dans lesquels il nageait.
Celui qui vivait en fait là et était peintre, paraissait grand seulement à cause de sa maigreur. Il n'avait en vérité pas grandi beaucoup depuis son adolescence. Il s'approcha du petit garçon qui recula d'un pas mais fut stoppée par les barreaux de fer l'emprisonnant. Comment avait-il fait pour glisser sa main dans cet espace minuscule entre deux motifs de la rambarde ? Le fait étant qu'à présent il était coincé. De ses grandes mains encore plus sales que le reste de son corps, le peintre aux longs doigts attrapa délicatement le petit bras coincé et, après quelques mouvements, une grimace du jeune et une égratignure bénigne, le piégé fut libre. Ou presque.
Le petit garçon brun aux yeux qu'il n'avait clignés qu'à trois reprises comptait s'enfuir aussi vite qu'il était arrivé mais un bras bien plus fort que le sien le retint. Le téméraire leva les yeux vers celui qui venait de le libérer mais n'avait en fait que changé son entrave pour une autre.
- Je peux pas te donner le pain, expliqua le plus vieux d'une voix faible.
Le petit garçon écarquilla les yeux encore plus grand, laissant ressortir ses orbes globuleuses et brillantes. Il tira sur son bras de toutes ses forces mais son joaillier ne sembla pas du moins affecté. Qu'allait lui faire cet homme qui venait de le surprendre à voler de la nourriture ? Sa nourriture.
Mais le noiraud à la peau très blanche et à l'air maladif ne fit rien. Enfin si, il fouilla à la ceinture de son pantalon et en sortit un petit objet taillé en pointe.
- Le pain c'est pour moi. Je l'ai gagné en utilisant ça.
Il joignit le geste à la parole et brandit devant lui un crayon de charbon bandé d'un linge blanc sale. Le petit garçon n'avait jamais rien vu de tel et fronça à nouveau les sourcils, toujours sans cligner des yeux. Il avait cessé de tirer son bras vers lui, par curiosité.
D'un geste pas si brusque, le peintre tendit le crayon un peu plus vers le petit garçon brun qui fit volte face autant qu'il put : il était trop curieux ! Il se laissait avoir par des broutilles.
- Je mors pas, l'informa le plus vieux en souriant.
Le sourire du noiraud adoucit son visage.
- Tiens, ajouta-t-il en tendant à l'enfant l'objet qui l'avait tant intrigué. Si tu trouves comment on s'en sert je te donnerai un morceau de pain.
L'enfant en question cligna enfin des yeux et, alors même que l'adulte avait cessé d'empoigner son bras, il resta sur place, le petit bout dans ses deux mains, le tournant dans tous les sens, fasciné.
- Allez, file ! lança le peintre en récupérant le pain pour lui.
Et le petit garçon s'en vint sans précipitation, tournant et retournant encore l'objet dans ses mains.
Mâchant lentement sa seule nourriture, le peintre laissa un air heureux feindre sur son visage, mais c'était son premier sourire depuis des mois.
« Il vient de la mer. Il ne vient pas d'ici. Personne ne sait comment il a même survécu.
Il est né sur un navire, le cœur balancé par des vagues. C'est sans doute pour cette raison qu'il y est retourné. Il a besoin de tanguer, la terre est trop raide pour lui. Si tu l'avais vu le petit bout ! Je n'ai jamais vu aussi curieux de tout que lui. Il ne parlait pas beaucoup au début, un peu comme toi. Je crois même pire : il n'avait jamais eu personne à qui parler et la première fois que je l'ai vu il n'avait jamais entendu autre chose que les cris de l'orphelinat et les morceaux de conversation de la rue dans laquelle il vivait depuis qu'il s'était enfui.
Je te parlerai peut-être un peu de moi un jour aussi, mais pour l'instant je vais te parler de lui, te dire tout ce que je sais. Et Namjoon te racontera le reste.
Je me suis renseigné, j'ai les moyens de le faire, je t'expliquerai un jour comment. Il avait suivi un oiseaux blanc un jour. L'oiseau avait passé les grilles en volant donc lui aussi les avait passées.
Comme il était curieux il a vite appris à s'exprimer. Mais pas trop. Il préfère écouter les histoires que les raconter Jungkook, à l'oral du moins. Il s'est nourri d'histoires. Hoseok adorait lui en conter. Après il a préféré les miennes, plus complexes. Je lui ai raconté mon histoire. Quand il dessinait par contre, c'était sa manière à lui de raconter des histoires, et nous on regardait. D'un coté il nous écoutait et de l'autre il racontait.
Comme je te disais, il touchait à tout, était bon en tout. Il a survécu en volant dans la rue, c'est comme ça que Yoongi l'a rencontré. Il avait probablement six ans, à peine plus. C'était un enfant un peu chétif mais de constitution solide : des os durs et surtout une résistance incroyable. Hoseok aime beaucoup dire que c'est l'air marin qui lui a forgé la santé, et pas l'air d'ici qui lui est nocif au possible. Il a poussé son premier cri sur la mer, ses poumons se sont gavés de cet air du large et il en garde la trace.
Il n'avait jamais tenu un crayon, jamais vu personne se servir d'un objet pareil mais il a trouvé tout seul comment ça fonctionnait, ce qu'on pouvait faire avec.
Tu demanderas à Namjoon ou Yoongi mais il est revenu très vite les voir et a demandé sa pitance sans hésiter. Débrouillard surtout il était. Jamais un gosse autre que lui n'aurait survécu ; à des mois sur la mer à peine eut-il vu le jour ; à une enfance dans la rue, livré à lui-même aussi jeune et sans repère. Il y en a plein des petits orphelins en ville, mais lui ne savait même pas s'il était né d'une mère : il était trop différent, il ne venait pas d'ici. Il y en a plein des petits mendiants, mais lui a survécu. Et regarde-le aujourd'hui...
Il a tout su faire, très vite. On lui montrait, il reproduisait. Et quand on ne lui montrait pas, il faisait quand même, trouvant la ressource personne n'a jamais su où. Yoongi l'a d'abord rejeté mais Namjoon a insisté. S'il prenait un apprenti alors il lui donnerait plus d'argent. Alors il a accepté, il avait faim Yoongi a cet époque, comme nous tous, l'année était famine, comme la précédente. Et Yoongi a beau être un génie, il reste Yoongi, et le marché de l'art ne battait pas son plein en plus durant cette période.
On a cru que c'était un enfant de la Terre Jungkook, elle lui réussissait si bien. Il était en harmonie totale avec elle, elle semblait lui donner tout ce qu'il demandait, ils semblaient vivre en harmonie... Il était beau Jungkook au milieu du monde, même de notre monde aussi laid que tu le vois à présent. Il est beau le monde quand il est là n'est-ce pas ? Tu t'en rends compte maintenant qu'il n'est plus là n'est-ce pas ?
Mais Jungkook est encore plus beau sur la mer.
Enfin, je ne l'ai jamais vu sur la mer mais tu l'imagines toi aussi là-bas, non ? Il est beau, hein ?
C'est ma faute. Hoseok m'en a voulu pour ça. C'est à cause de mes histoire tout ça. Mais je n'aurais pas pensé qu'en grandissant il y attache encore autant d'importance...
Et puis je pense que même sans mes histoires il y serait retourné à la mer... Tu sais, à présent j'espère juste qu'il n'est pas sur une autre terre que celle-là. Ça lui abîme les lombaires la terre, j'ai peur qu'un jour il ne se brise s'il y marche trop longtemps, s'il y court et y tombe. Je ne suis pas un optimiste né tu sais ? En même temps tu comprendras si un jour je te raconte mon histoire. Si Hoseok m'entendait ! Lui il dirait qu'il ne faut pas y penser « au pire », que Jungkook est en mer et heureux, ses cheveux s'allongeant au vent. Il dirait qu'il reviendra aussi, poser ses pieds sur cette Terre qu'il avait presque adoptée. Elle l'avait adopté, c'est certain ».
« Tu veux que je te dises quoi sur lui ? C'est Yoongi qui l'a rencontré, moi je l'ai vu un jour en venant chez lui dans la rue qui mène à l'atelier. Il avait le crayon de Yoongi dans la main. Son seul crayon, celui que je lui avais fourni la semaine précédent ou celle encore d'avant. Je n'avais plus de nouvelle de cet artiste tout juste installé et talentueux que j'avais repéré alors même que je lui avais passé des commandes donc j'ai décidé de lui rendre visite. Il était assis sur le perron et observait le petit garçon brun aux grands yeux jouer dans la terre avec son crayon. J'ai halluciné. Tu connais Yoongi mieux que moi à présent : tu l'imagines laisser traîner ses affaires dans la rue boueuse ?
Ah ! On est d'accord ! Impossible.
Et pourtant le bambin traficotait son fusain, l'avait déjà brisé en je ne sais combien de morceaux et lui restait calme et observait. Il aurait du être furieux. Je n'ai pas compris tout de suite mais en fait il se donnait en spectacle.
Yoongi avait mis au défi un enfant de cinq ans d'apprendre à se servir d'un objet qu'il n'avait jamais vu en peinture et tout ça contre un bout de miche de pain. Je ne sais pas ce qui m'a ensuite le plus impressionné... le fait que Yoongi qui n'avait rien à manger depuis des jours veuille bien partager sa nourriture des jours suivants, ou le gamin.
Je plaisante, je sais très bien ce qui m'a le plus impressionné : c'était ce gamin. Et puis Yoongi ne lui a donné un morceau de pain que parce que c'est moi qui l'ai fait : il était tellement affamé qu'il délirait je crois. Il y avait un sourire sur ses lèvres quand il regardait l'enfant venir à bout de sa pièce de charbon. Un sourire bêta.
Le petit était resté une semaine avec ce bout de charbon dans les mains. Il aurait pu le vendre, le brûler, le jeter, n'importe quoi, mais non !
C'est la raison pour laquelle j'ai passé un marché avec Yoongi : il coloriait des cailloux avec !
Ne dis rien, je suis sûre que toi aussi tu as commencé par des gribouillages ! Je dois te paraître un allumé mais tu donnes un bout de charbon à un petit garçon qui meurt de faim, il va le manger, pas colorier des cailloux ; crois-en ce que j'ai vu dans les rues. C'est presque comestible le charbon quand tu meurs de faim.
Tu veux savoir autre chose ? C'était un génie ce petit. Je n'ai jamais regretté de l'avoir imposé à Yoongi. Il afficha encore ce sourire parfois à ses cotés. Et ses amis aussi avaient l'air heureux. Et puis Yoongi a fait de belles choses quand il travaillait avec Jungkook tu sais. Il a fallu plusieurs années, en plus Yoongi était encore jeune lui-même, il avait encore à apprendre par rapport à maintenant où il sait exactement ce qu'il fait. Parfois j'ai l'impression qu'ils se sont construits ensemble, que Jungkook a permis à Yoongi de prendre de l'assurance. Mais aussi de s'ouvrir aux autres, et au monde, au mondain surtout. Et il a tout donné à Jungkook, tout ce qu'il avait au fond de lui : de l'amitié, une famille, des liens. C'était le plus beau cadeau qu'il pouvait faire Yoongi, se donner lui-même sans limite à quelqu'un, lui qui a toujours été très réservé et presque inhumain dans ses rapports avec les autres. Enfin cette partie de leur vie avec Jungkook Jin et Hoseok t'en parleraient mieux que moi. Yoongi aussi si tu arrives à le faire parler.
Je ne regrette rien j'ai dit c'est- ça ? En fait c'est faux. J'ai regretté quand il est parti. Quelque part c'est aussi la plus grosse erreur de ma vie. J'ai l'impression de les avoir brisés. J'ai l'impression que c'est de ma faute aussi. J'ai participé à former cette prison professionnelle qui s'est peu-à-peu refermée autour de Jungkook. Au final je crois qu'il ne se voyait pas du tout artiste. Ça lui plaisait de dessiner, de peindre et tout ça. Il était bon et je n'ai vu que ça sans voir que si ça lui plaisait, c'était au même titre que de faire de la menuiserie par exemple, ou être comptable. Il aurait excellé dans tous les domaines, aurait adoré découvrir n'importe quoi mais s'y serait senti enfermé de la même manière.
Parce que c'est un enfant du vent Jungkook.
Jin a du te raconter son histoire. J'y suis allé moi aussi à l'orphelinat. Il est arrivé un soir de tempête au port. Il avait à peine quelques mois. Sa mère était morte la semaine précédente sur le navire après avoir survécu miraculeusement si longtemps. Il a débarqué il était seul, faible, mourant presque, mais il n'est pas mort. Jungkook ne peut pas mourir je pense.
Et puis l'histoire de la fugue ! Ce soir là aussi il y avait du vent. Et les embruns auraient pu l'emporter alors qu'il errait sur le port. C'est Jin qui m'a raconté tout ça. Il sait bien raconter les histoire. Je ne pourrais pas te dire plus que lui je pense sur ce point.
Je te dis tout ça Taehyung, mais c'est parce que Jin m'a demandé. Parce qu'il m'a dit que ça pourrait peut-être t'aider et que l'autre soir dans le port il a cru que tu allais t'effondrer sur le sol quand il t'a retenu. Que tu allais mourir de froid aussi.
Ça aussi il me l'a raconté.
Fait attention sur le port Taehyung, tu n'es pas un enfant de la mer toi. Là où je t'ai trouvé ce sont tes racines, et il n'y a pas plus terreux. Tu es comme un vieux chêne et à peine né, tes racines sont les plus profondes que je n'ai jamais vu ».
***
Bonjour ? Je suis toute gênée... ça fait un petit bout de temps pas vrai ? Et bien voilà le chapitre ^^ ! Et je devrai recommencer à écrire et à publier à raison d'un peu plus d'une fois par mois.
Il y a pleins de nouveaux je crois ? Bienvenu à vous ;) N'hésitez pas à commenter cette histoire, à voter : c'est ce qui me permet de la voir vivre, c'est ce qui la fait vivre un peu, elle et ses personnages ^^ ♥
On reprend doucement donc, avec un petit chapitre sur le passé de Jungkook qui prend place dans la partie centrale (partie dans laquelle je m'amuse bien en vérité !). C'est de circonstance un peu non ;P ! C'est fait exprès bien sûr ! Joyeux anniversaire Jungkook ?! (J'ai un peu l'impression de parler dans le vide, surtout que mon histoire de noiera dans les milliers publiées à cette occasion mais bref...).
J'espère que ce petit chapitre en trois voix : narrateur, Jin puis Namjoon vous a plu ^^ qu'il n'y a pas d'incohérences aussi : je reprends l'histoire après longtemps donc j'oublie certaines choses parfois...
Passez une journée la meilleure possible et bon courage à ceux d'entre vous qui retournent en cours surtout ! Elle va bien se passer cette nouvelle année, prenez les problèmes un par un comme des enfants par la main et expliquez-vous avec eux, ne vous laissez pas submerger. Et si vous être sous les vagues et des enfants de la Terre comme Taehyung alors ne paniquez pas, laissez l'eau repartir. Elle se retire l'eau ;)
Tacha' qui vous dit à très vite ♥
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