Chapitre 17
Mois de mars, déjà.
D'un mouvement circulaire du pied, il referma maladroitement la porte du CDI sur son passage. Ses biceps se raffermirent autour du carton pour le maintenir en place, et il s'engouffra dans le couloir principal du deuxième étage.
Compte-tenu de son rôle de délégué, le professeur de philosophie lui avait enjoint de rapporter les exemplaires du livre à lire durant les prochaines vacances. Il n'avait pas rechigné, quoique l'y envoyer seul impliquait une méconnaissance du règlement scolaire. Peu importe, ce n'était pas juridiquement son problème.
Il lui restait un sacré chemin à parcourir avant de regagner la classe. Comme il avançait à un bon rythme, son arrivée ne saurait tarder. En revanche, descendre les escaliers fut un calvaire monstrueux ; le carton logé entre ses bras lui avait bloqué une partie de la vue et dégringoler les marches ne faisait pas partie de ses fantasmes. Bien qu'il en ait beaucoup, celui-ci n'y avait clairement pas sa place.
Cette ballade champêtre lui faisait faire un peu d'exercice ! Dommage que le format des livres soit réduit, leur masse ne sera pas suffisante pour lui provoquer une belle série de courbatures.
Au cours de son expédition, il distingua les bribes d'une conversation, chose surprenante car les lieux étaient habituellement vides en cette heure creuse. À peu d'exceptions près, tous les élèves se trouvaient en cours. S'il s'agissait d'un personnel de direction, il ne donnait pas cher de la peau du professeur de philosophie.
Le mois de mars débutait. L'aube survenait de plus en plus tôt et les giboulées se succédaient en milieu de journée. Jungkook affectionnait tout particulièrement ce mois aux multiples contrastes, révélateurs du changement saisonnier. C'est aussi le mois où le rythme scolaire s'accélérait. Étonnamment il aimait moins cet aspect !
Ses cours de basket se sont avérés trop chronophages ; l'autre jour, il y avait mis fin temporairement et son sommeil l'en remerciait déjà. L'interruption tombait d'ailleurs à pic puisque certaines tensions s'introduisaient au sein de l'équipe. Un membre, pourtant assez réservé, avait commencé à lui chercher des noises la semaine dernière, ne supportant visiblement pas l'adulation que le coach lui portait.
Jungkook était quelqu'un qui fuyait dès que possible les complications inutiles, telles que les disputes ou prises de tête infondées. Sa grande faille était qu'il présumait les gens fraîchement rencontrés comme remplis de bonnes intentions.
Cette naïveté ne lui a pas encore porté préjudice mais il savait qu'il devait la corriger. Le monde est peuplé de requins et on ne lui fera pas de cadeaux sous-prétexte d'un joli minois.
Soudain, à une intersection de couloirs, il glissa sur un carnet de correspondance plastifié et son corps valdingua en avant. Le carton lui échappa des mains et à la fin de sa chute, sa mâchoire le heurta de plein fouet. Ses dents s'entrechoquèrent violemment. Par chance il ne se mordit pas.
Mais une douleur sourde s'éveilla au niveau de ses genoux.
Purée.
La posture lui étant inconfortable, il se laissa rouler dos au sol et expira lourdement. Les paupières à moitié closes, il fixait le plafond, presque blasé. Pourquoi ce genre de choses n'arrivaient-elles qu'à lui ? Et d'abord, pourquoi s'était-il rendu au lycée aujourd'hui ? Il aurait dû rester au fond de son lit. Cette journée était inutile.
Qu'il était pitoyable, à faire l'étoile de mer en plein milieu du couloir. Même son petit cousin l'aurait mieux vécu.
Des bruits de pas se rapprochèrent et deux têtes entrèrent dans son champ de vision ; celle de Monsieur Kim et d'une assistante de laboratoire. En une parfaite synchronisation, ils lui demandèrent s'il allait bien. Avait-il une tête à aller bien ? S'il avait été en état de bouger, il serait déjà au premier hôpital du coin à exiger un scanner intégral de son corps.
Il souffla une vague réponse négative.
La honte.
Il avait fallu que ce soit lui. En même temps, la partie labo était toute proche.
« Allez hop, debout. »
D'un ton autoritaire, Monsieur Kim lui adressa cet ordre. À vrai dire, il paraissait plus inquiet qu'autre chose, à lui tendre la main en attendant qu'il la saisisse. Jungkook ne se fit pas prier pour l'empoigner.
Une fois debout, sa mâchoire se contracta illico sous l'effet de la douleur. Il s'écarta et le remercia poliment.
« J'ai mal aux genoux.
- Je peux vous porter. Ou bien agrippez-vous à mon bras.
Il lui laissait le choix. C'était entièrement à sa guise. Ainsi, ses doigts enserrèrent timidement un bout de sa chemise, se déchargeant d'une faible portion de son poids.
- N'hésitez pas, il le gronda de sa réticence. Il ne s'agit pas de vous blesser davantage.
Après avoir congédié son assistante, ils s'avancèrent dans le couloir désert. Il lui servait presque de canne humaine et prenait soin de calquer son rythme au sien.
- Alors comme ça, on ne sait plus mettre un pied devant l'autre ?
Monsieur Kim le charriait, mais c'était surtout une façon de connaître l'origine de sa chute. Car son élève, gentil, drôle, séduisant... argh, le professeur s'égarait. On recommence : il n'était pas si maladroit au point de se laisser bêtement tomber.
- Il y avait quelque chose sur le sol et j'ai glissé.
D'ailleurs, le carton était toujours là-bas.
- Dites-moi, pourquoi étiez-vous seul ? Personne ne vous accompagnait ?
- Le professeur de philosophie m'a demandé de rapporter des livres.
- Seul ? il insista, pour confirmation.
- Oui. Il va... avoir des problèmes ?
- Je ne sais pas. Cela dépend de vos parents. »
Quelques instants plus tard, ils atteignirent l'infirmerie. L'homme en charge des lieux vint à leur rencontre mais Monsieur Kim prit les devants, déclarant s'en occuper par lui-même. Il le dirigea ensuite vers une pièce isolée, au centre de laquelle une table de consultation molletonnée figurait. Il l'invita à s'y asseoir après avoir refermé la porte.
« Bien, nous voici tranquilles. Un bref silence s'en suivit, tandis qu'il scrutait son élève d'un air songeur. Il faudrait que je jette un œil à vos genoux.
Sa phrase sonnait comme une requête. Jungkook hocha positivement la tête, sans vraiment réfléchir puisque la réponse lui était évidente.
En position assise, il se contorsionna pour atteindre le bas de son pantalon. Il tenta de le remonter mais le tissu bloqua au niveau des genoux. La matière n'était pas assez élastique. Il stoppa tout mouvement, le temps de trouver une solution. Des mois qu'il songeait combien son uniforme était trop étroit, à présent il payait les frais de sa procrastination. Ses séances de sport régulières n'avaient rien arrangé.
- C'est trop serré, je n'arrive pas à... En fait je vais retirer mon pantalon.
Heureusement que son boxer n'était pas troué.
- Pas de souci.
Dans un premier temps, il ôta ses chaussures et une grimace de douleur déforma brièvement son visage. Il espérait que ce ne soit pas trop grave. Il défit ensuite le bouton. Cette idée l'intimidait beaucoup, mais il était curieusement persuadé que Monsieur Kim ne ferait rien pour le mettre mal à l'aise. D'ailleurs quand Jungkook releva la tête, il le vit affairé à passer en revue les boîtes de l'armoire à pharmacie.
Il retira alors son pantalon, qui s'échoua négligemment au sol. Sans pouvoir s'en empêcher, il tira légèrement sur sa chemise afin de cacher son entrejambe, qui, de toute façon, était recouvert d'un sous-vêtement. Le professeur ne fit aucun commentaire là-dessus lorsqu'il s'approcha avec le matériel nécessaire.
- Vous savez soigner ?
- J'ai plusieurs formations en secourisme. Monsieur Kim s'accroupit devant lui et examina ses jambes dénudées. C'est douloureux quand vous les pliez-dépliez ?
- Oui.
- Mais pas au point de vous empêcher de marcher, nota-t-il pour lui-même, avant de se nettoyer les mains avec du gel hydroalcoolique. Il manipula ses genoux blessés avec délicatesse et Jungkook se laissa faire telle une poupée de chiffon. Regardez dans quel état vous vous mettez... Vous êtes vraiment incorrigible.
Tente toujours de me corriger ? pensa-t-il, ravalant in extremis son sourire cocasse.
- Ce n'était pas volontaire.
Jungkook avait les yeux rivés sur le bel homme accroupi, aux petits soins juste pour lui. Le voir de haut et si proche était inhabituel.
- Dites-moi si je vous fais trop mal. Jungkook acquiesça, mais il était si adroit qu'il n'y avait aucun risque ! Ses doigts opéraient de doux mouvements circulaires sur la partie enflée, sans jamais véritablement appuyer dessus. Une petite douleur en résultait. Rien d'insupportable. Je pense que ce sont des contusions bénignes, ça risque de durer quelques jours. Parlez-en à vos parents, ils sauront quoi faire. Monsieur Kim attrapa des poches de glace. Allongez-vous.
Que d'ordres.
Le lycéen obtempéra, pivotant pour se mettre sur le dos. Deux poches de froid instantané furent déposées sur ses genoux.
- C'est gelé...
Monsieur Kim esquissa un faible sourire.
- D'ailleurs, pourquoi je vous applique de la glace ?
Un poil étonné par la question, il plongea son regard dans celui du professeur, debout à côté de la table de consultation. Il se sentait si riquiqui actuellement.
- Parce qu'elle contre les symptômes de l'inflammation ?
- Mais encore ?
- Elle ralentit le métabolisme et... il marqua une courte pause, avant de se rappeler de l'élément essentiel. Et la circulation sanguine.
- Qu'entendez-vous par métabolisme ? Devant sa moue peu engageante, le professeur poursuivit. C'est un bon début mais il reste très largement insuffisant.
- J'ai prévu de réviser ce week-end.
- Quant à ça, il pointa ses blessures, soyez plus vigilant à l'avenir. Je n'aimerais pas devoir réitérer ce premier soin, aussi minime soit-il.
- Merci beaucoup de l'avoir fait, Jungkook murmura tandis qu'il fixait vaguement le plafond.
Il souhaitait tellement lui demander s'il était à l'origine de la lettre. Mais il n'y parvenait pas. C'était trop dur, les mots ne sortaient pas. Incapable de les prononcer et pourtant ils lui brûlaient les lèvres.
Sa respiration finit par se stabiliser.
- J'ai organisé une session de PSC1 dans deux semaines. Vous aimeriez vous inscrire ?
- Ce n'est pas trop tard ?
- Théoriquement si. Mais comme c'est moi qui gère l'événement, je peux arranger le coup.
Jungkook pesa le pour et le contre. Il en avait déjà entendu parler mais sur le moment, il n'avait pas été intéressé. Là, tout était différent.
- Pourquoi pas, oui je veux bien.
- Je vous fournirai les documents à me remettre. Vous devriez rentrer à la maison, je vais demander à l'infirmier d'appeler vos parents. Et pas de sport pendant quelques jours. »
Il hocha la tête.
Par la suite, Monsieur Kim s'attela au rangement de la salle. Il re-positionna un tabouret pour y déposer le pantalon, lâché au sol quelques minutes auparavant. Les poches de froid instantané allèrent directement à la poubelle.
Ils se saluèrent poliment.
Et alors que Monsieur Kim s'apprêtait à partir, la paume déposée sur la poignée, il se stoppa net dans son élan. Il pivota lentement vers son élève toujours allongé.
Confus par cette attitude, Jungkook attendit une parole, un mot, mais rien ne vint. Au lieu de ça, un énième échange visuel s'instaura.
Les secondes s'écoulèrent, de longues et interminables secondes sans qu'ils ne dévient le regard. Celui du professeur était si hésitant et expressif, pour une fois. Son air dur l'avait complètement quitté, laissant place à un homme tout à fait accessible.
Le tic-tac immuable de la pendule rendait l'atmosphère plus pesante encore. Le temps sembla même se suspendre tant le silence s'éternisait. Jungkook allait parler pour le rompre, mais il se fit devancer haut-la-main.
« Si jamais vous aviez envie de conserver une fleur... le papier journal est très efficace. »
Pris de court, Jungkook ne sut quoi répondre. Son cerveau était comme court-circuité.
Et Monsieur Kim ne comptait pas planter sa toile de tente. Une fine lueur de honte tapissait le fond de ses yeux.
La porte s'ouvrit puis se referma.
Maintenant, il était seul.
***
Bonsoir ! Chapitre de la semaine, bien cliché et cucul la praline. Je posterai le prochain le 22/03 ou le lendemain. Bonne soirée !
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