Première partie
Le soleil était brûlant sur la nuque de Jeongin, il avait beau s'être protégé du mieux qu'il pouvait, chaque grain de sa peau souffrait de la chaleur. Il rangea le carnet qu'il tenait dans la main dans sa sacoche, et prit à la place sa montre. Il ne s'était pas rendu compte que cela faisait déjà plusieurs heures qu'il était là, tant il avait été absorbé par ce qu'il faisait. Il se releva douloureusement, s'appuyant sur ses genoux qui craquèrent lorsqu'il se retrouva debout. Il sentait sa chemise en coton lui coller dans le dos et du sable s'était introduit dans ses bottes, le faisant soupirer de déplaisir lorsqu'il commença à faire quelques pas. Cela ne l'arrêta pas, car il continua à marcher vers les tentes du camp, le paysage aride se reflétait à perte de vue dans ses lunettes de soleil. Jeongin appréciait cette vue, juste du sable et rien d'autre, la solitude et le calme dans la plus pure des formes.
Ses pas le ramenèrent auprès du camp qui s'agitait comme à son habitude. Des gens couraient un peu partout, sortaient de tentes des pelles à la main, manquant presque de lui rentrer dedans. Jeongin les pardonna avec un sourire, il connaissait cet empressement et ne leur en voulait pas. Lui aussi lors de sa première fouille courait partout, prêt à découvrir les secrets de civilisations antiques.
— Jeongin !
Le nommé se retourna, et observa Chan approcher en trottinant doucement. Chan était l'archéologue de son équipe duquel il était le plus proche. Si Jeongin était le chef d'expédition, alors Chan était considéré comme son second. Jeongin l'appréciait pour son honnêteté et surtout sa rigueur dans son travail. Il pouvait compter sur lui quand il avait des affaires urgentes à régler.
— Chan ? Qu'est qu'il y a ? lui demanda-t-il quand il s'arrêta face à lui.
— Je voulais te rappeler que le nouveau cartographe devrait arriver dans la journée, lui expliqua-t-il dans un souffle.
Jeongin hocha la tête, il n'avait pas oublié, même s'il aurait aimé... Il regarda Chan essuyer son front luisant, signe qu'il était en mouvement depuis un long moment. Les bords de sa chemise trempée autour de son cou soulignaient sa déduction, et il pencha légèrement la tête sur le côté pour l'interroger.
— Tu cours où depuis tout ce temps ? Tu m'as l'air épuisé.
Chan écarquilla légèrement les yeux, ses sourcils se haussèrent, soulignant son front plutôt large et sa peau dorée. Puis, il se mit à pouffer doucement, plissant ses yeux dans son sourire ; Jeongin s'inquiétait toujours des membres de son équipe.
— J'ai demandé à tout le monde de stopper ce qu'il faisait et d'aller se reposer le temps que notre nouvelle recrue n'arrive.
Jeongin le rejoignit instinctivement dans son rire, Chan le connaissait bien maintenant, il avait prédit à l'avance ce qu'il allait demander.
— Tu me connais bien dis donc.
— Tellement bien que je te conseillerais de faire comme les autres, lui répondit Chan dans une révérence moqueuse.
— Il en va de même pour toi, répliqua Jeongin en lui désignant poliment sa tente de la main.
Ils se sourirent une dernière fois, et Jeongin reprit la direction de son "chez lui", Il souleva les lourds pans de la tente et une fois à l'intérieur, une vague de chaleur frappa son visage déjà rouge et trempé de sueur. Il enleva son salacot, laissant sa tête respirer et eut la mauvaise idée de passer sa main dans ses cheveux pour les remettre en ordre. D'un mouvement vif, il s'essuya la main contre son pantalon en toile, puis posa ses lunettes sur la table. Il se dirigea vers une bassine d'eau mise à sa disposition, et entreprit de se débarbouiller, il devait être au moins un minimum présentable pour la venue de leur nouveau cartographe. Après s'être aspergé d'eau sur le visage, et frotter ses cheveux avec une serviette en coton, il s'installa sur une des chaises disponibles face à la table où de nombreux documents étaient éparpillés. Jeongin remonta les manches de sa chemise dans un soupir, cela faisait déjà plusieurs mois qu'il était ici, et il n'avait encore rien découvert. Il commençait à être sérieusement fatigué de ses journées sous le soleil à chercher une tombe dont il ne savait même pas si l'existence était réelle. Il avait l'impression que tout cela ne menait à rien, et il savait que son temps ici n'était pas éternel...
Et à présent, il devait accueillir un nouveau membre à son équipe, ce qui compliquait sa mission. Frustré, il serra le crayon qu'il avait dans la main, il commençait à se sentir dépassé par la situation. Lui qui avait une équipe soudée, qu'il connaissait du bout des doigts, devait intégrer une personne qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam et travailler avec elle. Si seulement son ancien cartographe n'avait pas eu à rentrer précipitamment au pays, mais il n'allait pas non plus l'empêcher d'aller rencontrer son nouveau né...
Il relâcha le stylo quand la douleur de la contraction se fit ressentir, et observa d'un regard vide les veines de sa main désormais visibles. Il espérait au moins que son futur collègue ne viendrait pas courir entre ses pattes tout du long de leur mission, il détestait les gens trop joviaux.
Jeongin était en train de relire ses notes lorsque Chan vint le rejoindre pour lui annoncer qu'il était arrivé. Jeongin se leva dans un souffle, il se devait de faire bonne figure, au moins pour que le nouveau se sente intégré. Il dirigeait cette expédition, c'était de son devoir après tout. L'entrée du camp était en effervescence, chacun souhaitait la bienvenue au cartographe, et un bon retour à Jisung, un collègue archéologue qui était parti le chercher à l'aéroport de la capitale. Celui-ci était déjà descendu de sa monture, tout sourire, en racontant son voyage jusqu'au Caire. Jeongin l'entendait babiller de là où il était, un sourire amusé aux lèvres, mais son regard se concentra sur l'inconnu qui venait de descendre de son dromadaire. Il avait un foulard beige qui ne laissait que ses yeux apparaître, qu'il ôta dans un mouvement ample pour laisser son visage dégagé enfin respirer. Sa peau était légèrement tannée, faisant ressortir d'innombrables tâches de rousseur qui parcouraient l'entièreté de ses joues. Quelques mèches dorées comme le soleil pendaient de son casque, et accentuait la douceur des traits de son visage. Jeongin était surpris, il ne s'attendait pas à découvrir une personne comme lui. D'un pas assuré, il se rapprocha pour aller le saluer, se faufilant entre l'amas de personnes entourant les nouveaux arrivants.
— Je suis Yang Jeongin, le directeur des fouilles, enchanté, se présenta-t-il tendant la main.
— Lee Félix, votre nouveau cartographe, j'ai hâte de travailler avec vous !
Félix sourit à pleine dents, serrant vivement la main de Jeongin pour le saluer. Jeongin eut un frisson au contact de sa paume sur la sienne. Un frisson si étrange et violent, qu'il l'associa immédiatement à quelque chose de malaisant, de malsain. Il venait à peine d'arriver que quelque chose le dérangeait déjà avec son nouveau cartographe...
Il se décala pour laisser Chan à ses côtés se présenter, ce sentiment toujours étrange dans le corps. Maintenant éloigné de lui, il put se rendre compte à quel point Félix avait les traits fins, voire juvéniles. S'il était aussi jeune qu'il le pensait, cela pouvait être sa première mission, et il avait peur de faire face à son potentiel manque d'expérience. Et puis, le sourire lumineux qu'il avait le dérangeait, il le trouvait faux, surfait et manquant terriblement d'honnêteté. Décidément, il ne le sentait pas du tout ce Lee Félix.
Une petite soirée fut organisée pour célébrer l'arrivée de Félix, de laquelle Jeongin s'éclipsa rapidement. Il se sentait mal à l'aise en sa présence, et puis à partir de demain les journées allaient être chargées. Maintenant qu'il avait un cartographe, il allait pouvoir reprendre pleinement son exploration du site.
Derrière lui, il entendait son équipe s'amuser, de la musique émanait du gramophone dans de légers grésillements qui le faisait sourire. Ce genre de festivité n'était pas pour lui, il préférait les plaines sablonneuses qui faisaient naître en lui l'envie de l'infini. La Vallée des Rois s'offrait sous son regard avide de découvertes, des tombes déjà découvertes et d'autres qui attendaient leur tour. Jeongin respira l'air frais que lui apporta le vent du désert, la nuit rendait l'endroit encore plus mystique et il avait hâte de connaître ses secrets.
Ce fut l'aurore et ses premières lueurs qui réveillèrent Jeongin, qui grogna en regardant l'heure sur sa montre. Même s'il n'était pas tant fatigué que ça, il aimait rester longuement allongé dans son lit, c'était un plaisir qu'il ne pouvait pourtant pas se permettre. Ses yeux se plantèrent sur la toile de tente au-dessus de lui, il réfléchissait à son programme de la journée. Le plus important était d'expliquer à Félix où ils en étaient et ce qu'il attendait de lui, et même si ça ne le ravissait pas d'être en sa présence, il devait prendre sur lui. C'était comme ça après tout, il ne pouvait pas avoir tout le temps le choix. C'était déjà une grande avancée que d'avoir un cartographe, et même s'il avait peur d'un potentiel manque d'expérience de sa part, il préférait ça que de ne pas avoir de cartographe du tout. Du moins, c'est ce dont il essayait de se convaincre.
Il s'aspergea le visage d'eau pour se réveiller pleinement, s'habilla rapidement puis sortit pour respirer l'air à peine chaud de ce début de journée. Les rayons du soleil levant se reflétaient contre le sable dans un rouge orangé qui donnait l'impression qu'un feu ardent s'étendait dans la vallée. Jeongin s'amusa du spectacle quelques minutes avant de prendre la direction de la tente qui leur servait de réfectoire. Il s'y servit un café, qu'il savoura assis sur un des bancs, un livre à la main qu'il avait pris soin de prendre pour accompagner son petit-déjeuner. Il était seul, comme tous les matins, les ouvriers allaient bientôt se réveiller ainsi que les membres de son équipe, mais personne ne se levait aussi tôt que lui. C'était son moment de calme, celui dont il avait besoin pour bien démarrer sa journée.
Le camp commençait à s'éveiller tandis qu'il finissait la lecture de son chapitre, il entendait les pas et les voix de ses hommes parcourir les allées sablonneuses et se rapprocher de lui. Il venait de se lever que les ouvriers entraient dans la tente, ils le saluèrent poliment, Jeongin en fit de même et leur souhaita une bonne journée de travail, avant de sortir.
Le soleil dorénavant levé, la chaleur étouffante commençait à s'installer. Jeongin avait réuni une partie de son équipe pour les briefer sur les prochaines manœuvres à suivre maintenant qu'il avait un cartographe, et surtout pour expliquer à celui-ci où ils en étaient. Et au plus grand agacement de Jeongin, Félix était le dernier à ne pas encore être présent. Plus les secondes passaient, plus Jeongin sentait que son pressentiment à propos de Félix s'était avéré juste. De plus, il était sûr d'avoir demandé à Chan de prévenir tout le monde de leur réunion, alors ce retard l'agaçait fortement. Le minimum était d'être à l'heure, surtout quand on est une nouvelle recrue ! Alors qu'il s'apprêtait à commencer sans Félix, celui-ci apparut, essoufflé, les joues rouges et le regard paniqué.
— Désolé, bredouilla-t-il, je me suis comme qui dirait... Un peu perdu...
Jeongin lança un regard noir à Félix, et tout en restant silencieux, il l'invita à se rapprocher. Quelques personnes lui chuchotèrent que ce n'était pas grave, que Jeongin ne lui en tiendrait pas rigueur, car cela pouvait arriver à tout le monde. Pourtant, Félix eut un léger doute, ce n'était pas ce que disait l'attitude du directeur de fouille. Jeongin attendit que Félix prenne une place et que le calme revienne pour commencer.
Il expliqua tout depuis le début, ce qui les avait amenés à commencer à fouiller à cet endroit, qu'il avait trouvé dans une tombe précédente, les inscriptions d'un pharaon encore inconnu, et Jeongin s'était mit en tête de trouver cette mystérieuse tombe. Cela faisait quelques mois qu'ils parcouraient la zone, il avait déjà creusé au nord et à l'est, mais ils n'avaient rien trouvé. Jeongin avait pour but d'aller creuser vers l'ouest, mais il attendait que son nouveau cartographe arrive pour commencer. Il donna quelques instructions avant de laisser ses hommes se disperser pour aller travailler. Félix allait sortir de la tente, mais Jeongin l'appela avant que ce ne soit le cas.
— Je ne tolère pas le retard, surtout le premier jour, prononça-t-il froidement, j'espère que vous comprenez que j'attends de la discipline de votre part.
— Je comprends, répondit Félix après un léger silence.
On lui avait dit que Jeongin était une personne avenante, toujours à l'écoute, mais il semblerait que ce soit faux. Il était froid, et même méfiant à son égard, ce dont il n'avait pas l'habitude généralement.
— Ah et, avant que vous partiez, prenez ça, vous en aurez surement besoin.
Il lui tendit de nombreux rouleaux qu'il plaça dans ses mains, que Félix récupéra in extremis. Seul le haut de sa tête dépassait, et il fit du mieux qu'il put pour avancer sans se cogner contre quelque chose ou quelqu'un. Ce fut compliqué pour Félix de rejoindre sa tente sans tout faire tomber, et lorsqu'il put les poser sur sa table de travail, il soupira de soulagement. Il pesta intérieurement après Jeongin, tout en dépliant les cartes pour pouvoir en prendre connaissance. Même si Jeongin l'avait quelque peu agacé, il ne pouvait pas se permettre de ne pas faire son travail, surtout s'il voulait prouver à Jeongin qu'il était compétent.
Jeongin discutait avec Chan lorsque Félix fit son apparition, avec sous son bras plusieurs cartes. Jeongin le regarda approcher du coin de l'œil, tandis que Chan s'était tourné vers lui pour l'accueillir.
— J'ai étudié les cartes que vous m'avez donné...
— Vous avez été rapide, j'ai pensé que vous prendriez une semaine, le coupa Jeongin.
Chan lui lança un regard surpris par ses paroles sarcastiques, il avait l'habitude quand il s'agissait de ses rivaux, mais pas lorsqu'il s'agissait d'un membre de son équipe. Jeongin le savait aussi, mais il n'y pouvait rien. Il ne faisait pas confiance à Félix, il doutait de ses capacités, et il avait peur qu'il soit la raison de l'échec de sa mission, ce qui le poussait à être froid. Après quelques secondes de silence pesant, Chan prit les devants et invita Félix à continuer.
— Je disais donc, qu'au vu des cartes, il y une zone qui mériterait notre attention.
— Est-ce que j'ai vraiment besoin de votre avis ? le coupa de nouveau Jeongin.
Il y eut un silence, durant lequel Félix analysa la question, avant de froncer les sourcils. Jeongin avait beau mal lui parler, il ne voulait pas se laisser faire.
— Oui ? Si vous voulez avoir un travail fait correctement en tout cas.
Jeongin haussa les sourcils au répondant de Félix, ce qui le décida à se retourner pour enfin faire face au cartographe.
— Alors je vous écoute, vous qui semblez être une lumière en la matière.
— Je sais que vous souhaitez fouiller vers l'est, mais si vous observez attentivement la carte, vous remarquerez qu'elle n'est pas complète.
Chan s'approcha pour regarder l'endroit que pointait Félix du doigt et effectivement, il avait raison. Il y avait un espace vide, que ni lui ni Jeongin ne saurait dire pourquoi.
— Effectivement, vous avez raison, s'étonna Chan, invitant Jeongin à venir voir lui aussi, je me demande comment ça se fait.
— Peut-être que votre dernier cartographe n'a pas bien fait son travail ?
Félix savait qu'il était culotté de dire ça, surtout pour son premier jour, mais Jeongin l'avait mis à cran en quelques paroles. Il voulait lui lancer une pique pour lui montrer qu'il était capable. Mais au lieu que ce soit Jeongin qui réponde comme il s'y attendait, se fut Chan qui prit la parole. Félix fut surpris, en plus de Jeongin, qui s'apprêtait à répondre, et pas de la manière la plus douce qu'il soit.
— C'est possible, mais grâce à vous, nous le savons maintenant.
Chan lui lança un sourire forcé, auquel Félix répondit fébrilement. Jeongin soupira alors d'exaspération, relevant la tête de la carte. Félix avait raison et ça le démangeait de l'admettre, mais s'il voulait trouver quelque chose, il devait l'écouter. Pour cette fois.
— Très bien, abdiqua-t-il, nous nous occuperons de ça demain, il se fait tard.
Et il s'éclipsa pour rejoindre sa tente sans un mot, le soleil commençant à se coucher dans la mer de sable.
Les jours qui suivirent, les échanges entre Jeongin et Félix furent tendus. Le directeur de fouille était toujours aussi froid et sarcastique lorsqu'il s'adressait au cartographe (lorsqu'il le faisait, car il passait son temps à le fuir), et ce dernier n'hésitait pas à répondre, ne voulant pas se faire marcher sur les pieds. A côté de tout ça, Chan se retrouvait toujours à désamorcer les levers de voix entre les deux hommes, ce qui commençait à le rendre las. Il avait l'impression d'avoir à faire à des enfants de cinq ans qui ne pouvaient pas contenir leurs égos. Et même les hommes du camp avaient constaté l'animosité entre Jeongin et Félix.
Ce fut un après-midi dans une chaleur étouffante, où Félix était en train de cartographier la zone, proférant des insultes à voix basses sur Jeongin après un énième échange houleux, que les choses commencèrent à changer. Ses cheveux étaient enroulés sous son chapeau pour qu'ils ne soient pas trempés de sueur, et pourtant il la sentait dégouliner contre toutes les parties de son corps. Il était même sûr que la couleur de sa chemise avait changé à cause de son importante transpiration. Pourtant, il continuait à se déplacer sous le soleil, prenant ses mesures pour ensuite les retranscrire sur sa carte. Il savait qu'il commençait à être épuisé, mais il ne voulait pas s'arrêter, il voulait montrer qu'il pouvait le faire, surtout depuis que l'endroit qu'il avait suggéré avait montré qu'il n'y avait rien, et Jeongin lui avait bien fait sentir sa déception. En parlant de celui-ci, il le regardait du coin de l'œil, le surveillant pour être sûr qu'il ne fasse aucune bêtise. Il avait l'impression que son regard lui brûlait le dos en plus du soleil, et ce n'était vraiment pas agréable.
Alors qu'il fronçait les sourcils en fixant Jeongin pour lui montrer son mécontentement, il vit Chan s'approcher de lui et se retourna immédiatement pour se remettre au travail et faire comme si de rien n'était. Arrivé à côté de Jeongin, Chan s'arrêta, se tourna dans la direction qu'il fixait avant de s'éclaircir la gorge.
— Tu devrais lui dire de faire une pause, proposa-t-il, faisant sursauter Jeongin.
Plongé dans ses pensées et le regard plongé dans le vide, il n'avait pas entendu Chan arriver, il secoua la tête pour se reprendre et détourna son regard de Félix.
— Comment ? bredouilla-t-il, perdu.
Chan soupira de dépit, leva légèrement les yeux au ciel, mais posa tout de même sa main dans un geste amical sur l'épaule de son supérieur.
— Je vois bien que tu l'apprécies pas, et je comprends pas pourquoi, mais le faire travailler comme un forcené sous cette chaleur, c'est pas un peu de trop ?
Jeongin fit la moue, puis se tourna vers le cartographe, accroupi dans le sable avec ses instruments dans la main. Il avait beau être mal à l'aise à ses côtés, voire le détester, la graine du remords germait en lui alors qu'il constatait ses habits imbibés de sueur. Il se sentait comme une immonde personne, forçant les autres à travailler dans les pires conditions, alors qu'il faisait tout pour faire l'inverse. Son ventre se noua douloureusement lorsqu'il vit Félix se relever difficilement. Cette fois-ci, il avait peut-être été trop loin.
Mais cela ne l'empêcha pas d'avancer fièrement vers le cartographe, même si dans ses yeux, la lueur de l'incertitude brillait. Chan le laissa se diriger vers Félix, secouant la tête d'un mélange de dépit et d'incompréhension. Il trouvait le comportement de Jeongin étrange ces derniers temps. Bien plus que d'habitude...
Jeongin se trouvait à quelques mètres de Félix qui était dos à lui, toujours occupé. Il inspira un coup, brûlant légèrement ses poumons à cause de la chaleur, et appela le nom du cartographe. Celui-ci sursauta, se tourna précipitamment et fit exprès de marcher lentement vers lui pour le faire attendre. Jeongin voyait ses sourcils froncés, mais aussi que ses tâches de rousseur étaient bien plus prononcées qu'à son arrivée. La tête haute, Félix ne fit pas attention au relief étrange qui dépassait du sol et le heurta, lui faisant perdre l'équilibre et tomber tête la première vers le sol. Heureusement, il eut le bon réflexe et ses mains amortirent sa chute. Félix secoua rapidement la tête pour se remettre du choc alors que Jeongin accourait vers lui, ayant été le spectateur de première classe de sa chute. Pourtant, Félix ne se préoccupa même pas de lui, ses yeux étaient fixés sur l'objet cassé dans sa main.
— Putain ! Mon ornithorynque ! cria Félix de frustration.
— Quoi ?
Jeongin l'observa décontenancé de l'entendre jurer et du nom étrange qui était sorti de sa bouche.
— Mon ornithorynque, l'objet le plus important, celui qui me sert à vérifier toutes mes mesures ! s'agaça Félix.
Les yeux de Jeongin descendirent vers l'objet gradué rectangulaire, d'un marron foncé et dont le bord plat était fracturé, une partie éparpillée au sol, l'autre dans la main de Félix. Alors qu'il allait lui dire que ce n'était pas si grave que ça et qu'il devrait plutôt se préoccuper de lui (des pensées qui l'étonnaient lui-même vis-à-vis de Félix), celui-ci lui lança un regard si noir qui le fit frissonner de déplaisir. Jamais il n'avait vu autant de colère dans les yeux de cet homme qui souriait tout le temps, même quand il travaillait dans des conditions à la limite du supportable.
— C'est de votre faute, s'emporta Félix, sa voix s'élevant. Si vous ne m'aviez pas appelé, jamais je ne l'aurai cassé ! De toute façon, vous avez le chic pour toujours me causer des emmerdes !
Le sang monta d'un coup en Jeongin, sa mâchoire se serra violemment, laissant apparaître la veine de son cou. Il ne réussit pas à retenir les mots acerbes qui sortirent de sa bouche. Il détestait qu'on lui parle de cette façon, surtout quand il n'était pas le responsable de la situation.
— Avant de me porter comme responsable, vous feriez mieux de faire attention à vos affaires et à regarder où vous marchez, cracha Jeongin. Deux pieds gauches comme les vôtres devraient pourtant savoir marcher ! D'ailleurs j'allais vous proposer de faire une pause, mais vu votre façon de me parler vous feriez mieux de ranger le bordel que vous avez mis et de vous remettre au travail !
Et sur ce, il se détourna de Félix, le laissant à genoux dans le sable et la roche, les mains égratignées et des larmes de colère au bord des yeux. En remontant vers le camp, il vit Chan et Jisung se précipiter vers Félix, passant à toute vitesse à ses côtés dans un courant d'air chaud qui fit voler ses cheveux. Ils ne s'arrêtèrent pas pour le voir, et heureusement, car il ne voulait voir personne. Il avait besoin de se calmer. Seul.
Félix savait qu'il avait été trop loin, que parler de cette façon à son chef était quelque chose qui pouvait le faire renvoyer. Il savait qu'il devait s'excuser pour son comportement, et d'un autre côté, il se disait quand même qu'il l'avait mérité. C'était lui qui lui parlait mal à l'origine, il n'avait fait que lui rendre ce qu'il lui avait donné. Retour de bâton. Tout de même, se vautrer de cette façon et casser son objet le plus précieux, c'était beaucoup trop en quelques secondes. Chan et Jisung l'avaient aidé à se relever après que Jeongin soit parti, puis l'avait emmené voir le médecin du camp pour vérifier s'il n'était pas blessé trop gravement. A part sa fierté, il n'avait que quelques égratignures, rien de trop grave. Chan, et surtout Jisung, l'avait rassuré en lui disant que ce qui s'était passé était de la faute de Jeongin. Il n'avait pas eu à lui parler de cette façon, et il n'avait pas à s'en faire, car Chan allait le rouspéter comme il se doit. Mais au fond de lui, Félix savait quand même qu'il y était un peu pour quelque chose. Jeongin n'avait pas semblé hostile quand il l'avait appelé, il l'était devenu après qu'il eut déversé sa colère contre lui. Il se tourna sur sa couchette, la scène se rejouant sans cesse dans sa tête. Il était tombé lamentablement contre le sol, il ne savait pas contre quoi, il n'avait rien vu de très prononcé sur le sol qui aurait pu le faire tomber. Il se retourna une nouvelle fois, le sommeil peinait à venir et ses pensées qui tournaient en boucle ne l'aidait pas. De toute façon, il devait retourner sur les lieux pour vérifier qu'il ne restait aucun morceau de son ornithorynque, pour pouvoir le réparer.
Félix avait attendu que le soleil soit complètement levé pour sortir de son lit et retourner à l'endroit de tous ses soucis. Et il eut bien fait. Premièrement, il retrouva des éclats de son ornithorynque où des mesures étaient inscrites, ce qui le fit soupirer de soulagement. Il allait pouvoir le réparer. Mais en cherchant d'autres morceaux, il balaya le mélange de sable et de roche de sa main, et laissa apparaître une roche d'un blanc prononcé. La curiosité l'emporta et il s'empressa d'aller chercher le matériel nécessaire pour continuer à fouiller. Il lui fallut de longues minutes pour se rendre compte qu'il s'agissait d'une pierre d'une taille importante, puis plusieurs autres minutes pour comprendre qu'il y avait une autre qui descendait dans le sol. Il venait de trouver un escalier. Surement l'escalier d'un tombeau. Il releva la tête abasourdi, face à lui se trouvait le flanc d'une colline. C'était logique, parfaitement logique. Il venait de trouver l'entrée d'une tombe. Il venait de trouver ce que convoitait Jeongin. Un sourire béat étira ses lèvres, et la seconde d'après, il courut retrouver Jeongin.
— Comme ça, je lui prouverai que je ne suis pas un incapable, que je suis utile pour l'équipe, se murmura-t-il pour lui-même, alors qu'il s'approchait du camp en trottinant.
Le lieu de sa découverte était assez excentré du camp, et pourtant à un endroit si évident, tellement évident qu'il n'avait même pas pensé à fouiller là-bas. Tout le monde était déjà levé et s'activait alors qu'il déambulait entre les tentes pour trouver Jeongin. Par chance, il croisa la route de Chan qui lui indiqua qu'il se trouvait dans sa tente. Alors qu'il allait reprendre sa course, Chan lui attrapa le poignet pour le retenir.
— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée que tu ailles le voir, lui confia Chan.
— Peut-être, soupira Félix avant de reprendre avec détermination, mais j'ai quelque chose à lui dire. Quelque chose de très important.
L'inquiétude de Chan se transforma en surprise, mais il n'eut pas le temps de poser d'autres questions, que Félix s'échappait déjà en direction de la tente de Jeongin.
Félix reprit son souffle face aux toiles de la tente, la chaleur n'était pas encore trop étouffante en cette fin de matinée, mais il sentait la sueur couler dans sa nuque à cause de la course qu'il venait de faire. Il inspira un bon coup, et entra.
— Jeongin ? Désolé de vous déranger mais je vous cherchais et on m'a dit que vous étiez ici, lança Félix d'une traite, les yeux fermés et prêt à être réprimandé.
La seconde après avoir parlé, il ouvrit un œil, curieux de ne pas s'être fait rousté immédiatement. Il ne semblait y avoir personne ici. Pourtant Chan avait été formel, il ne pouvait être dans sa tente et nulle part ailleurs. Alors, il avança pour être sûr qu'il n'y avait bien personne, et dépassa les sortes de paravent qui délimitaient l'espace intime de Jeongin. Et ce qu'il vit le figea. Jeongin était dos à lui, penché au-dessus de sa bassine, en train de se débarbouiller. Il avait une vue plongeante sur son dos, et surtout sur la croix ankh ancrée entre ses deux omoplates. Les lignes noires contrastaient avec sa peau bronzée, hypnotisant Félix. Il ouvrit la bouche de surprise, jamais il n'aurait cru découvrir un tatouage sur le dos de son patron. Jeongin dut sentir sa présence car il se retourna soudainement, se retrouvant nez à nez avec un Félix éberlué.
— Qu'est ce que vous faîtes ici ? lui demanda sèchement Jeongin. Vous ne savez pas demander l'autorisation avant d'entrer ?
Félix soupira de dépit, ce qui lui laissa le temps de reprendre ses esprits pour se le faire débrancher la seconde d'après lorsque ses yeux se posèrent sur le torse dénudé de Jeongin. «C'est ce qui s'appelle "être bien foutu"», se fit-il comme réflexion qui fit rougir ses oreilles alors que ses yeux suivaient les traits marqués de ses muscles. Et peut-être que s'attarder dessus n'était pas la meilleure idée pour sa santé mentale... Il se rendit compte de ce qu'il faisait en apercevant les joues rosies de Jeongin, complètement désarçonné parce qu'il faisait. Félix tourna la tête vers un point sur sa droite et toussota pour reprendre contenance.
— Je vous ai appelé mais je n'ai eu aucune réponse, donc je me suis approché pour vérifier qu'il n'y avait effectivement personne, et... Visiblement ce n'était pas le cas.
— Vous me cherchiez pour quoi ? lui demanda alors Jeongin, après quelques secondes de silence.
— J'ai quelque chose à vous montrer ! s'exclama Félix, un grand sourire aux lèvres.
Jeongin suivit rapidement et sans un mot Félix qui l'emmena vers le lieu de sa découverte (il avait eu le temps d'enfiler une chemise). Les outils qu'il avait empruntés étaient toujours étalés autour des deux marches découvertes, et il se tourna vers Jeongin un grand sourire aux lèvres.
— Ta-da !
Le regard de Jeongin passa du visage éclatant de Félix, au creux dans le sol, il n'arrivait pas à y croire. Il s'approcha lentement des marches, s'accroupit et posa sa main tremblante dessus. Il y était, il avait enfin trouver quelque chose. Il se releva dans un mouvement, et héla les ouvriers de venir pour continuer à creuser et découvrir ce qui se trouvait au bout de cet escalier. Félix resta debout sans bouger, alors que Jeongin continuait à donner des ordres, il se sentait déphasé, complètement hors du temps. La journée défila presque sous ses yeux, et en fin d'après-midi, les ouvriers avaient réussi à dégager une porte. Jeongin s'en était approché à la fois anxieux et excité, et lorsqu'il avait vu le sceau sur la porte, un soupir de soulagement quitta son corps. Le sceau de la nécropole royale. Il remonta précipitamment les marches, maintenant qu'il avait trouvé ce qu'il cherchait tant, il devait appeler son mécène. Sinon il ne pourrait jamais fouiller le tombeau.
Mais avant de partir vers sa tente pour envoyer son message, il se dirigea vers Félix qui se tournait toujours, son papier et son crayon à la main. Il releva la tête en le voyant arriver et s'arrêta dans son mouvement. Jeongin attrapa sa main qui tenait le crayon, la serrant dans la sienne, un sourire timide sur les lèvres. Après tout, c'était grâce à lui qu'ils avaient pu excaver l'entrée du tombeau.
— Je suis sincèrement désolé pour tout ce qu'il s'est passé depuis le début de notre collaboration, je reconnais m'être mal comporté à ton égard, commença Jeongin. Je suis aussi désolé d'avoir douté de tes capacités...
Félix l'observait ébahi de recevoir de telles excuses, il ne s'était pas attendu à les entendre maintenant, mais cela lui fit du bien. Jeongin n'était pas autant un enfoiré qu'il ne l'avait pensé.
— Et je te remercie d'avoir fait cette découverte, ça m'a fait prendre conscience que tu as tout fait ta place dans mon équipe, continua Jeongin, faisant attention aux mots qu'il employait. Et si on reprenait tout depuis le début ? Je suis ravi de travailler avec un cartographe comme vous, Lee Félix.
Félix pouffa, effectivement Jeongin s'était comporté mais il avait reconnu ses torts, s'excusait et voulait recommencer depuis le début. Félix n'était pas si rancunier que ça, et le fait que Jeongin vienne s'excuser venait faire pencher la balance vers la rédemption de celui-ci. Il hocha alors la tête, raffermissant leur poignée de mains.
— J'accepte vos excuses et je tiens aussi à vous présenter les miennes, sourit Félix. Je suis aussi ravi de travailler avec un archéologue aussi réputé que vous, Yang Jeongin.
Jeongin lui lança un rapide sourire, puis s'éclipsa pour enfin faire part de la bonne nouvelle à son mécène.
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